Between Elseworld & Continuity…(Les X-Men de Grant Morrison)

Encyclopegeek – New X-men #114 à 154 : le run de Grant Morrison

Un dossier de : TORNADO

All New, All Different… © Marvel Comics

All New, All Different…
© Marvel Comics

Cet encyclopegeek est dédié au run du scénariste Grant Morrison sur les X-men. Rappelons qu’à l’époque, la série LEGACY avait été rebaptisée NEW X-MEN le temps de ce run.

NEW X-MEN = Révolution. Tel semblait être l’adage de l’auteur des INVISIBLES lors de son arrivée sur la série, alors en sérieuse perte de vitesse au moment où les films de Brian Singer annonçaient le règne des super-héros au cinéma, dans des adaptations hollywoodiennes qui allaient peu à peu supplanter leurs modèles de papier dans l’intérêt populaire pour les héros à pouvoirs et à panoplies.

En VF, le run de Morrison a été édité à moult reprises sous la forme de diverses collections. Nous suivrons ici le schéma de la première version librairie (la collection Deluxe), dans laquelle les épisodes signés Morrison occupent trois albums et demi, l’équivalent de trois ans et demi de publication mensuelle aux USA.
Le scénariste annonça les couleurs de sa révolution avec un manifeste sur lequel il est intéressant de revenir. Notre article sera donc divisé en cinq parties plus une conclusion.

Retour à l’uniforme (plus ou moins). © Marvel Comics

Retour à l’uniforme (plus ou moins).
© Marvel Comics

1° partie : Le Manifeste.

A la fin du premier album deluxe, le lecteur peut lire le MANIFESTE DE GRANT MORRISON, dans lequel le scénariste annonce son plan pour revitaliser la franchise mutante. On peut y découvrir toutes les idées que le monsieur a imaginées pour sa première année de travail, énoncées avec une arrogance déconcertante et un mépris affiché pour tout ce qui a été publié après le règne du duo formé par Chris Claremont & John Byrne.

En lisant attentivement cet argumentaire, on peut relever une schizophrénie galopante puisque le texte commence par cette phrase : Après avoir lu tous les trade paperbacks X-MEN proposés à l’humanité, je pense avoir une idée assez claire de ce qui marche et ne marche pas dans cette série. Tandis qu’il termine sa démonstration avec celle-ci : Je n’ai pas lu les séries X de ces vingt dernières années, et je n’ai pas l’intention de le faire.
Soit tout et son contraire…
Je ne suis pas un amoureux transi de ce qui a été fait avec les X-men depuis la création de la série par Stan Lee & Jack Kirby jusqu’à l’arrivée de Grant Morrison. Je lisais UNCANNY X-MEN quand j’étais adolescent mais aujourd’hui les seuls arcs que j’aime me relire se comptent sur les doigts de la main. Toutefois, je comprends que les fans ont dû être échaudés par cette entrée en matière provocante qui dédaigne deux décennies de continuité mutante. Et les passages fielleux ne manquent pas, dont un, à propos des années 90 : Même s’ils restaient un best-seller de Marvel, les X-MEN symbolisaient la ringardise à l’état pur jusqu’à l’électrochoc provoqué par le film.

Pour le reste, il convient de reconnaitre que les idées annoncées par Morrison dans son manifeste ne manquent pas de sel et que ses décisions de revoir complètement le cahier des charges de la série sont bien pensées, notamment en termes de packaging. Un extrait synthétise bien le principe : Retour à l’UNIFORME. (…) de longs manteaux de cuir avec un X sur le dos quand nos héros se feront plus fiers, plus sûrs d’eux, plus bravaches. (…) J’aimerais une touche de jaune sur les costumes, (…) mais un jaune fluo genre pop art, (…) bref, un nouveau look. Un peu avant cependant, Morrison affiche son dédain du passé avec cette première phrase destinée au look : Nous disposons d’un vivier de plusieurs MILLIONS de lecteurs potentiels, dont le public féminin qui a craqué pour Hugh Jackman et auquel son homologue de papier doit procurer les mêmes frissons (donc, plus de justaucorps bleu et jaune ni de casque à la Batman. Pourquoi Wolverine porte-t-il un casque modelé sur sa chevelure d’ailleurs ? Aujourd’hui, ça parait vraiment débile).

Un lecteur comme votre serviteur applaudit des deux mains face à ces velléités de changement. Mais qu’en est-il des fans hardcore de la première heure ? Car Morrison ne fait montre d’aucune humilité et son mépris pour le travail de ses prédécesseurs est assez décomplexé.
Enfin, et surtout, le scénariste dévoile son plan le plus machiavélique : La continuité ? Il s’en bat la chaussette ! Les personnages ? Il veut les réinventer. Et il n’hésite pas à le proclamer : Tout le monde sera d’accord avec moi pour dire que nous ne pouvons pas continuer à nous embourber dans quarante ans de la continuité la plus alambiquée de l’univers des comics. (…) L’aspect super-héros ne devrait être qu’un détail dans le vaste potentiel de ce titre. (…) C’est comme ça que nous jouerons la carte de la « Continuité », en la mettant doucement de côté pour la remplacer par… heu… la « super-cohérence ».
Le ton est donc donné, et les lecteurs fidèles ne constituent qu’une niche qui n’intéresse pas Grant Morrison, ou en tout cas pas assez pour la mettre sur un piédestal.
Ainsi se dévoilent les plans du scénariste, qui ajoute à son manifeste le découpage potentiel de ses deux premiers arcs narratifs et de sa première année de travail sur les NEW X-MEN…

La révolution est en marche ! © Marvel Comics

La révolution est en marche !
© Marvel Comics

2° partie : Morrison, Year One.

Le premier recueil Deluxe regroupe les épisodes NEW X-MEN #114 à 121, plus l’Annual 2001, publiés initialement entre juillet 2001 et juillet 2002.

