Interview Vero Cazot-Julie Rocheleau (Betty Boob)

Les dessous de Betty Boob : rencontre avec Vero Cazot et Julie Rocheleau

1ère publication le 17/10/17- Mise à jour le 11/09/18

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© Casterman

Propos recueillis par BRUCE LIT

Un jour de juin, alors que je traîne sur le mur d’Olivier Bocquet le scénariste de Transperceneige, je tombe sur une bande annonce originale : celle d’un projet de Bande Dessinée tout en musique. Je trouve la mise en scène pleine de pep’s, la chanson originale rigolote et les dessins pleins de personnalité. On devient « ami » -ce qui n’engage à rien la plupart du temps-avec Véro Cazot, la scénariste du projet Betty Boob dont je ne sais rien.
Lors d’une de mes descentes à Aapoum Bapoum, je tombe face à cette couverture, cette fille qui explose-littéralement-de joie face à moi. C’est une sensation étrange, ce sentiment de compagnonnage littéraire : celui-qui qui vous donne cette prescience que c’est une rencontre importante qui se produit, alors que l’on ignore tout l’un de l’autre. On appelle ça le coup de foudre, c’est ça ?
J’en profite pour féliciter Cazot en MP pour cette lecture.  Très touchée, elle me répond longuement. Et l’ on commence à correspondre un peu tous les jours comme ça, avant qu’il ne devienne évident que tout ça se finalise par une interview à laquelle se joindrait bientôt la sémillante dessinatrice Julie Rocheleau.

Voici pour vous, le résultat de ces longs échanges où le talent de nos amies n’aura eu d’égal que leur disponibilité, leur bonne humeur et leur générosité à me fournir plein de dessins inédits pour vous lecteurs de Bruce Lit.  Et surtout répondre à toutes les questions fleuves de l’autre malade n’est pas donné à tout le monde. On croît très fort à cet album 100% féminin mais surtout humain et voici pourquoi :

Oui, oui, vous êtes les meilleures les filles ! Maintenant, par pitié Julie, lâche cette arme !

Oui, oui, vous êtes les meilleures, les filles ! Maintenant, par pitié Julie, lâche cette arme !

Non seulement c’est un honneur d’accueillir  les auteures d’une BD qu’on a adoré mais en plus c’est la première fois que l’on a un tandem féminin. Quel est votre parcours individuel ?

V : J’ai fait des choses très différentes avant de m’autoriser à même penser que je pouvais vivre de l’écriture. À partir de là, j’ai suivi une formation de scénariste pour l’audiovisuel, j’ai écrit des films et des séries qui n’ont jamais vu le jour. Ça a été à la fois décourageant et très formateur, et puis ça m’a conduite à la bande dessinée, qui était beaucoup moins bien payée mais beaucoup plus épanouissant pour moi.
J’ai commencé avec le diptyque humoristique Et toi quand est-ce que tu t’y mets ?  avec Mady Martin chez Fluide glacial et j’ai mis 5 ans avant de ressortir un nouvel album. Depuis, je suis lancée et j’ai plusieurs projets en préparation.

J : J’ai commencé par faire du dessin animé, au début des années 2000. J’avais 20 ans et tout mon temps. Je vivais de petits contrats de storyboard et d’illustration, et tentais parfois de réaliser mes propres courts-métrages. Je n’en ai terminé qu’un seul. J’avais déjà un penchant pour la bande dessinée, mais comme pour les films, mes scénarios ne tenaient pas la route.
Ma première BD était une commande : La fille invisible, écrit par la journaliste Émilie Villeneuve pour Glénat Québec. Ça parlait de l’anorexie chez les ados, comme quoi on me propose que des sujets joyeux. Je travaillais pour un studio d’animation de jour et sur l’album de nuit. Certaines séquences sont complètement improvisées, commencées au hasard et advienne que pourra. Malgré tout, entre deux hallucinations, l’album est sortie et fut bien reçu.
Ce n’est que quelques années et projets avortés plus tard, à l’aube de la trentaine, que j’ai signé chez Dargaud pour la trilogie La Colère de Fantômas, avec Olivier Bocquet. J’ai depuis laissé de côté le dessin animé, car la BD prend toute la place. Et je suis restée nulle en écriture.

Comment vous êtes-vous connues ?

V : J’avais été scotchée par le dessin de Julie dans la série La colère de Fantômas  écrite par Olivier Bocquet. Et Olivier Bocquet n’est autre que mon compagnon. Enfin, il est aussi plein d’autres choses, mais pour ta question, c’est comme ça que j’ai connu Julie et que j’ai eu envie de travailler avec elle.

Hosanna et

En route pour la joie © Casterman

Vero, comment t’es venue l’idée de ce scénario ?

V : Ma découverte du néo-burlesque, ces spectacles qui voient se dépoiler sur scène tous les corps imaginables avec à la fois beaucoup d’humour, mais aussi beaucoup d’honnêteté. Les artistes assument leur corps et ce qui peut être considéré comme des défauts par la société. C’est dans cette arène que j’avais envie de raconter l’histoire d’une femme qui en perdant un sein va quitter le monde des apparences et de la conformité pour découvrir sa propre vérité.

Le choix de Julie pour illustrer ton histoire : qu’attendais-tu de son travail ?

V : La folle énergie de La colère de Fantômas, avec le trait plus rond et plus épuré de « la petite patrie », son album précédent. Une bonne dose de poésie et de loufoquerie. Et des personnages hauts en couleurs, très incarnés et très expressifs, sans être trop réalistes pour rester dans le burlesque. Sur tout ça, elle a dépassé mes attentes. Elle a un fort imaginaire qui collait bien avec mes envies pour Betty Boob.

Julie : ta première réaction lorsque Vero te présente cette idée ?

