Morts et résurrections de Jean Grey

Focus : La résurrection de Jean Grey

On m'aurait mentiiiiii ?

On m’aurait mentiiiiii ?© Marvel Comics

Article de AUTEUR : BRUCE LIT

VO : Marvel

VF : Lug, Panini

La résurrection de Jean Grey est officiellement signée John Byrne dans son FF#286 et Bob Layton pour X-Factor #1. Nous verrons l’influence qu’eut Kurt Busiek dans cette histoire.

Publiée dans Spidey à l’origine, la résurrection de Jean Grey a fait depuis l’objet d’une réédition chez Panini.

Ce fut la grande affaire des années 80. Un coup d’état. Une trahison. Un coup marketing de génie  : La résurrection de Jean Grey.

Ceux qui ont vécu ces années seront formels : La mort du Phénix fut l’événement majeur de cette décennie voire de leurs vies de lecteurs. Bien plus qu’Elektra qui n’aura vécu que quelques épisodes.  La saga du Phénix noir marquait un sentiment d’accomplissement : celui d’avoir assisté à une montée en puissance de la maturité en comics de la plus grande équipe du monde soudée jusque la mort. Les Xmen, c’était une famille unie d’abord contre les vilains Marvel puis contre l’univers entier. Une dizaine d’individus ayant une confiance inébranlable en leurs valeurs et leurs cause.

Jean sort de son cocon dans sa robe déchirée : le raccord est parfait avec la saga initiale

Jean sort de son cocon dans sa robe déchirée par Wolverine : le raccord est parfait avec la saga initiale ! © Marvel Comics

Le décès  de leur membre fondateur et la survivance qui s’ensuivit fut ce que les comics Marvel pouvait offrir de meilleur en ces années là. Aucune résurrection n’était de mise. Scott Summers, le leader de l’équipe faisait son deuil en même temps que nous pleurions notre héroïne. Il partait sur un bateau, affrontait littéralement le désespoir le temps d’une histoire inoubliable où la tentation du suicide n’était pas loin. Son deuil rencontrait ensuite celui de Magnéto dans le triangle des Bermudes dans une aventure fabuleuse alliant exotisme, Star Wars et Histoire, puisque le vilain Magnéto devenait dans le retcon le plus inspiré de l’histoire des Comics un rescapé de la Shoah.

Cyclope rencontrait enfin Madelyne Pryor qui l’aida à prioriser ses responsabilités de héros et d’être humain : notre leader aurait droit à son bonheur. Un bonheur chèrement monnayé chez Loki où il devint Papa.  Il quittait les X-Men non sans regrets pour entrer dans la paternité. Et on aurait dû en rester là. Sauf que….
Tapis dans l’ombre, tels des super-vilains les gens de chez Marvel avaient décidé de détruire la toile patiemment tissée par Chris Claremont.

Scott Summers déchiré entre son épouse de substitution et sa fiancée revenue à la vie

Les feux de l’amour :  Scott Summers déchiré entre son épouse  et sa fiancée revenue à la vie © Marvel Comics

Celui-ci avait sorti de la fange une licence qui n’intéressait pas grand monde à commencer le tandem Lee-Kirby qui n’aura jamais particulièrement brillé sur cette série. Claremont  s’appropria ces super-héros et dirigea leur destin presque comme une série indépendante. Les X-Men auront été la série où tout pouvait arriver : les héros mourraient, vieillissaient, se mariaient, avaient des gosses. La vie les mettaient à rude épreuve, notamment durant la saga Australienne où ils finiraient sans costumes, sans QG, sans pouvoirs et sans identité.

Pourtant, au fil de la volonté des éditeurs et de la fourberie d’un John Byrne qui tel un Roger Waters des comics  n’en finirait pas de savonner la planche de son ancien équipier, les Xmen allaient progressivement quitter leur cocon (comme Jean Grey, le sous-texte est savoureux) intimiste pour se multiplier comme des lapins et donner naissance à la continuité la plus casse-couilles de notre univers et des autres.

En résumé, ce qui était la vision unique d’un homme aux idées souvent géniales aura progressivement glissé vers des exigences mercantiles des décideurs de Marvel : commencer doucement avec un spin-off  Les nouveaux mutants puis une nouvelle série avec les anciens Xmen, Jean Grey incluse….Et bien sûr sans l’aval de leur architecte principal qui n’aurait qu’à suivre.

L’idéalisme de Jean Grey ne supporte pas la lassitude de Cyclope. En fait, la preuve que le Run de Bendis avait déjà été écrit 30 ans auparavant… © Marvel Comics

Tout ça était tellement subtil : induire des changements totalement inappropriés pour coller à des putains d’événements qui prenaient le lecteur en otage. Le courrier de l’époque résumait parfaitement la situation : Il était inadmissible de ressusciter Jean Grey. Mais pour connaître la continuité de Scott Summers, que beaucoup considéraient comme le héros de la série, on était obligé de se coltiner Facteur X. Marvel avait gagné !