Le pitch : La Terre est le lieu d’un nouveau bon dans l’évolution qui condamne l’humanité à disparaitre en quelques décennies, supplantée par les mutants.
Tandis que le docteur John Sublime crée une secte de militaires (baptisés U-men) qui se greffent des organes mutants afin de voler leurs pouvoirs à ces derniers pour devenir « Homo-perfectus »(la prochaine espèce dominante), une vieille femme nommée Cassandra Nova construit en secret une nouvelle variété de Sentinelles, plus petite que la précédente, mais bien plus meurtrière.
Au milieu de ce bouleversement des espèces, l’Institut Xavier doit s’adapter puisqu’elle accueille beaucoup de nouveaux élèves.
Après avoir dévoilé publiquement sa mutanité, Charles Xavier décide de rejoindre sa compagne, l’impératrice Shi’ar Lilandra, dans son vaisseau spatial. C’est le moment que choisit Cassandra Nova pour révéler la véritable teneur de son plan machiavélique…

Grant Morrison est un auteur créatif. Il est connu pour sa capacité à revigorer (sinon réinventer) les anciennes franchises qui s’essoufflent de manière spectaculaire. C’est le cas ici.
Mais avec le recul, il y a beaucoup de choses qui peuvent déranger dans ces premiers épisodes, même sans être puriste :
Dans la forme, les planches sont brouillonnes et découpées à la truelle. Morrison n’est pas un metteur en scène appliqué et semble ne fournir à ses dessinateurs que de vagues indications de plans, sans story-board ni découpage technique précis. Il y a beaucoup de ruptures de ton et les personnages changent souvent de conversation d’une vignette à l’autre. Au lecteur de trouver le raccord !
Certains épisodes sont agaçants dans leur narration arty, la palme revenant à celui, exempt de texte, qui voit le Professeur Xavier lutter dans le ventre de sa mère contre son futur ennemi… Ou encore cet Annual se lisant à la verticale (je déteste ça…) qui ne trouve son explication que plusieurs numéros en aval, ce qui veut dire qu’il faut accepter de lire certains épisodes en ne comprenant strictement rien sur le moment, mais en se souvenant de ce qu’il s’est passé pour raccorder le tout ensuite !
Enfin, le changement de dessinateur (environ tous les 2 épisodes) est pénible. La série est visuellement conceptualisée par Frank Quitely. C’est un dessinateur à la forte personnalité graphique qui redéfinit d’entrée de jeu le look et le physique des personnages. Mais il laisse la place à deux autres collègues qui interviennent par alternance. Si Ethan Van Sciver assure dans l’ensemble, ses visages ne ressemblent jamais à ceux de Quitely. Les personnages sont donc méconnaissables. Quant à Igor Kordey, il souffre tellement de la comparaison avec les deux autres que son graphisme dissone laborieusement.

 Ethan Van Sciver puis Igor Kordey : La valse des dessinateurs… et des styles. © Marvel Comics

Ethan Van Sciver puis Igor Kordey : La valse des dessinateurs… et des styles.
© Marvel Comics

Certaines séquences manquent carrément d’exposition. D’abord avec les 16 millions de mutants tués à Genosha : On nous boucle ça en quelques vignettes à peine (voir Magneto, certes convalescent, regarder la mort (soi-disant) lui tomber dessus sans rien faire, c’est plutôt étrange).
Morrison a tellement fait le ménage que le lecteur ne reconnaît plus personne. En guise de X-men, il n’y a plus que Cyclope, Jean Grey, Wolverine et le Fauve (lui-même ayant encore évolué au cours d’une troisième mutation). Tous les autres, exceptée Emma Frost, sont des personnages totalement inconnus et réduits à l’état de figurants. Les nouveaux venus sont carrément glauques et malsains : New Angel inspire une rare antipathie, les autres ne sont que des dégénérés : Un homme oiseau cauchemardesque (Bec), un tas de gélatine au squelette apparent (Herman), des monstres de foire à foison… Le malaise domine ! Quant à Xorn, apparu dans l’Annual, difficile de percevoir réellement en quoi consiste ses pouvoirs et quelle est sa nature…
Que Morrison décide de ne garder que quelques mutants classiques de l’univers des X-men pour les remplacer par des nouveaux, pourquoi pas ? Mais voilà qu’il nous introduit ces derniers sans jamais les développer ni même les présenter. Exemple avec les Stepford Cuckoos, dont on apprend qu’elles sont les filles d’Emma mais en fait non. Et puis du coup on n’y comprend goutte et on se sent largué.
Il faut donc péniblement relire plusieurs fois chaque planche, en revenant systématiquement en arrière afin de vérifier que l’on n’a pas raté une explication, pour finalement s’apercevoir qu’il n’y en avait pas, et qu’il faut se débrouiller sans…

Pour le reste, ce changement de ton est le bienvenu si tant est que l’on en apprécie le principe. Il y a enfin du sang et des larmes (les griffes de Wolverine font saigner et les rayons de Cyclope tuent, enfin !). Les personnages se comportent de manière adulte. Leurs relations sont peu à peu enrichies, sans que l’on s’en rende compte, par petite touche égrainée ici et là. Le nouveau look est rafraîchissant et relativement moins ridicule que par le passé.
Les nouveaux méchants sont réussis et réellement marquants. Les nouvelles recrues ont des mutations vraiment très originales, souvent moins cool que dérangeantes, leur conférant une aura très particulière.
Et puis, quel plaisir de lire, comme dans le temps, des histoires qui se suffisent à elles-mêmes, qui apportent du sang neuf à une franchise qui, depuis des lustres, vivait dans la redite et les méandres d’une succession de scénarios nébuleux à force de crossovers, spin-offs et autres séries dérivées créés pour rendre accroc le lecteur, obligé pour suivre l’ensemble d’acheter une pléthore de comics liés entre eux par une trame tentaculaire.

En conclusion, voici une première année certes bancale, confuse, gorgée d’ellipses brutales et de fautes de goût, alternant des passages crédibles et des segments indigestes et surréalistes, des moments forts et d’autres incongrus. Mais on passe un très bon moment de lecture, car le changement de ton fait réellement évoluer l’univers des X-men avec beaucoup de trouvailles et d’originalité.

Le changement, c’est maintenant, même pour Wolverine. © Marvel Comics

Le changement, c’est maintenant, même pour Wolverine.
© Marvel Comics

3° partie : Morrison, Year Two.

Au programme du second recueil, les épisodes #127 à 138 publiés initialement entre aout 2002 et mai 2003. Soit l’essentiel de la seconde année consacrée au run de Grant Morrison, avec deux arcs majeurs.

Le pitch : L’extinction des humains semble programmée au profit de la nouvelle espèce dominante : le mutant. Plus que jamais, les X-men vivent un climat de guerre civile où les humains persécutent les mutants.
En secret, une faction du gouvernement américain a mis au point l’Arme Douze (un organisme imaginé spécialement pour éliminer les mutants) et tente de les piéger en les attirants dans le tunnel sous la manche. C’est alors que les X-men sont contactés par Fantomex, un mystérieux terroriste mutant qui leur apprend que c’est le même organisme qui a créé Captain America (l’Arme Une) ou encore Wolverine (l’Arme Dix, le « X » étant en fait un « 10 »), lui-même étant l’Arme Treize.
Peu après, le jeune Quentin Quire, un élève charismatique de l’institut Xavier doué de puissants pouvoirs télépathiques, entreprend avec l’aide d’une poignée de camarades rebelles, sous l’emprise d’une nouvelle drogue boostant leurs pouvoirs, de mener une croisade vengeresse contre les humains. Face à l’hostilité de ses professeurs qui condamnent ses idées belliqueuses, Quentin décide alors de s’en prendre directement aux X-men…

Un vent de révolte à l’Institut Xavier ! © Marvel Comics

Un vent de révolte à l’Institut Xavier !
© Marvel Comics

Avec l’ARME DOUZE, le scénariste entre dans sa phase la plus complexe et développe un récit extrêmement abscons dont il a le secret (je n’y ai rien compris lors de ma première lecture). A ce stade, il entremêle un nombre impressionnant d’intrigues tout en convoquant moult éléments de la continuité de l’univers Marvel.

