Impitoyable !

Punisher : Born + In the Begining + The Cell par Ennis, Robertson et Larosa

Les couvertures de Tim Bradstreet accentuent le réalisme de la série MAX

Les couvertures de Tim Bradstreet accentuent le réalisme de la série MAX©Marvel comics

AUTEUR : TORNADO

VO : Marvel

VF : Panini

1ère publication le 16/04/14- Mise à jour le 22/11/17

L’éditeur VF Panini Comics, une fois n’est pas coutume, entreprend une très belle collection dédiée au Punisher sous la forme de ce que l’on nomme les albums « deluxe » (grand format cartonné).

Ce premier tome de la collection dédiée à la série « Punisher MAX » par le scénariste Garth Ennis regroupe trois récits distincts :

– « Born » est une mini-série en quatre épisodes. Elle a été dessinée en 2003 par Darick Robertson (avec une mise en couleur de Paul Mounts) et fait office de prologue aux épisodes suivants.

– « Au Commencement » regroupe les épisodes #1 à 6 de la série. Il s’agit d’un arc narratif complet, dessiné par Lewis Larosa et publié initialement en 2004.

– « La Cellule » est un one-shot de 48 pages dessiné par Lewis Larosa et publié initialement en 2005.

Après sa longue prestation sur la série Punisher Marvel Knight, Garth Ennis se lance dans une nouvelle série hors-continuité. Il s’agit d’une relecture du personnage, dans un cadre réaliste, déconnecté de l’univers des super-héros Marvel.

– 1) Born :

Il s’agit d’une relecture des origines du Punisher. Garth Ennis revient ici sur le passé du personnage alors qu’il évolue en pleine guerre du Vietnam. L’idée consiste à développer le côté sociopathe de Frank Castle, comme s’il était un tueur assoiffé de sang depuis le départ, c’est-à-dire avant la mort de sa famille, qui n’aura finalement été que le déclencheur de sa folie meurtrière.

La naissance du Punisher s’effectue à présent en amont du massacre de sa famille, pendant la guerre du Vietnam…C’est un point de vue très intéressant, puisque notre « héros » devient dès lors le reflet de notre mauvaise conscience tel le plus flagrant des exutoires ! Sous-entendu : Si quelqu’un massacrait notre famille en la faisant mourir dans d’atroces souffrances, on aurait le droit de trucider les méchants sans avoir à se justifier, et tous les lecteurs du monde entier pourraient se régaler de voir leur crâne exploser et leurs tripes se répandre sur le sol ! L’instinct de mort ne connaîtrait plus de limites !!!

Bien évidemment, tout le talent du scénariste est de ne jamais perdre de vue que malgré tout, l’horreur c’est l’horreur. Ainsi, à la fin, le Punisher demeure seul, pathétique et irrémédiablement damné. Du coup, il apparaît comme le miroir de nos pires fantasmes liés à la violence. Du point de vue de la mise en forme, Born est une magistrale démonstration de puissance narrative. Ennis est un grand spécialiste des comics de guerre et il laisse ici libre court à sa passion pour les conflits du XX° siècle et sa capacité hors normes à catalyser la fureur cathartique des combats sanglants.

La descente aux enfers de Garth Ennis !

La descente aux enfers de Garth Ennis !©Marvel comics

Pour ce qui est du personnage principal, le scénariste choisit un angle très particulier afin d’accroître sa dimension monolithique et creuser ainsi le sillon mythologique de la série à venir. Le lecteur suit ainsi deux soliloques distincts : Le premier, inscrit dans des cadres de texte blancs, exprime les pensées d’un troufion du bataillon dirigé par Frank Castle, soit un personnage secondaire assez lisse.

Le second, présenté dans des cadres de texte noirs, est énoncé par une entité invisible, jamais représentée à l’image. Ce choix narratif, aussi surprenant que fascinant, apporte au récit un double point de vue à la fois réaliste et discrètement surnaturel, qui illustre en définitive le personnage du Punisher, au départ une ombre dans son propre récit, sous un angle incroyablement monolithique. Evidemment, les « soliloques noirs » laissent à penser que c’est le diable en personne qui tente de lier un pacte avec Frank Castle.

