L’âge de raison (Ultimates)

Vive l'Amérique !

Vive l’Amérique ! ©Marvel Comics

Ultimates par par Mark Millar et Bryan Hitch

Première publication le 2 avril 2014. Mise à jour le 03/02/19.

AUTEUR:TORNADO

VO : Marvel

VF : Panini

Ultimates est une série de l’univers Marvel. Mais il ne s’agit pas de l’univers Marvel tel que nous le connaissons exactement.

Le concept est le suivant : L’équipe des Avengers, regroupant certains des super-héros Marvel les plus puissants, est complètement repensée. Il s’agit à la fois d’un remake et d’une réinterprétation de la franchise, avec réactualisation des origines. Pour le côté chiant, disons que l’univers Ultimate est un univers parallèle à celui de l’univers Marvel que nous connaissons. Ce dernier est nommé l’univers de la « Terre-616 ». L’univers Ultimate est celui de la « Terre-1610 »…

La série, réalisée à partir de 2003 par le scénariste Mark Millar et le dessinateur Bryan Hitch, s’étend sur deux saisons (mais trois albums VF chez l’éditeur Panini Comics, qui a décidé de charcuter la saison 2 histoire de multiplier les ventes, en y ajoutant des épisodes bouche-trous ineptes…).

Il est tout à fait possible de lire le premier album tout seul, puisqu’il offre une conclusion réelle. Mais l’histoire trouve une prolongation dans la saison 2, (disponible dans Ultimates, Tome 2 : Secret d’Etat et Ultimates, Tome 3). La suite, Ultimatum, réalisée par d’autres auteurs (Jeff Loeb, David Finch, etc.), est très différente. Bruce en a rédigé un avis contraire : ICI.

Les mêmes... Mais différents !

Les mêmes… Mais différents ! ©Marvel Comics

Si vous êtes un lecteur résolument adulte, qui apprécie moyennement les comics traditionnels pour leur tonalité enfantine, si vous souhaitez lire une histoire de super-héros moderne, impertinente, qui échappe aux clichés inhérents au genre (manichéisme primaire, combats répétitifs inoffensifs dont les héros sortent systématiquement indemnes, résurrections des personnages, dialogues ampoulés, censure, continuité sclérosante…), ou si vous êtes tout simplement un lecteur -ou une lectrice- ouvert(e) d’esprit, cette série est miraculeusement créée et pensée pour vous…

Si vous trouvez que, la plupart du temps, les combats de super-bonhommes en slip sont ennuyeux et sentent le réchauffé, si plus rien ne parvient à vous impressionner en la matière, alors ruez-vous également sur cette série, car La partie graphique est exceptionnelle. Le dessinateur Bryan Hitch est l’un des seuls dans sa catégorie capable de rivaliser avec les plus grands faiseurs de blockbusters cinématographiques à l’intérieur de son médium : celui des comics, celui de la bande dessinée.

Ultimates par Bryan Hitch n’a rien à envier aux films de Roland Emmerich ou de Michael Bay en termes de grand spectacle à couper le souffle. Le bonhomme nous offre ainsi des planches bourrées à craquer de scènes d’action spectaculaires, aux effets spéciaux inédits, constellées de détails et de morceaux de bravoure iconiques.

Grand spectacle !

Grand spectacle ! ©Marvel Comics

Hitch demeure, avec une poignée de ses collègues (Mike Deodato par exemple), un de ceux qui réussissent le mieux à procurer au lecteur une perception quasiment cinématographique des planches de comics. Cadrages grand angle, plongées et contre-plongées diverses, effets spectaculaires à outrance, le spectacle impressionne nos rétines de la même façon que les blockbusters des salles obscures. Une virtuosité absolue, rehaussée par un réalisme et un sens du détail proprement ahurissant !

Le scénariste Mark Millar, s’il n’est guère apprécié par les lecteurs mainstream purs et durs empaquetés dans les comics old-school depuis des décennies, possède justement les germes de la révolution. Ses super-héros sont bourrés de défauts, ils sont ambivalents et corruptibles, fragiles, parfois déviants, toujours humains. Captain America déploie subtilement son patriotisme anachronique et sa mélancolie, liée à la perte de ses repères et de ses contemporains. Iron Man s’assume complètement dan son rôle de jet-setter qui brûle sa vie comme une allumette.

Thor a-t-il raison ?

Thor a-t-il raison ? ©Marvel Comics

Thor nous offre de loin, mais alors de très, très loin, sa déclinaison la plus fascinante depuis sa création sous la plume de Stan Lee en 1963. Mark Millar a donné dans le génie avec l’interprétation de ce personnage en particulier, qui réserve au lecteur un suspense inégalé autour de son identité réelle jusqu’à la dernière minute. La Guêpe est une nymphomane arriviste de premier ordre, mais qui peut plier sous les sentiments. Ant-man est un opportuniste qui rappelle les pires stars déchues du show-business, prêtes à tout pour se raccrocher à la moindre étincelle vacillante… Bref, les Avengers version ultime existent comme des êtres d’une crédibilité totale.

Alors que l’éditeur Marvel refuse de l’admettre en visant éternellement le même cœur de cible, à savoir les enfants et les jeunes adolescents, l’essentiel de son fond de commerce se joue désormais chez les adultes, puisque les lecteurs d’hier, ayant grandi avec les comics du Silver age, sont encore les lecteurs d’aujourd’hui ! C’est ce que Millar a parfaitement compris. Et il y va très fort, n’hésitant pas à caractériser chaque personnage afin de le débarrasser de toute connotation trop manichéenne. Résultat. Soit la version Marvel la plus adulte, la plus ambivalente et la plus cynique de toute son histoire.

Grand spectacle ! (bis)

Grand spectacle ! (bis) ©Marvel Comics

En ce qui me concerne, je me suis senti en phase avec cette lecture, alors que je désespérais, depuis Watchmen, de retrouver un comicbook de super-héros majeur réservé aux adultes. En revanche, le puriste amoureux transit de toutes ces figures dans leur version classique risque d’avoir du mal à les voir aussi malmenées, car on est très loin de la figure héroïque à l’ancienne.

On peut dire que les super-héros version Ultimates par Millar & Hitch, s’ils sont identiques à leurs homologues classiques dans la forme (Captain America est toujours Captain America, Hulk est toujours Hulk, etc.), sont extrêmement différents au niveau du fond… Mais ceux qui franchiront le cap de la nostalgie et du conservatisme éditorial ne devraient pas le regretter, tant la qualité est au rendez-vous.
Cerise sur le gâteau : Le scénario est profond et développe une solide réflexion sur le super-héros entant qu’étendard d’une Amérique mondialiste et impérialiste, ainsi qu’une parabole irrévérencieuse et provocatrice du show business et de ses stars avides de succès et de popularité. Soit un sous-texte passionnant qui hausse la lecture de cette série au rang de création majeure de l’histoire des comics.

A star is born...

A star is born… ©Marvel Comics

Dans la saison 2, Millar et Hitch ont convoqué tout un panel de l’univers Marvel afin de les jeter dans un final apocalyptique d’une ampleur rarement atteinte, où tous nos super-héros préférés américains, aidés pour la circonstance par tous les super-héros européens, combattent le reste des surhumains non occidentaux venus réduire New York en cendres ! Mais loin d’être gratuite, cette débauche cathartique vient étoffer le discours sous-jacent que les auteurs développent depuis le début de la série sur l’impérialisme d’une Amérique violente et agressive, qui a su créer et broder ses plus beaux atours afin de les étendre sur le monde.

De ce point de vue, les super-héros, notamment les plus emblématiques de cet impérialisme (Captain America et son costume tout en drapeau américain), semblent avoir servi leur pays dans une tentative délibérée de faire oublier Mickey Mouse, créé quelques années plus tôt, affirmant que les « gentils » sont aussi les plus forts… Mais, d’une manière aussi logique qu’ambivalente, le scénariste et son dessinateur finissent par se souvenir qu’ils adorent eux aussi l’Amérique, avant de se ranger de manière compulsive et assumée derrière ses étendards sur pattes… Ce sous-texte limpide et cynique, parabole à peine voilée des événements du 11 septembre 2001, contribue de manière éclatante à la richesse d’une œuvre majeure sortie de l’écurie Marvel, toutes époques confondues.

Introducing... Samuel Jackson as Nick Fury !

Introducing… Samuel Jackson as Nick Fury ! ©Marvel Comics

Les Ultimates sont donc aux Avengers ce que Sex and the City est aux sitcoms : Un pavé dans la marre, une déformation irrévérencieuse et provocatrice. Mais il y a du talent dans tous ces outrages, car le sous-texte est d’une richesse hallucinante. Ces super-héros avides de reconnaissance, de popularité et de starification sont des clones de nos stars du show business. Cette Amérique menaçante, violente et agressive qui utilise ses surhumains comme des « armes de destruction massive » est une version à peine forcée de l’Amérique impérialiste bien réelle.

Toutes les qualités d’écriture du scénariste sont particulièrement éclatantes dans sa manière de composer des versions ambivalentes des héros que nous connaissons tous par cœur. De Tony Stark à Nick Fury en passant par Steve Rogers ou Bruce Banner, nous ne sommes plus chez les parfaits gentils, reflet idéalisé de l’âme humaine fantasmée, mais chez des êtres complexes et fragiles, corruptibles et nettement plus proches de la réalité.
Ça vaut ce que ça vaut, mais Ultimates saison 1 & 2 s’impose ainsi pour votre serviteur comme la série graphique, narrative et thématique la plus brillante de sa génération. A ranger à côté de Authority par Warren Ellis (dont Mark Millar a d’ailleurs écrit la saison 2 !). La très grande classe.

Un immense poster dépliant se cache dans la saison 2 !

Un immense poster dépliant se cache dans la saison 2 ! ©Marvel Comics

Côté récits annexes (bouche-trous) :

– Les Marvel Team-Up qui apparaissent à la fin du tome 2, mettant en scène des combats enfantins entre Spiderman, Hulk et la Veuve noire, ne sont absolument pas raccord avec l’histoire principale ! Pire encore : Clairement adressés à un public plus jeune, ils dénotent complètement et gâchent l’intensité de la lecture.Ils n’ont rien à faire dans cette reliure. Le scénariste Brian M. Bendis, s’il s’amuse aux dialogues, se contente ici de dérouler des récits infantiles à l’ancienne, à mille lieues des la série Ultimates. Les dessins sont d’une rare laideur.

– L’épisode Ultimate Annual #1, dessiné par le laborieux Steve Dillon, n’était pas non plus indispensable. Mais il dénote moins en comparaison des épisodes centraux.
– Dans le tome 3, L’annual #2, écrit par Charlie Huston et dessiné respectivement par Mike Deodato (le présent) et Ryan Sook (le passé), est en revanche le bienvenu. Très dense, il met en scène Captain America et le Faucon aux prises avec Arnim Zola, psychopathe nazi qui renvoie directement Steve Rogers (Cap) à ses pires souvenirs de la seconde guerre mondiale. Là encore, le sous-texte racial se révèle très pertinent et trouve parfaitement sa place dans ce dernier recueil.

Et après ?

L’univers Ultimate va évoluer et régresser sans cesse, l’éditeur cherchant désespérément à le rentabiliser. Il va se mêler à celui de la Terre-616 (le Spiderman de l’un rencontrant le Spiderman de l’autre, le Galactus de l’un débarquant chez l’autre, etc). Mais par dessus tout, c’est le cinéma qui va venir mettre son nez dans cette version moderne ! Ainsi, les films Disney/Universal, à commencer par Avengers, s’inspireront massivement de cette version créée par Mark Millar, jusqu’à reprendre sa version de Nick Fury créée à partir de l’acteur Samuel Jackson, dans une forme de boucle bouclée autour de ces deux mediums !

Les Ultimates auront-ils finalement réussi à sortir l’univers Marvel de son marasme infantile ? Hélas, bien sûr que non ! Cette parenthèse fut de courte durée et, rapidement, l’univers Ultimate va basculer dans les crossovers et annoncer à son tour l’éternel retour vers la continuité indigeste. Il finira d’ailleurs par être absorbé par la « Terre 616 » à l’issue du méga-giga-event Secret Wars. Un échec de plus, donc.
Mais, heureusement, ces deux premières saisons peuvent se lire comme un tout autonome et abouti…

Yeaaaaaahhhhhhh ! ©Marvel Comics

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