Avec UN VENT DE REVOLTE, l’auteur revient au contraire à un style très linéaire, parti-pris narratif qu’il va préserver (ouf !) jusqu’à la fin de son run. Il imagine une intrigue lui servant de prétexte pour explorer les arcanes de la vie estudiantine en y exposant tous les thèmes propres à cet univers (relations amoureuses, virées nocturnes, bizutages, rébellion et rejet de l’institution, rivalités, tentations des substances illicites, etc.). Il restitue ainsi le concept initial de la série, qui veut que ces super-héros soient avant tout la métaphore du droit à la différence et du soulèvement de la jeunesse contre un establishment trop contraignant et intolérant, mettant en opposition les diverses idéologies.
Et pour ce qui est du droit à la différence, Morrison y va fort :
L’institut Xavier, autrefois habité exclusivement par les X-men et ensuite les Nouveaux Mutants, ressemble désormais à un campus universitaire peuplé d’étudiants de tout horizon. Il existe même, à proximité, un quartier de New York appelé Mutant Town (qui évoque irrésistiblement le Bronx…). Pour ce qui est des étudiants, on a plus l’impression d’être chez les freaks, voire dans la Cantina de Star Wars , c’est-à-dire avec des aliens en tout genre, plutôt que chez les X-men !

Ce second recueil pourra en exaspérer plus d’un avec son changement perpétuel de dessinateurs. Toute la 1° partie est confiée à Igor Kordey. Malgré un sens du cadrage très intéressant, c’est une horreur qui nivelle par le bas le concept des NEW X-MEN. J’ai beau avoir lu ici et là que l’artiste avait dû travailler avec des délais infâmes, le résultat est immuable : Son boulot sur cette série est une torture visuelle tant il semble dessiner avec une saucisse.
Vont se succéder ensuite Phil Jimenez, Ethan Van Sciver, John Paul Leon et Keron Grant, avant que Frank Quitely ne reprenne les rennes de sa création pour la plus belle partie de cette seconde saison.

 Phénix is back. © Marvel Comics

Phénix is back.
© Marvel Comics

4° partie : Morrison : Year three.

Au programme du troisième recueil, les épisodes #139 à 150 publiés initialement entre juin 2003 et février 2004. Soit encore deux nouveaux arcs narratifs : A L’ASSAULT DE L’ARME PLUS et PLANETE X.

Le pitch :
1) Cyclope et Wolverine accompagnent Fantomex dans Le Monde, le site de l’Arme Plus. Cette aventure les entraine jusqu’au satellite renfermant tous les secrets de l’Arme Plus, y compris celui du passé de Wolverine…
2) C’est le retour de Magneto, qui bien évidemment n’était pas mort. En réalité, le traitre infiltré dans l’Institut Xavier, c’était lui ! (non, non, je ne vous dévoilerais pas son identité).
De retour, le maître du magnétisme n’est pas content et entend bien le montrer en détruisant New York pour la remodeler à son image en la renommant New Genosha, accomplissant ainsi sa vengeance contre les humains qu’il croit responsables des seize millions de mutants assassinés.

Ce troisième tome se révèle comme une récompense à la lecture plus ou moins fastidieuse des deux précédents. Finies les ellipses brutales et les trous dans la progression linéaire et la trame scénaristique. Ici, tout s’écoule de façon évidente, limpide, claire et prenante.
Finies aussi les absences d’émotion et la provocation gratuite. Ici, on vous prend aux tripes, et vous en bavez de frayeur et de larmes. Les personnages s’aiment, se haïssent et se déchirent dans l’apocalypse.

Le premier arc commence en huis-clos, avec un épisode jouissif de beuverie entre Cyclope (dépressif, puisqu’il a quitté Jean après l’avoir trompée avec Emma Frost) et Wolverine (tel qu’en lui-même). Et une guest-star de choix : Sabretooth ! Il se poursuit par une épopée spatiale avec Fantomex, avant de réunir l’ensemble des protagonistes du run de Morrison dans un climax qui va, comme par magie, relier la totalité des intrigues pourtant abordées les deux années précédentes dans un incommensurable bazar !

A la relecture, je consens que le retour de Magneto est particulièrement tiré par les cheveux, avec un gros doute sur le fait que Morrison l’avait en tête de cette manière en créant le personnage derrière lequel il était caché. La première fois, je n’avais pas tiqué. Mais la seconde, j’ai trouvé ça suspect…
On sait que la caractérisation du maître du magnétisme par Morrison a été conchiée par les fans. Là encore, avec le recul, il convient d’avouer que l’on ne reconnait pas le personnage tel qu’il avait été développé les années précédentes. Il ressemble davantage à sa version initiale des années 60. Nonobstant cette composante, on peut néanmoins apprécier le traitement : Tel un vieillard usé par les guerres et rongé par la drogue et les anabolisants (ce n’est pas la 1° fois, si l’on se souvient de sa dépendance aux pouvoirs de Fabien Cortez dans l’ère Jim Lee ), il craque, devient à moitié fou et désespéré, commet l’impardonnable, se reprend, voit l’horreur de ses actes et retombe dans la folie ! Il n’a finalement jamais été aussi ambivalent et désespéré que dans cet arc narratif !

Une magnifique idée : Transformer New York en une ville mutante ! © Marvel Comics

Une magnifique idée : Transformer New York en une ville mutante !
© Marvel Comics

La majeure partie des nouveaux personnages qui étaient malsains et insupportables dans les tomes précédents prennent de l’ampleur dans cette dernière partie. Le scénariste n’en oublie aucun : Bec, New Angel, Ernst, Basilisk. Ils acquièrent tous une belle dimension.
La nouvelle saga du Phénix, au départ un peu bancale, devient magnifique entant qu’hommage à l’ère Claremont/Byrne. Elle reconstitue le triangle amoureux Cyclope/Jean Grey/Wolverine avec retenue, discrétion, finesse et parvient à lier passé et présent tout en ne retombant jamais dans la redite.