Ce parti-pris, plutôt surprenant dans le cadre d’un récit soi-disant réaliste, laisse pourtant la porte ouverte à une toute autre interprétation : Effectivement, pris au sens métaphorique, ce pacte ne pourrait-il pas devenir celui que le scénariste selle avec son personnage ? Interprété de cette manière, il est certain que le postulat prend une toute autre dimension…

La guerre : Un des thèmes favoris de Garth Ennis

La guerre : Un des thèmes favoris de Garth Ennis©Marvel comics

La partie picturale est réalisée par le dessinateur Darick Robertson et le coloriste Paul Mounts. Le premier, très inégal comme d’habitude (certaines vignettes splendides côtoyant des images navrantes), n’était peut-être pas le meilleur choix pour réaliser ces épisodes et apporte une note trop connotée « comics mainstream », qui dessert un peu le cadre réaliste du récit avec des effets Grand-Guignol.

L’arrivée de Lewis Larosa sur le récit suivant (The Punisher : In the Beginning) sera d’une autre trempe ! Personnellement, je trouve que Robertson est un dessinateur très surestimé et qu’il n’y a que sur la série Transmetropolitan qu’il a été à la hauteur du début à la fin. Heureusement, Paul Mounts rétablit l’équilibre avec une mise en couleur qui brille de mille feux et illustre à elle-seule la folie meurtrière de Valley Forge, la sanglante bataille qui clôture le dernier épisode de Born… Bref, une interprétation du Punisher exceptionnelle et incontournable, réservée à un public averti de par sa violence extrême, mais racontée par un des meilleurs auteurs du monde des comics !

La guerre, c'est l'horreur

La guerre, c’est l’horreur©Marvel comics

– 2) Au Commencement :

Comme l’avait fait Frank Miller avec Batman The Dark Knight Returns, Ennis décide de traiter son personnage en fin de « carrière », alors qu’il approche de la soixantaine. Bien que le récit soit nommé Au Commencement… (In The Beginning en VO), l’auteur opère néanmoins une gigantesque ellipse entre Born et le début de la série…

Le récit commence fort : Le Punisher s’invite à l’anniversaire d’un vieux parrain de la mafia qui fête ses cent ans et trucide une quarantaine de truands d’un coup ! Par la suite, notre « héros » devra échapper aux représailles mafieuses ainsi qu’à une obscure branche du gouvernement, qui espère faire de lui un tueur anti-terroriste…

Pour le Punisher, la mafia c'est pas bien...

Pour le Punisher, la mafia c’est pas bien…©Marvel comics

Après Born, qui ne faisait déjà pas dans la dentelle, Ennis nous entraîne encore davantage dans les tourments de son personnage et développe un récit d’une noirceur, d’une violence et d’une cruauté extrême, réservé à un public doublement averti (car un homme averti en vaut deux, mais ici ça risque de ne pas être suffisant…). Pour les amateurs des précédentes œuvres du scénariste (Marvel Knight Punisher et Preacher en tête), on constate très vite que ce dernier élève une fois encore son niveau de provocation et de violence, diminuant de surcroît sa dose d’humour habituelle.

Même s’il subsiste encore une certaine forme d’humour noir dans ce festival de massacres, force est de constater que cette nouvelle saga ne se destine pas à la rigolade.
Le nouveau Punisher de Garth Ennis est un abîme sans fond de cruauté, de tristesse et de descente aux enfers…

 Maintenant, il est vieux. Mais il n'est toujours pas content !

Maintenant, il est vieux. Mais il n’est toujours pas content !©Marvel comics

Dans la lignée du « Russe », le vilain quasi-indestructible qui se dressait contre notre justicier dans Un monde sans pitié (premier récit de la précédente série Marvel Knight Punisher), Ennis confronte son « héros » à quelques personnages particulièrement coriaces et revanchards, qui vont lui donner du fil à retordre.

Pitts, le pire d’entre tous, marquera durablement les mémoires, même s’il est évident que le scénariste s’inspire directement des personnages de Tommy DeVito et Nicky Santoro, tous deux respectivement interprétés par Joe Pesci dans Les affranchis et Casino, les films de mafia cultes de Martin Scorcese. Par la suite, ce type de personnage deviendra un leitmotiv, et plus d’un méchant « énorme » viendra colorer la série de sa présence cauchemardesque. Et puisqu’on parle de références cinématographiques, il est impossible de ne pas reconnaître, sous les traits du Frank Castle dessiné par Lewis Larosa, le sosie de Clint Eastwood tel qu’il apparaît dans le western crépusculaire Impitoyable, l’une des références avérées de Garth Ennis !

