Interview Jérémie Moreau

Il est jeune, il est fier

Il est jeune, il est fier

1ere publication le 6/04/16-Mise à jour le 27/01/18 pour la victoire de Jérémie à Angoulême.

Après la review publiée hier autour de la très belle histoire de Max Winson, le champion de tennis qui ne sait pas perdre, je vous propose de découvrir son coach-auteur Jérémie Moreau pour une interview exclusive made in Bruce Lit.
A peine âgé de 28 ans, Moreau est une étoile montante au parcours aussi fulgurant que modeste.  

Nos échanges se ont déroulés via mail et Facebook durant une bonne partie de la fin d’année 2015 lorsque son planning lui en laissait le temps. Il a eu la gentillesse de me fournir tous les scans présents pour cet article et celui d’hier. Vous pouvez le retrouver sur son joli blog ici.

Focus sur cet scénariste dessinateur aussi timide que déterminé.

Bonjour Jérémie. Ton identité secrète ?

Dormeur la nuit, auteur de BD le jour. J’ai toujours été plus fainéant la nuit . Surtout entre 3h00 et 7h00 du matin, à chaque fois j’ai un gros coup de barre, je tiens ça de mes parents, ils ont toujours dormi la nuit.
Le jour par contre, j’ai toujours eu davantage d’énergie, c’est peut-être dû au lever du soleil, ça me donne la patate !
Donc si on parle de parcours, j’ai 28 ans, donc pendant 14 ans j’ai dormi, et pendant les 14 autres années, j’ai beaucoup dessiné, j’ai fait des concours de BD très jeune, dont celui du festival d’Angoulême, j’ai fait une école d’animation, les Gobelins à Paris, puis j’ai travaillé comme character designer sur des films comme Moi, moche et méchant 2, le Lorax, Les pingouins de Madagascar… Rattrapé par un besoin de liberté artistique, j’ai bifurqué vers la BD, et j’ai publié à ce jour 3 bande dessinées : Le singe de hartlepool sur un scénario de Wilfrid Lupano, Max Winson et Tempête au Haras d’après le roman de Chris Donner.

Une adaptation au théa^tre d'une oeuvre de jeunesse, c'est pas pla classe ça ?

Une oeuvre de jeunesse adaptée au théâtre, c’est pas la classe ça ?

Tous les auteurs interviewés par le blog mangent de la vache enragée. Qu’est ce qui peut persuader un jeune auteur de 28 ans de se lancer dans la BD ?

La bande dessinée c’est la liberté. La liberté, ça se paie. Combien de métiers vous permettent de rester chez soi et de raconter ce qui vous passe par la tête sans répondre à une commande, à un client, à une production, à une chaîne ? Pour un métier qui propose autant de liberté que la bande dessinée, je suis prêt à me serrer la ceinture. Sachant que j’ai la carte « animation » si je dois absolument gagner de l’argent.

Max Winson est une BD atypique. Comment t’es venue l’idée de ce gagnant solitaire ?

« Un champion qui n’a jamais perdu un match de sa vie, et qui ne sait rien faire d’autre que gagner va tenter de perdre un match pour la première fois de sa vie ». Tout est parti de cette phrase et le reste est venu ensuite.

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La première séquence de Max Winson en cours d’encrage

Es tu un fan de tennis ? Quelles ont été les étapes de préparation à ton travail ?

J’ai pas mal joué au tennis entre 10 et 15 ans. Disons que c’est le sport que je connais le mieux. Quand j’ai commencé à me fixer sur le thème du tennis et de la compétition, je me suis abreuvé de bouquins sur le sport. Notamment j’ai lu la biographie de André Agassi, et j’ai été estomaqué par les ressemblances avec le personnages que j’avais inventé : Son père autoritaire le faisait jouer 4H par jour contre une machine qui lui envoyait des balles, Jusqu’à 14-15 ans il avait gagné tous ses matchs et pourtant Agassi détestait le tennis. J’ai aussi lu des bouquins de philosophie du sport qui ont rajouté de l’eau à mon moulin quant à la notion de « sport spectacle », et l’émergence d’une société basée sur les valeurs du sport.

Quelles BD t’ont influencé au moment de la conception de Max Winson ?

Graphiquement, j’avais en tête Hokusaï, Munoz et Winsor Mc Cay, mon idole absolue. Narrativement et scénaristiquement, j’ai vraiment suivi mon instinct. J’ai choisi le noir et blanc, parce que beaucoup des bande dessinées qui m’ont marqué à la lecture ( je veux dire au delà du dessin ) étaient en noir et blanc. ( Persepolis, Ibicus, Akira, Maus, Lupus… )

Aimes tu les mangas et les Comics ? On a cru percevoir une influence de Batman et sa Bat-Cave.Je pense aussi au Happy ! de Urasawa.

Je ne suis pas très comics, par contre des mangas j’en ai bouffé. Oui le côté « château-majordome-bat-machine » m’a sauté aux yeux après coup. C’était totalement fortuit. Et j’ai lu pas mal de manga de Urasawa, mais je me suis empêché de lire Happy !  pour ne pas me laisser influencer. Par contre j’avais lu Ping pong de Matsumoto, qui est fantastique…

Max Winson investit son argent pour des courts plus délirants les uns que les autres pour être capable de jouer quoiqu'il arrive : sous l'orage et même dans la mer !

Max Winson investit son argent pour des courts plus délirants les uns que les autres pour être capable de jouer quoiqu’il arrive : sous l’orage, le feu, avec des chèvres et même dans la mer !

Ton style évoque s’intègre parfaitement à la génération Bastien Vivès, notamment son Lastman

Oui, pourtant il ne faisait pas parti des influences graphiques que j’ai cité plus haut. Honnêtement je n’ai jamais pensé qu’il y aurait un rapprochement possible jusqu’à la sortie, et pourtant on me l’a souvent ressorti. Je trouve qu’il a un talent fou. Et il m’influence sûrement sans que je m’en rende compte, mais je pense que mes prochaines productions partiront dans d’autres directions que les siennes.

Certaines trouvailles sont absolument géniales: le court de tennis érotique, la lance balle qui se transforme en lit pour que le héros puisse dormir sur le court…
Sont-ce des idées qui se sont élaborées au fur et à mesure de l’écriture ou ce volet loufoque faisait partie du projet initial ?

Oui, tout cet univers loufoque faisait partie du projet. Il allait avec cette soif de liberté que j’ai ressenti en écrivant ma toute première grande histoire. Je me disais, allez, c’est mon histoire, je peux tout faire ! Les idées loufoques, ce n’est pas ce qui me manque.

Rien de tel qu'un court érotique pour travailler sa concentration ! Une des plus belles trouvailles de Moreau !

Rien de tel qu’un court érotique pour travailler sa concentration ! Une des plus belles trouvailles de Moreau !

Tu mets en scène des personnages incarnant chaque étape de la vie: l’enfant, l’adolescent, le vieillard. Avec lequel d’entre eux t’es tu senti le plus d’affinités ?

Je me sens proche des trois. Je me sens proche de l’enfant Pedro, du jeune adulte Max et de l’homme mûr, qui a vécu, Pancho. Je sens un certain équilibre à avoir tous les âges de la vie dans une même histoire.

On perd un peu de vue le personnage de Pia (la journaliste amoureuse du héros) au milieu du récit. Que s’est il passé ?

Oui dans le deuxième tome j’ai pris la décision de concentrer l’histoire sur la relation entre Max et Pedro, plus que sur son histoire d’amour. J’ai un peu évincé Pia, mais j’ai surtout complètement zappé Andy ou son majordome… C’était compliqué car j’avais encore beaucoup de chose à faire vivre à Max et donc plus beaucoup d’espace pour développer les personnages secondaires. Si je réécrivais l’histoire maintenant, je m’y prendrais peut-être différemment, mais c’est comme ça, mes prochaines histoires seront plus solides.

L’entraîneur de Max Winson est un mélange des professeurs fous de Tintin et d’Andy Warhol. Il cherche à maîtriser les probabilités jusqu’à l’absurde. Pourquoi ce personnage ?

Ce personnage intervient au moment où Max va enfin s’ouvrir à d’autres choses qu’au tennis et il sent dans ce type complètement frappa-dingue un extraordinaire vent de liberté et de création. C’est pour ça qu’il le choisit parmi tous les entraîneurs. Le premier tome est un tome sur la démesure: le fait que Max n’ait jamais perdu, l’idolâtrie de la société pour Max Winson, la richesse de la « Max Winson compagnie » et donc cet entraîneur qui est démesurément fou et qui va la pousser jusqu’à son paroxysme : comment créer un entrainement qui améliore un champion qui n’a jamais perdu ? comment le rendre plus fort qu’invincible ? comment faire plus que le maximum ? Andy est un artiste !

Le premier tome est axé sur la maîtrise des probabilités

Le premier tome est axé sur la maîtrise des probabilités

Max Winson alterne entre critique sociale (le culte de la réussite) et la rêverie. Cet équilibre entre réalisme et poésie est il facile à trouver ?

Oui c’est très facile. C’est comme le sel et le poivre. Non, je ne sais pas, si équilibre il y a, alors je m’en réjouis.

