Le mal qui se cache dans le cœur des hommes (The Shadow de Garth Ennis)

THE SHADOW par Garth Ennis, Aaron Campbell et Carlos Lopez

Un article de JB VU VAN

VO : Dynamite Entertainment

VF : Panini France

Pas très réglementaire, le port du masque !
© Advance Magazines Publisher
© Dynamite Entertainment
© Panini France

Cet article portera sur le tome 1 de THE SHADOW publié par Panini France, qui contient les 6 premiers numéros de la série THE SHADOW de 2012 publiée par Dynamite Entertainment.

Qui connaît les spoilers qui se cachent dans le cœur de cet article ? JB les connaît et vous les dévoile sans vergogne !

Cauchemar des criminels, le vigilante connu sous le nom de The Shadow perçoit le flot du destin. Une descente dans les docks du New York de 1938 met à jour un secret qui pourrait changer la face du monde. Japonais, allemands, soviétiques et américains cherchent tous à mettre la main sur une mystérieuse cargaison qui donnerait à son propriétaire un immense pouvoir. The Shadow, sous son identité civile de Lamont Cranston, se rend à Shanghai, puis au cœur de la Chine pour retrouver ce trésor, objet de toutes les convoitise. Face à lui se dresse Taro Kondo, agent corrompu des services secrets japonais et vieille connaissance de Kent Allard, l’homme qui allait devenir The Shadow !

Tout d’abord héros de feuilletons radiophoniques, The Shadow a ensuite vu ses aventures adaptées en romans puis en comic books. Il est également une influence directe de Batman : la toute première aventure de Batman est un plagiat avoué d’une histoire de The Shadow, “Partners of Peril”. Lors d’une rencontre entre les 2 personnages, le protecteur de Gotham avoue lui-même s’être inspiré du vigilante à l’écharpe rouge !

Une influence avouée !
© DC Comics

Le personnage de The Shadow varie en fonction des adaptations. La série que lui consacre Archie Comics en fait un superhéros costumé. La révision par Howard Chaykin transpose le personnage dans l’ère moderne. Dans certaines versions, The Shadow est un pilote nommé Kent Allard qui prend l’identité d’un homme de la haute société nommé Lamont Cranston. Dans d’autres, il est réellement Cranston. Parfois héroïque, The Shadow se voit donné des origines plus troubles, notamment dans le film de 1994 : Lamont Cranston y est décrit comme un ancien seigneur de guerre et trafiquant de drogue qui a trouvé la voie de la rédemption au Tibet.

Garth Ennis poursuit cette dernière interprétation. Taro Kondo raconte qu’il a connu Kent Allard, alors agent des services secrets américains, lorsque ce dernier a pris le contrôle des trafics criminels de Shanghai. Pourtant, pour des raisons inconnues, Allard disparut. Quelque temps plus tard, une figure mystérieuse est revenue, massacrant toutes les filières criminelles de la ville, avant de partir aux Etats-Unis pour devenir le justicier connu sous le nom de The Shadow. Si l’on voit quelques flashbacks des crimes d’Allard et de son massacre de tous les trafiquants de Shanghai, le lecteur n’a droit à aucun visuel sur ceux qui ont converti l’ancien criminel. Le message est clair : The Shadow est un monstre, qui n’est le héros que parce qu’il traque des êtres bien pires que lui. Il rejoint ainsi nombre de personnages de Garth Ennis comme Billy Butcher, Fury, le Punisher ou encore le Soldat Inconnu !

Avant de devenir une ombre…
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The Shadow obtient d’ailleurs des pouvoirs qui dépassent ses capacités habituelles d’hypnotiseur. Son crédo est le suivant : “Qui sait quel mal se cache dans le cœur des hommes ? Le Shadow le sait !” Dans la version de Garth Ennis, le Shadow a des dons de télépathie lui permettant de connaître l’identité de ses ennemis ou même de pouvoir parler avec des japonais sans connaître leur langue. Il peut également voir l’avenir, prédisant à une mère la mort de son fils 6 ans plus tard, et même ramener un court instant les morts à la vie. Créature véritablement surnaturelle, il se montre également inhumain envers ses alliés, même méprisant envers son agente et amante Margo Lane.

L’histoire suit 2 groupes de personnages, qui servent plus ou moins de miroirs l’un à l’autre. Lamont Cranston s’aventure en Chine avec la journaliste Margo Lane et l’agent des services secrets Matt Finnegan. Outre son identité secrète, Cranston est l’expert concernant la culture asiatique et le conflit sino-japonais. Il sert de guide aux autres personnages. Matt Finnegan est un américain patriote, sûr de lui et idéaliste. Le voyage brisera ses illusions. Entre les 2, Margo Lane sert d’avatar au lecteur, qui s’amuse de la naïveté de Finnegan et s’offusque de la froideur de Cranston. En tant que journaliste, Lane est également le témoin des brutalités de l’invasion japonaise. Cranston la conduit sur la scène d’un crime de guerre qu’il compare au massacre de Nankin : le massacre de civils, le viol et le meurtre d’innombrables femmes et jeunes filles par l’armée nippone. Si The Shadow place Lane et Finnegan devant cette atrocité, c’est moins par sadisme que par pragmatisme : il avertit ainsi la presse et les services secrets qu’en Europe, un mal similaire frappera bientôt.

Vision d’un holocauste
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Pourtant, Lane et Finnegan prennent également un rôle actif dans ce voyage. Margo Lane doit notamment se salir les mains pour protéger sa propre vie. Elle affronte une nazie au cœur d’un avion et lui tire dessus. Cependant, son adversaire était couverte de carburant et prend feu. Margo se retrouve malgré elle dans la peau d’un bourreau, infligeant une mort atroce à sa victime. Finnegan, pour sa part, tente d’affirmer son autorité, ce qui conduit à la mort de tout l’équipage du bateau dont il prend le commandement. Ces épreuves marquent les personnages. Finnegan y perd notamment ses illusions d’aventures pour découvrir le véritable visage de la guerre, un autre thème cher à Garth Ennis.

Du côté des antagonistes, on retrouve un trio. Le subtile Taro Kando montre ce qu’aurait pu devenir Allard s’il n’était pas devenu The Shadow. Un homme considérant ses alliés comme des pions, prêt à trahir toutes ses alliances pour parvenir à ses fins. Sa mission est de mener le Général Akamatsu vers le trésor que tous cherchent. Akamatsu, obéissant aux ordres directs de l’empereur, se sent investi d’une mission divine. Il ne jure que par l’honneur du Japon, malgré les remarques de ses compagnons de route sur ses propres contradictions. En effet, l’honneur ne l’empêche pas de tuer tous ses rivaux, sans parler des exactions de son armée sur les civils… Enfin, Wong, seigneur de guerre et trafiquant, règne sur le territoire où se trouve le trésor convoité. Colosse sarcastique, autre vieille connaissance d’Allard, il rappellera aux fidèles lecteurs de Garth Ennis d’autres personnages comme Rudi Gagarin (FURY) ou Barracuda.

L’illusion d’une mort honorable
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Ce trio montre trois visages du mal qu’affronte The Shadow. Wong représente les bas-fonds criminels : paillard et jouisseur, trafiquant drogues et humains, il est parfaitement conscient de ses actes. Akamatsu, au contraire, est persuadé d’agir pour le bien commun, et justifie par ces objectifs tous les crimes de guerre que lui et ses troupes commettent pour y parvenir. Kando est l’opportuniste, le traître, qui sacrifie tout pour son bénéfice personnel. La narration pousse à cette interprétation métaphorique des personnages. Le premier numéro s’ouvre sur un massacre commis par l’armée japonaise, narrée par The Shadow. La fin du run, toujours racontée par le protagoniste, montre un autre meurtre de masse qui coûte sa vie à Kondo, cette fois commis par les Etats-Unis. La conclusion ? Il faut un monstre pour affronter un monstre.

Aaron Campbell, l’artiste de ce run dont le trait m’évoque celui de Doug Braithwaite, dessine plusieurs séries de Dynamite Entertainment, notamment GREEN HORNET. Il n’est donc pas étranger à l’ambiance pulp et à la période des années 30. Campbell avait d’ailleurs déjà mis en image une séquence proche du Massacre de Nankin qu’il propose dans les premières pages de cet album On l’a revu plus récemment sur la série JOHN CONSTANTINE : HELLBLAZER de Si Spurrier et le comic book INFIDEL.

Garth Ennis est en terrain connu, peut-être trop. Il tire The Shadow de son environnement habituel pour le placer au milieu d’une guerre. S’il renouvelle le personnage en explorant ses origines, Garth Ennis revient à plusieurs reprises sur des éléments déjà vu dans ses comics. Un héros justifiant le massacre de ses ennemis en voyant leurs exactions ? C’est son SOLDAT INCONNU. L’enfer, c’est la guerre ? Le propos de FURY ou tout simplement de son WAR IS HELL. Son run sur THE SHADOW reste une lecture agréable, mais bien moins marquante et originale que ses autres comics.

Le visage de la Mort
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26 comments

  • Ben Wawe  

    Bel avis.
    Je le suis un temps beaucoup intéressé au Shadow mais le bordel des origines et des versions m’a un peu gavé.
    Le Grendel /Shadow de Matt Wagner est assez cool.

    • JB  

      Il me semble également que Wagner a écrit des arcs ou séries The Shadow en dehors de ce crossover (j’ai envie de dire The Death of Margo Lane par exemple ?)

      • Ben Wawe  

        Bien vu !

  • Nikolavitch  

    J’étais passé à côté, tiens. et pourtant j’ai pas mal de Shadow à la maison.

    je vais partir en quête.

  • Tornado  

    Ah contrairement à Niko je n’étais pas passé à côté. Mais par contre il dort sur mes étagères sans que j’ai encore pu trouver le temps de le lire…
    J’avais essayé la série par Howard Chaykin (jadis publiée en VF chez Comics USA en trois volumes) sur les conseils de Présence. Et je n’avais pas aimé du tout ! Je n’aime pas du tout Chaykin de toute manière. Ni ses dessins, que je trouve abominables, ni ses trouvailles formelles, qui me font le même effet que la musique instrumentale bruitiste.
    Par contre Ennis je suis fan ! Et je vois qu’ici il s’est offert les services d’un bon dessinateur (ce qui est loin d’être le cas avec ce scénariste, qui aime surtout s’entourer de sa bande de potes, même si certains dessinent avec les pieds !). WAR IS HELL est d’ailleurs dessiné par… Chaykin !

    Merci pour cet article éclairant JB. Je tâcherai de le relire une fois que j’aurais enfin décidé de lire le comics…
    Heu… Pas de BO ???

    • JB  

      Du coup, j’espère ne pas t’avoir trop spoilé le comics.
      Chaykin, c’est particulier, et la série régulière d’Andrew Helfer qui suit est également très baroque (elle finit avec la tête décapitée de The Shadow montée sur un corps cybernétique). Pour retrouver un Shadow « classique » chez DC Comics, il faut attendre The Shadow Strikes! qui revient à l’époque traditionnelle du personnage.

      BO : Je n’en ai pas proposée, désolé !

  • Eddy Vanleffe  

    le Shadow m’ jamais trop attiré et je ne sais pas pourquoi…
    peur du Kitsch?
    j’ai jamais trop lu le fantôme du Bengale non plus …
    je suppose qu’ici Garth Ennis fait montre de sa passion et de son érudition sur la seconde guerre mondiale , c’est souvent là qu’il est le meilleur.

    • JB  

      Dans ce cas précis, il s’intéresse aux conflits en Asie (notamment au Massacre de Nankin) et à l’approche de la guerre mondiale

      • Eddy Vanleffe  

        un domaine pas souvent exploré…. ( a part dans le Lotus bleu)

  • Matt  

    Tiens, du Garth Ennis qui a l’air sympa, sans son habituel humour crade et beauf (apparemment).
    A voir, à l’occasion.

    • JB  

      Je confirme, il y a assez peu d’humour (hors sarcasmes cyniques des protagonistes)

  • Glen Runciter  

    Pour la petite histoire, certaines aventures de The Shadow ont été écrites par Lester Dent, l’auteur de Doc Savage. Avec ces deux héros, on a quasiment les fondements du genre super-héroïque.

    • JB  

      On voit cela assez directement dans la série Justice Inc. de Dynamite : le personnage principal, Richard Benson/The Avenger, voit Doc Savage et The Shadow lui servir de bon et mauvais anges. Sauf erreur de ma part, les 2 comptes également quelques crossovers (entre leurs 2 séries chez DC Comics et une mini chez Dark Horse).

  • Jyrille  

    Merci pour ma culture JB car je ne connais rien de ce personnage. Je n’ai même pas vu le film de 1994 ! Je passe allègrement car j’ai une trop grosse pile et puis Ennis je commence un peu à connaître. D’ailleurs je dois lire INFIDEL et le HELLBLAZER de Spurrier (et ceux de Delano).

    En tout cas encore une fois un bel article, concis et précis, sur une bd peu mise en avant, et ça j’adore.

    • JB  

      À ton service ^^ Dans la même idée, je me tâte pour faire les albums The Spirit et Doc Savage parus chez Ankama (séries DC Comics labellisée First wave)

      • Tornado  

        Je serais preneur d’un tel article. Cela me rappelle que j’ai et que je n’ai toujours pas lu la première mini FIRST WAVE.
        J’ai vu le film THE SHADOW de 1994, mais je n’en garde strictement AUCUN souvenir !
        Et sinon aucun soucis avec les spoils de l’article. Je les ai déjà en partie oubliés !^(je suis doué pour lire entre les lignes quand il le faut ^^).

        Idée pour la BO : https://www.youtube.com/watch?v=AupzcEuLwME

        • JB  

          Du film, je ne me rappelle que de Tim Curry (dans le rôle d’un homme de main) ^^ Et de Penelope Ann Miller

  • JP Nguyen  

    Je me souviens que Présence avait posté sur Facebook des images de la série de 1986 par Howard Chaykin.
    Cela m’avait permis de pondre un calembour bien tiré par les cheveux, avec « 1986 : c’est aussi l’année du début du mâle Tapie au coeur de l’OM »

    Merci pour le résumé et les extraits. Ca à l’air solide mais sans grande surprise. J’essaierai en médiathèque si je tombe dessus.

    • JB  

      Toujours du grand art !

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour et merci pour cet article JB.

    Je connaissais la couverture de l’album pas le contenu. Malheureusement le personnage de Shadow ne m’intéresse pas du tout et surtout c’est écrit par Garth Ennis, scénariste qui ne parle pas du tout, bien au contraire même. Et la lecture de ton article (assez court, je remarque, tu as suivi le conseil du Boss) ne m’a pas convaincu de changer d’avis.

    • JB  

      Ah, cet article là date d’il y a quelque temps, j’ai donc même devancé l’appel ^^

    • Bruce lit  

      Merci pour cette saison JB.
      Clore sur du Garth Ennis n’est pas la pire manière de reconduire ton cdd.
      Je suis souvent tombé dessus en soldes et n’ai pas sauté le pas. La cover de Ross m’est très antipathique. Visiblement c’est tout à fait le genre de récit qui me plairait. Je vais me laisser tenter.

    • Jyrille  

      Je ne connaissais pas ce groupe, c’est sympa, merci ! Ca fait vachement penser à Cigarettes After Sex notamment.

  • Présence  

    Voilà un bon souvenir de lecture en ce qui me concerne.

    J’étais déjà attaché au personnage du Shadow précédemment, avec les version d’Howard Chaykin, d’Andy Helfer avec Bill Sienkiewicz, puis avec Kyle Baker (un article disponible sur le site).J’avais découvert les versions comics précédentes comme celle de Mike Kaluta & Dennis O’Neil, puis celles publiées par DC Comics par la suite, et celles de Dark Horse.

    http://www.brucetringale.com/apres-howard-chaykin-andrew-helfer-bill-sienkiewicz-tapent-encore-plus-fort/

    Et dans le même temps, je suis un fan inconditionnel de Garth Ennis. J’ai beaucoup aimé sa façon de développer un des principaux centres d’intérêt : la guerre dans toute son atrocité, toute son inhumanité. Il ne se contente pas d’un message simpliste ou basique de type La guerre, c’est mal. La première scène permet de situer l’action dans un contexte historique. Ennis énonce des faits qui condamnent sans appel les actions militaires japonaises en Chine. Dans le cadre de ce récit, il n’y a pas plus de contextualisation, pas de recul sur le fait que L Histoire est écrite par les vainqueurs. L’objectif clairement affiché est de faire comprendre au lecteur que ces atrocités sont similaires à celles commises par les nazis. Par la suite, Ennis développe une histoire qui s’attache plus à la réalité des opérations militaires clandestines en temps de paix. Que se passe-t-il quand une démocratie doit effectuer une opération officieuse dans un territoire où le pouvoir politique doit plus à la force qu’à la démocratie ? La réponse n’est pas très surprenante, mais son traitement est assez saisissant dans sa réalisation. La précision historique des premières scènes laisse supposer que la suite des aventures s’inspire de faits plausibles.

    https://www.babelio.com/livres/Ennis-The-Shadow-tome-1–Le-feu-de-la-creation/754525/critiques/857682

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