Clint Eastwood dans "Impitoyable" ? Non, Frank Castle par Lewis Larosa !

Clint Eastwood dans « Impitoyable » ? Non, Frank Castle par Lewis Larosa !©Marvel comics

Du début à la fin, Larosa impressionne les rétines avec ses personnages à la présence terrifiante, et le réalisme de son trait, parfois contrebalancé par des vignettes dépouillées au décor abstrait, se teinte d’une incroyable puissance expressionniste, en totale harmonie avec la noirceur du récit. Après le dessin très inégal et parfois trop connoté comics de Darick Robertson dans Born, l’arrivée de Larosa dans les pages de la série la hisse à un niveau d’intensité viscérale d’une toute autre nature !

Il y a quand même un revers de la médaille à toute cette avalanche de qualités : The Punisher : Au commencement… est sans doute beaucoup trop noir et l’on ressort de cette lecture avec la bile peut-être un peu trop malmenée. Frank Castle a beau être le héros de l’histoire, sa présence monolithique silencieuse et son absence sur les trois-quarts du récit ne nous laissent pas d’autre choix que de chercher à nous identifier aux autres personnages.

Sauf qu’il n’y aucun moyen de s’identifier à eux dans la mesure où ce sont tous des ordures irrécupérables (dans Born, il y avait le gentil soldat, mais ici il n’y a personne) ! Et alors qu’à la fin, l’espace de quelques planches, un semblant d’humanité semble surgir des retrouvailles entre Castle et son ancien associé Microship, notre scénariste s’empresse de tuer cette lueur d’espoir dans l’œuf !

Bref, voici un récit qui, s’il surnage qualitativement parlant largement au dessus de la masse, demeure quoiqu’il en soit une lecture éprouvante, sans la moindre accroche rassurante, ou presque. Une expérience extrême…

– 3) La Cellule :

Le Punisher est en prison ! Enfermé à « Ryker’s », Frank Castle se retrouve au milieu des pires racailles et truands de la ville !Sauf que… Il s’est laissé emprisonner volontairement !

Car c’est ici, dans cette prison de l’enfer, que croupissent les plus vieux mafieux de la cité. Ceux-là même qui, bien des années en arrière, ont participé au carnage de Central Park et assassiné la famille Castle dans un effet dramatique de dommage collatéral…

Une esthétique qui transpire les références aux "films de prison"

Une esthétique qui transpire les références aux « films de prison »©Marvel comics

Dans la lignée du récit précédent (avec toujours le même Lewis Larosa aux crayons), La Cellule monte encore d’un cran (comme si c’était possible) dans l’horreur et la violence. Dans le run de Garth Ennis, ce one-shot situe le parcours du Punisher dans le passé, quelque part entre Born et Au commencement….

En accomplissant une vengeance en suspens depuis tant d’années (à se demander d’ailleurs pourquoi la dite vengeance n’est pas arrivée plus tôt !), le Punisher nous réserve une catharsis ultime ! Sauf qu’en réalité, le scénariste a nettement tempéré l’action pour lui préférer une lente et machiavélique descente aux enfers. Bien que les meurtres et autres gunfights soient encore de la partie, le lecteur suit le personnage principal dans ses pensées intérieures et participe de l’incroyable intelligence dont il fait preuve pour remonter jusqu’à ses ennemis en éliminant tous les obstacles qui se dressent contre lui !

Garth Ennis aime Clint Eastwood et aime "L'Evadé d'Alcatraz"...

Garth Ennis aime Clint Eastwood et « L’Evadé d’Alcatraz »…©Marvel comics

A l’arrivée, La Cellule s’impose comme un thriller carcéral de haute volée et permet à Ennis de citer tout un pan du cinéma de genre depuis le célèbre L’Evadé d’Alcatraz avec Clint Eastwood, dont Larosa reprend une fois encore les traits.

