Le retour du Héros (Thorgal #22-23)

Thorgal #22 à 23 par Van Hamme et Rosinski

Géant vie de rentrer chez moi

Géant vie de rentrer chez moi © Le Lombard

VF : Le Lombard

BRUCE LIT

Cet article combo portera sur les tomes 22 et 23 de la série classique Thorgal à l’époque où elle était scénarisée par Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski.

Aux armes, spoilers, etc.

Géants 

A la fin de La Forteresse invisible  Thorgal , lassé de représenter un danger pour sa famille décide d’effacer son nom de la mémoire des Dieux d’Asgard.
Le remède est pire que le mal : manipulé par la machiavélique Kriss de Valnor, il devient Shaigan sans Merci, un tyran régnant sur les mers; soit l’exact opposé de l’homme bon, pacifique et généreux qu’il est habituellement.

Mine de rien la saga de Thorgal aura permis au fil du temps d’écrire une brillante variation sur le destin d’un homme. Je n’avais pas relu cette histoire depuis 96 et y ai pris un infini plaisir. Thorgal sent bien au fond de lui qu’il ne vit pas la vie qui lui appartient ; une occasion lui fournit de retrouver son nom et par la même occasion sa mémoire.

Thorgal se la coule douce  face à une enfant décharné

Thorgal se la coule douce face à un enfant décharné © Le Lombard

Que ce soit dans les Comics (Daredevil) ou les Mangas (Goku dans Dragon Ball Z) les héros qui souhaitent mettre à l’abri leurs proches de leur vie dangereuses sont légion. De là viennent ensuite les pires catastrophes et Thorgal n’échappe pas à la règle.

Le traitement que Van Hamme et Rosinski applique au héros balafré est audacieux. La première case montre Thorgal et Kriss rivalisant de virtuosité à l’arc. Outre le clin d’oeil au binôme qu’ils formaient dans Les archers, l’apparence corporel du jeune écuyer les assistant résume l’avarice et la mesquinerie de Kriss de Valnor. Thorgal se rend complice de l’exploitation honteuse d’un enfant, ce qu’il n’aurait jamais cautionné auparavant.

Avec une femme comme ça, comment ne pas vouloir courir l'aventure ?

Avec une femme comme ça, comment ne pas vouloir courir l’aventure ? © Le Lombard

On se rappelle qu’a la fin de La chute de Brek Zarith, le prince Galathorn régnait sur un royaume ruiné ; c’est cette non solvabilité qui lui vaut d’être capturé par des flibustiers et jeté aux pieds de Kriss qui espère en tirer une rançon. C’est dans ce contexte que Thorgal rencontre une autre figure de son passé et la convoitise de Kriss va l’amener à perdre cet homme qu’elle admet aimer jusqu’à la haine. Elle est indéniablement le personnage le plus fort de cette saga : odieuse, immorale mais tragique dans l’amour non réciproque qu’elle ressent la poussant à l’irréparable. La dimension Shakespearienne de la saga n’est pas usurpée.

Lorsque on lit cette saga dans l’ordre , on ne peut qu’admirer la virtuosité de Van Hamme à convoquer des personnages secondaires vus des années avant pour les intégrer à son intrigue. Notre héros, aidé par la déesse Frigg, va s’aventurer au royaume des Géants pour récupérer son nom. Il y rencontrera des créatures fantastiques mais aussi des figures déjà vues comme le géant des forêts aperçu dans  L’Enfant des étoiles .
Le scénario est d’ailleurs à peu près le même : Thorgal a la taille d’un enfant auprès de géants et va devoir rivaliser de ruse pour parvenir à ses fins.

Grands, bêtes et drôles

Grands, bêtes et drôles © Le Lombard

L’amateur de littérature sera comblé par les clins d’oeil que l’histoire lui adresse : la mythologie nordique, bien sûr, mais également Le roi Lear et L’Odyssée. Thorgal bluffe en effet les géants comme Ulysse, les cyclopes. Publié à l’origine dans le journal de Tintin la série a souvent fait référence aux aventures du petit reporter. Ici, lorsque Thorgal affronte un faucon qui veut le décrocher d’une montagne, impossible de ne pas penser au duel opposant Tintin au condor dans Le temple du Soleil.

L’album doit beaucoup au talent de Rosinsky.  Alors que l’ambiance de la série ne prête pas à la franche rigolade, le binôme introduit des notes d’humour irrésistible : du mot de passe absurde ouvrant la salle aux trésors d’Odin à l’apparence grotesque des géants à gros plus bêtes les uns que les autres ; et pourtant on ressent chez les auteurs une certaine tendresse pour ces gros balourds patauds. On y trouve également une Walkyrie nymphomane, des chats qui volent et un faucon a deux têtes conférant au tout une indéniable poésie.

Le merveilleux de la série

Le merveilleux de la série © Le Lombard

Geants est un album plein d’humour et de fantaisie qui prouve que le tandem , contrairement à ce qui est souvent dit, n’avait pas perdu son âme à la fin de la saga du pays Qâ. A la fin de Géants, Thorgal se rue au secours de sa famille réduite en esclavage par sa faute. Cela s’appelle La Cage et la rédemption de notre héros prendra un bien étrange tournant.

Le retour du héros

Le retour du héros © Le Lombard

La Cage

Trois ans après avoir mené une vie de pillages et d’errances, Thorgal Aergison a retrouvé la mémoire et rentre enfin chez lui. C’est moins qu’Ulysse auquel le personnage doit beaucoup (non, nous ne prononcerons pas le mot Pénélope ici !)  mais c’est suffisamment pour rendre compliquées ses retrouvailles avec sa famille. Car du fait de son erreur, Aaricia a été défigurée, bannie, réduite en esclavage. Comble de la souffrance, Kriss de Valnor l’a obligée à assister à ses ébats face à un mari qui ne la reconnaissait pas.

Thorgal aborde son île sans se douter de ce qui l’attend. Il ne reconnait pas sa fille Louve qu’il n’a jamais rencontré et Aaricia le fait enfermer en cage ! La jeune femme ne sait plus si cet homme est encore son mari ou un de ces pirates qui les a menacés. Mari et femme entament alors un voyage intérieur silencieux vers le pardon pour Aaricia et la rédemption pour Thorgal.

L'angoisse de la sépartion en une page. Il y a beaucoup de scifi chez Thorgal, mais hélas pas de téléphone...

L’angoisse de la séparation en une page. Il y a beaucoup de scifi chez Thorgal, mais hélas pas de téléphone… © Le Lombard

Encore une fois Van Hamme ne donne pas au lecteur ce qu’il attend.
Vous pensiez avoir droit à des effusions dégoulinantes de bons sentiments ? voici que Thorgal, l’homme qui voulait être libre est prisonnier de sa propre famille. Et de lui même.  L’allégorie est touchante : Notre héros est il prêt à enfin assumer sa paternité ou va ‘il continuer à courir l’aventure ?

Le pitch donne de belles scènes : Aaricia est devenue une femme dure, agressive qui contraste avec la demoiselle en détresse du début de la série. Elle est capable de menacer son mari un couteau à la main en le regardant droit dans les yeux. Thorgal affronte les tourments de sa femme avec beaucoup de dignité et d’abnégation.
Une scène réussie le montre parvenant à se libérer de la cage, embrasser ses enfants dans leur sommeil, récupérer ses armes pour protéger sa famille des pillards environnants et regagner sa captivité en attendant que sa femme le juge digne d’en sortir.

Comment faire en sorte de garder son mari qui ne tient pas en place ? Aaricia a trouvé l'astuce...