Il y a bien quelques défauts et quelques incohérences : Où sont passés les autres super-héros de l’univers Marvel quand Magnéto détruit New York ? (Il y a une explication mais elle est carrément laconique). Comment Magnéto parvient-il à emporter Phenix dans la mort en un seul geste ? (il y a également une explication mais elle est carrément nébuleuse) !
Malgré tout, cette série d’épisodes marque la réussite de Grant Morrison dans son entreprise de révolution de la franchise mutante. Et cerise sur le gâteau, seuls deux dessinateurs (Bacchalo et Jimenez) se succèdent et ils sont tous les deux brillants, si tant-est que l’on accepte le côté caricatural du premier, qui s’applique néanmoins plus que d’ordinaire.

New Days of the Future Past. © Marvel Comics

New Days of the Future Past.
© Marvel Comics

5° partie : Morrison, Year 3.5.

Ce 4° et dernier recueil regroupe les épisodes #151 à 160. Mais en vérité, seuls les quatre premiers épisodes (publiés initialement entre mars et mai 2004) sont écrits par Grant Morrison. Il s’agit donc de réunir l’épilogue du Monsieur et de compléter l’album avec la suite directe de la série dirigée par une nouvelle équipe « artistique ».
Il y a donc deux parties bien distinctes au programme de cette compilation mais nous ne traiterons ici que de la première, entendu qu’il s’agit de la fin du run de Morrison, et que la suite par le scénariste Chuck Austen ne vaut pas tripette.

Le pitch : De nos jours, malgré les suppliques d’Emma Frost, Cyclope refuse de reprendre la direction de l’Institut Xavier. 150 ans plus tard, le monde est dévasté et seuls quelques mutants résistent encore à la Bête, un tyran tout puissant qui fut jadis le Fauve. Parmi les insurgés, les X-men du futur (où seul subsiste encore Wolverine) combattent pour la liberté.
Afin de mener à son terme son emprise sur la Terre, le désire plus que tout récupérer l’œuf du Phénix, et libérer celle qui fut Jean Grey afin de lui prendre son pouvoir…

Après avoir rendu un hommage aux années Claremont/Byrne en revisitant à sa façon la Saga du Phénix, Grant Morrison décide de nous offrir un épilogue en revisitant, d’une manière toute personnelle, ambitieuse et novatrice, le célèbre arc narratif DAYS OF THE FUTURE PAST créé en 1981 par le même duo d’auteurs, et qui explorait pour la première fois le principe des futurs alternatifs.
Le résultat est somptueux. Le scénariste choisit de poursuivre l’aventure avec une narration claire, linéaire et néanmoins très dense.
Nous voici dans un futur de science-fiction versant à fond dans la Fantasy, quelque chose comme LES MAITRES DE L’UNIVERS version dépressive ! Seuls quelques personnages ont survécu depuis l’époque des X-men. Et Morrison de poursuivre sa révolution en ne préservant guère que trois ou quatre figures imposées de la mythologie X-men, retenant pour le reste davantage l’esprit que la lettre.

A noter que si cet épilogue apparaît au départ comme un coda, il apporte en fait de nombreuses réponses à des questions laissées en suspens, tel le legs maléfique de John Sublime, ou bien l’étrange descendance de Bec (qui du coup, est réévalué entant que premier chaînon d’une nouvelle espèce évoquant le Griffon !), ou encore l’origine des Stepford Cuckoos, puisque l’on apprend furtivement en une vignette qu’elles furent l’Arme Quatorze !

J’ai adoré cet épilogue poétique et lyrique, dont la fin, très réussie, fait écho à celle de DAYS OF THE FUTURE PAST sans pour autant la répéter. Alan Silvestri, égal à lui-même, apporte un style qui colle parfaitement avec cet univers héroic fantasy. Une merveille de comics, libre et magnifique.

L’étoffe des X-men du futur © Marvel Comics

L’étoffe des X-men du futur
© Marvel Comics

Conclusion :

Le « style Morrison » peut en rebuter plus d’un. Son écriture est parfois prétentieuse, souvent provocante, régulièrement opaque. Ses arcs narratifs sont au départ confus et bourrés d’ellipses brutales qui donnent l’impression que les histoires, les concepts et les relations entre les personnages sont complètement bâclés. Dans le fond, il n’en est rien puisque tout finit par prendre de la hauteur au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture.
Tel est le côté agaçant de Grant Morrison : Ne donner qu’à la fin, et de manière laconique, les réponses aux questions que l’on s’est posées depuis parfois des années ! Ainsi les épisodes doivent être relus une, voire plusieurs fois pour en apprécier toute la substance. Mais si l’on s’accroche, la récompense est assurée, car le scénariste resserre l’ensemble de son projet autour d’un nombre réduit de personnages en concevant des histoires ambitieuses, se suffisant à elles-mêmes, denses et inédites, profondément originales tout en citant les classiques. En cela, rien qu’en cela, on n’a jamais vu mieux depuis en ce qui concerne les X-men. Et on n’a rarement vu mieux depuis le début, d’ailleurs.

D’autres choses pourront néanmoins dérouter les fans de longue date, comme les transformations physiques et la caractérisation des personnages les plus connus : Le Fauve est devenu un gros chaton bleu qui feule, Cyclope est adultère à son corps défendant, Emma Frost à un grand cœur mais tout en ambiguïté, Wolverine s’est soudain transformé en beau gosse à la moue libidineuse ; tous ont un look sado-maso et Magneto est redevenu celui qu’il était quarante ans en arrière.
Mais surtout, c’est le rapport à la continuité, comme nous l’avions annoncé en introduction, qui est le plus malmené. Sur ce dernier point, il faut préciser deux choses : La première est que le final apocalyptique de Morrison a été rapidement redconné. C’est-à-dire que Marvel a décidé que ce qu’il avait fait de Magnéto n’était pas viable et on est revenu en arrière avec une explication des plus bidons : Le traitre (dont je tairais le nom) était bien un traitre mais il s’est FAIT PASSER POUR MAGNETO. Ce n’était pas lui…
Avec le recul, on peut percevoir que la plupart des apports de Grant Morrison sur la série ont été, soit oubliés (ses nouveaux personnages n’ont guère été réutilisés par la suite), soit repris sans que les scénaristes suivants ne sachent quoi en faire. Allez donc lire les fiches sur John Sublime, sur Xorn ou sur les Stepford Cuckoos, et vous hallucinerez en constatant ce que Marvel a fait de leur histoire respective par la suite, leur apportant une participation à la continuité plus bancale et capilotractée que tout ce que vous pouvez imaginer.
La seconde chose qui joue en défaveur de Morrison sur le terrain de la continuité, c’est évidemment le fait qu’il n’ait pas tenu compte des vingt années précédentes et qu’il se soit complètement fichu de l’évolution de certains personnages. Pour un fan de longue date ayant tissé une relation profonde avec ces figures de papier incarnées, la pilule n’est pas passée du tout.