Tout comme Shooter avait gagné avec son Secret War : Charles Xavier devenait un trou du cul, Magnéto kidnappait Wasp pour…euh, la sauter sous l’orage d’un monde alien, et le noble Colossus oubliait son amour pour Kitty Pryde pour se jeter dans les bras de la première alien venue.  Claremont était aussi maso que ses personnages : non seulement, il endurait ces humiliations mais il parvenait à transformer des idées foireuses en petits bijoux d’inventivé et d’émotion. Pour beaucoup, le retour de Secret War où Peter annonce à une Kitty anéantie de chagrin qu’il ne l’aime plus reste la plus belle scène de toute la série.

Suite à la contrainte éditoriale de Secret Wars, Claremont réussit encore à rebondir avec génie dans une scène poignante qui voit la dissolution du couple Colossus-Shadowcat © Marvel Comics

Mais rien ne pouvait le préparer à ce crime de lèse majesté : ressusciter un  personnage que l’auteur britanique aimait comme personne n’aimera jamais des créateurs d’encre et de papier. On raconte que la nuit où Claremont apprit le tour que Byrne avait ourdi dans son dos, il alla de bar en bar écumer sa déception.

Peu réputé pour la finesse et la sensibilité de ses scenarii,  Bob Layton qui héritera du premier numéro de Factor X, écrira une scène magnifique faisant écho à la détresse de Claremont : Scott Summers qui avait refait sa vie est dévasté par le retour de cette femme dont il avait fait le deuil. Il ère sale et éméché sur le port de Jamaïca Bay où sortit le Phénix quelques années plus tôt. Dans un très beau dialogue, Layton met en scène le temps qui passe, la nostalgie et l’impuissance à contrôler des événements malgré tous les supers pouvoirs de l’univers. Pas de doute possible Scott, c’est ce pauvre Claremont forcé de continuer de composer avec ce qui a été décidé contre lui.

La plus belle scène de Factor X #1

La plus belle scène de Factor X #1 © Marvel Comics

Un complot mené de main de maître par John Byrne qui se servit d’une suggestion faîte par le fanboy de l’époque : un certain Kurt Busiek qui réussit un tour de force : offrir à la belle la résurrection la plus consciencieuse et intelligente jamais écrite. Force est d’admettre que le duo Byrne-Busiek ramenèrent à la vie Jean Grey avec beaucoup de professionnalisme en couvrant tous les angles morts de l’histoire originale. Une tendance qui disparaîtra au cours de ces 15 dernières années où les héros reviennent à la vie sans aucune explication et dans le plus grand mépris pour les lecteurs.

Pas ici. Busiek fait preuve d’un rationalisme enamouré pour l’univers Marvel qui fera son succès pour Asto City : Jean Grey n’a jamais été le Phénix. Mourante, elle est visitée par une puissance cosmique qui goutte à l’existence terrestre en incarnant Jean Grey pendant que la vraie guérit de ses blessures dans un cocon au fond de l’océan. Une manière plutôt futée d’expliquer que lors de sa première explication, elle brame avec un costume sorti d’on ne sait où qu’elle n’est plus la femme que les X-Men ont connue. Une manière opportuniste de dédouaner la rouquine de ses crimes qui augurera tous les événements Marvel à venir : c’est pas moi, c’est l’autre : Onslaught, le DD de Shadowland ou le Cyclope de Avengers Vs X-Men.

Le bouton reset est enclenché : Cap' dédouane Jean des crimes du Phénix

Le bouton reset est enclenché : Cap’ dédouane Jean des crimes du Phénix (ce qui explique son air cruche) © Marvel Comics

Pour que la pilule passe, on prend le temps de bien l’expliquer d’abord dans les FF de  John Byrne puis le premier Factor X chez Layton.  Et paradoxalement, c’est encore le dessinateur bobybuildé qui l’emporte sur l’impétueux canadien. Byrne brosse un récit plaisant où ça parle beaucoup mais où ses personnages surjouent avec des poses exagérées et sans une once d’émotion.  Deux numéros avant, il mettait en scène un enfant qui mourrait de s’être identifié à la Torche Humaine avec les même travers : s’attaquer au deuil et à la mort brutale sans la sensibilité d’un Roger Stern dans l’Enfant qui aimait Spider-Man. Il mène ce récit de manière très professionnelle mais inhabité.

A l’inverse Layton offre un classique des Xmen. Ce pauvre Scott Summers est transformé en connard égoïste qui plaque sa femme et son enfant pour japper aux pieds de sa rouquine. Pourtant, le lecteur ressent la détresse de son héros : il s’est menti à lui-même, notre héros est prisonnier de son quotidien. Lui qui sauva l’univers utilise désormais ses pouvoirs pour couper du bois, changer des couches et faire des courses. Lorsque réapparaît Jean Grey, sa vie entière devient un mensonge et les scénaristes auront beau jeu de ne pas précipiter leur héros dans le lit de son ex-copine.