Le lecteur le plus attentif notera au passage les nombreux portraits d’acteurs à « gueule » que le dessinateur s’est amusé à placer dans le récit (Pete Postlethwaite, Danny Trejo, etc.), participant ainsi de ces nombreuses références cinématographiques et accentuant une atmosphère déjà étouffante et malsaine. Une étape supplémentaire dans la lente descente aux enfers de la série dans sa version MAX…

9 comments

  • Bruce lit  

    Brillant ! Tout simplement brillant, complet référencé. Tu veux une augmentation ?
    Même si je lui en veux à mort pour The Boys, tu n’es pas un peu trop dur avec Robertson ? Serait ce ton Bendis à toi ?

    Les références à Miller : je les partage complètement . Par contre pour l’avoir vu plusieurs fois, je ne suis pas fana d’Impitoyable. Mais il faut dire que Clint réalisateur m’ a toujours un peu emmerdé…

    Je comprends la démarche, je mesure la portée symbolique du récit mais sans plus… Il faut dire que lorsque je l’avais vu, j’avais des problèmes de santé et de coeur !

    Bravo encore ! Je suis fier de publier tout ça !

  • Présence  

    Avec cette série, Garth Ennis a créé des opposants tous plus inoubliables les uns que les autres, avec une dimension horrifique crédible.

  • xabaris  

    Je me régale avec Punisher Max. Je vais pas trop entrer en profondeur dans cette série de chronique par peur d’éventuelles petit spoils.

    PS : c’est la semaine Ennis ou Castle? Eh eh eh

  • Tornado  

    Mille merci à Bruce, pour les compliments.
    En ce qui concerne « Impitoyable », c’est une des références sur lesquelles Ennis revient le plus souvent. Il avait réalisé sa mini-série « Le Saint des Tueurs » au milieu de la saga « Preacher », en répétant son admiration pour ce film.
    Quant à moi, je suis obligé d’avouer que j’admire ce film que je considère comme le chef d’oeuvre définitif d’Eastwood. Un de ces films qui s’enrichit à chaque vision.
    On sait aujourd’hui que Clint s’est intéressé de très près à une adaptation de « Dark Knight returns » d’après Frank Miller. Si l’on ajoute à tout cela l’épisode de « La Cellule » avec la références aux « Evadés d’Alcatraz », on peut mesurer à quel point Ennis cite le vieux cowboy dans son run sur le Punisher MAX.

  • FredSpawn  

    Bravo, c’est un bon commentaire, je suis en train de le lire et ça donne envie!!

    C’est un beau Clint d’œil au cinéma!

  • Tornado  

    Je me paraphrase : Ennis est dans mon top 3, avec Alan Moore et Warren Ellis…

  • Bastien  

    Bonjour,
    Suite à cet article et au nombre impressionnant d’articles sur ce site qui encensent le run de Ennis sur Punisher j’ai acheté ce tome.
    J’ai lu la première histoire et je l’ai trouvée très moyenne, les dessins sont juste nul, et je trouve que le personnage qui suit Castle est trop candide, bref l’histoire est tout à fait quelconque.
    Du coup j’ai arrêté ma lecture pendant un mois puis j’ai repris ce tome et j’ai lu la suite.
    Et là quelle claque. l’arrivée du nouveau dessinateur donne une atmosphère bien différente (bien meilleure à mon gout), le fait de suivre le Punisher et non un autre personnage permet une immersion plus intense.
    Bref j’ai adoré, je n’ai pas pu lâcher ce tome avant de l’avoir terminé.
    Le lendemain j’ai acheté le tome suivant que j’ai englouti lui aussi.
    Maintenant je me suis même surpris à acheter les Fury max, en attendant que Panini publie la suite.
    Merci à vous pour cette découverte, et si certaines personnes comme moi n’aime pas la première partie, continuez ça vaut vraiment le coup.

  • Tornado  

    On est d’accord : Darick Robertson est un dessinateur très surestimé. La série décolle vraiment avec « In The Beginning ».

  • Bruce  

    Bastien,
    Welcome dans le monde froid et cruel du Punisher. Bientôt l intégralité du run d Ennis sera couverte par l’équipe. Et je compte bien ensuite embrayer avec celui de Jason Aaron preque aussi exceptionnel.

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *