En héritage (A family matter)

Affaires de famille de Will Eisner

Un article de PRESENCE

VO : W. W. Norton & Company

VF : Delcourt

À part
© Delcourt

Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Dans la bibliographie de son auteur, il est paru entre Dropsie Avenue (1995) et Last Day in Vietnam: A Memory (2000). La première édition date de 1998. Il a entièrement été réalisé par Will Eisner : scénario et dessins, avec des nuances de gris. Cette histoire comporte 70 pages de bande dessinée. . Le tome se termine avec une très courte biographie de l’auteur. Alex NIKOLAVITCH avait déjà consacré un Encyclopegeek à Will Eisner.

Une citation anonyme évoque le lien qui unit les membres d’une famille, qui peut n’être ni l’amour ni la loyauté. Dans une petite ville au pied des montagnes, Al est en train de boire un café au comptoir. C’est le garçon de salle. Il explique à Joe le propriétaire qui est aussi le barman, qu’il a reçu une lettre de sa sœur Greta qui l’invite au repas d’anniversaire des 90 ans de leur père Ben. Il demande une avance à Joe pour pouvoir s’acheter son billet d’avion. Il l’obtient. Il va ensuite dire au revoir à sa conjointe Alma qu’il part pour quelques jours. Il lui promet d’envisager un avenir plus durable avec elle à son retour. Il espère bien qu’il aura des nouvelles sur l’héritage potentiel. Dans une riche banlieue résidentielle, Molly raccroche le téléphone : Greta vient de l’inviter pour le repas d’anniversaire des 90 ans de Ben. Elle explique à son mari Charlie Garnett qu’elle a bien l’intention de s’y rendre, avec lui, leur fille Sherry et leur bébé, et montrer à tous les autres à quel point ils sont une famille heureuse. Dans un magasin de vêtements féminins, Selena demande à la propriétaire Marylou de pouvoir bénéficier de sa soirée pour se rendre à l’anniversaire de son père Ben, chez sa sœur Greta. Marylou accepte de mauvaise grâce car c’est la période des soldes. Selena passe se changer chez elle, où son copain Joe est encore saoul. Elle le gifle pour avoir la paix, puis sort alors qu’il est inconscient sur le sol sous les effets de l’alcool.

Dans son bureau de notaire, Leo se prépare à partir pour se rendre chez sa sœur Greta, agacé de ne pas trouver le dossier qu’il veut emmener. Sa secrétaire Irma lui tend. En conduisant, il repense aux propos désobligeant de son père sur le gâchis de la vie professionnelle de son fils alors qu’il lui a payé de bonnes études. Occupé à parler à sa secrétaire, il ne remarque pas qu’il est au-dessus de la limite de vitesse autorisé et il se fait arrêter par une voiture de police. Chez elle, Greta s’affaire pour préparer la table du repas, en demandant à son jeune fils de l’aider. Celui-ci lui demande si tout le monde viendra. Elle lui répond qu’elle n’est pas sûre qu’Al fasse le déplacement. Elle demande à son fils d’amener le grand-père Ben dans la salle à manger. Celui-ci va chercher son grand-père immobile et muet sur son fauteuil roulant, les suites de son attaque cardiaque. Dans sa tête, Ben repense au fait qu’il s’est marié tardivement à 40 ans, trop occupé par les affaires avant. Harry, le mari de Greta, l’appelle pour dire qu’il sera en retard du fait de problèmes au bureau.

Dans une petite ville sans caractère
© Delcourt

C’est un fait : Will Eisner est un auteur incontournable dans le monde des comics et même de la bande dessinée mondiale. On lui reconnaît le fait d’avoir été le premier à écrire et publier une bande dessinée sans prépublication, un roman graphique même, abordant des thèmes adultes, s’adressant à des adultes, sans utiliser des conventions de genre que ce soit le policier, ou les superhéros : A Contract with God en 1978. Auparavant cet auteur était devenu célèbre pour les aventures d’un détective privé The Spirit. Une affaire de famille est considérée comme l’un des romans graphiques mineurs d’Eisner, ce qui le rend aussi plus accessible pour se familiariser avec son écriture. Le lecteur peut entretenir d’autres a priori, tels que la crainte d’une narration vieillotte, des dessins maladroits, une morale un peu appuyée ou orientée. Il commence timidement sa lecture, en espérant également être à la hauteur. S’il est déjà familier des œuvres de Will Eisner, il retrouve son lettrage aisément identifiable, sinon il découvre ces lettres un peu épaisses, généreuses et confortables. La première séquence s’avère on ne peut plus accessible, une prise de contact avec Al, un peu fauché, un prolétaire, et la présentation du fil rouge de l’histoire : un repas d’anniversaire avec des enfants attendant d’hériter sans pour autant être aux abois. Les acteurs sont vraiment très bons dans leur jeu. Les décors sont assez présents, sans voler la vedette. Il n’y a que la teinte grise qui ternit un peu l’ambiance.

Le lecteur a compris qu’il est dans une comédie dramatique peu angoissante. Les personnages se comportent effectivement tous différemment en fonction de leur situation sociale et de leur histoire personnelle, des époux Garnett avec leur bonne pour s’occuper des enfants, au pauvre Sammy bénéficiant des aides sociales et suivant une psychothérapie. Néanmoins, il n’y a pas de misérabilisme. Charlie Garnett s’accommode avec philosophie du caractère autoritaire de sa femme. Sammy a accepté son état mental et fait des efforts pour l’améliorer. Le lecteur se rend compte que son ressenti participe à la fois de la compassion pour des situations délicates, à la fois de l’amusement pour la manière dont Charlie se soumet aux volontés de sa femme, pour la manière dont Al se trouve gêné en se retrouvant face à son fils dont il ne s’est jamais occupé.

Jeu d’acteurs
© Delcourt

Le langage corporel des personnages est extraordinaire d’expressivité et de justesse, que ce soit dans les postures, les gestes, les occupations du quotidien. Pour la première apparition de chaque personnage, l’artiste représente le lieu où il se trouve dans un dessin en pleine page. Pour le reste, il représente plus ou moins de détails, de nombreuses cases ne montrant que les personnages comme s’ils se tenaient sur une scène de théâtre. La lecture est effectivement très facile, plutôt agréable du fait de l’absence de drame larmoyant, assez touchante grâce à l’empathie pour les personnages, et l’intrigue s’avère assez classique, avec une révélation faite doucement et une chute très logique. Le lecteur a passé un bon moment sans ressentir de révélation, sans vivre de moment inoubliable.

… mais les personnages restent avec lui quand il a refermé la BD, ainsi qu’une douce sensation de chaleur humaine ineffable et précieuse. Pourtant, avec un peu de recul, Will Eisner a créé des personnages assez proches de stéréotypes : l’homme quadragénaire incapable de s’engager et de s’installer, le mari dominé par son épouse, l’épouse fière de son statut social, la jeune femme incapable de s’installer, le jeune homme manquant de confiance en lui du fait d’avoir été abandonné par son père, la grande sœur qui veut absolument rassembler la famille pour l’anniversaire du père. La narration est visuelle est simple et sans chichi, sans séquence spectaculaire, parfois comme juste griffonnée.

Un travail extraordinaire sur les espaces entres les cases
© Delcourt

Pourtant, en 70 pages, l’auteur a réussi à donner vie à une dizaine d’individus très différents. Avec un trait souple à l’apparence superficielle d’esquisse, il capture avec une précision incroyable l’apparence de chacun d’entre eux, avec une cohérence parfaite. Même dans les scènes les moins visuelles, les personnages vivent sous les yeux du lecteur. Par exemple, page 20, en rentrant chez lui Leo téléphone en conduisant, et l’artiste le dessine de face en plan fixe. Le lecteur peut voir l’expression de son visage changer en fonction de ce qu’il dit et donc de ce à quoi il pense, tout en penchant plus ou moins la tête sur son téléphone en fonction de l’intensité de son état d’esprit, sans oublier de tourner le volant pour suivre la circulation. Pages 48 & 49, Al se retrouve face à son fils Sammy dans la même pièce, et rien qu’en regardant les personnages, le lecteur ressent la gêne d’Al derrière ses fanfaronnades, et le détachement de Sammy indiquant à son père qu’il est au chômage, sachant que son père se montrera aussi égocentrique que d’habitude, incapable de s’intéresser à lui.

Le lecteur se rend également compte que ce qu’il pouvait prendre pour de l’économie relève en fait d’un sens très sûr de la narration. Les dessins de bâtiment en pleine page montrent des endroits que le lecteur sait qu’il pourrait retrouver tellement ils ont l’air vrai. Pourtant un examen attentif de la page montre bien de simples traits, pas toujours réguliers, l’artiste sachant jouer avec ces variations d’épaisseur pour donner plus de relief à chaque élément. Le lavis gris semble apposé de manière uniforme à grands coups de pinceau, mais en y prêtant attention il apparaît que les irrégularités de teinte rehaussent discrètement le relief de chaque élément pile poil au bon endroit, comme par magie.

Focalisé sur l’individu
© W. W. Norton & Company

La disparition des décors en arrière-plan concentre l’attention du lecteur sur les personnages exactement au moment où un enjeu émotionnel important apparaît et s’exprime. L’absence de bordure de case accentue l’impression que chaque dessin se déroule au même endroit, faisant naître une forte continuité de l’un à l’autre. Will Eisner a trouvé un moyen de représenter les souvenirs d’un personnage en les inscrivant dans des bulles aux contours particuliers, les mêmes contours qu’il s’agisse d’un dessin ou d’une pensée. Toute la narration visuelle est d’une élégance aussi discrète que gracieuse. Les personnages s’attardant dans son esprit, il repense à ce qui les unit, à la manière dont l’auteur expose leur relation à leur père, par petites touches. En fait, ils ne sont pas des archétypes, mais ils se sont bien incarnés sous les yeux du lecteur, avec chacun un bon fond, malgré leurs réels défauts qui apparaissent alors comme l’expression de leur humanité. La résolution de l’intrigue devient alors encore plus poignante dans la solidarité qu’elle exprime, et l’empathie désintéressée de Sammy.

Effectivement, la lecture facile donne l’impression d’une histoire simple, d’un récit peut-être mineur. Il faut un peu de temps au lecteur après avoir refermé cette bande dessinée pour que toutes les saveurs subtiles s’exhalent et qu’il prenne la mesure de son attachement aux personnages, de la douce sensibilité de l’auteur pour eux, de leur humanité faillible, de leur façon de former une famille malgré leurs différences.

Des pleurs de chagrin ? Frustration ?
©
W. W. Norton & Company

La BO du jour

33 comments

  • Tornado  

    Maintenant que j’ai lu du Eisner, je me rends mieux compte de sa stature.
    Il est clair qu’il ne s’est jamais intéressé aux super-héros et son Spirit a rapidement été un prétexte pour parler d’autre chose à d’autres lecteurs (adultes).
    Je confesse que je me suis ennuyé sévère à la lecture du SPIRIT, des petits délires un peu surréalistes dans lesquels l’auteur ne raconte rien de particulier mais en profite pour livrer une caricature cinglante de la société américaine. Pour un américain de l’époque ça devait être un grand moment de rigolade, mais pour un lecteur de passage aujourd’hui, ce n’est pas tellement parlant.
    C’est du côté du graphisme et du découpage que ça reste spectaculaire. Et là encore il n’y a aucune comparaison possible avec les comics de super-héros. Eisner avait 150 longueurs d’avance et possédait d’emblée une virtuosité du trait qui ne connaissait pas d’équivalent. Un style à cheval entre le réalisme et l’humoristique, qui m’a fait nettement plus penser aux artistes de Fluide Glacial qu’à ceux des comics de super-héros.
    Par dessus tout il y avait une créativité et une inventivité très spectaculaire, l’article du jour met bien l’accent dessus.
    C’est de la BD exigeante. Pas compliquée, très fluide mais qui demande de l’attention du fait qu’elle s’adresse à un lecteur adulte en lui demandant de lire entre les lignes, parce que le sous-texte est ici plus important que le récit. Eisner était un commentateur social dont le style virtuose et expressif était au service de ce commentaire.
    .