J : J’ai trouvé ça génial, parce que j’ai 4 ans d’âge mental et que le mot boob est super drôle (Nichon !) mais surtout parce que ça rassemblait tout un bouquet de thèmes qui m’ont ravis. Cela dit, malgré mon enthousiasme, je n’ai pas compris tout de suite ce que c’était, que cette créature-là. Ce n’était pas un scénario de BD comme les autres, et il y a fallu faire quelques échanges avec Véro pour que j’ai enfin une idée de comment approcher cet univers, que je réalise l’étendue des possibilités de faire des trouvailles et des trucs chouette au dessin.

A la recherche de Betty

A la recherche de Betty© Julie Rocheleau

De la première ébauche du scénario au dernier coup de crayon, combien de temps l’élaboration de Betty Boop a t’elle pris ? Quels ont été les principaux obstacles à franchir ?

V : Je ne me souviens plus bien à quel moment j’ai commencé à y réfléchir. Mais j’ai commencé à écrire le scénario en mai 2015 et Julie a terminé l’album en juin 2017. Deux bonnes années de travail pour un gros album de 180 pages, ce n’est pas de trop et c’est sans doute ce délai qui était le principal obstacle à franchir. Le second étant pour moi la distance géographique entre Julie et moi (La dessinatrice vit au Canada- Ndr), qui malgré internet, facilite moins les échanges que de se voir en vrai régulièrement.
Et en ce qui concerne l’album en lui-même, la principale difficulté était de rendre la lecture limpide, évidente, sans le soutien des dialogues.

J : En ce qui concerne le dessin, j’ai commencé la production proprement dite de l’album en janvier 2016, et j’ai remis les dernières planches fin juin 2017. Il faut aussi compter la « période d’essais » de l’été-automne 2015, qui inclue la recherche visuelle, les premiers croquis, le montage du dossier pour Casterman, etc.
En plus de ce que raconte Véro, j’ajouterai dans la colonne « obstacles » une vilaine tendinite qui est apparue en plein rush de fin d’album.

 C’est un album hors norme complètement fou : Casterman a pas fait la gueule ?  Comment on vend ce projet qui parle de cancer et d’amputation ?

V : Pas du tout ! Après, le tirage reste très confidentiel, le risque n’était donc pas énorme. Et puis le sujet est abordé du côté de la vie et de la reconstruction, alors c’était plus facile de convaincre.
La vraie difficulté était de vendre l’histoire sans paroles. Ça, ça effraie encore pas mal d’éditeurs. Mais Christine Cam, mon éditrice, avec qui je développais déjà un autre album (qui devrait sortir en avril), nous a fait confiance.

Bon, on lui met quoi ?

Bon, on lui met quoi ? © Julie Rocheleau

Le choix de faire une BD muette s’est imposé dès le début ?

V : Pas dès le début, mais ça a été le déclencheur. Au début et pendant longtemps, je n’avais que ce pitch très court de cette femme qui perd un boob et qui va se reconstruire au sein d’une troupe de burlesque. Je ne savais juste pas comment l’aborder. Avec un récit classique et des dialogues, je tombais vite dans la lourdeur et le pathos. Ça manquait de justesse et de légèreté. Quand l’idée du muet s’est présentée à moi, tout s’est débloqué et ça m’a donné un élan incroyable. Ça a été une expérience d’écriture folle, comme un grand tour de manège.

Perdre un sein, c’est perdre la parole ?

V : Haha ! C’est une excellente question. Il y a de ça. La maladie et le handicap nous mettent toujours plus ou moins à l’écart de la société. Dans le regard des autres, nous ne sommes plus que cette maladie, ce handicap, ce sein ou cette jambe coupée. La personnalité s’efface derrière le symptôme. On perd en quelque sorte la parole pendant la phase plus ou moins longue de la reconstruction et de la renaissance.

Pourquoi ce choix du burlesque, un art d’un autre temps et oblitéré par le cinéma moderne ?

V : Parce que tout collait. Betty révélant sa personnalité burlesque que l’on devine dès le début de l’histoire, au sein d’une troupe de burlesque. Et puis les histoires sans paroles n’ont jamais cessé d’exister même si elles ont presque disparu du grand écran. Enfin, même si on s’est inspirées des codes du cinéma muet, on voulait ancrer l’histoire dans notre époque. Faire de la couleur et donner un ton très contemporain à notre album.

J : L’humour « physique » et la pantomime sont toujours présent un peu partout, dans beaucoup de formes d’art actuelles, mais moins dans les films qu’autrefois. Ça tombe bien car nous c’est de la BD qu’on fait. Quant au théâtre burlesque, il a fait un gros come back dans les années 2000. C’est vrai qu’on pourrait y voir une glorification des choses du passé, voir un fétiche pour l’esthétique retro,, mais ça ne se limite pas qu’à ça. Le monde du néo-burlesque est très vaste et inclusif, et tous les coups sont permis. La façon traditionnelle à la mode « vintage » n’est qu’un modèle parmi d’autres. D’ailleurs, Betty est un peu touche-à-tout dans ses choix de routine.

On m'a planqué un truc ! C'est pas sein pas !

On m’a planqué un truc ! C’est pas sein pas ! © Casterman

Julie, ton travail est épatant : que ce soit dans les expressions, le langage corporel ou les cadrages , tout est limpide et ne demande quasiment aucun effort de concentration du lecteur ! La simplicité, c’est du travail ?

J : Que oui! C’est encore bien difficile pour moi de faire simple. Il faut apprendre à aller à l’essentiel, donc renoncer à des idées qui nous tiennent parfois à coeur, et surtout, se triturer les méninges pour solutionner des problèmes sans en créer de nouveaux!… Et quand la lumière se fait enfin, on ne gifle presque en pensant: « pourquoi je n’y avais pas penser plus tôt! C’est pourtant si SIMPLE! »
Quand on travaille longtemps sur un projet, c’est plus difficile d’avoir du recul, une vison d’ensemble, et ce n’est vraiment qu’avec les premiers retours des lecteurs qu’on sait si ça passe ou si ça casse.  Ton commentaire me rassure donc énormément!