Tu as tout fait tout seul pour Max Winson. C’est un inconvénient ou un avantage ?

Je suis très content de travailler seul. Je ne suis pas très fort pour imposer mes idées dans une discussion, donc je me censure énormément dans des travaux de groupe. Des idées comme le terrain à impondérable érotique, ou la foule qui se met à vomir à l’unisson de voir Max perdre seraient indéfendables à l’oral… je n’oserais même pas les dire. Le travail seul me permet de tout écrire sans retenue.

Être publié à si jeune chez Delcourt, c’est une réussite ?

Plus que ça c’est un sacre. Delcourt, Dargaux, Dupuis pourvu que ça commence par un « D » ! Honnêtement pour moi, la plus grande réussite reste d’avoir mené au bout une histoire de 300 pages et que ça se tienne à peu près. J’ai abattu de grands murs de doute en faisant ça pour la première et ça me donne davantage de confiance pour les prochains projets.

Max Winson a été publié en deux parties. Est ce ton choix ou celui de l’éditeur ?

Je voulais que l’histoire soit bien divisée en deux parties. Une première, « La tyrannie » de la victoire, la ville, la foule, le bruit, et une deuxième sur « l’échange », le jeu, la nature, le calme… Et faire 320 pages tout d’un bloc me faisait un peu peur.

Le nouveau projet de Jérémie

Le nouveau projet de Jérémie

Tes projets ?

Un nouveau gros projet de 300 pages en couleur qui se passera en Islande. La destinée d’un espèce de quasimodo qui vit au milieu des volcans… Graphiquement, ce sera beaucoup plus travaillé que Max Winson. Vous pouvez voir quelques première recherches de décors (parmi d’autres choses ) ici.

Un dernier mot pour les lecteurs de Bruce Lit ?

Pour ceux qui n’ont jamais lu Little Nemo, si vous avez l’occasion de lire la version Géante au format de sa parution originelle dans le journal, c’est un fantastique voyage à travers l’imagination, les rêves, et le temps. Je n’ai jamais rien lu de tel.

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Tel qu’en lui même

8 comments

  • Matt & Maticien  

    Passionnant. J’ai dévoré cet entretien. Voilà qui renforce mon envie de découvrir Max Wilson et les autres titres. Merci à tous les deux.

  • JP Nguyen  

    C’est marrant, cette interview me donne davantage envie de découvrir cet auteur.
    L’article sur Max Winson était clair mais le récit ne m’attirait pas vraiment. Ce bref aperçu de la démarche de l’auteur me rend plus curieux.
    Merci pour cette interview.

    • Bruce lit  

      @JP: ce qui est passionnant, c’est la maturité de ce jeune auteur et la capacité de changer de style tout en étant reconnaissable entre « Le singe de Hartlepool » et « Max Winson ». En tant que scénariste, il ne démérite pas non plus.

  • Cathy  

    Super interview, merci Bruce de nous l’avoir fait partager. J’ai beaucoup aimé Max Winson, et j’aime beaucoup la démarche que l’auteur explique ici, ce besoin de créativité sans frein. Son nouveau projet a l’air prometteur, je vais surveiller ça 🙂

  • Jyrille  

    Très intéressant surtout que je ne connais pas cet auteur. Merci de donner un complément idéal à la chro d’hier !

  • Présence  

    Passionnant bis. C’est exceptionnel de pouvoir ainsi bénéficier d’un éclairage sur le parcours de l’auteur, son processus créatif, ses intentions (par exemple l’explication du découpage en 2 tomes), ses sources d’inspirations, la trilogie en D.

  • Lone Sloane  

    Bon dieu, mais c’est bien sûr!
    Tel un commissaire Bourrel pastiché par Gotlib, c’est à la relecture de votre entretien que je voie l’ambition et l’enthousiasme qui anime Jérémie Moreau, à l’aune de ses inspirations. Et c’est agréable de voir des auteurs comme Satrapi, Rabaté ou
    Peeters (oh yeah!) associés à Spiegelman ou Otomo.
    Enfin, Winsor McCay et Little Nemo élargissent le champ des possibles de façon rêveuse.
    C’est très réconfortant et touchant de voir de jeunes auteurs, sortis de l’animation (et j’ai une pensée souriante pour Benjamin Reiner et son Grand méchant renard), aussi doués et humbles devant leur réussite.
    Bravo à vous deux pour cet échange bienveillant et je m’en vais trouver Tempête au haras pour voir comment Jérémie s’en sort avec les chevaux, chez un éditeur qui ne commence par par D.

  • Michel  

    Félicitations!

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