    • Jyrille  

      « Un style à cheval entre le réalisme et l’humoristique, qui m’a fait nettement plus penser aux artistes de Fluide Glacial » c’est exactement ça ! Et pareil pour la bd dont je parle dans mon commentaire…

    • Présence  

      Spirit a rapidement été un prétexte pour parler d’autre chose à d’autres lecteurs : 100% d’accord. Il a fallu que je prenne de l’âge pour commencer à apprécier The Spirit, en me rendant compte que ce n’est pas de courtes histoires d’aventures et de redresseur de torts masqué.

      J’avais envoyé un article sur un recueil de The Spirit à Bruce, à voir s’il l’inclut dans cette semaine. J’y fais les mêmes constats que toi sur les petits délires, le graphisme et le découpage, avec le constat que ça me plaît énormément.

      C’est de la BD exigeante. Pas compliquée, très fluide mais qui demande de l’attention du fait qu’elle s’adresse à un lecteur adulte en lui demandant de lire entre les lignes, parce que le sous-texte est ici plus important que le récit. – C’est exactement mon ressenti : quand je l’ai lue plus jeune, les personnages m’ont beaucoup touché, sans que je ne sache pourquoi. L’ayant relue plus vieux, je me rends compte que c’est tout ce qui est sous-entendu, et très présent, qui parle à travers les réactions, les comportements, les attitudes, tout ce qui est non-verbal et qui atteste d’une grande compréhension de l’être humain, et d’une grande tendresse pour lui.

      Du coup, je suis moins sensible à la peinture d’une époque, qu’à la compréhension de l’être humain.

  • Surfer  

    Incontestablement EISNER est un maître de l’art séquentiel 👍👍👍
    Ton analyse le démontre bien… Même si ce graphic novel est considéré par certains comme une œuvre mineure de sa bibliographie.
    Ce qui m’a toujours épaté chez cet auteur est sa capacité à raconter tellement de choses avec si peu de pages. Chaque case étant une leçon de bande dessinée. Rien n’est laissé au hasard !
    La trilogie NEW YORK en est l’exemple parfait, une unique planche est une chronique fouillée qui définit de manière réaliste la vie d’une population à une époque avec ses personnages parfaitement caractérisés. Tellement bien caractérisés que forcément chaque lecteur ne peut que s’identifier à l’un d’eux.
    Manifestement ces qualités sont aussi présentes dans l’œuvre que tu présentes aujourd’hui puisque tu dis que le lecteur après avoir refermé cette bande dessinée prend la mesure de son attachement aux personnages. 😉👍

    • Surfer  

      La BO: Tiens donc…une mélange de Metal et de Rap😧😧😧. Je ne connaissais pas du tout.

      • Présence  

        Korn : un groupe de Nu Metal emblématique, et un des groupes les plus vendeurs des années 1990.

        Pour l’anecdote, la pochette de cet album Follow the leader a été dessinée par Todd McFarlane.

      • Présence  

        Au temps pour moi, le dessin de la pochette pas par Todd McFarlane, mais par Greg Capullo (merci Nolino Nolino pour la rectification).

        • Surfer  

          Comme je suis aussi un collectionneur de disques vinyles et que j’accorde une grande importance à la pochette d’un album. Je suis allé voir celle Korn…Elle est magnifique 🤩 Ce dessin de Capullo évoque beaucoup de choses. Une marelle qui pour une fois atteint presque le ciel. On regarde cette petite fille jouer et on espère avec anxiété qu’elle ne va pas tomber.
          Les comics et les pochettes d’Album c’est une grande histoire d’amour.
          Docteur strange figure dans un Album de PINK FLOYD : A Saucerful of secrets.
          Et tout le monde sait que j’ai été représenté dans un Album de JOE SATRIANI : Surfing With The Alien 😉

          • Surfer  

            Sympa le clip , merci beaucoup BRUCE.
            Ouuuuf…🥵 Heureusement la Balle perdue du policier imprudent et maladroit n’a pas fait de dégâts irréparables… Tout se finit bien et la petite fille a le dernier mot👍

          • Bruce lit  

            Je suis très surpris que tu puisses apprécier ce genre de métal.

          • Surfer  

            @ Présence,
            Merci beaucoup…. très intéressant l’article consacré au rapport entre les pochettes d’Albums et les artistes de comics👍

          • Surfer  

            @Bruce
            « Je suis très surpris que tu puisses apprécier ce genre de métal. »

            Ce n’est pas la musique que j’apprécie… c’est le visuel du clip 😜

    • Présence  

      Raconter tellement de choses avec si peu de pages : entièrement d’accord. Au premier coup d’œil, ce qui est montré apparaît comme une évidence, une banalité peu intéressante. Il faut que je prenne du recul sur un dessin ou une page pour prendre la mesure de tout ce qui est raconté en si peu de cases, à chaque fois avec une évidence qui fait que ce n’est pas simplement plausible, mais naturel, comme pris sur le vif.

      Ses personnages parfaitement caractérisés : même tour de magie pour moi. Je regarde ses personnages, leur posture, les plis de leur visage, leur tournure de phrase, leur tenue vestimentaire et la façon dont ils la portent, et tout me parle, m’en apprend sur leur personnalité.

  • phil  

    bel article
    je ne me lasserai jamais de ce génie, et surtout pas de ses récits « post Spirit »
    2 livres sont moins connectés à moi : le dernier, sur le complot, pour plein de raisons, et celui ci, car il m’a laissé un goût amer, peut être du fait d’une forme de noirceur et parce que je liais le « vieux » à l’auteur lui même
    pas mineur mais moins important pour moi
    ca reste un bon récit et le « pire » livre de Eisner reste un grand livre
    Faudra que je le re relise

    • Présence  

      Durant les dernières années, j’ai redécouvert les œuvres de Will Eisner : le génie graphique, mais aussi l’ampleur de ses histoires d’une concision et d’une richesse extraordinaires. Je suis fan.

      Je suis attaché à ce récit sur le plan affectif, c’est pourquoi j’ai choisi de proposer un article dessus, plutôt que sur un autre. J’ai réussi à mettre la main sur tous ses romans graphiques post Spirit, et j’ai pris du plaisir à chaque, de Un contrat avec Dieu à Le complot (article présent sur le site), en passant par Life on another planet, Last day in Vietnam et Fagin le juif.

      http://www.brucetringale.com/retablir-la-verite-historique/

      • phil  

        New York, chez Glenat fut un seisme pour moi, cette narration et ces histoires par le pur dessin…
        depuis j’ai lu tous ses livres et les relis,tous, régulièrement, même si certains me parlent plus que d’autres (Life Force est un sommet par exemple)

        • Présence  

          Je suppose qu’on a tous ses préférés, en fonction de nos attentes. En les relisant de manière rapprochée, j’ai mieux senti les hèmes sous-jacents présents dans son œuvre, se développant progressivement. Mais ce qui est injuste, c’est que j’ai fini par établir une sorte de comparaison entre elles, certaines m’ayant plus parlé que d’autres, alors que comparativement à d’autres auteurs complets, ces bandes dessinées restent sans égales.

          Pour Life Force / Jacob le cafard, j’étais resté en partie sur ma faim parce que le titre original et le titre français évoquent une question métaphysique sur la nature de la pulsion de vie. Wil Eisner réalise un récit choral, habité par des individus pleinement incarnés, tous sympathiques et complexes (à l’exception des 2 membres de la pègre). Le lecteur est mené par le bout du nez, grâce à la narration visuelle élégante et évidente. Il voit comment la vie de Jacob Shtarkah est façonnée par les événements historiques et les actions des personnes qu’il côtoie, sans qu’il n’ait aucune prise dessus. Au final, j’avais ressenti une petite déception pour un roman historique riche et malicieux, mais qui ne tient pas sa promesse philosophique.

  • Jyrille  

    J’ai acheté la Trilogie New-Yorkaise mais pas encore lu. Le seul Eisner que j’ai lu est PETITS MRIACLES, qui doit avoir à peu près le même format et le même nombre de pages que cette affaire de famille.

    Je n’ai donc pas encore eu de révélations, mais en tâchant de me souvenir de sa lecture, je retrouve tout ce que tu dis ici : malgré un manque de décors, on est immergés dans l’histoire, les acteurs sont excellents, tout est subtil et par petites touches, un peu comme les films de Bacri et Jaoui…

    Merci donc Présence et bravo pour les explications toujours très claires. Tiens, hier j’ai relu une bd que j’avais oubliée, TOUT DOIT DISPARAÎTRE de Simon Hureau, et j’ai été épaté par les compétences de l’auteur : décors criant de vérités, narration limpide malgré le manque de cases, personnages incarnés, onomatopées réalistes, écriture impeccable et dialogues réalistes. Il doit rejoindre Eisner sur certains de ces aspects.

    La BO : quand Korn signifiait encore quelque chose.

    • Présence  

      Je n’ai pas aimé les BD de Will Eisner à la première lecture. Mais ses personnages me sont restés en tête, ainsi que les émotions, les états d’esprit, leur imperfection très humaine, avec en même une acceptation d’être un individu imparfait, acceptation par le personnage, acceptation par l’auteur dont il émane une tendre affection pour le genre humain.

      En les relisant quelques années (décennies plus tard), cette tendresse m’est apparue de manière encore flagrante. J’ai également pris beaucoup de plaisir à la dimension sociale des récits sur la communauté juive, mise en perspective de l’Histoire, des mouvements migratoires, des persécutions, mais aussi des différentes familles, des différentes traditions en fonction de leur pays d’origine en Europe.

  • Eddy Vanleffe  

    Je ne possède que LE RÊVEUR de lui. j’ai bien aimé deviner l’ambiance des coulisses du comics des années 40-50.
    En revanche si c’est un génie séquentiel, ses thèmes ne me touchent que peu .
    ce que j’admire c’est son humanité et ses personnages cirant s de vérité. on retrouve un peu une affinité avec les récits matures d’Ozamu Tekuka.

    • Présence  

      J’ai choisi de proposer un commentaire à Bruce, sur ce tome car c’est un récit qui m’a beaucoup touché, la première fois que je l’ai lu, et les fois suivantes également.

      Je vais reprendre la formulation de Tornado : « C’est de la BD exigeante, pas compliquée, très fluide mais qui demande de l’attention du fait qu’elle s’adresse à un lecteur adulte en lui demandant de lire entre les lignes, parce que le sous-texte est ici plus important que le récit ». Je peux le reformuler en disant que j’ai perçu d’autres choses à la lecture une fois devenu mature (par l’âge 🙂 ), avec des émotions, des états d’esprit qui me parlent, qui répondent à des ressentis que j’ai pu vivre.

      Les thèmes de Will Eisner : il y a une forme de témoignage d’une société à une époque donnée, avec une perspective historique de la constitution d’une partie de la communauté juive de son quartier. Il y a également un humanisme que je trouve extraordinaire : à la fois une absence de naïveté qui lui permet de mettre en scène les facettes les moins glorieuses de l’individu, et à la fois un véritable amour des êtres humains, défauts compris. Et puis, ses dessins sont tellement expressifs qu’ils me donnent la sensation de voir vivre les personnages, animés par leur caractère.

  • Bruce lit  

    Quel talent Présence. Je serais bien incapable de décrire les coups de Lavis de Will Eisner. C’est un huis clos que j’avais trouvé très bon. Entre Hitchcock et effectivement Bacri-Jaoui (!)
    La simplicité en tout, moi j’apprécie. Je ne savais pas que ce récit était si vilipendé. Ca me fera l’aimer plus.

