L’homme objet (Le Jouet)

Le jouet par Francis Veber

1ère publication le 19/12/16- MAJ le 23/12/18

Les anglais ont Keith Richards. Non on a eu notre Pierre....

Les anglais ont Keith Richards. Nous on a notre Pierre Richard et sans-S, il est unique !

Par BRUCE LIT

VF : Pathé

Le jouet est une comédie française écrite et réalisée par Francis Veber. Il s’agit du premier film du réalisateur de La chèvre et du Diner de cons.  Pierre Richard y tient la vedette et produit le film. 

Le film fut nominé aux césars pour le meilleur scénario, meilleur décor et meilleure photographie. Il fit un bide tant auprès du public que de la critique. Il est aujourd’hui considéré comme le meilleur de Veber et offre à Pierre Richard un rôle différent des imbéciles heureux qui firent son succès.

 Enfin un remake fut tourné aux États Unis avec Richard Pryor en lieu et place de notre Pierrot national.

Quelques risques de spoilers vous taquineront les pupilles.

A l’inverse d’un Jean-Marie Poiré toujours plus enclin à sombrer dans la beaufitude, il est toujours possible d’aimer en 2016 Francis Veber tant comme maître ès comédie que comme cinéaste.

Inconditionnel de Pierre Richard comme tous les gamins des 80’s (encore un acteur totalement sous estimé et pourtant définitivement à inscrire au patrimoine des grands comédiens de chez France), je n’aurai pourtant jamais pensé que l’un de ces films finirait sur mon blog ! La faute à  ce renard de Patrick Faivre qui me l’a prêté en vendant le package « tu verras, c’est le meilleur Pierre Richard, mieux que La chèvre« . Ce qui n’explique toujours pas ce que vient fiche cette comédie dans notre geekosphère….J’y viens.


Ahem ? Ca vous dirait de servir de jouet humain au fils du Patron ?
©Pathé

Le Pitch : François Perrin vient de retrouver du travail après 16 mois de chômage auprès d’un grand groupe de presse dirigé par un Bolloré avant l’heure, tellement puissant et friqué que personne ne songe à s’opposer à lui.  Perrin va se retrouver dans une situation invraisemblable (normal, c’est Pierre Richard, quoi….) lorsque le fils de son patron va l’acheter pour en faire son jouet humain….

De peur de perdre son travail alors qu’il commence à peine à renflouer les caisses, Perrin va devenir le souffre douleur d’un gamin capricieux et sadique dans un immense château. Il va passer d’humiliations en gaffes cataclysmique avant de se révolter et d’entreprendre d’enseigner au petit garçon les valeurs humaines.  Il entreprend notamment d’initier l’enfant au journalisme pour dénoncer les vies brisées par la tyrannie de son père.

Strange, es tu là ?

Strange, es tu là ?
Source Booksteves Librairy
©Pathé

C’est la grande réussite du Jouet : ce qui commence comme le festival habituel des gaffes de Richard finit comme un pamphlet au vitriol sur le processus de déshumanisation d’un enfant qui ne voit plus son entourage que comme des laquais ou des numéros interchangeable selon son bon désir.

Bien sûr, nous ne sommes pas chez Costa Gavras, mais on s’y marre nettement plus avec des gags de haute volée (une scène irrésistible où Richard sème la panique déguisé en Cow-Boy en pleine bourgeoise party) et un pessimisme à peine voilé : pour lutter contre les injustices, l’individu ne peut compter sur personne d’autre que lui-même. Les autres collègues ou les syndicats brillent par leur impuissance face à un Michel Bouquet tour à tour cynique, lunatique, respectable et inquiétant. L’acteur donne à sa composition un subtil parfum d’humanité d’un mec tellement friqué qu’il en a perdu tout repère.

Comme Burns, le patron d’Homer Simpson, il est capable de licencier un employé parce qu’il a la main moite, d’accorder des promotions sur un coup de tête et d’oublier systématiquement le nom de ses agents. Tout ceci, sans méchanceté, ni sadisme. Simplement parce qu’il le peut.

La scène la plus emblématique est celle où il offre 3 millions de francs pour qu’une famille déguerpisse sur le champ d’une maison qu’il souhaite acheter. A peine une caricature, lorsque l’on connaît l’attitude d’un Bolloré justement au sein de la rédaction de Canal +.  Le film devient carrément grinçant lorsque Bouquet demande à  un employé de marcher à poil dans les bureaux du journal. Lorsque celui-ci s’exécute, le patron, s’interroge médusé : qui est le monstre ? Moi qui vous donne cet ordre ou vous pour m’obéir ? 


Déshabillez-vous !
©Pathé

Tout au long du film qui a pour thème la transformation d’employés en esclaves, d’un journaliste en jouet et d’un enfant en bourreau, le public rit mais jaune. Le Jouet n’est pas un divertissement inoffensif. Et c’est ici que nous entrons dans le volet Geek de l’entreprise car les emprunts à la bande dessinée sont aussi nombreux qu’inspirés. La chambre d’Eric est jalonnée de héros Marvel géant tels que l’on pouvait les trouver dans les Strange de l’époque.

Le comique -étrange- et cartoon du film s’en trouve renforcée lorsque ce pauvre Pierre Richard en pyjama Snoopy contraste avec la musculature de Cyclope, la souplesse de Spider-Man, la puissance de Ben Grimm. Tout dépend de comment l’on souhaite interpréter le film. A coup sûr, il s’agit tout simplement de mettre les grandes icônes de l’époque pour faire rêver les bambins (hein Patrick ?). Mais Le Jouet est certainement le plus abouti des films de Veber autour des décors qui lui vaudra une nomination aux césars.