Des scènes à la mise en scène exagérée pour rendre la mémoire de Jean

Une mise en scène exagérée pour rendre la mémoire de Jean © Marvel Comics

Parallèlement à ça, on suit le destin de Angel, Beast et Iceberg. Dans une ambiance très sexe, les trois héros évoluent en slip et en maillot de bain devant une Candy Southern dont des ouvriers matent les fesses. Dans son run insipide, Kieron Gillen eut la seule phrase à sauver de son passage chez les X-Men : Nous étions comme les Beatles. Effectivement, il est amusant de constater que les premiers X-Men se font chier comme des rats morts loin de leur gloire d’antan. Morts, excès, femmes et enfants les ont éloignés des feux de la rampe. Cyclope comme Lennon, a été un père de merde au profit de sa carrière.  Mais c’est tout de même celui qu’il faudra suivre pour monter sur scène de nouveau.

Oh ! le concept de Factor X sera plus que foireux : nos héros taxent 42000$ leurs interventions pour se faire passer pour des chasseurs de mutants…Pourtant, cette résurrection ne manque pas d’émotion et de purs moments de grâce :  la superbe scène de clôture : alors que les X-Men se reforment dans toute leur gloire, le lecteur ne doit pas être dupe : cette pauvre Madelyne Pryor qui deviendra bien encombrante par la suite reste en larmes, silencieuse, souffrante et trahie par son mari.

Bon perdant, Claremont mettra brillamment en scène dans ses "Vignettes" la rencontre entre Jean et Phénix

Bon perdant, Claremont mettra brillamment en scène dans ses « Vignettes » la rencontre entre Jean et Phénix© Marvel Comics

Aussi opportuniste soit elle, cette résurrection est une réussite qui donnera lieu à d’autre moments intéressants : Jean Grey devra s’approprier l’héritage du Phénix et la maternité de Rachel Summers qu’elle rejettera violemment lors de leur première rencontre.  Il faut aussi voir la réaction de Jean lorsqu’elle découvre que les X-Men sont devenus des héros désabusés alliés à Magnéto. Quelque chose qui sera piteusement repris par Brubaker, Fraction, Bendis and co qui avec  Hope Summers et la Jean Grey échappée du passé tenteront vainement de raconter la même histoire en moins bien.

Cet arc se conclura durant  un Inferno de triste mémoire où la douce Madelyne se transforme en furie démoniaque prête à tuer amis, mari, enfant pour laisser sa place à Jean dans le lit de Scott… Quant à cette pauvre Jean après avoir épousé Scott dans ce qui sera le plus beau mariage Marvel, elle sera cocufiée et tuée stupidement  par Gland Morrison avant de revenir à la vie ces jours-ci en espérant qu’elle enterre définitivement l’autre merdeuse du passé. Car, c’est ce qui explique sans doute son attirance pour le griffu : cette pauvre Jean a beau être immortelle, elle aura été bien massacrée au fil des années. Et cette résurrection aura été finalement été ce qui a été fait de moins pire.

Non !

Grant Morrison multiplie les bourdes et les invraisemblances en tuant Jean © Marvel Comics

Bordel....Pitié....

Bordel….Pitié….

Jean Grey, cette morveuse insupportable ? Même pas en rêve !

Jean Grey, cette morveuse vulgaire, idiote, moche, mal coiffée  et  insupportable ? Même pas en rêve !

—-

Dans les années 80, Marvel commettait l’irréparable en ressuscitant Jean Grey pour la première fois. Les coulisses de cet Evénement orchestré par John Byrne, Bob Layton et Kurt Busiek ainsi que  son impact sur la mythologie des Xmen à redécouvrir chez Bruce Lit.

La BO du jour :

Ash to ash,
Dust to dust
Fade to black
The memory remains

45 comments

  • Jyrille  

    Bon j’ai vraiment du mal à suivre tout ça mais merci de m’éclaircir un peu plus à chaque fois… Il y a de beaux scans par moments et j’adore la passion que tu insuffles dans ton commentaire. Quant à la BO, j’aime bien.

  • Eddy Vanleffe  

    Jamais je ne dénigrerais l’auteur Morrisson ou la qualité de son run sur les mutants. Jamais je ne dirais qu’il écrit mal etc…
    simplement ce run contient un florilège de tout ce que je n’aime pas lire dans un comics X-Men.

  • PierreN  

    « Pour que la pilule passe, on prend le temps de bien l’expliquer d’abord dans les FF de John Byrne puis le premier Factor X chez Layton. »

    Avec aussi un détour chez les Avengers de Stern (la découverte du cocon de Jean sous l’eau, assez semblable à celui d’Adam Warlock).
    Sans nul doute un des meilleurs textes de Bruce. Ça suinte l’affection du fanboy pour l(s)es X-Men et surtout l’écriture de Claremont (il en aura avalé pas mal de couleuvres).

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *