FAITES L’AMOUR, PAS LA GUERRE (JLA/AVENGERS) PAR KURT BUSIEK ET GEORGE PEREZ

JLA/AVENGERS PAR KURT BUSIEK ET GEORGE PEREZ

Un cross-article d’Eddy Vanleffe vs JP Nguyen

VO : Marvel et DC 2003-2004

VF : SEMIC

1ère publication le 18/05/22- MAJ le 28/12/22

Greatest vs Mightiest ! Duel de superlatifs !
(c) DC Comics/Marvel Comics

SPOILER : L’OVERDOSE DE SLIPS DANS LE COSMOS PEUT NUIRE GRAVEMENT A LA SANTE MENTALE

La petite intro de Tonton Eddy :

Cela fait déjà très longtemps que les éditeurs DC et Marvel sont des frères ennemis, perpétuellement en concurrence. Ça se chamaille et ça se moque, mais le tout quand même avec une certaine complicité. De temps à autre, les deux univers se sont même rencontrés dans des crossovers la plupart du temps bébêtes et superficiels (le topo sur les crossovers Batman vs Marvel, c’est par ici– NdJP). Attention, ils sont dans le même temps très récréatifs, puisque le but n’est finalement que d’imaginer des interactions fantasmatiques entre personnages qui sont censés ne jamais vivre d’aventures ensemble. Ces bouquins signent un nouveau contrat complice avec le lecteur par la suspension de crédit bancaire consenti.

Au début des années 1980, plusieurs numéros spéciaux furent lancés comme le cultissime «UNCANNY X-MEN VS TEEN TITANS», et un premier jet d’un futur projet AVENGERS VS JUSTICE LEAGUE OF AMERICA fut mis en branle par une équipe jugée à l’époque comme une dream-team: Gerry Conway et George Perez- déjà lui. L’excitation, vous pouvez l’imaginer, était donc à son comble, mais après une vingtaine de pages dessinées, Jim Shooter, éditeur en chef de Marvel, décida de cesser toute collaboration avec le concurrent. Tout fut donc remisé au grenier et devint au fil du temps un rêve de fan. Une vraie légende urbaine.  En effet, CRISIS ON INFINITE EARTHS serait basée sur la même idée qui voudrait voir les héros sauver leurs terres respectives en remontant le temps. Pendant dix ans, les deux sociétés rompirent tout contact et ce n’est qu’en 1994 que timidement d’autres numéros parurent au rang desquels BATMAN/PUNISHER. Il ne se passa guère de temps avant que l’idée soit remise sur les rails. Mais ces choses-là prennent du temps. George Perez de son côté veut absolument en être, peu importe les conditions. John Byrne s’intéresse brièvement à l’idée avant de concentrer ses idées dans une saga bien à lui: BATMAN/SUPERMAN:GENERATIONS. Certains disent qu’on l’a échappé belle, l’artiste après avoir commis SPIDER-MAN CHAPTER ONE, ayant perdu quand même pas mal de son aura.

Mais qui associer à ce brave George? Les scénaristes des deux franchises semblaient être des choix naturels. Mark Waid et Kurt Busiek étaient tous deux motivés. Par coïncidence, ils étaient également les scénaristes de deux projets frères ennemis peints tous deux par  par Alex Ross MARVELS/KINGDOM COME. Tout ça promettait au fan patientant depuis tout ce temps, un beau «nerdgasm». Mais les négociations prirent une éternité et Mark Waid signa un contrat avec un tout nouvel éditeur qui à l’époque courtisaient tous les auteurs et les artistes à potentiel: CROSSGEN. Kurt Busiek resta seul en lice et les choses finirent par prendre la bonne cadence.

La page 21 du crossover avorté, colorisée pour un collectionneur
(c)Marvel/DC/Comicartfans

De son côté, le dessinateur, après avoir failli abandonner lui aussi, s’assura de rester attaché au projet si bien qu’une fois entamé, il s’y consacra rapidement et cela malgré les nombreuses retouches et révisions de dessins afin de rester raccord avec le moindre point de continuité. Cette méticulosité était malheureusement la rançon d’un tel projet, les deux compères étant eux-mêmes l’un et l’autre des gardiens de cette fameuse notion. Le public n’en n’attendait pas moins de l’extrême maniaquerie d’historien du premier et  de l’extrême minutie de moine copiste du second.

