Dark City

 

Batman – City of Crime par David Lapham et Ramon Bachs

1ère publication le 19/05/15- Mise à jour le 08/08/17

Peur sur la ville

Peur sur la ville© DC Comics

AUTEUR : JP NGUYEN

VO : DC

VF : Panini ( Kiosque)

Cet article porte sur l’arc City of Crime publié dans les numéros 800-808 et 811-814 de Detective Comics en 2005-2006.

Le scénario et le découpage sont de David Lapham et les dessins sont de Ramon Bachs, avec un encrage de Nathan Massengill.

Ces épisodes succédaient au crossover War Games, où le 4ème Robin, Stephanie Brown, avait trouvé la mort. Et l’arc fut d’ailleurs interrompu pendant les 809-810 pour un autre crossover : War Crimes.

Par exception, le chapitre d’introduction (la backup story du numéro 800) est aussi dessiné par Lapham et il donne le ton général. Utilisant une anaphore (« In the Dark »), l’auteur nous promène dans la nuit de Gotham City, théâtre de moult agressions, viols et kidnappings, que Batman ne saurait empêcher à lui tout seul.

Lapham annonce la couleur : ce sera un récit noir mettant en scène un Dark Knight faillible et humain confronté à toute une ville révélant les pires instincts de la nature humaine.

 Dans la nuit noire, dans la nuit noire et obscure, obscure et sombre, Isabelle s’est… » oups, je confonds avec autre chose…

Dans la nuit noire, dans la nuit noire et obscure, obscure et sombre, Isabelle s’est… oups, je confonds avec autre chose… © DC Comics

Ces idées sont encore réaffirmées tout au long du numéro 801, où Batman traque Mickey Gravesly qui a violé Haddie McNeill, 14 ans, retrouvée morte d’une overdose. A la poursuite de Mickey, Batman intervient aussi pour quelques sauvetages mais il ne peut pas être partout à la fois. Il ne peut pas sauver tout le monde.

Le chevalier noir est un Don Quichotte luttant contre les moulins du crime de Gotham qui tournent à plein régime. Ironie du sort, Batman ne capturera même pas Gravesly. Ce dernier se fait tuer par les dealers lui ayant procuré la drogue ayant servi à Haddie McNeill.

Toxicomanie, agressions gratuites, guerre des gangs de quartiers, violences domestiques : Gotham est infestée et Batman n’a pas le don d’ubiquité.

Toxicomanie, agressions gratuites, guerre des gangs de quartiers, violences domestiques : Gotham est infestée et Batman n’a pas le don d’ubiquité © DC Comics

Le Caped Crusader n’a pas le temps de ressasser sa frustration, un incendie se déclare dans un quartier insalubre de Gotham et Batman part prêter main forte aux soldats du feu. Parmi les victimes, six jeunes filles enceintes enfermées dans un appartement. Une défaite de plus pour Batman, qui ne peut alors que répondre à l’appel télévisé de Marlene Welles, dont la fille, Cassie, a disparu alors qu’elle attendait un enfant.

Cassie fait-elle partie des six victimes ? Est-elle encore vivante ? Hanté par son échec avec Haddie McNeill, Batman promet à Madame Welles qu’il retrouvera Cassie.

Toxicomanie, agressions gratuites, guerre des gangs de quartiers, violences domestiques : Gotham est infestée et Batman n’a pas le don d’ubiquité.

Un Batman humain qui partage le thé avec la mère d’une victime © DC Comics

Le détective chauve-souris va mener l’enquête et se frotter au Pingouin, à Mister Freeze et à Scarface, la marionnette du Ventriloque. Mais un adversaire beaucoup plus coriace rôde. Une organisation criminelle ayant infiltré tous les niveaux de pouvoirs et exacerbant la corruption déjà galopante à Gotham City.

Peu à peu, le récit prend une tournure horrifique puisque l’organisation « The Body » semble capable de remplacer les êtres humains par des créatures de boue animée, imitant l’apparence de citoyens normaux. Batman se lance alors dans une mission d’infiltration dans le quartier de Crown Point pour remonter à la source du mal.

Batman fait face à des têtes connues mais aussi à des silhouettes inquiétantes… Mais ce ne sont que des petites batailles dans la guerre qu’il livre à la ville de Gotham elle-même

Batman fait face à des têtes connues mais aussi à des silhouettes inquiétantes… Mais ce ne sont que des petites batailles dans la guerre qu’il livre à la ville de Gotham elle-même © DC Comics

L’histoire concoctée par David Lapham est intéressante à plus d’un titre. Son Batman dégage une impression de grande force : condition physique au top, mémoire photographique, maître de ses émotions et déterminé. Une force inarrêtable. Et pourtant, la narration omnisciente fait ressortir son impuissance.

Il arrive souvent trop tard, remporte plutôt des victoires à la Pyrrhus et sait en son for intérieur qu’il mène une guerre perdue d’avance. Son véritable adversaire n’est pas un quelconque vilain de la Rogue Gallery. C’est Gotham elle-même. Une ville qui exalte la bassesse, la corruption, la cruauté, la noirceur humaine.

 Les freaks de Gotham tombent comme des mouches sous les assauts du Body

Les freaks de Gotham tombent comme des mouches sous les assauts du Body © DC Comics

Lapham gère également assez bien le supporting cast usuel (surtout Robin et Gordon) et arrive aussi à nous intéresser au sort d’autres personnages secondaires comme le Détective Frank Ivers, chargé de l’enquête sur Cassie Welles ou le conseiller municipal Norman Steiners, manipulé par The Body.

L’emprise développée par The Body sur la société de Gotham instaure une ambiance de paranoïa oppressante très bien rendue (mille fois mieux que dans le Secret Invasion de Bendis). L’atmosphère de folie générale lors de la dernière offensive générale du Body contre Batman est également très réussie (le Joker n’est pas là mais sa démence nihiliste flotte dans l’air). Mais même lorsque la menace du Body est jugulée, Batman ne goûte pas sa victoire car l’élucidation de la disparition de Cassie Welles lui laisse un goût très amer.

Dans les derniers chapitres, un vent de folie souffle sur Gotham et la violence atteint son paroxysme

Dans les derniers chapitres, un vent de folie souffle sur Gotham et la violence atteint son paroxysme © DC Comics

Les dessins de Ramon Bachs sont d’un niveau assez constant, pas forcément d’une beauté à couper le souffle mais servant bien l’intrigue avec un niveau de détail suffisant pour assurer l’immersion dans le récit. Je ne suis toutefois pas fan de ses visages. Son traitement des plans iconiques de Batman (sur un toit ou planant cape déployée) est appliqué mais manque à mes yeux d’originalité. Ce traitement graphique compétent mais sans grande envolée me fait noter 4 étoiles.

Malgré ce bémol, City of Crime est une histoire de Batman qui vaut le détour, un arc un peu injustement sous-estimé, qui commence comme une enquête policière puis qui vire à l’horreur, dans une atmosphère lourde et désespérée. Si dans maints autres récits de la Chauve-souris, le caractère impitoyable et criminogène de Gotham a déjà été affirmé, cette idée aura rarement été intégrée avec autant de réussite dans le récit, de manière organique et pas comme simple élément d’ambiance. Batman ne sortira jamais grand vainqueur de sa guerre au crime à Gotham. Mais sa volonté inflexible de continuer le combat fait sa grandeur et sa noblesse.

Il y a là un équilibre quasi-parfait entre le Uber-Batman caricatural de certains auteurs (celui qui sait tout et peut battre n’importe qui avec de la préparation) et le Batman humain trop humain que l’on croise parfois (celui de Kevin Smith qui se pisse dessus, ou celui de Geoff Jones dans Earth One). Passant entre les gouttes des crossovers War Games et War Crimes, City of Crime est la démonstration qu’une série se passe très bien d’artifices éditoriaux tant qu’elle s’appuie sur une bonne intrigue et un traitement réussi des personnages.

Un Batman physiquement impressionnant et pourtant très vulnérable © DC Comics

 

9 comments

  • Jyrille  

    Encore une chro de grande qualité sur une histoire dont je n’ai jamais entendu parler. Et je ne connais que Lapham comme auteur ici. J’ai adoré les sous-titres des scans mais malgré l’intérêt certain de cette histoire que tu décris parfaitement, les dessins ne m’attirent pas. Pas certain que je sois convaincu donc.

  • Yuandazhukun  

    Oui les dessins sont pas exceptionnels mais le coté un peu horrifique a l’air bien sympa…a voir donc ! Un récit intéressant qui malheureusement ne dort pas sur mes étagères… Merci pour cet article fort bien écrit !

  • JP Nguyen  

    A tous ceux qui ne l’ont pas encore lu mais qui ont moyen de mettre la main dessus : essayez, c’est vraiment pas mal du tout. C’est très sombre mais pas dans la surenchère maniaco-dépressive. Plutôt tendance pessimisme réaliste (euh, est-ce que j’arrive vraiment à vendre mon truc, moi ?) Un Bat-récit injustement méconnu, selon moi, en tout cas.

  • Lone Sloane  

    Je rejoins les avis positifs, tel un Michel Ciment qui se serait trompé de média.
    Une rédaction punchy alliée à une sélection de scans mettant en relief ton propos,
    c’est une bonne invitation à découvrir cette histoire,
    Et, comme Cyrille, chapeau pour le boulot sur les légendes – Gotham…une folle au sourire édenté – c’est du tout bon

    • JP Nguyen  

      Merci Sloane, mais « rendons à César… », avec « folle au sourire édenté », je ne fais que paraphraser Lapham dans son texte final…
      En revanche, j’étais content d’avoir trouvé Batman/Don Quichotte vs les « moulins du crime ». Et pour la touche de légèreté, j’avais aussi collé une référence aux Inconnus dans la légende de la première image…

  • Eddy Vanleffe  

    Ca c’est un des arcs que je ne connais pas que j’ai le plus envie de lire.
    Lapham est un super auteur et Murder Me Dead sans avoir la patte graphique d’un Sin City est un sommet de polar hard boiled poisseux…
    Du coup sur du Batman, je me suis toujours dit qu’il fallait y jeter un oeil.

    • JP Nguyen  

      Tiens, Eddy, je n’avais pas vu ton commentaire. Je repasse sur cet article en faisant des recherches sur les archives pour Figure Replay et les FF…
      Si tu ne l’as pas encore lu, fonce !

    • Jyrille  

      Merci JP ! Le Batman en page 8 devant la lune, je l’avais déjà en fond d’écran depuis un bail, sans savoir d’où cela provenait ni qui l’avait dessiné (je n’ai pas reconnu le trait de Sienkewicz sur le coup là, la honte), merci donc pour la révélation !

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