Ainsi, le run de Grant Morrison sur les X-men, près de vingt ans après sa création, doit-il être évalué selon certains critères : Et si tout ceci n’était qu’un elseword ? Quelque chose à lire comme un tout avec une fin réelle, distincte de la continuité ? Et c’est d’autant plus cohérent de considérer cet ensemble comme un elseword (en forme d’hommage à Claremont & Byrne) puisque que toute une partie de PLANETE X a été invalidée par la suite dans la continuité Marvel officielle. Pris comme cela, assurément, ce run d’anthologie avec son final exceptionnel risque de mettre tout le monde d’accord. Au contraire, immergé dans la continuité, il dissone d’autant plus qu’il apparait aujourd’hui comme une parenthèse abandonnée, telle les mini-séries MARVEL KNIGHT (dont il reprenait le concept de remuer le statuquo sur des récits auto-contenus) auxquelles il était contemporain, et qui ont depuis été écartées de la sacro-sainte continuité.

Quant à moi qui fais fi de la continuité, si le mot de la fin m’était donné, je ne dirais qu’une seule chose : Vive la révolution !

Les MAITRES DE L’UNIVERS ? Non. Le Fauve, possédé par John Sublime, la bactérie intelligente ! © Marvel Comics

Les MAITRES DE L’UNIVERS ? Non. Le Fauve, possédé par John Sublime, la bactérie intelligente !
© Marvel Comics

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Le run de Grant Morrison chez les Xmen, le pour, le contre, Tornado fait le point dans une encyclopegeek (John) Sublime chez Bruce Lit.

En révolutionnant les X-men tout en égrainant son hommage aux années Claremont/Byrne, Grant Morrison a mis le feu. C’est Shirley Bassey, tel le Phénix, qui reprend le flambeau après Jim… Morrison !

ou

78 comments

  • PierreN  

    « Certains épisodes sont agaçants dans leur narration arty, la palme revenant à celui, exempt de texte, qui voit le Professeur Xavier lutter dans le ventre de sa mère contre son futur ennemi… »

    Là pour le coup et concernant cet épisode en particulier, pratiquement tous les numéros de Marvel étaient logés à la même enseigne ce mois-là (l’opération ‘Nuff Said de 2002, appliqué sur un certain nombre de titres et mettant en avant le niveau variable des dessinateurs en terme de storytelling).

    Un article synthétique et très complet, chapeau. Le traitement ultérieur des apports de Morrison (House of M & consorts) accentue en effet cet aspect de parenthèse enchantée (pour reprendre l’expression utilisée par Graf pour qualifier ce run, dans le cadre de son bouquin sur le scénariste).
    Pratiquement 15 ans après la fin de ce run, il faut bien admettre que la franchise fait désormais grise mine, à quelques rares exceptions près (alors qu’un navire amiral tel qu’Uncanny X-Men déçoit, il n’y a guère que des titres périphériques comme Domino, X-23 ou Mr. and Mrs. X pour sauver l’honneur).

    • Matt  

      Exact pour le numéro muet, j’avais trouvé ça curieux puis j’ai vu que plein d’autres titres.
      Par exemple l’épisode de JMS sur Spider-man, quand tante May annule son abonnement au daily bugle et qu’on voit MJ et Peter vivre chacun de leur côté.
      Ou un épisode du DD de bendis et Maleev muet également.
      Un épisode du run de Bruce Jones sur Hulk aussi quand Banner essaie de rester discret dans un snack avec une petite fille autiste qui lui sourit.

      Il y avait pas mal d’autres séries mais que je n’ai pas lues.

      Tout ça c’était le même mois^^ Et parfois c’était une idée cool. ça marchait mieux sur certains titres que d’autres.

      • PierreN  

        La liste des numéros estampillés ‘Nuff Said (pour les curieux) : https://marvel.fandom.com/wiki/%27Nuff_Said

        24 titres sur la quarantaine de séries publiées au total par Marvel en 2002 (contre une cinquantaine en 2019).

  • midnighter  

    en fait je lisait pas les xmen avant ce run de morrison et il me semble que j’ai arrété un peu après

  • frank66  

    La lecture de ce run date un peu.j’en garde comme souvenirs une grande rupture de ton avec ce qui s’etait passé avant,chose que je n’avais pas vraiment apprécié en ce qui concerne la caracterisation des personnages surtout cyclope.
    Retrospectivement , le Run de Morrison à apporté un renouveau salutaire à la série qui à impacté celle-ci sur le long terme (j’en suis à 2015 dans mec lectures).

    Cela reste meme superieur par rapport a ce que j’ai pu lire recemment sur la periode post avengers vs x-men (hormis le wolverine and the xmen ,le debut d’amazing x-men ou all new x-men).

    Un arc contrasté donc mais qui eu et à son importance dans l’évolution de la série et sur ses personnages.

  • Benjamin/Ben Wawe  

    Bonne idée que de considérer ça comme un elseworld, ou plutôt un titre Marvel Knights. C’est la meilleure façon d’appréhender ce run, riche d’idées extraordinaires, plombées par l’éditeur et un rejet par l’auteur de la continuité.
    Au vu de la suite de la franchise, basée sur cette continuité mais complètement inepte et naze, on peut se demander si mettre de côté cette continuité ne serait pas une solution pour retrouver une telle qualité…

  • Matt  

    Moi qui apprécie tout de même la continuité mais pas au point d’en faire l’élément central de jugement d’une oeuvre, j’ai bien aimé ce run.
    Oui ok certains persos sont étranges mais au final on peut toujours raccrocher les wagons si on y met du sien. Cyclope plus dur et adultère ? Il a fusionné avec Apocalypse peu de temps avant le run de Morrison. Que Morrison ait lu ou non cette histoire, si on VEUT que ça colle, ça peut coller.
    Les relations de couples, ça peut aussi foirer alors why not ?
    Magneto redevenu comme 40 ans avant ? Bon…il a été décidé plus tard que ce n’était pas Magneto. Certes ce n’était pas l’intention de Morrison, mais encore une fois si on VEUT que ça colle avec continuité, ça peut coller.