Que devrait raconter l’histoire de la rencontre entre les deux équipes les plus symboliques et les plus colorées de chaque univers? Chaque page se doit de dépasser en évocation les scènes les plus exagérées et les plus chargées en CGI, d’ENDGAME et de la Snyder’s Cut réunies. Chaque rencontre devrait  répondre ou donner naissance à un fantasme de fan. C’est même quelque part la saga ultime du fan service.

Kurt Busiek, avec humilité, va s’atteler à cette tâche ardue et cuisiner aux fans un dessert de son invention. L’objet fini mettra tellement de temps que George Perez aura entre-temps accepté un contrat d’exclusivité lui aussi chez Crossgen, décidément très séducteur en ce temps-là. Il sera obligé pour terminer son boulot de le faire sur son temps libre, c’est à dire le week-end et…la nuit! Un artiste entièrement dévoué aux fans qu’il n’a jamais voulu décevoir.

Les remarques accessoires du consultant JP:

Bon, déjà après cette longue gestation excellemment contée par Monsieur Eddy, je rajouterai que l’engin est sorti en 2003-2004.

La JLA vivait une période plutôt faste, avec des runs à succès de Grant Morrison, Mark Waid puis Joe Kelly. Morrison avait ramené les stars de DC avec la Trinité Supes-Bats-WW et avait confronté l’équipe à des menaces hénaurmes, avec sauvetage de la Terre au petit-déj, de l’univers à midi et du continuum espace-temps le soir…

Les Avengers ne se portaient pas trop mal non plus, après avoir disparu suite à ONSLAUGHT, connu une drôle de renaissance avec HEROES REBORN avant de revenir en 1998 sur la Terre 616 dans une série produite par Kurt Busiek et… George Perez! En 2003, c’était Geoff Johns qui écrivait la série et Brian Michael Bendis n’avait pas encore opéré son désassemblage pour transformer la série en casting All-Stars, qui font que si tu n’as pas été Avenger avant tes 50 ans, t’as raté ta vie de super-héros Marvel. A cette époque, donc, les Avengers étaient bien les héros les plus puissants de l’Univers Marvel mais pas l’équipe la plus vendeuse de la Maison des Idées, dépassés au classement par les mutants de Xavier, si on écarte leur version ULTIMATES, très plébiscitée du lectorat.

Pour le coup, JLA/Avengers, c’est aussi, rétrospectivement, le dernier baroud d’honneur «d’une certaine idée» des Super-Héros, qui parlera surtout aux fans de ces séries dans leurs incarnations des années 70 à 90…

Mais qu’est-ce que ça raconte ? Eddy…dis-nous tout! Le tout sera coupé en 4 parties distinctes de 48 pages chacune.

CHAPITRE 1: LA GUERRE DES MONDES
Oh ! Mais que se passe-t-il ?
(c) DC Comics/Marvel Comics

Sous le regard d’Éternité, deux entités se rencontrent par-delà le temps, à la naissance du multivers. Il s’agit du Grand-Maître, doyen de l’univers (Marvel) et de Krona (DC), chercheur banni de la planète Oa toujours en quête des plus infimes secrets de l’univers.  Les deux vont s’affronter afin de pouvoir déterminer et comprendre les secrets de l’univers. Mais la curiosité est un vilain défaut et tout se dérègle déjà. Les deux mondes font face à des anomalies. Les Avengers affrontent tant bien que mal Starro (DC) tandis que Terminus (Marvel) rend une petite visite de courtoisie à la Ligue de Justice. Chaque univers possède ses propres cerveaux qui devinent que rien n’est normal et décident de prendre les devants: ils vont explorer l’univers qui menace de se mélanger au leur. Ce qu’ils voient est très loin de les enchanter.

L’avis de JP :

Tentative subliminale de squatter le succès des titres X ? Ce crossover démarre par une apologie de l’échangisme, à l’échelle du  multivers ! Blague à part, le scénario donne un rôle très moralisateur à la JLA, qui se désole de voir un Marvel Universe aussi mal «géré» avec notamment son conflit permanent entre humains et mutants. De l’autre côté du miroir, les Avengers hallucinent devant une planète toute acquise à la cause de ses héros, au point qu’on pourrait se demander s’ils ne sont pas des super-fachos ayant réussi leur propagande… Le trait est forcé et le rythme se devant d’être soutenu, les questions sont survolées dans une mise en scène et des dialogues assez artificiels qui plairont davantage aux chantres du old-school qu’aux amateurs de la narration décompressée…

Qu’importe, le décor est planté, les enjeux seront cosmiques et les affrontements, cataclysmiques. Les compositions d’équipe retenues sont la quintessence des deux licences et c’est un peu comme si on pouvait assister à un France-Brésil avec Fontaine-Platini-Zidane d’un côté et Pelé-Romario-Ronaldo de l’autre. Une sorte de super-all-stars game.

Trop cool ! Chez DC, ils proposent la Booster Gold Card !
(c) DC Comics/Marvel Comics

Le début de match commenté par Eddy:

En effet, le  coup d’envoi de la partie fait la part belle à la découverte que fait chaque équipe du monde de l’autre. Kurt Busiek se pose donc la question: Mais qu’est-ce qui peut bien différencier les deux univers et par là aussi les deux éditeurs ? Marvel parait donc plus violent, plus amer et plus désespéré. Le Limier Martien constate avec horreur le génocide de Genosha. John Jonzz reprend la posture shakespearienne du Fauve dans l’épisode de Grant Morrisson, pour mieux marquer sa différence de philosophie.  A La blague de l’un, répond la douleur du deuil personnel du Martien (dernier survivant de son espèce). Les héros DC ont donc une piètre estime de leurs homologues dont le peuple même, semble se méfier.

A contrario, le culte de la personnalité, l’esthétique retro-limite expressionniste, les statues évoquent immédiatement à Captain America le régime nazi contre lequel il toujours combattu. Les auteurs rappellent à leur manière les liens troubles que peuvent avoir le premier des super-héros vis-à-vis du concept d’übermensch! Alan Moore ne dit pas autrement d’ailleurs dans TOM STRONG. J’aime bien cette façon de présenter chaque partie en donnant une raison assez concrète à l’antagonisme des deux entreprises dans un double niveau de lecture permanent.

CHAPITRE 2: LE TOURNOI DES CHAMPIONS
It’s raining (Super)Men ! Allelujah !
(c) DC Comics/Marvel Comics

Pour départager les deux mondes, Krona et Le Grand-Maître organisent une sorte de course aux artefacts. Les deux équipes moyennement dupes participent quand même à l’exception de Batman et de Captain America. Leur mission est de récupérer les objets magiques de l’univers adverse. Oui c’est du quidditch. Le rassemblement de tant d’énergies démultiplie les points de convergence et ça y est les deux univers sont sur le point de jumeler.

Les remarques de JP:

Voilà une revisite du LE TOURNOI DES CHAMPIONS(le titre VO est d’ailleurs explicite) mais en DC-Marvel, et avec les titulaires plutôt que les remplaçants de l’équipe B ou Z… Peut-être le chapitre le plus distrayant même si le scénario est un modèle de diplomatie pour ne pas froisser les susceptibilités des fans de chaque camp. Pour le choix des objets de la chasse aux trésors, pas d’ambiguïté, la mythologie des deux univers  est bien respectée, mon esprit taquin se prenant quand même à rêver à des items plus fantaisistes (le dentier de Tante May ou la meilleure bouteille de Bordeaux de la Batcave, par exemple…)

L’histoire, au rythme toujours rapide, réserve quand même quelques beaux moments intimistes, comme lorsque Captain America regarde la vitrine contenant l’uniforme de Robin et demande à Batman s’il a perdu un partenaire…

Batman, toujours prompt à s’épancher…
(c) DC Comics/Marvel Comics

L’analyse d’Eddy:

Bon cette partie est comme le souligne très justement mon inestimable confrère JP, une simple course au «Mac Guffin», en forme d’hommage flagrant au premier crossover global Marvel. Je me suis même demandé s’ils allaient oser faire la même erreur de comptage de points. C’est clairement la partie que j’ai le moins apprécié.  Les duels sont purement fonctionnels et j’ai d’avantage retenu  les décors choisis pour les combats. L’occasion est trop belle pour George Perez qui s’amuse comme un fou à dessiner les îles aux monstres et autres localisations célèbres. Nous avons aussi un face à face Batman/Captain America des plus réjouissants.

CHAPITRE 3: JUSTICIERS, RASSEMBLEMENT!

Le détail qui tue : la plage sur laquelle tout le monde court : c’est l’Homme Sable.
(c) DC Comics/Marvel Comics

La ligue de justice et les Avengers sont désormais amies depuis longtemps dans une nouvelle continuité. Black Canary a largué la barbiche de Green Arrow pour succomber au charme d’Hawkeye.   Tout le monde se rencontre à l’occasion d’une fête annuelle, mais quelque chose sonne faux.  Superman et Captain America, porte-drapeaux de leurs maisons respectives ne savent pas se sentir. Leur inconscient ne parvient pas à accepter la fusion et en explorant les différents points d’incohérence, ils comprennent enfin ce qui se passe. Au risque de voir l’un ou l’autre univers, ou même les deux disparaître, il est temps pour les deux équipes de s’unir face à leur ennemi commun: Krona

La critique culinaire de JP:

Aux fans de DBZ qui crieraient « FUSION ! », je répondrais malicieusement « Pas d’AMALGAM », en référence au Méga Crossover entre DC et Marvel qui avaient vu les personnages se mélanger littéralement avec des cocktails plus ou moins digestes tels DARK CLAW (Bats+Wolvie) ou bien… LOBO THE DUCK !

Ici, c’est plutôt la version salade : on se mélange, mais on garde son identité… Ou alors, une version « déstructurée » d’un plat connu, avec des ingrédients sous d’autres formes ou présentés différemment dans l’assiette. Mais on sent bien qu’il va falloir passer au dessert. .. (Après une belle séquence émotion où certains héros se résolvent à rétablir le continuum, fut-ce au prix de leur vie… mais en même temps, faut aussi que les auteurs des séries régulières puissent poursuivre leurs runs…)

Faux souvenir : la quête de l’oeuf chronal !
(c) DC Comics/Marvel Comics

Les notes de dégustation du Chef Eddy :

Ici les auteurs s’éclatent totalement durant les quarante-huit pages de ce chapitre. Le scénariste montre à quel point il peut cuisiner chaque personnage. Totalement dévolu  à son histoire de mélange de mondes, il va saupoudrer énormément d’allusions  aux histoires  de chaque équipe au sein de la petite continuité  qu’il a créé pour l’occasion. Et cela dès la première page. Kirby avait inventé pour DC et le quatrième monde, un mur au fin fond de l’univers, où se retrouvaient pétrifiés ceux qui avaient osé regarder au-delà. Quelle logique d’y retrouver ainsi Docteur Fatalis, celui qui avait déjà osé défier à la fois Méphisto et même le Beyonder dans son propre univers.

Le premier crossover de l’histoire de super héros mettait en scène la ligue de justice rencontrant la Société de justice à travers une séance de spiritisme. Ce sont ici les Avengers qui décrivent de la même manière le premier contact d’avec leurs nouveaux amis. Toujours plus méta textuel, l’antipathie viscérale de Superman et Captain America, est bien celle des deux éditeurs ainsi mise en abyme et dans les flashbacks,  figure le crossover jamais paru de 1983. Ce ne sont qu’une poignée d’exemple des clins d’œil disséminés par les artistes. Le dessinateur lui, livre un boulot titanesque entres décors, à la fois terrestres et cosmiques et costumes les plus bigarrés sans que jamais l’on puisse  confondre un personnage avec un autre. Bien que l’objet soit roboratif et parfois indigeste. La gourmandise du dessin l’emporte. Qu’importe la gueule de bois pourvu qu’on ait l’ivresse.

CHAPITRE 4 : HEROGASM
Vous ne passerez pas !
(c) DC Comics/Marvel Comics

La bataille finale : l’ultime sacrifice pour certains qui savent pertinemment ce qu’ils vont perdre une fois que la continuité sera rétablie. Ainsi Barry Allen repartira dans l’au-delà, La vision perdra de nouveau ses enfants. Pourtant fidèles à leur nature, les héros vont collaborer et utiliser un vaisseau atlante en l’équipant du tapis de force véloce, et les cerveaux les plus respectés vont coopérer pour un lendemain meilleur. Le combat aura lieu dans une réalité flottante mettant les héros face à beaucoup de leurs passifs respectifs. Sans surprise, le but est d’avantage de ranger les jouets et tout va revenir dans l’ordre.

Le témoignage de JP:

La cover montrant Superman avec le marteau de Thor et le bouclier de Captain America est à la fois iconique et extrêmement représentative du contenu de cet ultime chapitre.  C’est la fin du fanboy-game et on atteint le dernier niveau où il faut tout défoncer pour venir à bout du Boss de fin de niveau… Au programme, morceaux de bravoure et débauche de pouvoirs. Côté émotions, c’est forcément désamorcé par le contexte du crossover inter-éditeurs, puisque le lecteur sait qu’aucun changement important n’est à attendre. Je veux dire, y’aura même pas de personnage qui mourra pour 2-3 ans avant de revenir!

Ce n’est toutefois pas une raison pour bouder son plaisir devant les planches de George Perez qui rayonnent d’action et… de passion ! Le scénario lui permet de convoquer plusieurs incarnations de certains personnages et il ne s’en prive pas !

On a même droits à quelques héros Marvéliens non-Vengeurs !
(c) DC Comics/Marvel Comics

Le verdict d’Eddy :

C’est le dernier chapitre et il va falloir trouver une fin honorable pour tout le monde. De plus comme chaque histoire de ce type, l‘intrigue va se résoudre à l’issue d’une énorme combat de fin de saison. A cet effet, Kurt Busiek adopte la méthode  la plus usuelle. Après une séquence de calme avant la tempête, certains personnages font le point sur leur parcours, tandis que les stratèges élaborent un plan devant faire appel à toute la technologie disponible des deux univers.George Perez croque alors véhicules, artefacts, armes les plus variées pour le plaisir de pouvoir les mettre en scène.

Puis vient enfin l’heure de combat. Les héros, tripotent le substrat du réel et mixent passé/présent/futur et les protagonistes changent aléatoirement d’avatars comme le peuvent le faire les divinités hindoues dans la Bhagavad-Gîtâ. La chute est assez prévisible hélas, mais comme peuvent l’être celles de n’importe quel film, où le héros gagne à la fin. L’essentiel finalement étant d’avoir su manier un casting pléthorique au sein d’une histoire simple mais loin d’être idiote, grâce à ce double regard malicieux que parvient à distiller Kurt Busiek. George Perez livre sans doute la meilleure partition de sa carrière. Pas une seule planche ne fourmille pas d’une multitude de détails, qu’ils soient immédiats ou plus discrets. Pas une seule case ne sent un renoncement. Non le mec est à fond tout le temps, motivé comme jamais.

Une dernière pensée pour la route, par JP

En relisant ces numéros pour les besoins de cet article, le texte d’une des dernières cases résonne étrangement en moi. «Car, au bout du chemin, tout a une fin, n’est-ce pas?»

Si à l’époque de la parution de ce crossover, ces mots n’avaient qu’une très légère saveur méta, façon « That’s All Folks », en rédigeant ces lignes en février 2022, je ne peux que songer à la mort annoncée de George Perez, qui a révélé son diagnostic terminal fin 2021.

C’est dans ce contexte que DC et Marvel ont conclu un accord pour rééditer cet œuvre, avec une vente dont les bénéfices iront à la HERO INITIATIVE… C’est un beau geste et un choix particulièrement adapté pour un dessinateur qui aura illustré de très belles pages de l’histoire des Big Two. En truffant ses cases et ses double-pages de détails et de personnages, il aura grandement contribué à iconiser les super-héros de l’âge de Bronze. Une ère où des êtres extraordinaires, vertueux mais faillibles, surmontaient toutes les épreuves et tous les obstacles pour sauver l’univers et faire rêver des tas de lecteurs plus ou moins jeunes…

Les héros n’abandonnent jamais !
(c) DC Comics/Marvel Comics

Le mot de la fin pour Eddy :

JLA VS AVENGERS a toujours été à mes yeux, une sorte de friandise conviviale à destination du public et des fans. Ce fut aussi la dernière occasion pour les personnages des « big two » de se rencontrer. Chaque éditeur étant désormais la branche mourante de deux baobabs économiques plus rivaux que jamais. Puis, il a fallu qu’on se pose la question de l’héritage laissé par ce gigantesque artiste qu’est George Perez. Les carrières des dessinateurs  américains étant ce qu’elles sont, ce ne sont pas ses œuvres personnelles comme SACHS AND VIOLENS (avec Peter David), CRIMSON PLAGUE ou SIRENS, qui ont retenu l’attention, mais les milliers de pages et milliers de litres de sueurs  qu’il a donné  pour Marvel et DC. Comme de juste JLA /AVENGERS pourrait être considéré comme son testament, une œuvre où son amour des personnages saute de chaque page.

