Interview Alex Nikolavitch (De Lovecraft à Batman)

Propos recueillis par BRUCE LIT

1ère publication le 16/02/18- Mise à jour le 31/05/18

Chez Bruce Lit, on a du talent : outre notre prose quotidienne, on a des scientifiques, des philosophes, des poètes, un psy, des musiciens, un prof d’art plastique et un figure player. On a aussi la chance de bénéficier d’une pointure nationale ès comics traducteur, romancier et conférencier : Alex Nikolavitch. A l’occasion de la sortie de sa nouvelle bd portant sur une bio atypique de Lovecraft , l’occasion était trop belle de l’interroger. A coeur ouvert.

Bon alors moi, je te connais, mais pour le vulgum pecus tu peux te présenter? Car premier scoop, Nikolavitch n’est pas ton nom de naissance.

Le vrai est tellement imprononçable qu’après avoir publié un article avec dans un fanzine, j’ai décidé de trouver autre chose. Bon, il se trouve que Nikolavitch, c’est “le fils de Nikola” et que, par une coïncidence amusante, mon père s’appelle Nikola. (et d’ailleurs, quand j’étais môme, ses associés en affaires l’appelaient Monsieur Nikola, parce que son nom, ils n’y arrivaient pas).alex_9

Tu sors ces jours-ci une bio de Lovecraft. Quelle était ton envie ?

Me frotter à un auteur que j’aime beaucoup depuis très jeune, et dont la vie est tellement entachée de légendes qu’il méritait qu’on le montre tel qu’en lui-même, vivant et sociable, loin de l’image du “reclus de Providence” qui lui colle au cadavre.

Avec tous les bouquins existant sur l’écrivain, en quoi le tien est différent ?

C’est une BD, et elle se veut accessible. En BD, la vie de Lovecraft a toujours été traitée sous l’angle du fantasme, avec des apparitions mystérieuses dans son enfance, etc. Après, il existe plusieurs biographies sous forme de livres, mais où bien elles alimentent la légende (Houellebecq, De Camp) ou bien ce sont d’énormes pavés (Joshi). Là, j’ai une approche purement grand public.

L’album fait une centaine de pages, mais on sent un solide travail de documentation derrière, notamment sur sa correspondance. C’est l’enfer de se lancer là dedans , non ?

La phase documentaire j’ai toujours adoré ça, dans un projet. L’immersion dans le sujet. Ces moments où on sent le déclic de compréhension, où l’on a l’impression d’enfin accéder à l’intimité du personnage, à sa réalité. Et ses correspondances sont souvent passionnantes dans l’éclairage qu’elles donnent du bonhomme. S’il était aussi raciste et réac qu’on l’a dit (il regrettait même l’abandon du port de la perruque poudrée, qui était selon lui le moment où la civilisation avait entamé sa phase de décadence), elles montrent également un homme plein d’humour, accessible et fidèle en amitié.alex_20

On découvre grâce à ton travail un Lovecraft humain, aux antipodes d’un ronchon misanthrope à la Céline. On découvre que l’écrivain adorait les glaces !

Même chez Céline, je dirais qu’il faut faire la part des choses entre le bonhomme et le personnage qu’il s’est forgé.

Autre aspect sympathique du personnage : son sens de l’amitié. Alors qu’il a passé des nuits entières à écrire, il correspond avec assiduité avec ses amis en écrivant parfois des lettres de 25 pages ! Quelles sont celles qui t’ont le plus marqué ?

Celles où il se livre, en fait. Où il explicite sa vision du monde. Car derrière son passéisme parfois bien rance, c’était quelqu’un qui se tenait remarquablement bien au courant de l’évolution des sciences et des techniques. Il s’est passionné pour les recherches d’Einstein et d’Hubble, et se montrait tout à fait moderne dans son approche philosophique de l’univers en tant que tel. C’est au niveau du monde des hommes que ça coinçait plus. Il demeurait corseté dans les a priori d’un milieu qui n’était même pas vraiment le sien, puisque si sa famille avait été très aisée en son temps, des investissements malheureux de son grand-père et les problèmes de son père (mort dans un asile où il avait été envoyé à cause de la syphilis) avait entraîné un déclassement social qu’il a très mal vécu.