 Puisque on y est quels sont vos meilleurs films burlesques ?

V : Tous les courts-métrages de Buster Keaton sont des pépites, dont de vrais chefs d’œuvre comme La maison démontable  ou Les fiancés en folie. Du côté de Charlie Chaplin,  Le cirque  et en plus dramatique  Les lumières de la ville  que je trouve vraiment sublime et inspirant. Les cartoons de Tex Avery. Qui veut la peau de Roger Rabbit . Les films avec Pierre Richard, qui est pour moi une référence masculine du personnage de Betty Boob, et pour la référence féminine, les films avec Vimala Pons, géniale actrice burlesque d’aujourd’hui.

J : J’approuve en entier la liste de Véro. J’y ajouterais les films des frères Fleischer, créateurs de – justement – Betty Boop au début des années 30. Malgré leurs failles selon nos critères modernes, ces courts-métrages sont absolument, complètement tordus et fascinants!! Ensuite, mais je ne suis pas certaine que ça rentre dans la catégorie burlesque, je suis très très fan de l’oeuvre de Wes Anderson, digne héritier de plusieurs noms cités plus haut.
V : Ah oui, Wes Anderson, j’approuve complètement aussi !

Sous le tropique du cancer, la sexualité n'est pas très épanouie

Sous le tropique du cancer, la sexualité n’est pas très épanouie ©Casterman

 Julie : tu assures aussi la colorisation de l’album. Beaucoup de séquences ont leurs ambiances propres. Tu es contente de ton travail ? Quelles sont tes influences ?

J : En général, oui, je suis contente de mon travail. J’aime faire ressentir des choses aux lecteurs et comme ça passe beaucoup par les ambiances et les couleurs, je les soigne énormément. Ce sont d’excellents outils narratifs et suggestifs.
C’est difficile pour moi de mettre le doigts sur des influences précises parce qu’il y en a beaucoup, et le résultat est très instinctif, pas nécessairement étudié. Parfois une influence que je crois importante ne se voit pas beaucoup, ou, inversement, on me signal l’influence évidente d’artistes que je ne connais même pas encore. Les idées rejoignent parfois de nouveaux hôtes par les chemins de traverse, il faut croire, et je suis peut-être plus inspirée par des courants que par des individus en particuliers.
Voici tout de même quelques noms de dessinateurs dont j’admire le travail, dans aucun ordre précis; Dave McKean, Chris Ware, Lorenzo Mattotti, George Herriman, Cyril Pedrosa, Isabelle Arseneault, Chloé Cruchaudet, Bill Waterson, Moebius, Richard Thompson, Winshluss, Taiyo Matsumoto, Claire Wendling, Frank King, Carlos Nine et j’arrête là parce que ça suffit.

 La séquence d’intro : on fait immédiatement connaissance d’Elizabeth dévorée par des crabes. Aucun doute n’est permis sur ce qui lui arrive. L’album a toujours commencé de cette manière ?

V : Oui, dès le départ, c’est ce que j’avais en tête : ces petits crabes lubriques qui viennent vous prendre en traître pendant que vous dormez tranquillement.

Elizabeth : saine et sauve

Elizabeth : saine et sauve © Julie Rocheleau

Elizabeth reste séduisante malgré sa calvitie et son ablation…

V : Indispensable. La séduction est très indépendante de la beauté, c’est une question d’attitude, de désir de plaire. Si notre héroïne n’était pas du tout dans la séduction avant son opération, dans l’envie de se plaire et/ou de plaire à quelqu’un, avoir un sein en moins n’aurait pas été un problème. Donc notre histoire n’aurait pas eu lieu d’être. Perdre un sein n’empêche pas de vivre, c’est juste une atteinte à la féminité, à l’aspect physique, donc la séduction était forcément au cœur du sujet.

J : Je ne pensais pas à plaire au lecteur en dessinant Betty. Je l’ai faite en suivant mes propres envies et les besoins du scénario: une femme encore jeune qui – à voir comme elle cavale et exécute milles cascades – doit forcément faire un peu de sport. Coquette sans en faire des tonnes, elle aime draguer, danser, trinquer… Elle entretient de loin un goût pour le glamour et le spectacle, elle est un peu maladroite et comique malgré elle; autant de détails qui mènent à son évolution en une grande artiste burlesque, et que j’ai essayé d’évoquer dans son apparence et dans ses manières.
Mais à la base, c’est juste une voisine, une caissière, une fille ordinaire. Ce n’est pas une top modèle, ni une femme fatale. Elle est séduisante à sa façon à elle. La maladie – et tout ce que cette dernière a pu entraîner de malheureux- n’a pas réussi lui enlevé cette envie de pétiller et de briller.

 On sait que vous êtes complètement folles lors de la première séquence choc de l’album : les seins coupés qui défilent sous un bocal…..Ça existe ?

V : Pas de manière aussi loufoque sans doute, mais je crois qu’en ce qui concerne les tumeurs cancéreuses, les prélèvements sont soumis à de nouvelles analyses. Ils doivent donc bien être placés dans des sortes de bocaux ? Peut-être pas de confiture, certes. Et puis j’ai le vague souvenir d’enfance d’un cousin qui avait pu récupérer son appendice dans un flacon après son opération de l’appendicite. Je crois que nous ne sommes pas si éloignées de la réalité.

J : Il y a des gens qui conservent les cendres de leurs défunts dans des urnes sur leur manteau de cheminée, leur dents de bébé dans des pots de pilules, leurs mèches de cheveux dans des enveloppes parfumées… Les gens sont bizarres.

Traffic d'organes...

Traffic d’organes… © casterman

L’album n’est pas anti-mâle, mais vous n’êtes pas tendres avec le fiancé d’Elizabeth. Il passe son temps à débander et tomber dans les pommes. Vous lui refusez toute rédemption. Pourquoi ?

V: Au contraire, j’ai beaucoup de tendresse pour ce personnage qui est hypersensible et pas de fondation solide. Ses os deviennent tous mous à chaque émotion forte. L’asymétrie mammaire d’Elisabeth fait écho au traumatisme de son enfance car il a été élevé au sein d’une psychose familiale, sa mère étant une obsédée compulsive de la symétrie.
Et pour moi il ne s’agit pas de rédemption ou non, je ne porte pas de jugement négatif sur ce personnage. Sa colonne vertébrale, c’est la société formatée dans laquelle il a toujours vécu et qui le rassure. Quand Betty choisit d’entrer dans la marginalité en assumant son sein en moins (elle pourrait avoir recours à la chirurgie), elle seule a fait ce choix et il ne peut pas la suivre. Leur relation n’était pas basée là-dessus et ils prennent juste des chemins différents. D’ailleurs, c’est elle qui choisit de le quitter, elle n’a aucune patience, elle n’en a pas le temps.
C’est un peu lui la victime !

J : Je trouve aussi qu’il est très touchant, le copain de Betty. En fait, j’aime bien penser que c’est le personnage le plus humain de cette histoire. Ce n’est pas facile pour lui: Betty est une personne particulièrement forte et positive, tandis qu’il a un de ces tempéraments qui aime que chaque chose soit à une place bien définie sous peine d’angoisse. Je l’imagine avoir beaucoup de mal à s’habituer au changement en général.
Il voudrait être à la hauteur et soutenir sa bien aimée, être celui qu’on voudrait qu’il soit, mais il n’y arrive pas. On le comprend un peu mieux quand on voit dans quelle genre de famille il a grandit. Si on ne s’attarde pas sur son cas, si on ne l’excuse pas d’avantage, c’est entre autre parce que ce n’est pas son histoire à lui que l’on raconte.
C’est vrai qu’à certains moments on utilise son malaise comme un élément comique, et on le ridiculise un brin. Mais il ne faut pas oublier que Betty se prend des râteaux burlesques plein la gueule pendant tout l’album, et connait des épisodes quelques peu mortifiants plus souvent qu’à son tour. Bref: on reste dans le ton, et on ne fait pas deux poids deux mesures.

Les rapetous ne sont pas des saintes !

Les rapetous ne sont pas des saintes ! © Casterman

 La séquence du hold-up dans le magasin de prothèses mamaires est complètement délirante voire un peu hors-sujet. On quitte le réalisme de l’histoire pour entrer dans le burlesque. C’était important, ce too much ?

V: Je me rends bien compte que cette scène peut paraître très loufoque. Dans mon souvenir, elle avait été remise en question d’ailleurs. Pour moi, elle est super importante pour décrire le monde dans lequel vit Elisabeth (et qui n’est pas si éloigné du nôtre). Un monde où les seins et la conformité ont tellement d’importance qu’il existe toute une industrie autour du nibard. Ici, la boutique de faux boobs a des allures de bijouterie pour accentuer leur côté luxueux. Quoi de plus naturel pour une boutique de luxe de se faire braquer ? Tout ça était très logique, en tout cas dans ma tête. Je ne le regrette pas car c’est une de mes scènes préférées, et le trio de brigandes que Julie a dessiné vaut vraiment le détour.

A la poursuite de la perruque maudite !

A la poursuite de la perruque maudite ! © Casterman

 Et alors cette poursuite de perruque : on est entre Hergé et Keaton ! Comment ça s’élabore ?

V : En s’amusant beaucoup et en se prenant bien la tête. Ça fait partie des choses que j’avais en tête avant même d’écrire le scénario parce qu’il n’y a pas de récit burlesque sans course folle semée d’embûches. C’est aussi une des séquences qui a posé le plus de question, de réécriture, de pages enlevées, d’autres ajoutées au dernier moment par Julie. Il ne fallait pas faire trop long, mais pas trop court non plus pour bien sentir toutes les épreuves que Betty traverse avec sa maladie, le deuil de son sein et de sa vie d’avant.

Et au fait pourquoi Betty Boop ? Juste pour le jeu de mot ? Que représente t’elle pour vous ?

V : Dans le show burlesque, chaque artiste a un nom de scène, et ce nom de scène évoque souvent très fort la particularité de l’artiste et annonce la couleur de son show. Avant même d’écrire le scénario il fallait trouver un nom à notre héroïne afin de camper sa personnalité. C’est en tournant autour du sein en moins que Betty Boob a surgi. C’était super évident, même si Betty Boop, objet de fantasme pour hommes, est un peu l’inverse de notre héroïne dans son rapport à la séduction.

 La troupe qu’intègre Elizabeth : ce sont des freaks, mais pas des monstres. Le lecteur reste en contact avec leur humanité….

V : Tant mieux ! Pour moi, ils sortent simplement un peu des standards. À l’exception peut-être de Long Jane Silver, la diva à la jambe de fer, on pourrait croiser tous les jours des physiques similaires dans la rue. La différence, c’est qu’ils ne camouflent pas leurs particularités, ils les mettent au contraire en avant, ne s’excusent pas d’être non conformes. Ils touchent plus notre personnalité intime que notre personnalité sociale et sont en cela beaucoup plus humains que les gens normaux.

Les freaks sont chics

Les freaks sont chics© Julie Rocheleau

Elizabeth impose sa différence en exhibant son corps meurtri. Elle transforme sa faiblesse en force.  Elle choque les passants qui la voit « parader » dans la rue la poitrine à l’air.  C’est votre vision des choses ?

J : Je crois certainement qu’une faiblesse peut se transformer en force. Mais je ne crois pas que Betty essaye de choquer ou de s’imposer au regard des autres. En tout cas, ce n’est pas ça que je voulais montrer.
Betty veut simplement jouir d’être elle-même, dans son intégrité physique, sans camouflage. Assumer clairement sa différence en public lui permet d’accepter pour de bon cette nouvelle silhouette atypique, d’en faire sa signature, un petit quelque chose juste à elle.
Après, c’est la faiblesse de caractère et de jugement des autres qui est la cause de bien des problèmes. Il y’a des gens qui se construisent des prisons et qui voudraient que tous le monde soit dedans avec eux, Ça doit être plus rassurant, j’imagine…

V : Elle est peut-être un peu dans la provoc’, mais elle montre plus son absence de sein que son sein restant. Tout ce qu’elle montre, c’est un morceau de torse plat avec une cicatrice, et les bien-pensants ne peuvent s’empêcher de trouver ça un peu obscène. Le regard des autres serait beaucoup plus clément si elle souffrait de sa situation. Le fait qu’elle en joue, c’est ça qui dérange, qui agresse. L’épanouissement peut être très dérangeant pour ceux qui ne se l’autorisent pas.

 Quelle est la frontière entre l’impudeur et l’exhibitionnisme ?   On est dans le domaine Femen ?

V : Pas si loin, dans le sens où comme chez les Femen, les stripteases de Betty et du reste de la troupe sont porteurs de messages, de combat, de revendications. C’est juste d’ordre plus personnel pour les shows burlesques et plus politique pour les Femen. Mais l’un comme l’autre n’ont rien de sexuel, on ne se dépoile pas pour exciter quelqu’un ou s’exciter soi-même, contrairement à l’exhibitionnisme.

Betty : la mort ne l'a pas assassiné

Betty : la mort ne l’a pas assassinée©Casterman

 Quel regard portez-vous sur les oeuvres marquantes qui abordent le cancer  : -Love Story ?

J : Pas vu… 
V : Je n’en ai qu’un vague souvenir, très mélo. J’ai bien dû pleurer quand je l’ai vu, il y a 20 ou 30 ans. Mais c’est le genre de direction que je n’aurais pas voulu prendre pour mon histoire.

-Marcia Baila ?

V : Une énergie aussi folle pour parler d’une danseuse décédée, c’est le meilleur hommage qu’on puisse lui faire. Même si la mort l’a emportée, c’est la vie qui gagne. La finalité n’est pas la même, mais on est un peu dans le même tempo et le même état d’esprit pour Betty Boob.
J : On se sent incroyablement vivant quand on chante cette chanson à tue-tête en passant l’aspirateur (l’aspirateur c’est pour épargner un peu les voisins.)

-J’arrive de Brel ?

V : Un peu plombant, non, ces histoires de Chrysanthèmes ? Le texte est beau, mais je ne le conseillerai pas à quelqu’un de malade ou de mourant. Pas à quelqu’un de vivant non plus d’ailleurs.

J : La révolte dans la résignation. Un attachement à l’existence poignant et désespéré. Je trouve qu’il y a une vérité et une beauté dans la tristesse aussi. Il ne faut pas se laissé avaler par elle, mais on a droit de lui accorder des moments, comme on a le droit d’être en colère, et comme on a besoin de savoir que l’on est pas tout seul à avoir peur.

-La p’tite Bill de Souchon ?

V : J’aime beaucoup le début qui raconte que la p’tite Bill a besoin d’une promenade et de caresses avec « un qui serait son amoureux une heure ou deux ». C’est aussi ce que veut Betty, oublier la maladie et se sentir aimée et vivante.

J : Paroles très touchantes qui, je crois, évoquent une certaine détresse mentale et l’isolation qui en résulte souvent. Ça se rappel à l’image d’une tumeur qui envahit et qui pèse sur un corps. Mais peut-être que j’ai rien compris.

-Magic and loss de Lou Reed ?

V : Sublime chanson ! Les paroles portent un message similaire à celui de notre histoire. Lorsqu’il parle de « survivre à sa propre guerre » par exemple. L’idée qu’en traversant l’épreuve du feu, de la maladie, on trouve la lumière ou quelque chose comme ça. L’idée que c’est en perdant quelque chose qu’on en gagne une autre, qu’on se rapproche de sa propre vérité. Bon, si j’ai bien compris les paroles de la chanson, je ne suis pas très douée en anglais.

J : Le choix de cette chanson est en effet très pertinent et on peut faire plein de liens avec le message présent dans Betty Boob. Allez l’écouter tout de suite!

-Z’êtes branchées Comics ? Il existe un super héros qui meurt d’un Cancer et qui n’est jamais revenu à la vie : La mort de Captain Marvel ! ‘Connaissez ?

J : Nope. Sorry.

V : Je ne l’ai pas lu non plus, mais j’aime beaucoup l’idée du héros dont les supers-pouvoirs et ceux de ses amis ne peuvent rien contre la maladie. Découvrir les limites des super héros est toujours touchant et intéressant.

Increvable, j'vous dis !

Increvable, j’vous dis ! © Casterman

 Avez vous eu des retours d’Oncologues ou de malades ?

V : De malades, pas encore. J’espère qu’ils auront accès à cette histoire et qu’elle leur apportera de la joie et de l’amusement. En revanche, nous venons de recevoir un message très enthousiaste d’un infirmier en oncologie. Ça m’a beaucoup émue.

Votre regard sur le Cancer a t’il changé avec cet album ?

V : Je me sens moins fataliste. J’imaginais que c’était lui qui commandait, qu’on ne pouvait être qu’en position de défense face à lui, alors qu’aujourd’hui j’envisagerais plutôt une position d’attaque.
Cela m’a aussi fait prendre du recul sur la menace de perdre un sein. Sans minimiser cet acte et cette épreuve, je sais que la vie continue, souvent encore plus fort.

Un dernier mot pour les lecteurs de Bruce Lit ?

V : Tu ne crois pas qu’on a déjà assez parlé pour une BD sans paroles ?
J : Moi je vais aller m‘écouter un Buster Keaton, tiens.julie_2

Girl Power !

Girl Power !

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Elles sont jeunes, elles sont belles et chez Bruce Lit, on considère qu’elles ont signé la meilleure Bande Des Seins Nés de l’année. Julie Rocheleau et Vero Cazot : interview exclusive.

La BO du jour : Chante, danse Betty Pop, comme si, demain au petit matin tu devais mourir….

24 comments

  • Présence  

    Merci pour cette longue interview aussi enthousiaste que la bande dessinée !

    C’est très impressionnant de découvrir le temps nécessaire pour réaliser un tel album. C’est également très réconfortant de voir qu’un éditeur accepte de soutenir un tel projet, aussi atypique.

    C’était également très agréable et intéressant de pouvoir découvrir des dessins supplémentaires, ainsi que détails sur le choix de quelques scènes, comme le bocaux, la longueur de la course-poursuite, le travail de colorisation, ou encore le point de vue des auteures sur le copain de Betty.

    • Bruce lit  

      Merci Présence.
      Il s’agit sûrement de mon ITW la plus longue pour le blog,ben, parce que il fallait couvrir le scénar’ et les dessins, mais aussi parce que j’avais plein de choses à demander. Et encore, je me suis censuré….j’ai surtout eu de la chance d’voir deux auteurs qui se prêtent au jeu de ces looooongues questions.
      Je suis enfin fier d’une chose : puisqu’il est bcp question du harcèlement envers les femmes ces jours-ci et des violences leur étant faîtes, je suis vraiment content de me dire que le blog s’est toujours inscrit dans une démarche féministe et pacifique. Je sais aussi n’avoir aucun macho dans l’équipe et ça compte beaucoup pour moi.

  • Matt  

    Bon je ne suis pas spécialement plus attiré par le concept de la BD, mais c’est vraiment une question de goûts personnels, et aussi parce qu’il y a trop de trucs à lire et qu’on ne peut pas tout acheter.
    Cela dit, je salue le travail effectué et la thématique osée et originale.
    Je suis au passage assez sensible aux arguments de la scénariste sur la chanson de Brel. Il y a des chansons qui ont de beaux textes mais qui sont si déprimantes qu’elles ont un meilleur potentiel d’encouragement au suicide qu’autre chose. Ce qui me fait rebondir sur la bonne idée d’avoir choisi une approche positive dans la BD pour parler des difficultés de la maladie.

  • Tornado  

    La musique n’a jamais sur moi d’effets négatifs. Jamais. ces derniers temps, je me repasse une partie de la discographie de Léo Ferré qui est quand même considéré comme l’un des chanteurs les moins joyeux de tous les temps. Et ça n’a strictement aucune incidence sur mon moral. Au contraire.
    Je peux donc écouter du ferré ou du Brel pendant des heures et des jours sans que cela affecte mon humeur.
    Par contre… la bd… C’est vraiment un medium que je réserve personnellement à de la détente et à l’illustration de tout un univers qui m’est propre. Quelque chose de cool et de confortable. Dès que le sujet ou la mise en forme s’éloigne un peu de cet univers, j’éprouve une vive sensation de rejet, comme si l’on venait m’importuner dans mon intimité, ou me pousser dans mes retranchements.
    Ça ne me fait pas la même chose avec le cinéma. C’est comme ça…

    • Matt  

      Non mais comme le dit la scénariste, elle ne conseillerait pas la chanson à un malade. Pour moi la musique peu joyeuse n’arrange rien quand tu ne vas déjà pas bien. Si tu pètes la forme, là oui ça peut n’avoir aucun effet négatif.
      Mais bon ça dépend des gens j’imagine.

    • Matt  

      Et je crois que ce que tu décris pour la BD, moi c’est ça pour la musique. C’est pour ça que souvent les groupes connus que tout le monde adore, j’en ai rien à foutre si je ne suis pas sensible au style de musique…et je vais apprécier des musiques de jeux, de films bien davantage. Je suis fan par exemple de musiques épiques du style seigneur des anneaux, tout ça.
      J’aime bien le rock, le blues…mais en fait ça dépend des chansons. Je ne me considère comme fan d’aucun groupe puisque souvent je ne vais aimer qu’à peine 1/3 de leurs titres.
      D’ailleurs globalement je préfère les musiques uniquement instrumentales plutôt que les chansons.

    • Eddy Vanleffe  

      un peu pareil pour moi, si j’ai le blues et que j’écoute une musique en adéquation avec cet état d’esprit (je ne sais pas Faith de Cure ou Anathema… 🙂 ) je me sens paradoxalement mieux comme « purgé » en fait.

      une BD comme celle-ci ne va pas trop me parler car si je reconnais, le talent, la prouesse du postulat, le propos, tout je me dirige tout de même vers l’aventure, la SF etc…
      mon affinité avec les super héros tient aussi en cela, c’est un medium qui parle de tout, en filigrane qui aborde tous les sujets (en absolu parce que évidemment, la maladie, n’est pas souvent abordée et toujours de la même manière)
      ce genre de BD est sans doute trop dense en « émotions » pour que je m’en fasse une lecture autre que « documentaliste ».

  • Matt  

    N’est-ce pas ce même effet de la « normalité » qui donne l’impression aux hommes qu’ils doivent être plus forts que les femmes, et même qui donne l’impression aux femmes que les hommes doivent pouvoir les épauler en étant plus costauds ? N’est-ce pas à cause de ce que les précédentes générations plus machistes nous ont mis dans le crâne ? Je me considère comme sensible et sans doute pas assez fort mentalement par rapport à l’image de l’homme viril indestructible mais si c’est difficile à vivre c’est surtout à cause des idées reçues et du regard de la société parce que sinon…où est le problème ? Je ne pense pas d’ailleurs que les hommes soient devenus sensibles d’un coup, je pense juste qu’avant il ne fallait pas le montrer et que le garder pour soi devait générer une certaine frustration qui explosait un jour d’une façon moins sympa…genre en tapant leur femme.
    Enfin je fais mon psy du dimanche là, je me trompe peut être…

    • Matt  

      Bah quoi on était tous des connards avant ?^^ Il devait bien en avoir des moins virils et plus fragiles avant aussi non ?

    • Matt  

      Et des moins machistes que d’autres. Non ? Je sais que la société influence les comportements et qu’à une époque tout le monde était raciste aussi, mais il y avait surement des gens qui ressentaient de la haine envers les autres peuples et de la supériorité envers les femmes, et d’autres qui s’en foutaient davantage, non ?

    • Bruce lit  

      @Omac : mon livre de chevet a longtemps été XY de l’identité masculine de cette femme que j’admire beaucoup Elizabeth Badinter. Il y était question de la représentation de l’homme dans la culture populaire, notamment celle des 80’s où celui-ci représenté par Stallone et Arnold incarnait l’homme coupé de ses émotions brutal et viril. Il y était développé le parcours des hommes très bien montré dans Full Metal Jacket où toute sa vie un homme doit montrer qu’il n’est pas sa mère, qu’il n’est pas une femme et encore moins un homosexuel. C’est passionnant à lire. Je l’ai racheté et offert souvent autour de moi.

      Dans mon parcours personnel, j’ai eu la chance d’avoir un père exemplaire qui nous a toujours enseigné le respect des femmes. Et de tomber sur les ITW de Kurt Cobain à l’adolescence qui condamnait tous les propos machistes de ces collègues et écrivait que les seules hommes sages qu’il avait rencontré étaient des femmes.

      @Tornado: je marche plutôt à l’inverse. Autant une BD via le quatrième mur m’offre toute la distance nécessaires, autant les musiques déprimantes me dépriment et celles des Beatles me donnent la patate. La musique, c’est le son d’un instrument + sa mélodie + l’interprétation +la voix et les intonations de son interprète + sa sensibilité + ses paroles + le contexte de l’époque. Je suis incapable de rester neutre là dedans, la musique étant le seul art susceptible de déclencher chez moi des émotions fortes ou contradictoires. Tiens, puisqu’il est question des Rita dans l’itw, c’est quand même le seul groupe capable de faire danser en racontant le cancer d’une danseuse argentine ou le petit train en route vers Auschwitz.

      Une petite anecdote ? En 2006, je participais à un tremplin musical. Il fallait donner la liste de ce qui serait joué sur scène et moi justement je chantais Marcia Baila. Un des organisateurs m’a demandé de ne pas la chanter ou de changer le refrain parce qu’une des organisatrices avait le cancer. Je lui ai répondu qu’il en était hors de question et que la chanson était triste mais aussi une ode à la vie et à la beauté. Au moment de la chanter, j’ai regardé droit dans les yeux cette femme de la scène et ce fut un instant de communion entre nous deux tandis que disparaissaient la foule. Avais-je bien fait ? A la fin, non seulement je suis arrivé deuxième (Whouééééé !) mais en plus elle est venue me dire qu’elle avait été trés émue que je lui dédicace cette chanson. Ce que je n’ai jamais fait ouvertement…..

      @Eddy : la musique a une puissance cathartique que je ne retrouve pas ailleurs. Même au cinéma.

      • Matt  

        Sympa l’anecdote. J’aurais pas osé moi quand même. Juste dans le doute de comment la personne allait le prendre. Des fois les chansons sur les maladies ne sont pas faites pour les malades eux mêmes. ça dépend du ton de la chanson.

        • Bruce lit  

          Merci Matt.
          Il y a les chansons ouvertement provocantes comme Je t’aime moi non plus par exemple.
          Mais chaque contient en elle un germe non pas de provocation mais de destruction, de capacité à faire mal.
          Prends une chanson inoffensive par exemple : « Prendre un enfant par la main », l’archétype du truc inoffensif et mignonnet. Elle plaira au plus grand nombre pour sa mélodie facile et sympathique. Mais pour ceux qui n’ont jamais eu d’enfant ou pire qui en ont perdu un, c’est probablement insupportable à écouter. D’où le fait de mon refus, non pas pour emmerder le monde, mais tout simplement parce que ça n’a pas de sens. On l’aime pour ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. On avait chacun deux chansons. La deuxième était Amsterdam. Et là, je fais quoi ? ça parle de baise, de putes, de perdants, de moules et de frites; bref de plein de choses portant à controverse….

          • Bruce lit  

            Il est donc possible en chanson ou en BD comme avec nos deux amies de parler de tout pourvu que ce soit fait avec talent. Et en ce qui me concerne avec humour par deux femmes qui brisent le silence de cette angoisse qui les guette : elles sont plus susceptibles de contracter un cancer du sein que nous des testicules….
            Il est admirable d’en avoir fait une oeuvre si drôle si accessible si divertissante et si vraie.

      • Matt  

        Oui c’est vrai, il y a de quoi offusquer ou rendre triste dans pas mal de choses inoffensives. Après il n’est peut être pas pertinent non plus d’aller chanter cette chanson spécifiquement si ton audience était constitué uniquement de cancéreux^^
        Comme moi qui ne vais pas aller exprès chercher des chansons tristes quand ça va mal.
        Merde, même l’Adagio d’Albinoni me fait chialer.

        • Bruce lit  

          Mon audience n’avait qu’une personne cancéreuse. Bien entendu la démarche eut été différente si tout le public avait été malade.
          Il est tout à fait normal que l’Adagio d’Albinoni te fasse pleurer. C’est juste une oeuvre magnifique même si celui de Barber à la fin d’Elephant Man me bouleverse.
          Concernant Albinoni, connais tu la version de Jim Morrison qui est très belle ?

      • Matt  

        Oh oui les femmes sont connes aussi^^ Et trash. Des femmes « beauf » il y en a. Quand on surprend des discussions entre femmes ça fait aussi peur que des discussions entre gros beaufs parfois. Je n’aime pas trop le féminisme béat comme tu dis, ça va trop loin. Et à cause de ça des fois on m’a sorti que j’étais macho. Mais non ! J’aime personne, c’est tout^^
        Ahem…non je rigole.
        Mais il n’y a pas un sexe con et un sexe sage. Bon les femmes sont peut être plus subtiles mais aussi pas mal cruelles. C’est différent. Mais je n’ai rien contre elles en tant que « sexe opposé ». J’aime pas les garces comme je n’aime pas les gros beaufs, that’s all.

      • Matt  

        Et avant qu’on me dise « et pourquoi t’aimes bien Emma Frost ? » je rappelle que là il s’agit d’un personnage de fiction sur lequel on peut avoir du recul pour apprécier sa complexité. Les garces dans la vie sont peut être complexes aussi, mais on n’a pas de temps à perdre à s’emmerder à les supporter si elles nous gonflent personnellement. Et d’ailleurs dans la vie je préférerais côtoyer une garce qu’un assassin comme Wolverine qui me ferait surement davantage plus flipper^^

        C’est bien pour ça que je n’adhère pas trop au jugement peu distancié de certains lecteurs envers les personnages de femmes méchantes puisque d’un autre côté ils trouvent des assassins de masse « cool ».

      • Bruce lit  

        @Omac : sur tes propos, je n’ai rien d’autre à dire que comme d’habitude, ils semblent être l’extension « augmentée » de l’article en soi.
        Que Betty se concentre sur l’être et non l’avoir semble être le privilège des miraculés ou des personnes en fin de parcours. C’est un processus à la fois terrible et pouvant susciter une forme d’envie : celle d’être arrivé à un niveau de savoir ou de sagesse refusé au commun des mortels qui râle parce que son train est en retard.
        Sur la virilité, je serai curieux de trouver ça en podcast sur France Culture.
        Quant au féminisme béat, je partage ton opinion en le situant proche du politiquement correct. Un féminisme angélique qu’une Despentes va combattre de tout son être, oui.

      • Jyrille  

        Je suis d’accord avec toi sur la musique Bruce. Merci pour l’anecdote, elle vaut son pesant de notes… Cependant, je crois que je comprends Tornado : même déprimé, si j’ai envie de m’écouter le dernier Bowie, un album triste de The Cure ou du Brel, même du Joy Division, malgré la noirceur ou le désespoir de ces artistes, cela me rend heureux. La seule condition, c’est que j’aie envie de l’écouter. Dans d’autres moments, cela ne collera pas du tout. Mais en tout cas, si l’envie est là, écouter de la musique triste est un bonheur immense.

        D’un autre côté, si je ne me sens pas super joyeux, mettre de la musique énergique pourra me remonter le moral. Pour moi, rien n’est plus puissant que la musique, car elle parle directement à nos émotions. Les autres arts peuvent aussi nous faire pleurer ou rire (à commencer par la bd et le dessin, dans mon cas), mais il faut un peu plus de pratique. Le cinéma (ou la télé ou le théâtre) est encore différent : c’est peut-être le plus facile à appréhender, par tous.

  • Jyrille  

    A l’image de la bd qu’elles ont créée, les propos de ces deux auteures est une cure de bonheur et de positivisme qui ne peut qu’être bienvenu. J’ai encore plus envie de lire Betty Boop, voire même de l’offrir autour de moi, à des copines, voire à ma femme (si elle lisait de la bd…).

    Comme je le sentais déjà dans la chronique de l’album, et comme j’aime à le croire toujours un peu plus autour de moi, la tolérance gagne du terrain. Je pense que Julie résume bien tout ça ici : « Après, c’est la faiblesse de caractère et de jugement des autres qui est la cause de bien des problèmes. Il y’a des gens qui se construisent des prisons et qui voudraient que tous le monde soit dedans avec eux »

    C’est une interview fleuve qui ne se répète jamais et qui est non seulement intéressante (j’ai adoré ta question sur le fait de perdre un sein qui était aussi peut-être celui de la perte de la parole) mais demande de faire des recherches poussées : je ne connais pas du tout les films de Keaton, je dois revoir plusieurs Chaplin car je les ai tous oubliés, je n’avais jamais fait le rapprochement entre la maladie et les chansons que tu cites (surtout J’arrive, je croyais la connaître, j’ai loupé un truc, à réécouter). D’ailleurs je ne connais pas bien Magic & Loss, je ne l’ai pas réécouté depuis sa sortie…

    En tout cas, même si je ne les connais pas tous, les dessinateurs que cite Vero me confortent dans l’envie de lire cette bd (que des noms que j’aime quoi), et tous ces scans inédits (et leurs légendes impeccables aux jeux de mots malins) sont de très beaux cadeaux. Merci Bruce, tu m’as rappelé les interviews de mes vieux Inrocks, qui étaient toujours les lectures les plus intéressantes de ce mensuel.

    La BO : une chanson de Gall que j’avais oubliée aussi.

    • Bruce lit  

      Moi, te rappeler Les Inrocks ????
      Bon…
      Ok, ok, ok….
      J’arrive parle + de La Mort que de la maladie mais elle est là, bien entendu.
      Sur la thématique des prisons que nous nous construisons, en plus de The Wall bien sûr, je pense souvent à V For Vendetta où Evey réalise à Larkhill que la porte de sa cellulle était ouverte depuis le début et qu’elle n’avait jamais pensé à le vérifier.

      • Jyrille  

        C’est un compliment : tu n’as pas lu les Inrocks avant ? Ils avaient de superbes interviews. Et tu as totalement raison pour V et The Wall.

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