Comment faire en sorte de garder son mari qui ne tient pas en place ? Aaricia a trouvé l’astuce… © Le Lombard

La suite est moins poétique puisque une dizaine de barbares part à la chasse à l’homme. Contre notre héros, ils n’ont pas l’ombre d’une chance.  C’est classique  : rien de tel pour sceller une alliance que la lutte contre un ennemi commun. Il s’agit de fournir au lecteur ses Thorgal Actions  dont il est friand. Mais, rétrospectivement, quand on sait le niveau de fiasco vers lequel la série va s’acheminer, l’affrontement sur l’île est réussi quelque part entre Délivrance, Rambo et  Le Vieux fusil.

Le vilain de l’histoire meurt dévoré par des mouettes clin d’oeil habile aux Oiseaux mais surtout aux Idées noires  de Franquin, qui rappelle que la série savait faire preuve d’humour.
La dernière page est sentimentale à souhait et montre ce à quoi le lecteur a échappé : notre héros, lorsqu’il est heureux, est passablement ennuyeux.

Après ce tome la série va connaitre un passage à vide avec trois one shots de qualité moyenne. Ils ne sont  pas indispensables à la continuité du personnage et on peut aisément économiser ses deniers ainsi que ménager sa déception.
Le duo se reprend à partir du tome 27 : Le Barbareil conclue la série en trois albums réussis.

Violence, lyrisme et guimauve....Tout Thorgal...

Violence, lyrisme et guimauve….Tout Thorgal… © Le Lombard

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La saison se termine, l’équipe de Bruce Lit va rentrer à la maison tout comme Thorgal à la fin du cycle de la forteresse invisible. Géants et La Cage deux albums aussi réussis que sous-estimés.

La BO du jour : L’absence et ses cages de l’esprit….

10 comments

  • Présence  

    Contrairement à ce qui est souvent dit – Je sens comme une petite pique destinée à créer la polémique auprès d’un ou deux contributeurs de ce blog. Bruce est toujours aussi taquin. 🙂

    Encore une fois Van Hamme ne donne pas au lecteur ce qu’il attend. – Serait-ce un autre mème en train de se développer au sein des commentateurs ?

    Thorgal Actions – De ce que je comprends de ton commentaire, Jean van Hamme est vraiment très fort puisqu’i arrive à la fois à se renouveler et à respecter les conventions qu’il a lui-même définies pour sa série.

    Très belle BO. As-tu écouté Is this the life we really want ?

    • Bruce lit  

      Hello Présence,
      Non aucune pique à mes chers confrères, cet article étant une mise à jour de ceux postés sur amazon il y a 5 ans ;). Je m’insurgeais contre le genre d’autres commentateurs à l’argutie indécrottable : « ouais Thorgal, c’est de la merde depuis 15 ans » etc.
      Roger Waters : j’ai détesté les premières écoutes ! Plus de guitariste solo, les trois dernières chansons sont roupillantes mais j’ai appris à apprécier un disque qui ne me donne pas ce que j’attendais depuis 25 ans. Synchronicité décidément…

      • Matt  

        On peut se demander surtout pourquoi ils continuent d’acheter et de commenter les BD s’ils trouvent que c’est de la merde depuis 15 ans.^^ A moins qu’ils n’en lisent plus. Mais à ce compte là, comment savent-ils ? Pure mauvaise foi ?

        Mais ça se voit partout ça. Tiens bah le bashing dont est victime l’éditeur Soleil. « Oh c’est de la merde il n’y a que des séries de merde interminables, je ne m’approche plus de cet éditeur depuis 10 ans » Ah…ok. T’es devin alors ?

        Après on a le droit d’aimer ce qu’on veut, d’en avoir marre que les séries ne s’achèvent pas et d’arrêter de les lire, mais ça s’appelle un choix, pas la peine de cracher sa haine^^
        Pour ma part je trouve que les adorateurs et les détracteurs d’un truc ont un point commun : leurs argumentations se valent souvent et ne donnent pas envie de les écouter.