Lovecraft apparaît aussi comme un collaborateur et correcteur fidèle qui relit les manuscrits de ses camarades.

Et y compris de gens qui ne faisaient pas partie de son cercle d’intimes. Il a fait des travaux de réécriture pour pas mal de gens. Assez lourdement, d’ailleurs : ces textes finissent quasiment tous par montrer sa patte à lui avant toute autre.alex_21

Son antisémitisme célèbre est très ambigu. Il déteste les juifs mais en épouse une (qu’il ne touche pas). Cependant ton histoire le montre tissant des liens d’amitié très fort avec Samuel Loveman et Houdini le magicien, deux juifs célèbres…..

Ses rapports avec sa femme sont compliqués. Y compris au niveau sexuel. Pour ce que l’on en sait, elle a tenté de le dérider, c’était une femme assez libérée. Mais s’il a fait des pas en ce sens, il ne semble jamais avoir été très à l’aise avec ça. Après, son antisémitisme était aussi celui de son milieu, et semble avoir fonctionné comme les formes modernes de racisme s’attachant avant tout aux “signes ostentatoires”. Il semble avoir eu un rejet de la judéité culturelle, mais accepter sans problèmes des gens qui lui semblaient “intégrés”, comme on dirait de nos jours.

Tu mets en scène cette ambiguïté à la fin de ton livre : dans sa correspondance HP se défend de tout fascisme mussolinien

Ces lettres sont sorties assez récemment, grâce à l’infatigable travail de Patrice Louinet (spécialiste mondial de Robert E. Howard, le créateur de Conan et de Solomon Kane). On y voit en effet les limites de la pensée politique de Lovecraft, qui défend le fascisme, mais dans une vision complètement hors-sol, comme un système abstrait, sans sembler comprendre que le système génère mécaniquement l’apparition de brutes qui par ailleurs répugnent à la sensibilité du gentleman qu’HPL prétend ou croit être.

Comme Céline, l’homme se tue au travail, est très poli, préfère écrire à la main qu’à la machine, le sexe lui semble indifférent et vit chichement….

Vivre chichement, c’était la conséquence de son déclassement social, et de son incapacité à occuper un emploi régulier (il en a refusé quelques uns). Son fantasme du gentleman le conduisait à affecter un mépris pour toutes les questions d’argent. Et la machine à écrire lui semblait horriblement barbare, en effet.alex_24

A certains moments, je n’ai pas pu m’empêcher de faire des parallèles avec les comics. L’asile d’Arkham de Batman est directement importé de chez Lovecraft ?

Le saviez-vous ? Julius Schwartz, un des pontes de DC pendant très longtemps, avait été l’agent littéraire de Lovecraft. Mais oui, l’asile Arkham est une référence directe, et la folie était une des grandes obsessions de Lovecraft : ses deux parents ont fini internés, et il avait peur de finir comme eux. Ça l’a hanté toute sa vie.

La relation entre sa tante castratrice et lui dans un modeste pavillon où il écrit secrètement ses fantasmes n’est pas sans rappeler un certain Peter Parker…

Je ne sais pas si elle était si castratrice que ça. Mais elle était de son milieu, même si par ailleurs, c’était une artiste peintre qui exposait assez régulièrement.

Un autre aspect qui plaira au geek de passage : l’amitié profonde entre Lovecraft et et R.E Howard, le père de Conan. Qu’est-ce que ces deux là se sont apportés ?

Ils étaient complémentaires, par certains côtés, et s’appréciaient énormément. REH a écrit un certains nombres de textes, comme La Pierre Noire, qui font partie intégrante du Mythe lovecraftien, et visiblement, HPL était fasciné par Two Gun Bob, cet homme dont les textes respiraient le vitalisme, l’énergie brute.

Tu dresses un parallèle passionnant entre Houdini et Lovecraft, deux artistes qui voulaient démystifier nos mécanismes de perception…

C’est là-dessus qu’ils se sont retrouvés, sur un matérialisme philosophique qui les conduisaient à détester les charlatans, les gourous, les marchands d’espoirs fallacieux. Aujourd’hui, on parlerait de zététique, en ce qui les concerne. Et Houdini s’était fait une spécialité de ridiculiser quelques fakirs et autres médiums se vantant de pouvoirs surnaturels en démontant leurs trucs et astuces.alex_22

Ton équipe d’illustrateurs est assez surprenante : on s’attend à du noir et du glauque. On a au contraire des dessins aux couleurs chaleureuses et une mise en page aérée et très avenante…

J’avais monté, il y a longtemps, un projet avec ce studio. Ça avait hélas capoté, mais j’avais gardé le contact. Comme ils sont argentins comme Brescia, je me suis dit qu’un projet sur Lovecraft leur plairait, ce qui a été le cas. Et justement, leur approche graphique participait de ma vision tendant à dépoussiérer l’image de Lovecraft, de le montrer autrement qu’un reclus “contre le monde, contre la vie” comme a pu le décrire Houellebecq, ou comme l’occultiste initié dont Jacques Bergier a propagé l’absurde légende. Ce contrepoint me semblait nécessaire.

Cthulhu apparaît au détour d’une séquence. Comment ton dessinateur l’a appréhendé ?

Je lui avais laissé une pleine page pour ça. Il en a bien profité, et s’est approprié le personnage. Notons que deux pages plus tôt, ce qu’il montre de “l’idole d’argile” est conforme à la vision classique de Cthulhu (il s’est basé sur un croquis de la main d’HPL, d’ailleurs), mais que sa vision “en pied” réinvente et modernise le mythe. J’étais super content quand j’ai reçu cette page.

Que t’a apportée cette BD ?

Un vrai plaisir d’écriture. Et, apparemment, une visibilité nouvelle, je n’ai jamais eu autant de presse en si peu de temps. Le mythe Lovecraft se porte bien, visiblement. Même pour ceux qui tentent de le dégager de sa gangue de fantasmes.

 

Comment en es-tu venu à la traduction ? Tu étais pharmacien ?!

Préparateur en pharmacie. Mais dès le début des années 90, j’écrivais dans divers fanzines, et essentiellement à propos des comics. Vers la fin de la décennie, un pote qui avait été à Scarce et arrivait chez Semic m’a dit “au vu de tes articles, tu as l’air de bien comprendre ce que tu lis en anglais, et tu écris plutôt bien le français, ça te dirait de faire un test ?”

Ta première trad’ ?

Mes tests, ça a été, de mémoire, un truc de chez Image, Altered Image, et un ou deux épisodes de Sam & Twitch. Mais ma première trad publiée, un épisode de Shi (la traductrice était partie en vacances, et la nouvelle équipe Semic avait oublié de lui envoyer l’épisode. Du coup, comme j’étais le seul dispo…).

On a déjà eu les iterviews de Marcel et Tourriol, mais je te repose la même question : qu’est ce qu’un bon traducteur selon toi ?

Quelqu’un qui parviendra à faire ressentir au lecteur de la traduction des choses du même ordre que ce que ressent le lecteur de l’original. Ce qui est parfois compliqué.

Saint Louis fait le zouave chez Nikolavitch et..euh...Mariole

Saint Louis fait le zouave chez Nikolavitch et..euh…Mariolle

Alex, j’ai eu le plaisir et l’honneur de -ahem- pénétrer dans ton autre. Ce qui m’a surpris c’est qu’en plus de ta collection de comics, tes étagères croulent sous des bouquins traitant du moyen-âge, de Saint Louis ou de mathématiques…