    Wolverine et les télépathes ne découvrent pas la présence de Magneto ? Magneto peut tuer Phenix facilement ? Là faut être un gros nerd pour râler sur les pouvoirs parce que les échelles de puissances sont ridicules dans les comics. Si on prend tous ces paramètres en compte, on ne peut JAMAIS raconter une histoire sans que quelqu’un dise « eh ! mais tel bonhomme aurait pu deviner le plan du méchant non ? Il est télépathe » Ben peut être qu’ils ont autre chose à foutre et à penser les télépathes, peut être que Wolverine a un rhume, ou au final comme Magneto n’est pas vraiment Magneto, ben c’est normal que personne ne le détecte. Et merde quoi ! Arrêtez un peu !^^

    Le reste des idées, au delà des personnages, étaient souvent bienvenues.

    « L’institut Xavier, autrefois habité exclusivement par les X-men et ensuite les Nouveaux Mutants, ressemble désormais à un campus universitaire peuplé d’étudiants de tout horizon. Il existe même, à proximité, un quartier de New York appelé Mutant Town (qui évoque irrésistiblement le Bronx…). Pour ce qui est des étudiants, on a plus l’impression d’être chez les freaks, voire dans la Cantina de Star Wars , c’est-à-dire avec des aliens en tout genre, plutôt que chez les X-men ! »

    ça c’était très cool. On commençait par croire que l’institut Xaviuer était une armée secrète peuplée uniquement d’enfants soldats. Et pourquoi les mutants auraient tous des pouvoirs cool ? Pourquoi ne seraient-ils pas moches avec des pouvoirs pourris pour certains ?

    Le gros point noir pour moi c’est surtout l’alternance des dessinateurs. Kordey c’est horrible.

  • Matt  

    Et puis Magneto avec sa drogue qui augmente ses pouvoirs peut effectivement complètement défoncer n’importe qui en manipulant le fer que les gens ont dans le corps. Ce n’est pas spécialement nébuleux comme explication pour la mort de Jean, c’est juste plus scientifique que d’habitude. Pas besoin de gros lasers et explosions. Tu grilles le cerveau de quelqu’un en manipulant ses molécules.

  • Matt  

    Il y a 2 articles aujourd’hui ? Eh oh doucement !

    • PierreN  

      L’autre article du jour est une rediff hommage.

  • Matt  

    « Ce 4° et dernier recueil regroupe les épisodes #151 à 160. Mais en vérité, seuls les quatre premiers épisodes (publiés initialement entre mars et mai 2004) sont écrits par Grant Morrison.  »

    Heureusement que dans la réédition en Marvel select (que j’ai) ils n’ont pas inclus les trucs de Chuck Austen^^ Uniquement Morrison.

  • Matt  

    « Alan Silvestri, égal à lui-même, apporte un style qui colle parfaitement avec cet univers héroic fantasy.  »

    Ah, c’est pas un musicien lui ?^^
    On parle plutôt de Marc non ?

  • Eddy Vanleffe....  

    Je suis surpris de voir un Tornado très mesuré pour ne pas dire critique. Tu concèdes, voir tu prends du recul avec ce que je croyais être l’un de tes bouquin préféré.
    du coup je suis d’accord avec toit sur tous les points, puisque poi aussi je considère ce run comme le vrai run « ultimates ».
    par contre, c’est vrai que j’ai du mal avec l’agressivité de l’auteur sur les mutants. surtout qu’il n’a fait ça…bien que là.
    quand on voit le boulot de taré sur Batman pour ramener et justifier Zur-en harr, faire le dos rond sur un crossover, rendre un hommage tous azimuts sur All Star Superman et jusqu’à Multiversitiy où au contraire je le vois jouer un jeu beaucoup plus collectif (ne pas développer certaines terres exprès pour qu’on puisse rajouter un certain nombre par exemple) ou être assez conventionnel sur JLA ou même FF1234 qui n’est pas si « hors canon » que cela non plus…
    Non cette attitude est vraiment propre à son run sur les X-Men.
    Je pense que c’est aussi une demande éditoriale ou plutôt une carte blanche pour faire tabula rasa.
    pour ma part, je ne trouve pas les arcs tous réussis, et mes préférés ce sont IMPERIAL et Pla

    • Eddy Vanleffe....  

      …Et PLanet X.
      Par contre je ne ferais pas non plus le grincheux comme pour ULTIMATES. c’est évident qu’il y a des idées, une lige directrice, un effort de création et plein d’idées sympa. Je n’apprécie pas trop -mais c’est perso- son passage, je le trouve out of character, mais c’est pas un truc « vide ».

  • Présence  

    Une belle rétrospective où je retrouve tout ce que j’avais apprécié dans ces épisodes, à commencer par la fin qui apporte une quantité impressionnante de réponses, assurant la cohérence des parties qui ont précédé comme tu l’indiques.

    Après plusieurs années d’arrêt de lecture de comics, les New X-Men furent parmi mes premières lectures de reprises de contact : j’ai replongé direct.

  • Sébastien Isolar II  

    Ah! Le run de Momo, celui qui a enfin rebranché les X-Men sur le Zeitgeist.
    Très bon article, Tornado. Félicitations.

    Concernant le fameux manifeste, le truc qui braque les fans fondus de continuité et qui est le truc qu’ils brandissent en premier dès qu’il s’agit de débattre de ce run, bien évidemment qu’il y a une part de provocation bravache là-dedans. Mais il y a aussi entre les lignes un cahier des charges donné par le duo Quesada-Jemas.

    Car la plupart des points exprimés dans ce manifeste, on le retrouve dans les autres séries que le duo essaie de remettre sous les projecteurs: pas ou peu de continuité jugée comme trop encombrante (j’y reviens plus loin), pas de crossovers (d’où l’absence des autres équipes dans Planet X comme dans l’arc Kang de Busiek), dialogues plus « vertigo-esques », absence ou quasi-absence de l’identité secrète (même Spidey se démasque devant sa tantine), construction en arcs afin de permettre plus facilement la republication en TPBs, se rapprocher du look cinématographique… Autant de consignes jetées à la poubelle lorsque Buckley prend la place de Jemas, chose qui fait beaucoup relativiser la créativité et/ou l’influence de Quesada dans l’organigramme Marvel.

    Etait-ce une mauvaise chose de s’asseoir quelque peu sur la continuité et les crossovers au final?
    Définitivement non! Bien au contraire.
    Outre la spéculation, ce sont bien ces deux éléments qui ont conduit Marvel au bord de la banqueroute dans le seconde moitié des années 90 avec une stratification invraisemblables d’intrigues incohérentes et de trop d’évènements qui rendaient la production Marvel incompréhensible pour le commun des mortels (à titre d’exemple, on peut prendre Uncanny X-Men 331 de Lobdell qui part dans tous les sens avec des (r)appels à lire d’autres titres quasiment à chaque case).
    Bref, Marvel était arrivé à la même conclusion que DC avant Crisis on Infinite Earths, à savoir qu’il était temps de faire le ménage et de remettre les icônes au goût du jour.
    Ce mouvement était d’ailleurs déjà lancé dès le « règne » D’Harras avec Heroes Reborn puis les Year One confiés à Byrne ou les Marvel Knights.

    Le problème, et ce qui provoque une dissonance dans l’esprit d’une partie du lectorat, c’est que la continuité de faits (que je distingue de la continuité thématique) est un sujet tabou chez Marvel vu que la compagnie a construit son identité sur celle-ci.
    Bref, jusqu’aux Secret Wars d’Hickman (et encore, parce qu’il y aurait beaucoup à dire dessus) le principe d’un reboot général est interdit.
    Du coup, on fait un reboot progressif, silencieux, série par série, sans jamais dire le mot (l’ère Jemas) pour dépoussiérer et « updater » les icônes pour le nouveau millénaire avant de pouvoir repartir de plus bel dans la continuité de faits (l’ère Buckley) jusqu’à ce que la stratification et les incohérences accumulées appellent un nouveau pseudo-reboot (SW d’Hickman).

    Bon, après cette parenthèse pour contextualiser et expliquer le manifeste, on revient à Momo.
    On peut dire que l’auteur a respecté les consignes… en surface.
    Parce que dès qu’on gratte un peu, on voit bien qu’il ne s’est pas limité à seulement rappeler le run Claremont-Byrne mais qu’il a aussi lu la suite.
    L’évolution de Scott prend racine dans ce qui s’est passé auparavant (la conclusion de la bouse sur Les Douze) comme c’est rappelé au détour de quelques pages. Et même sans cela, il est juste une version maximisée de la version Claremont soit un leader froid et pragmatique et un séducteur un peu lâche (il a quand même une fâcheuse tendance à aller voir ailleurs dès qu’il peut trouver une excuse: Colleen, Lee, Maddie..).
    Le Magneto convalescent fait référence aux évènements du mois précédent.
    Son Emma est héritée de Lobdell mais sans les jérémiades et en retrouvant un côté bitch qui lui donne une ambiguïté passionnante.

    Momo convoque aussi Génosha, l’Arme-X, Bishop, Sage, Domino, Trish Tilby, Sabretooth… si dans certains cas cela tient plus du clin d’oeil qu’autre chose, dans d’autres ils ont une véritable utilité pour le récit et surtout démontre que Momo a bien lu les différentes séries mutantes contrairement à ce qu’il professe dans un passage de son Manifeste.
    Sauf que dans l’optique du Marvel de l’époque, il ne fallait pas trop le montrer de manière trop voyante.

    Je reviens plus tard pour le reste^^

    • Matt  

      « L’évolution de Scott prend racine dans ce qui s’est passé auparavant (la conclusion de la bouse sur Les Douze) comme c’est rappelé au détour de quelques pages. Et même sans cela, il est juste une version maximisée de la version Claremont soit un leader froid et pragmatique et un séducteur un peu lâche (il a quand même une fâcheuse tendance à aller voir ailleurs dès qu’il peut trouver une excuse: Colleen, Lee, Maddie..).
      Le Magneto convalescent fait référence aux évènements du mois précédent.
      Son Emma est héritée de Lobdell mais sans les jérémiades et en retrouvant un côté bitch qui lui donne une ambiguïté passionnante. »

      COPAIN !
      Oui Scott est un connard depuis longtemps, il abandonne Maddy chez Claremont. Oui Emma a une ambiguïté passionnante ! Oui Scott a été possédé par une ordure donc il est logiquement devenu plus froid !

      • Bruce lit  

        Scott est devenu plus froid, parce que Morrison….
        C’est clairement l’éditeur qui raccroche les wagons.
        D’ailleurs cette possession aurait pu être exploitée par la suite pour expliquer le déglinguage du perso. Une belle occasion de perdue.
        La dimension héroïque de Scott Summers apparaît dans la toute dernière fois chez Whedon et….
        bye bye….

        • Sebastien Isolar II  

          Mouais! Ca a jamais était le mec le plus chaleureux du monde le père Summers.
          C’est quand même le leader pragmatique qui musèle complètement ses émotions.
          Rien que chez Claremont-Byrne c’est surligné au moins 3 fois: dans le 1er épisode du duo, en Terre Sauvage et lors de l’affrontement contre Proteus.
          J’ai déjà dit que je détestait le run de Whedon? Je préfère me relire l’intégrale de Lobdell que de relire sa fanfiction 😀
          Après, Fraction et compagnie… ben c’est le moment où j’ai lâché les mutants (à l’exception des boulots d’Aaron et Remender).

  • Matt  

    « Il y a bien quelques défauts et quelques incohérences : Où sont passés les autres super-héros de l’univers Marvel quand Magnéto détruit New York ? (Il y a une explication mais elle est carrément laconique) »

    ça c’est sûr qu’on se dit que c’est étrange, mais d’un autre côté, est-ce qu’on a envie de voir tout ça se transformer en énorme crossover avec 400 équipes de héros ? Non.
    Ce sont les limites de l’univers partagé. Tu veux faire commettre un truc grave à un méchant, mais si tu ne veux pas empiéter sur les autres séries et monopoliser tous les auteurs dans un event, ben tu peux pas lui faire attaquer une ville…c’est con quand même !
    Du coup il faut aussi se dire « je suis dans une série indépendante, n’y pensons pas trop, ou imaginons qu’ils sont tous occupés dans la zone négative^^ »

    • Matt  

      Et puis si on y pense 5 minutes, à l’époque du old school, ça arrivait souvent des menaces sur une ville qui ne s’étendait pas sur toutes les séries du mois. C’était davantage compartimenté quand même.
      maintenant avec les crossovers partout, tous les personnages qui se connaissent, on s’étonne de l’absence des autres héros. Mais bon…c’est comme dans le film Captain America « le soldat de l’hiver », pourquoi y’a pas les avengers qui viennent filer un coup de main à Cap ? Ben parce que sinon y’aurait pas de film. Ou alors il serait naze car il serait semblable à un autre film avengers ou chaque menace serait stoppée par l’équipe, qu’on soit chez Strange ou chez Spidey ou chez Iron man.

  • Bruce lit  

    @Matt : tous tes arguments sont recevables comme d’habitude.
    @Seb Isolar : les tiens également, ya punk
    @Tornado : je suis impressionné. C’est l’article que je te savais capable d’écrire, mais en mieux. Car il est à la fois respectueux des fans de la continuité et de Morrison. L’ambiance y est pondérée, lucide, honête. C’est formidable Tornado, j’adore et sans la Civil Crisis de la semaine dernière, voilà un article qui aurait pu intéresser XXX.
    Oui, le manifesto est un bras d’honneur à la fois génial et punk.
    Oui, ça manque d’humilité
    Oui il y a des arcs géniaux, notamment Riot at Xavier qui est un classique.
    Et, oui, j’ai aimé lire ses Xmen et ne les ai jamais revendus. Comme en politique, il convenait d’alterner, et (bon sang, je suis d’humeur excellente) les Xmen de Morrison sont la dernière incursion de la licence vers un ton mature et débarrassé des oripeaux super héroïques.
    Mes reproches :
    1/ ton article ainsi que les taquineries de Sebastien ont fait que j’ai écrit un article défenseur des épisodes de Lobdell que je ne dévoilerais pas ici.
    2/ Comme tu l’écris Tornado, c’est sans doute d’avantage le style que les idées qui m’ont rebuté et ça, rien n’y fera, je n’aime pas l’écriture de Morrison. Ce truc qui, même sur une série que je connais par coeur, je revenais sans cesse en arrière pour comprendre si j’avais loupé un truc, alors que non, c’est juste hachuré et brouillon.
    Très vite, on trouve quand même des concessions : l’arc avec Bishop et le meurtre de Emma Frost est à mon sens le moyen de ramener les autres Xmen même en featuring. N’oublions pas que à l’époque, si tu n’aimes pas Morrison, il ne te reste que Austen pour te rabattre et que ce n’est pas un cadeau.
    Les moins à mon sens : des personnages froids, l’annihilation de l’école Xavier comme un lieu chaleureux et humains. l’ambiance y est glauque et difficile de savoir qui des élèves ou des professeurs est le plus sinistre.
    Il n’y a pas d’amour dans l’écriture de Morrison, « seulement » un professionnalisme intéressant auquel je préfère celui de Jason Aaron, tellement plus conforme à mon idée de l’hôtel Xavier.
    Par contre, je ne comprendrais jamais l’admiration pour le dernier arc, sans doute le plus Morrisonnien, c’est à dire totalement illisible.
    Bravo en tout cas !
    Tornado was right !

    • Sebastien Isolar II  

      Ca suffit maintenant, Présence!
      Rend le micro à Bruce, on t’a reconnu 😀

      « N’oublions pas que à l’époque, si tu n’aimes pas Morrison, il ne te reste que Austen pour te rabattre et que ce n’est pas un cadeau. »
      Et les « superbes » X-Treme X-Men de Papy (même si j’avoue ne pas détester la série).

      « Il n’y a pas d’amour dans l’écriture de Morrison, « seulement » un professionnalisme intéressant auquel je préfère celui de Jason Aaron, tellement plus conforme à mon idée de l’hôtel Xavier. »
      Ce qui est rigolo, c’est que le run d’Aaron reprend quand même pas mal d’éléments de Momo: beaucoup de purs freaks, Omega Kid, les Stepford Cuckoos, un Club des Damnés qui peut être vu comme la version Millenial du gang d’Omega Kid, le retour à la thématique de l’école..
      Mais je concède que le run d’Aaron possède plus d’humour que celui de Momo.

      Pour le reste, j’y reviendrais dans le second commentaire que je voulais écrire.

      • Matt  

        Je trouve aussi que Aaron a fait une sorte de bon mélange entre Claremont et Morrison. Plus soft, plus d’humour et d’amour, parfois aussi plus vain (l’arc sur le cirque) et davantage tous publics.
        Mais on peut reconnaître que le retour de l’école avec des freaks était chouette.
        Au final ça manquait chez Claremont. On parle de tolérance mais les mutants n’étaient jamais des freaks moches et repoussants au final (ça vient aussi de l’époque, le comic code et tout sans doute, il ne fallait pas faire soi disant peur aux enfants avec des persos terrifiants…genre Glob Herman peut faire flipper quand même…)
        Mais bon ouais au final les mutants jusque là ils ont des pouvoirs et sont différents, mais pourquoi ne pas pousser la tolérance plus loin en montrant des mutants pas vraiment gâtés par la nature niveau apparence et pouvoirs pourris ?
        Si d’un seul coup les lecteurs pseudo tolérants étaient rebutés par la laideur et se disaient « houlà non, on veut pas de ça dans un titre X-men », de qui se moquerait-on ?^^ C’est bien la thématique centrale d’accepter la différence, non ?

        • PierreN  

          « Au final ça manquait chez Claremont. On parle de tolérance mais les mutants n’étaient jamais des freaks moches et repoussants au final »

          Chez Claremont, c’était les Morlocks qui remplissaient le quota « freaks » (quand bien même ceux-ci restaient dans les égouts, bien loin de Westchester).

  • JP Nguyen  

    Whaou ! un Tornado « spot on » mais sans taquinerie excessive… Ton article est plein de recul et tu frôles par instant le dédoublement de personnalité mais du coup, le résultat est très équilibré.
    Je n’ai quasiment rien lu de ce run. On m’en a prêté des bouts mais ils ne m’ont pas trop marqués.
    Du coup, c’est cool, car ça signifie que, quand j’aurai à nouveau du temps et des sou-sous à consacrer à ce hobby, il me restera de chouettes trucs à (re)découvrir !

    Pour l’héritage de Morrison, il y a quand même la relation Emma-Scott, la mutation du Fauve, le fait que sa mort de Jean Grey a du durer plus longtemps que la première, et puis Fantomex (personnage important dans le X-Force de Remender)…
    Je ne lis plus les X-Men depuis un bout de temps mais, de loin, j’ai l’impression que la plupart des auteurs n’ont quasiment rien de nouveau à amener (les reboots et relaunchs ne cessent de ramener sur la scène de déviations mineures de la légendaire équipe Storm-Wolverine-Kitty-Colossus-Kurt, avec Rogue en prime et des remplaçants quand l’un des persos est provisoirement décédé ou indisponible…)

  • Jyrille  

    Mais quel article splendide ! Voilà le Tornado que je connais !

    Même si je suis un fan non éclairé (car toujours étonné ou perdu par au moins une partie de ses productions, THE FILTH en tête) de Morrison, je ne pense pas lire tout cela un jour. Bien trop d’investissement pour moi, surtout que je ne suis pas du tout un gros fan de X-Men. Mais ton analyse quasi exhaustive me permet de comprendre bien mieux les discussions des initiés…

    « Son écriture est parfois prétentieuse, souvent provocante, régulièrement opaque. Ses arcs narratifs sont au départ confus et bourrés d’ellipses brutales qui donnent l’impression que les histoires, les concepts et les relations entre les personnages sont complètement bâclés. » Tout à fait. Moi-même parfois je décroche totalement… Tu pointes parfaitement les avantages et les inconvénients du bonhomme.

    Un énorme merci donc ! Ce dossier déchire.

    La BO : la classe. Je ne me souvenais pas de ces reprises.

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