        • Bruce lit  

          Totalement d’accord avec toi Matt. On entend ce même phénomène de pleureuses chez Walking Dead. On en est au tome 27 et tu as encore des mecs pour dire que c’est nul depuis le tome 12…..

  • Tornado  

    Bruce, ou l’homme qui a été élu pour défendre la deuxième moitié de la série Thorgal !
    Je crois que, à partir du tome 18 (ou à peu-près), on commence avec les albums que je n’ai lu qu’une fois. A l’époque, je recherchais désespérément que la série redevienne comme elle l’était à l’époque du cycle du pays Qâ. C’est donc une bonne chose de lire qu’il y a des cycles qui valent encore le détour ensuite. Je garderais cette idée à l’esprit lorsque je reprendrais la série à partir du tome 14.

    Ce qui est certain, c’est que je n’ai lu « La Cage » qu’une seule fois. Effectivement, j’avais trouvé cet album étonnamment bon, après un passage à vide (je n’avais pas tellement aimé « Géants », comme tous les albums de Thorgal trop tournés vers le merveilleux mythologique, dimension que je trouve très mal équilibrée et pas du tout raccord avec l’ambiance réaliste du reste de la série).

  • Eddy Vanleffe  

    Oui l’épée Soleil est le premier tome qui m’ait déçu et j’ai arrêté de lire activement à la couronne d’ogotaï avant de me faire prêter quelques tomes….
    Je crois que j’ai quand même tout lu Van Hamme et On m’offre tous les noëls le tome de Kriss parce que j’ai cette image du fan de Thorgal qui aime les femelles bad-ass. Je les feuillette plus que je ne les lis…

    Kriss épouse Jolan???!

  • Eddy Vanleffe  

    Ceci dit…

    On est parfois de bouffer des couleuvres hallucinantes en comics pour l’amour de tel ou tel dessinateur et pour être honnête Rosinski…C’est juste un dieu qui se remet en question plein de fois jusqu’à la couleur directe à présent et j’avoue être attiré par la palette saignante du dernier tome…

  • Jyrille  

    Je suis extrêmement content que toi aussi tu aies trouvé que La Cage était au-dessus du lot des albums de Thorgal deuxième période. J’aime bien ton article, il est court, il va à l’essentiel, et il est juste de bout en bout. Cela dit, je partage moins ton enthousiasme pour Géants, qui est de bonne facture, mais qui semble être une redite de La gardienne des clés ou de L’enfant des étoiles, un album somme toute mineure mais bien tourné.

    La BO ? Trop facile… mais quelle chanson magnifique. Je persiste à dire que c’est la plus émouvante qu’ils aient produit, saluant leur ancien compagnon, et qui était présent dans le studio lors de l’enregistrement (selon la légende).

    Je vous rejoins complètement sur les pleureuses qui continuent à lire ou regarder leur série tout en se plaignant. Soit tu arrêtes (ce que j’ai fait pour Sillage, XIII…) soit tu es honnête : dans le cas contraire, tu ne peux que paraître comme un nostalgique indécrottable et forcément fermé, bloqué à une période de sa jeunesse. C’est un écueil compliqué à éviter, mais le faire est un bon moyen pour ne pas devenir aigri et de droite, perdu dans un monde qui évolue…

  • Bruce lit  

    Géants : 3 étoiles sur 5, c’est pas non plus un chef d’oeuvre. Mais après la gravité des actes de Thorgal, je trouvais que Van Hamme savait désarçonner son lecteur.
    Pour la BO, j’ai hésité avec the Soul Cages. Mais supportant difficilement Sting, pourtant grand poteau de Waters, je suis revenu à PF. C’est une chanson tellement…tellement dure à jouer, à chanter…PAs techniquement, je la joue depuis 30 ans maintenant mais je n’ai jamais été satisfait. Et même le Floyd….Personne ne pourra jamais reproduire l’extrême fragilité de cette interprétation. Personne.

  • Wildstorm  

    « And did you exchange
    a walk on part in the war
    for a lead role in a cage? »

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