Je suis scénariste et romancier, aussi. J’ai besoin de plein de doc. Il y a bientôt trois ans, j’ai publié un album sur Saint Louis, et je me suis enfilé tout ce que j’ai pu trouver à son sujet, mais aussi au sujet de son époque (ça m’a servi de prétexte pour relire la poésie de son contemporain Rutebeuf, par exemple) (et Rutebeuf apparaît dans trois cases de l’album, du coup). Quand j’écris de la SF, j’aime bien la faire reposer sur des bases concrètes, même si elle part après dans des directions complètement foutraques. Mon prochain roman, c’est de la fantasy arthurienne, et du coup je lis tout ce que je trouve sur la Grande Bretagne du Ve siècle.
Comme par ailleurs je fais du consulting à droite et à gauche (inventer une apocalypse cohérente pour un collègue qui écrit un thriller ésotérique, étudier les interfaces portables imaginées par la SF et réalisées par la technologie, retrouver les statuts de l’Inquisition au XIVe siècle, etc.), et même si Internet est un outil précieux, j’ai besoin d’avoir de la doc sous la main.
En vrai, c’est juste que je suis une espèce de maniaque qui ne lâche pas un sujet tant qu’il ne l’a pas à peu près compris et intégré.

Avec Xavier Fournier, tu fais partie des gens qui réussissent à vivre du Comics en France. Tu peux nous faire une story éditoriale de ce que tu as vécu quand rien n’existait ?

Je ne suis pas si vieux que ça ! Il y a toujours eu du comics en France, dans mon souvenir. J’ai grandi avec Spécial Strange, Titans et Nova, mais aussi avec les Pocket Aredit qui publiaient Flash et Green Lantern, ou les Sagédition qui permettaient de lire du Superman ! J’ai acheté les Watchmen de Zenda avec mes premiers salaires. Il y a toujours eu des trucs. Après, pas toujours avec la qualité éditoriale qu’on rencontre aujourd’hui (les gens qui se plaignent de Panini, vous avez essayé de suivre des séries chez Sagédition ou Aredit ?). La révolution que j’ai vue, c’est celle du comics en album. Oui, il y a un avant et un après Zenda. (même si Fershid Barucha avait bien balisé le chemin auparavant), puis un avant et un après Semic Books (pareil, Fershid avait tenté un format similaire au début des 90’s, mais ça n’avait pas pris). Et les Semic Books, j’étais dans le bateau. Ils ont prouvé qu’on pouvait installer durablement les comics en librairie, dans une logique de série et non plus de coup par coup.

La fin de Comic Box, t’en pense quoi ?

C’est très triste. C’était une institution, CB. Après, les gars sauront rebondir, je leur fais confiance.

Mais dis-moi tout, Marionnettiste

Mais dis-moi tout, Marionnettiste

Beaucoup de gens pourraient t’envier : tu traduis des comics à longueur de journée ! C’est pas usant avec le temps ?

Un peu. Surtout qu’on ne traduit pas que des chefs-d’œuvre. Mais quand je connais des moments de découragement, je repense à l’époque où j’avais une heure de transport dans chaque sens, des horaires à la noix, des collègues stupides et bornés… 
Et puis je ne traduis pas à longueur de journée. J’écris aussi beaucoup. J’ai une quinzaine d’albums de BD à mon actif, quatre essais, deux romans, des nouvelles… Je peux jongler entre diverses choses, passer dix jours sans faire de trad, à écrire. Et puis j’ai aussi traduit d’autres choses que du comics. Dernièrement, un tome de Clark Ashton Smith, auteur de fantasy horrifique des années 20 et 30.

Tu peux nous décrire le processus d’une traduction de sa commande jusque sa livraison ?

Ça dépend des éditeurs. Mais globalement, on me demande si je suis dispo pour tel ou tel truc (à moins que ce ne soit une série sur laquelle j’officie depuis longtemps), on m’envoie le matériel (de plus en plus sous forme de fichiers pdf et de moins en moins sous forme d’exemplaires papier), je lis le truc, je note les difficultés qui m’apparaissent à la volée, et le moment venu, je me mets devant mon ordinateur. Une fois que j’ai rendu le fichier, normalement, j’ai fini, mais certains éditeurs me mettent aussi dans la boucle des relectures et corrections, ce qui me permet de proposer des choses quand ils contestent tel ou tel point, voire de défendre ma version (quand il y a une raison particulière à telle ou telle tournure, par exemple).

Alex, financièrement c’est rentable ou tes activités d’écrivain et scénariste viennent compléter ta tirelire ? Tu peux nous donner une idée des tarifs ?

C’est la traduction qui me permet d’écrire. Parce que l’écriture, ce n’est pas rentable, ou rarement. Un comic book d’une vingtaine de page, je touche approximativement, en moyenne, une centaine d’euros pour le traduire. Un roman, je vais toucher une avance de 700 à 1000 euros dessus (complétée ou non par des droits d’auteurs, s’il se vend suffisamment), et un scénario de BD, entre 1000 et 3000. Sachant qu’un roman ou un scénario, il me faut à peu près un an pour en venir à bout. Un article ou une préface, ça rapporte déjà plus, on peut faire un calcul horaire qui ne soit pas ridicule.alex_25

Quelles sont les trads dont tu es le plus fier ?

Ça peut changer selon l’humeur. Mais The Boys, par exemple (bon, dernièrement, en festival, un pote m’a présenté à un auteur de SF dont j’admire le boulot avec cette formule : “et Niko, c’est quand même le gars qui a trouvé Boudin d’Amour, quoi” et là, comment dire… bref.) Tout ce que j’ai fait sur des auteurs comme Moore, Morrison et Ellis. Après, des trucs plus discrets, comme le C’est un Oiseau, de Seagle et Kristensen, ou le Cycle des Epées, de Mignola (sauf que suite à une bourde du service maquette, je ne suis pas crédité).

Celles qui t’ont fait souffrir ?

Je souffre quand l’auteur ne sait pas écrire. Qu’il se répète toutes les trois bulles pour ne rien dire, etc. le pire, pour ça, je crois que c’était le Project Superpowers, ce truc coécrit par Alex Ross avec les vieux héros libres de droits des années 40.

Passons aux choses sérieuses; tu es le traducteur historique de Arkham Asylum. Quand ce truc est sorti en France, personne n’en revenait. Te rappelles tu de tes impressions de lecteur quand tu tombes là dessus ?

Stop ! Faute !
La traductrice historique d’Arkham Asylum, c’était Jeanine Barucha, qui avait fait du très bon travail à l’époque. Ce bouquin, je l’avais pris en VO, d’ailleurs, à sa sortie, mais je me l’étais fait tirer par un pote (que j’ai perdu de vue depuis, curieusement). Donc j’avais racheté la VF à sa sortie, et j’avais pu constater qu’elle était de bonne facture.
Le premier contact avec l’œuvre, c’était une grosse claque. Graphique, d’une part, et conceptuelle ensuite (c’est quand même bien malsain, Arkham Asylum). Et c’est assez riche pour que chaque lecture amène des choses nouvelles.
Quand on m’a confié la retraduction (il y a quoi, une petite dizaine d’années ?) j’étais fier, et en même temps inquiet. mais je me suis aperçu que dans certains domaines, je pouvais affiner ce qui avait été fait (et comme je le dis, sans rien retirer à la qualité de la traduction historique).alex_26

Grant Morrison, n’est pas le plus pédagogue des auteurs. Y’a t’il des trucs pour bien le traduire ?

Lire trois fois le bouquin, pour être sûr de savoir où il va. Essayer de débusquer les références (et elles sont parfois subtiles). Après, le fait de bien connaître son travail et ses obsessions aide pas mal.

Tu as traduit quasiment tous les Batman en France. Ça créé un lien entre toi et ce personnage ?

Tout, non, et on en est même très loin. à la meilleure époque, en volume brut sur une période donnée, j’en traduisais une toute petite moitié. Maintenant, c’est moins (les séries régulières sont notamment entre les mains de Jérôme Wicky et Thomas Davier, si jeune Mabuse)(mais non, Thomas n’est pas un docteur Mabuse de la traduction, c’est pas ce que je voulais dire. je lui envoie un poutou, c’est un gars bien qui fait du super boulot, encore dernièrement sur Providence) (Wicky j’en parle même pas. des traducteurs actuels, c’est sans doute celui que j’admire le plus).
Mais oui, ça crée un lien, y compris dans l’esprit des gens. c’est assez souvent qu’on vient me voir pour des interviews, des analyses, des consultations sur le sujet.

Une question que je me suis souvent posée : le métier de traducteur m’évoque parfois celui de doubleur : impossible d’imaginer Willis, Stallone ou Seiya sans leurs doubleurs officiels. Tu ne ressens pas un copyright sur Batman?

Absolument aucun. Y a eu de très bonnes traductions de Batman avant moi, il y en a en parallèle des miennes, et il y en aura après. Je ne suis pas “la voix de Batman”, faut pas déconner.
S’il y a un personnage auquel je suis plus rattaché de ce point de vue, c’est Spawn, dont j’ai traduit (et retraduit) la quasi totalité.

Autre haut fait d’arme ; ta traduction de V for Vendetta. Euh là c’est un peu le bordel pour s’y retrouver. Raconte nous :

Bon, quand Panini a repris les droits DC, ils ont eu pour politique de ne pas reprendre les traductions existantes, à moins qu’elles ne soient signées par des gens qu’ils connaissaient. Le problème, c’est que pour Watchmen, le résultat n’avait pas été à la hauteur et avait déclenché une levée de bouclier. Quand ils ont proposé V, tout les traducteurs ont reculé, de peur de se faire défoncer de la même façon. Moi, j’ai dit oui. sauf que le temps de faire la tourner des popotes, quand c’est tombé sur moi, il ne restait que 15 jours avant la date de rendu. Ça a été quinze jours bien tendus, je peux te le dire.
Depuis, les droits sont passés chez Urban. Ils ont fait le choix de reprendre la traduction historique de Jacques Collin, un choix tout à fait défendable. Par contre, les bonus (que j’avais traduits pour l’édition Panini, mais qui n’existaient pas chez Zenda) ont été repris avec ma trad.

Tu continues à suivre Moore ? t’en penses quoi de son Crossed ?

Rien, j’ai pas lu. Tout ce qui est zombie, en comics, je m’aperçois que ça m’emmerde assez. C’est un truc que je ne consomme qu’au cinoche (une pensée pour Romero qui vient de nous quitter, tiens). Il paraît que c’est bien. faudra que j’aille y voir, un jour.
Sinon, oui, je suis encore Moore, bien sûr. J’ai adoré son Providence, par exemple.

L'univers glacial de Weapon X colle parfaitement à celui de Nikolavitch

L’univers glacial de Weapon X colle parfaitement à celui de Nikolavitch

Quand arrive Weapon X dans ton bureau, ta réaction?

J’étais content. D’autant que pour le coup, il y avait des problèmes, y compris des contresens, dans la traduction historique. Et puis c’est un truc que j’avais suivi à l’époque dans Marvel Comics Presents, épisode par épisode. Y avait vraiment un côté madeleine. 

Avant de te connaître pour de la vraie, j’admirais par dessus tout ta traduction de The Boys ! Au point que j’ai revendu mes VO pour lire ton travail VF. Certains passages étaient particulièrement ardus (argot ou vocabulaire militaire). Tu nous en parles ?

Les registres de langage, ça s’apprend. Il suffit d’ouvrir les oreilles. Le vocabulaire militaire, il est codifié, c’est facile, en fait. l’argot, c’est un peu plus subtil, surtout sur The Boys, parce qu’il fallait un argot différent pour chaque personnage, et là il a fallu ruser. Butcher ne parle pas comme Hughie, qui ne parle pas comme le Français (qui posait un problème particulier vu qu’il cause en franglais dans l’original). Après, il fallait restituer l’humour cash et pipi-caca du truc, ce qui implique d’avoir l’état d’esprit pour. Autant dire que je ne me suis pas fait chier la bite, quoi.

Cette merveilleuse expression de La légende : « c’est de la couille en boite » ! J’adore ! Je pourrais même te faire signer mes Boys !

Elle est pas de moi. j’ai de mauvaises fréquentations et j’ouvre grand les oreilles, c’est tout.

En fait, ma question n’est pas si anodine que ça : à force de traduire, ce n’est pas tentant de vouloir t’approprier le travail de l’autre ?

Quand c’est mauvais, oui.
Après, sur certains trucs avec de l’humour, par exemple (The Boys, au pif) il y a aussi une part de réappropriation nécessaire. mais c’est toujours le cas (c’est intéressant de comparer Pratchett en VO et en VF, de ce point de vue)

Je sais que tu admires beaucoup Ennis….

Je ne sais pas si je l’admire, mais je le lis avec toujours le même plaisir depuis qu’il a repris Hellblazer à la suite de Delano, y a longtemps, et je l’ai suivi depuis lors. Il représente une combinaison rare, celle du type qui peut te faire rire aux éclats avec un truc hénaurme, puis te faire pleurer trois pages après. Il a un sens du rythme et de l’humain, une grande finesse sous ses oripeaux tripiers.alex_27

Tu as bossé également pour Spawn, un récit pas réputé pour son scénario… Passer de Moore à Mc Farlanne, c’est du temps de cerveau disponible ?

Ça se traduit tout seul, Spawn. Après, oui, Todd, ce n’est pas le meilleur scénariste du monde. Mais il a son univers, ses fixettes. Je lui pardonne beaucoup.

Tu ne sembles pas aigri, les nouveautés comics continuent de brancher ! Comment fais tu ? Les comics c’était pas mieux avant ?

Les nouveautés comics, pas tout. Secret Wars II, j’ai pas pu, par exemple. Je vais lire des trucs pour leurs auteurs, maintenant. chez Marvel, Dan Slott, Mark Waid, Jason Aaron, Jeff Lemire… mais l’univers en lui-même est cassé, je trouve. Et depuis longtemps. Chez DC, je lis plus de trucs (pour raison professionnelles, en partie), mais pareil, mes lectures plaisir, ce sera Tomasi, Simone ou des gens comme ça (que je suis bien content quand on me les file à traduire).

Tu es aussi Romancier et auteur de BD. Y’a t’il des tics d’écriture qui t’agacent chez les grands des comics ?

On reconnaît un grand au fait que ses tics dépassent l’état de tics pour devenir du style. Donc les vraiment grands, c’est aussi pour leurs défauts qu’on les aime. Prenons Miller, par exemple. C’est un narrateur et un graphiste de génie. Et par certains autres côtés, il est incroyablement bas du front et réac, et son côté sale gosse ricanant ne rachète pas tout. Mais c’est pas grave, parce qu’à l’arrivée, le résultat, c’est du Frank Miller, on le prend d’un bloc ou pas.
Apparemment, les gens commencent à relever mes tics y compris dans mes trads. Je ne sais pas si c’est déjà une voix, ou juste des tics. C’est comme ça que je fais, c’est tout.

Tes plus belles rencontres dans ton métier ?

Y en a eu des tas. trop. Une biture avec John McCrea, la session de travail avec McFarlane quand on a fait Spawn Simonie, et puis plein de gens qui sont devenus des copains, comme Patrick Marcel, toute la bande du Trad Pack, des libraires, des bibliothécaires, des organisateurs de festivals, des tas d’auteurs… Je perds le compte. Une seconde… je te vois déçu, là… Ah oui, et Monsieur Bruce, aussi. mais lui, il m’inquiète. Il me stalke au point d’être venu s’installer dans ma rue. Ça me fait flipper d’une force, ça…

Le mot de la fin : tu es entré dans le livre des records ?

Le plus grand scénariste de France, normalement, sauf que je me suis tassé avec l’âge, et que ça n’a de toute façon jamais été homologué. Mais dans Guinness Book of Records, le seul truc que j’ai retenu, c’était Guinness, de toute façon. Et pas Sir Alec, hein. L’autre Guinness.

Alex et son stalker

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Sa nouvelle Bd sur Lovecraft où le papa de Chtullu est montré sous un visage humain, son métier de traducteur, Garth Ennis, Grant Morrison ou Alan Moore, Alex Nikolavitch dit tout, presque tout chez Bruce Lit.

La BO du jour :

https://www.youtube.com/watch?v=sM0XvXEt2lo

32 comments

  • myminisexdoll  

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