    • Présence  

      Vilipender est peut-être un peu fort : l’avis général ne le même pas au même niveau que d’autres récits d’Eisner comme Un pacte avec Dieu, Dropsie Avenue, ou Voyage au cœur de la tempête. Mais j’ai été très sensible à cette simple (comme tu le fais observer) comédie humaine que j’ai trouvé d’une grande justesse et d’une grande élégance. Peut-être que le fait de l’avoir relu après les autres grands récits d’Eisner m’a permis d’y trouver des écho qui l’ont enrichi, en particulier sur les non-dits relatifs à la communauté juive newyorkaise.

  • JP Nguyen  

    Dans ma bibliothèque, j’ai Le Contrat avec Dieu, New York The Big City et Petits Miracles. J’avais offert Le Building à un pote et j’ai du lire 2-3 autres récits en médiathèque.
    En refeuilletant The Big City dans la journée, j’ai été saisi par la maîtrise du découpage et de la narration.
    Mais un peu comme Eddy, si je reconnais le talent et la maîtrise d’Eisner pour l’art séquentiel, ses histoires ne m’ont pas souvent ému.

    • Présence  

      Petits miracles : ça se lit tout seul.

      Ma critique sur babelio :

      https://www.babelio.com/livres/Eisner-Petits-Miracles/171699/critiques/2090985

      La version courte : Comme d’habitude, ce recueil est d’abord une leçon de narration graphique aussi élégante que virtuose, aussi sensible qu’amusante. En fonction de sa sensibilité le lecteur apprécie plus une histoire qu’une autre, trouvant forcément 2 pépites dans le lot, et le reste largement dans le dessus du panier.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour Présence,

    je n’ai pas encore eu d’occasion franche de me frotter à Will Eisner. J’ai un album à la maison, lLA VALSE DES ALLIANCES il me semble et encore j’ai un doute, et j’ai lu quelques SPIRIT avec ses variations par d’autres auteurs (tiens c’est l’article du jour). Là je me viens de me procurer en occasion, LE BRONX, 55 DROPSIE AVENUE.

    Je crois que pour apprécier Eisner il est question de maturité, de curiosité et d’histoire. Aucun regret de ne pas l’avoir fait avant. Cela ne m’aurait pas parlé et surement pas plus comparé à des super héros mainstream, ma base. Désormais avec le recul c’est exactement le type de bande dessinée que j’ai envie de lire, d’analyser. De me plonger dans ces monuments sociaux fondateurs du comics d’aujourd’hui. surtout quand on aime un artiste comme Franck MILLER.

    J’ai apprécié ton article, cet album m’intéresse. J’y reviendrais assurément quand je serais allé plus loin dans mon exploration de l’oeuvre de Will Esiner. Hop en favoris.

    • Présence  

      En 2019, j’ai pu lire ou relire la quasi totalité des romans graphiques de Will Eisner à peu près dans l’ordre de parution : A Contract with God (1978), Life on Another Planet (1983), The Dreamer (1985) New York: The Big City (1986), The Building (1987), A Life Force (1988), To the Heart of the Storm (1991), Invisible People (1993), Dropsie Avenue (1995), A Family Matter (1998), Last Day in Vietnam (2000), Fagin the Jew (2003), The Name of the Game (2003). J’ai juste fait l’impasse sur son adaptation de Moby Dick, et ses livres sur la bande dessinée.

      Ses commentaires sur la famille juive, la communauté juive, l’histoire, et sur la façon de voir la vie à différents âges m’ont beaucoup plus parlés que quand j’avais vingt ans de moins.

      • Fletcher Arrowsmith  

        Je pense que si j’avais enchainé Eisner avec MAUS il y a 20 ans cela m’aurait clairement parlé. Sauf que je n’avais pas accès à Eisner à l’époque. Rencontre raté mais il n’est jamais trop tard, c’est cela la magie de la culture.

      • Surfer  

        Tu n’as pas lu « A Signal from Space »😧😧😧. L’un de ses tout meilleur
        Hum! Cela m’étonne de toi Présence

          • Surfer  

            Je comprends mieux 😉.
            Je me disais aussi😀😀😀
            J’ai lu la version française que l’on a traduit par L’APPEL DE L’ESPACE.
            Dans sa première édition en couleurs ! Puis dans l’édition Delcourt en noir et blanc.
            Je confirme c’est un incontournable du maître 👍

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