Hergé ou Hergay ?

Georges et Tchang par Laurent Colonnier

1ère publication le 28/10/14- Mise à jour 21/01/23

Article de BRUCE LIT

VF : 12 bis, Glénat 

(c)Glénat

Georges et Tchang est un album écrit et dessiné par Laurent Colonnier sous la forme d’une biographie imaginaire d’Hergé. Il s’agit d’une biographie romancée portant sur l’hypothèse d’une pulsion homosexuelle entre le papa de Tintin et son célèbre ami Tchang.

Les scans ont été gentiment fournis par Monsieur Colonnier himself qui a eu pitié des miens faits maison ! Merci à lui !

Oh là là, le barouf ! Tapez sur Google les références de cette BD et vous lirez les réactions indignées des lecteurs proches, au mieux de l’apoplexie, au pire de l’autodafé !  Les raisons ? Mettre en scène l’amitié entre Georges Rémi et son célèbre ami Tchang sous le joug d’une pulsion homosexuelle. Et de traîner Colonnier dans la boue en subissant cette ritournelle éreintante de médiocrité crasse associant la dépravation à l’homosexualité….

La mémoire d’Hergé en sortirait salie, traînée dans la boue, certains demandant l’interdiction de l’objet…Un bel exemple de l’humanisme cher à Hergé, lui qui défendit la dignité des noirs, l’indépendance des chinois, la fierté des gitans et le droit des sud-américains à disposer d’autre chose que de républiques militaires….Hergé aurait t-il apprécié que l’on insulte une minorité qui n’emmerde personne en son nom ? Parce que concernant cette idylle présumée, il n’y a vraiment pas de quoi fouetter Milou !

Colonnier part d’une interview réelle  qu’Hergé vieillissant donna pour la TV belge. Il reproduit graphiquement cette scène vers la fin de son histoire. Lorsque l’auteur de Tintin est amené à se prononcer sur ses albums préférés, il cite sans hésiter ceux où Tchang est présent (Le lotus bleu et Tintin au Tibet) et sa langue fourche devant tout le monde ! Il parle d‘une formidable histoire d’amour avant de se raviser aussitôt et de transformer cet amour en amitié.

Oops ! Lapsus !
©12bis/Glénat

Dès lors la démarche de Colonnier érudite et respectueuse des grands moments de Georges Rémi est de poser l’hypothèse : Et si Hergé avait fait de Tchang une muse dont il serait tombé amoureux ?  Lui qui subit des attouchements enfant chez les scouts de la part d’autres garçons.
Lui qui disait que les femmes n’avaient pas de place pour ces histoires.
Lui qui confia avoir été habillé en petite fille enfant.
Lui dont on sait qu’il était en proie à de forts élans dépressifs qui perturbèrent la conception de certains albums.
Lui qui avoua Tintin c’est moi.

En quoi l’élan de Colonnier différerait de celle de Serge Tisseron qui analysait les symboles inconscient de l’œuvre de Rémi pour dresser l’hypothèse de secrets de famille  dans le fameux Tintin et les secrets de famille? En quoi Georges et Tchang ne pourraient pas s’inscrire dans la lignée de biographies imaginaires où l’objet de l’étude serait le héros de l’histoire ? (on se rappelle du Kafka au cinéma par Steven Sodenbergh).

Georges Rémi : un créateur tourmenté qui ne faisait pas des rêves pour enfants. Un vrai scandale....
Georges Rémi : un créateur tourmenté qui ne faisait pas des rêves pour enfants. Un vrai scandale…. ©12bis/Glénat

L’histoire débute donc en 1934. Hergé commence la conception du Lotus Bleu. Il aspire désormais à écrire autre chose que des courses poursuite de son reporter et de son chien. Il veut le témoignage de chinois pour éviter de sombrer dans les clichés de cartes postales. Il rencontre donc ce fameux Tchang qui va lui apprendre la calligraphie chinoise, la communion avec la nature et surtout voir le monde d ‘un autre œil.

Très vite les deux hommes deviennent inséparables, Rémi croit avoir trouvé chez le jeune chinois un autre lui-même. Ce gémeau souvent en conflit intérieur retrouve une joie de vivre insoupçonnée, un élan vital qui lui manquait, tant et si bien que sa femme de l’époque Germaine en devient jalouse.

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L’idole des enfants apprend qu’il ne pourra jamais en avoir… ©12bis/Glénat

Colonnier ajoute une intrigue à la Tintin faisant écho à l’affreux Mitsuhirato : Hergé soupçonné de fascisme est vu comme un danger potentiel à la réputation des japonais et des communistes qu’il a déjà humilié dans son Tintin chez les Soviets. Tchang est envoyé pour saboter son travail et l’espionner avant de se prendre réellement d’affection pour l’auteur belge. Leur séparation serait donc d’ordre politique, les jours de Tchang étant en danger comme le montre l’escalade de violence à la fin de l’album.

Entre temps, Hergé aidé par les beaux décors mis en scène par Colonnier, visite l’exposition universelle de Bruxelles, teste une fumerie d’opium pour coller à son sujet, fait l’amour à sa femme avant d’apprendre sa stérilité due à une irradiation importante aux rayons X. Le Belge est décrit comme un esprit en perpétuel éveil, curieux de tout, en proie à de fort sentiments conflictuels envers sa femme dont il aimerait divorcer et sa mère dont la mélancolie le terrorise.

Hergé se serait drogué ? Oh là là quel choc….
©12bis/Glénat

Et l’équivoque sexuel envers Tchang ne représente que deux pages : une première séquence où Hergé admire sans équivoque la chute de reins de son ami chinois sur la plage. Et une autre où déshabillés après une bataille de boule de neige, les deux amis se réchauffent l’un contre l’autre.

Colonnier laisse planer l’ambiguïté et sauve peut-être sa vie des intégristes de tout bord : aucun rapport sexuel, ni de baisers ne sont montrés. Inversement la fidélité de Rémi envers Tchang est poignante, tout comme son chagrin authentique au moment de leur séparation. Hergé y est montré tel qu’en lui-même, jeune et vivant, profondément humain tel que décrit par Assouline et Peteers, deux de ses biographes émérites.

Oh le gros dégueulasse….
©12bis/Glénat

Et comment un Tintinophile ne pourrait pas se réjouir des clins d’œil innombrables à la légende du reporter à la houppe ?  Des plans célèbres repris pour notre plus grand plaisir (de la sortie du cinéma des 7 boules de cristal aux jeux de cache cache dans les tonneaux du Crabe aux pinces d’or, en passant par l’abbaye abandonnée de l’Île noire) aux inspirateurs du professeur Tournesol, de la Castafiore ou de  Rascar Capac, il est impossible de bouder le plaisir de retrouver ces figures familières comme autant de guests stars d’un univers dont Hergé est le héros.

C’est parfois un peu bavard, un peu longuet, l’ami Tchang est un peu casse bonbon mais Colonnier arrive à raconter autre chose qu’une passion homosexuelle platonique. Il met celle-ci en corrélation avec une étape charnière de la vie d’un créateur qui finit par trouver son identité personnelle et artistique pour les 40 années qui vont suivre ! Alors, expliquez moi ce qu’il y a de choquant et de dégueulasse dans le fait de raconter l’histoire d’un homme qui s’autorise à être heureux ?

A la fois, histoire d’amour contrariée, témoignage artistique et suite d’anecdotes biographiques, Georges et Tchang est un trés bel album qui ravira ces lecteurs à l’esprit ouvert, gorgés d’humanisme et de tolérance, valeurs véhiculées par les innombrables lectures de Tintin ! Qu’importe finalement de savoir si Tchang et Rémi furent amants ! Ce qui fut engendré suite à la rencontre des deux hommes est tellement unique, magnifique que le reste n’est que -mauvaise- littérature.

Tchang !
12bis/Glénat

 

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