Comble de cynisme, ce sera l’annonce de sa maladie qui décidera les deux éditeurs à enterrer temporairement la hache de guerre. Une trêve émouvante, me direz-vous, pour la bonne cause en plus. Mais à la pensée qu’il faut en arriver là, pour que soient republiées ces quelques deux-cents planches, donne une triste idée du monde dans lequel nous vivons. Je ne peux m’empêcher de trouver que si certains se parent d’ailes d’anges, ils ont aussi des becs de charognards. D’un autre côté, le seul nom de l’artiste a fait baisser les armes, alors c’est qui le patron?

Pour les besoins de l’article, j’ai relu le dossier complet qu’avait rédigé en son temps Jérôme Wicky pour les éditions Semic. Je me dois donc de le remercier pour la documentation. 

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La BO de JP :

There’s so many different worlds
So many different suns
And we have just one world
But we live in different ones

La BO d’Eddy :

UNITED WE ARE

20 comments

  • JB  

    Merci pour cette lecture croisée et ce nouvel hommage. Ce crossover ne pouvait être conçu que par l’immense George Perez et l’érudit Kurt Busiek, véritable historien des comic books. Ce dernier va d’ailleurs revenir sur l’un des éléments de la conclusion (l’œuf) dans le titre hebdomadaire Trinity.

    • Eddy vanleffe  

      Trinity, j’en ai un vague vague souvenir du bazar tronqué de Panini. Du coup c’était aride et pas hyper convivial comme lecture. je ne suis pas curieux d’en avoir la totalité non plus d’ailleurs.
      J’étais surtout conscient de la suite plus ou moins avouée dans JLA?

      • JB  

        Aussi ^^ (Par contre, je ne sais plus si les 2 histoires sont compatibles – avec Busiek, j’imagine que oui 😉 )

  • Présence  

    Quand j’ai mis la main sur un exemplaire du recueil de cette histoire, j’en salivais d’avance, sans avoir conscience qu’il deviendrait si difficile à trouver par la suite.

    Jim Shooter, éditeur en chef de Marvel, décida de cesser toute collaboration avec le concurrent : c’est ce que j’ai découvert sur le tard, et en plus sur des remarques dont le niveau ferait rougir le fan le plus intransigeant.

    Pérez sera obligé pour terminer son boulot de le faire sur son temps libre, c’est à dire le week-end et… la nuit : une autre anecdote qui m’avait épaté.

    Pour le coup, JLA/Avengers, c’est aussi, rétrospectivement, le dernier baroud d’honneur d’une certaine idée des superhéros : je n’y avais pas pensé sous cet angle-là, mais c’est vrai que ça me parle.

    C’est un peu comme si on pouvait assister à un France-Brésil avec Fontaine-Platini-Zidane d’un côté et Pelé-Romario-Ronaldo de l’autre : tous les noms ne me parlent pas, mais je comprends l’idée. 🙂

    Kurt Busiek se pose donc la question: Mais qu’est-ce qui peut bien différencier les deux univers et par là aussi les deux éditeurs ? – C’est exactement comme ça que je l’avais pris.

    Le dentier de Tante May : excellent. 😆
    Pas d’Amalgam : excellent aussi.

    Le dessinateur livre un boulot titanesque […] sans que jamais l’on puisse confondre un personnage avec un autre : ce qui est encore plus impressionnant quand on pense aux ajustements de costume auxquels il a fallu procéder en cours de projet alors que l’actualité du moment pouvait les modifier dans la série mensuelle correspondante, au vu de la durée de réalisation du projet JLA/Avengers.

    Qu’importe la gueule de bois pourvu qu’on ait l’ivresse : très jolie formule qui correspond exactement au plaisir que j’ai ressenti.

    Y’aura même pas de personnage qui mourra pour 2-3 ans avant de revenir : et aujourd’hui on dirait plutôt 2 ou 3 mois. 😀

    Pas une seule case ne sent un renoncement. Non le mec est à fond tout le temps, motivé comme jamais. – Rétrospectivement, c’est encore plus impressionnant l’intensité de la passion qui l’a habité pour pouvoir mener à bien un tel projet.

    Ce ne sont pas les œuvres personnelles de G. Pérez, qui ont retenu l’attention : je me suis fait la même remarque.

    Ce fut un énorme plaisir que de revisiter cette histoire par vos yeux. Merci beaucoup.

    • Eddy vanleffe  

      Merci de ce retour si détaillé là encore. c’est toujours gratifiant.

  • Tornado  

    Et bien il aura fallu toute la verve, l’humour, les bons mots et le style des deux compères pour que je lise un tel article sur un pareil machin d’une traite (ou presque, puisque boulot-boulot entretemps…). Au jour d’aujourd’hui, il faudrait me payer cher pour que je lise une BD comme ça… Mais l’article, c’était chouette ! 🙂
    La « rude » rivalité entre les BIG2 : J’ai toujours trouvé qu’elle était absurde dans la mesure ou la quasi-totalité de la profession, auteurs et dessinateurs, a travaillé pour les deux en alternance…
    Il faut que je garde l’idée de la double-BO pour les articles en team-up ! 💪
    Trois jours sur Georges Perez, c’était un peu long pour moi mais bon… Je comprends que les fans aient tenu à honorer la mémoire d’une idole.
    « Les auteurs rappellent à leur manière les liens troubles que peuvent avoir le premier des super-héros vis-à-vis du concept d’übermensch! Alan Moore ne dit pas autrement d’ailleurs dans TOM STRONG. » : Ah oui bien vu, ça. On en reparle bientôt.

    • Eddy vanleffe  

      Avec JP, on a fait de notre mieux pour penser aux lecteurs qui comme toi ne sont pas acquis au sujet pour quand même les amuser.
      On a trouvé je crois une certain routine de travail et je peux personnellement recommencer qu il le faudra.
      le rivalité des big 2 est une bête rivalité d’entreprise Pepsi/Coke. mais l’occasion pour Kurt Busiek de creuser ce qui fait de chaque univers un monde unique en soi.
      Tom Strong est sans doute mon Alan Moore préféré avec Supreme… j’attends le papier avec impatience.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour Eddy et JP,

    très bon article. Je possède les 4 fascicules VF mais je me suis offert le nouveau recueil dans le cadre de Hero Initiative.

    Je suis en pleine relecture d’ailleurs. Cet article tombe bien.

    JLA/Avengers, c’est aussi, rétrospectivement, le dernier baroud d’honneur «d’une certaine idée» des Super-Héros, qui parlera surtout aux fans de ces séries dans leurs incarnations des années 70 à 90… j’adore. C’est tellement cela. Busiek et Pérez incarnent tellement cet état d’esprit. J’aime beaucoup l’écriture de Kurt Busiek qui sait pousser juste ce qu’il faut le curseur pour donner un excellent comics grand public. Actuellement il me régale une nouvelle fois avec ARROWSMITH BEHIND THE ENEMY LINES. Et puis son ASTRO CITY dont un numéro spécial vient de sortir et qui est surement une de mes meilleurs lectures de l’année.

    Pour en revenir à ce JLA/Avengers, clairement une gourmandise qui se déguste sans modération. Même les défauts de ce type de récit s’effacent devant la générosité des auteurs.

    Pour la BO je suis JP sur ce coup là.

    • Eddy vanleffe  

      Oui j’aimerais qu’Urban ou un autre fasse un vrai boulot chronologique sur Astro city qui reste un sommet à mes yeux.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Ah et Kurt Busiek associé à Ron Garney a proposé dans les pages de la JLA une sorte de suite à ce récit.

  • JP Nguyen  

    Merci de nous avoir lus ! C’était encore un grand plaisir de faire équipe avec Monsieur Eddy et d’essayer de partager notre enthousiasme pour ce crossover, malgré les limites et défauts ihérents au genre.

    @JB : je n’ai pas lu le Trinity de Busiek. C’était Bagley au dessin, je crois, non ?

    @Présence : petit regret de ma part, de n’avoir pas acheté le recueil VO quand il était facilement disponible

    @Tornado : merci de t’être lancé dans la lecture de l’article malgré un sujet fort éloigné de tes goûts. Tant mieux si notre emballage a permis une lecture distrayante !

    @Fletcher : ARROWSMITH BEHIND THE LINES – moi je dis que tu peux pas être objectif, sur ce titre-là… 😉

    • JB  

      En partie uniquement : les numéros étaient dessinées pour une partie par Bagley, pour l’autre par Scott McDaniel. Il me semble que seules les parties de Bagley ont été publiées en VF, du moins dans la revue Panini dédiée à cette série (je ne sais pas si Urban l’a republiée)

    • Fletcher Arrowsmith  

      J’ai même acheté la nouvelle version, le HardCover, de la première série renommée pour l’occasion : ARROWSMITH SO SMART IN THEIR FINE UNIFORMS.

      Pour l’instant les 4 premiers numéros (sur 6) sont d’un excellent niveau. Carlos Pacheco tient une forme d’enfer et Busiek pousse son récit. Et puis heureusement que la série n’a été publiée que quand l’ensemble des numéros fut terminé car Carlos Pacheco a des soucis de santé qui vont le tenir éloigner de sa table à dessins jusqu’à la fin de l’année au moins.

  • Jyrille  

    « JLA/Avengers, c’est aussi, rétrospectivement, le dernier baroud d’honneur «d’une certaine idée» des Super-Héros » Voilà, je crois que comme Tornado, ce n’est pas pour moi… et cela ne l’a jamais été, donc merci à vous deux pour le débat et les vannes croisées (en croisade ?) mais je n’irai pas plus loin que cet article fleuve… Et les scans me font clairement fuir ! Vous le dites vous-mêmes : OVERDOSE. De plus, à vous lire, c’est un pur objet de geek pour geek. Ce que je peux comprendre…

    La BO 1 : très belle chanson mais je ne peux plus écouter Dire Straits. Je devrais réessayer leur live avec la superbe pochette colorée, mais même là j’ai une grosse flemme.

    La BO 2 : pas du tout mon truc ce rock très pompier et grandiloquent. Et c’est trop long 😀

    • Eddy vanleffe  

      plus j’avance plus je deviens allergique à la notion de geek….
      je ne pense pas que cette BD est plus ou moins geek qu’une autre dans le grand ensemble de la pop culture à tendance pop corn…
      Quand on voit le déferlement de passion et le jusque-boutisme des fans de japanime ou de jeux vidéos, déguisés, attentifs au moindre détail d’une version ci ou ça…on même ce qu’engendre le cinéma qui voit le public vouloir virer des acteurs/trices etc… qui parviennent à faire remonter un film tout ça…
      ici on reste dans un bd qui raconte une histoire dont le passif est plus ou moins dense.
      qui comprend un tome de XIII aujourd’hui?
      Après oui on est en plein dans le genre super héros… faut aimer…

  • Kaori  

    Roh je croyais que c’était une rediff ! Vous n’avez pas fait un team-up de ce genre y a pas longtemps ?

    Bon, ben clairement, il va me falloir cet ouvrage.
    L’initiative m’avait émue, je dois le dire… Je revois George Pérez avec son oeuvre dans les mains il y a quelques semaines, tout heureux…

    Très bon article à deux mains, clair et bien séparé, avec chacun votre vision qui se rejoint et se complète J’ai passé un très bon moment, merci.
    J’ai retenu ceci qui m’a bien fait rire :
    « transformer la série en casting All-Stars, qui font que si tu n’as pas été Avenger avant tes 50 ans, t’as raté ta vie de super-héros Marvel. »

    La BO : team JP aussi. J’adore cette chanson que j’avais découvert dans une série il y a bien longtemps maintenant 🙁 .

    • Eddy vanleffe  

      Avec JP, je trouve qu’on bosse agréablement avec une sorte d’esprit commun et une volonté de ne pas se prendre au sérieux parce qu’on est d’accord, ça reste du super héros.

      • Eddy vanleffe  

        J’ajoute que je remercie JP de vouloir bosser avec moi. c’est émulant de bosser avec quelqu’un qui amène son humour avec cette facilité déconcertante. On essaie bien vainement de se mettre à niveau et d’une certaine façon le choses deviennent plus faciles.

  • JP Nguyen  

    @Kaori : tu pensais peut-être à notre Teamup sur Age of Apocalypse, où j’avais multiplié les remarques narquoises avec des « NdJP »
    Ici, j’ai été plus sage.
    J’aime bien faire des teamups car, en général, ça débloque mon inspiration. Quand le collègue (encore mille mercis, Eddy) est sur la même longueur d’onde/dans le même délire, cela me procure un réel amusement, qui me fait oublier les coups de fouet du contremaître Bruce…

    Nan, je déconne, Bruce, il fouette pas…

    Quoique, avec la chaleur actuelle, je sais pas si son déo est performant…

    • Kaori  

      @JP : Peut-être… Et comme Eddy a dû me parler de votre team-up sur JLA/Avengers, mon cerveau a dû faire un mic-mac… Mais pas grave, bien contente de vous (re)lire, vous faites une belle équipe !

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