Des comics chez les comiques. A moins que ce soit l’inverse ?
Source Booksteves Librairy 
 
©Pathé

Du coup, la présence des super-héros rappelle la propension au bien de chacun de nous, ainsi que la névrose des héros Marvel que partage le petit Eric : un père au potentiel illimité mais qui l’ignore et remplace sa mère par une prostituée. Son Papa utilise une femme objet ? Le petit garçon montre qu’il a bien retenu la leçon en transformant Pierre Richard en homme objet !
Mais ceci ne dure qu’un temps, et lorsque Richard reprend le dessus en défendant les idéaux de liberté et d’égalité, il le fait devant Captain America. Tout un symbole où le décor ne joue pas qu’un rôle figuratif.

Bourré de références aux comics, Le Jouet paie aussi son tribut à la BD Franco-Belge. La maladresse de Richard, son pyjama et ses vêtements enfilés trop courts à l’envers évoquent bien sûr le Gaston de Franquin qui partageait avec Veber la même aversion envers la culture d’entreprise. De Mesmaeker et Michel Bouquet ont des points communs, tout comme le rythme de production frénétique du journal de Richard et celui de Gaston.

Mais la référence majeure reste celle reliant le film de Veber à Hergé. Un gamin, fils d’un magnat richissime qui sème la terreur dans un château et terrorise les domestiques avec des blagues cruelles rappelle bien évidemment l’épouvantable Abdallah. Prototype du pauvre petit garçon riche, Abdallah est un enfant qui grandit comme Eric sans aucune valeur humaniste, véritable démon sur pattes capables de faire disjoncter des braves types avec un coeur en or comme Tintin, Haddock ou Pierre Richard.

Le château d’Eric évoque bien sûr Moulinsart que ce soit dans son intérieur ou lors de la garden party toute droit sortie des Bijoux de la Castafiore. Mais un Moulinsart vidée de sa joie de vivre et des valeurs de ses occupants pour se transformer en cage dorée où l’âme d’un enfant attend son libérateur, Pierre Richard….reporter intègre et défenseur des faibles comme Tintin !

Si on ne voyage pas autant que dans La Chèvre, le voyage est intérieur : la personnalité psychopathe d’Eric va être déconstruite par la patience et la pédagogie de ce tuteur contre-nature et contre-paternel un peu comme….l’enfant sauvage Helen Keller sourde, muette, aveugle au monde. Celui-ci arrive habillé en Cow-Boy (Lucky Luke ?), habité par le fun de la culture populaire et ses valeurs.

Avec sa fin ouverte, aussi douce amère que celle d’Hergé et ses Picaros, ses acteurs pleins de charme, des dialogues toujours percutants,  Veber signe là un film immensément ludique et familier à tous les amateurs de BD épaulé par le joli thème de Vladimir Cosma aussi intelligent que divertissant. C’est après tout la fonction première d’un jouet non ?


Les retrouvailles !

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« Toy Story » 1/5

Vivre dans une chambre avec des les super héros Marvel grandeur nature et Pierre Richard en jouet humain, ça fait grandir ou régresser ? Redécouvrez « Le Jouet », un film parsemé de valeurs héroïques et de clin d’oeil aux héros de Stan Lee mais aussi ceux de Franquin et de Hergé.
La BO du jour:

Un petite pépite pop d’un groupe au pseudo ludique aussi cartoon que le film de Pierre Richard, où, il est question d’un Eric à l’humeur changeante....

15 comments

  • Matt & Maticien  

    je ne connaissais pas ce film bien qu ayant été (évidemment) un grand fan du grand blond avec un chaussure noir.
    voilà qui me donne deux raisons d’être heureux. la découverte d’un nouveau film d’une idole d’enfance et la quasi certitude d’y trouver une satisfaction en cinéphile adulte.
    je vais programmer cela pendant la trêve des confiseurs avec en prime un jeune public qui pourra facilement s’identifier au plus jeune acteur; ) thanks

  • Matt & Maticien  

    ps. Dans la même série des découvertes tardives d’un film d’une idole de jeunesse, je me souviens avoir vu avec émotion « Oscar « un film ubuesque avec le sautillant Louis de Funes et le delicieux Claude Rich.

  • Présence  

    Voir son entourage que comme des laquais ou des numéros interchangeable selon son bon désir. – Voilà une phrase qu fait écho à une des miennes au boulot vis-à-vis d’un collègue un peu plus égocentrique que la moyenne. Je lui indique que j’ai l’impression qu’il ne voit les autres que comme des figurants dans sa vie, et qu’il est invariablement déçu par leur piètre qualité. Ce n’est pas sûr que ça ravive son empathie défaillante, mais ça amuse beaucoup les autres.

    La chambre d’Eric – Je n’aurais jamais pensé que la culture superhéros puisse être si présente dans un film français de 1976.

  • Patrick 6  

    Ahah excellent article ! Voilà une comédie socialement engagée mêlant habilement le fond et la forme !
    Un véritable Ovni dans le cinéma Français de l’époque.
    La référence à Tintin bien qu’évidente m’avait pourtant totalement échappée !

    Quoi qu’il en soit tu m’avais parlé de ton intention de publier un article sur Le Jouet pour Noel, j’ai donc eu le temps de te préparer une petite surprise virtuelle ! Donc bref Bruce (ainsi que tous ceux qui ont aimé ce film) peuvent se rendre ici pour un voyage à Paris sur les lieux de tournage du film !
    Voilà Joyeux Noel 😉
    http://parisavantapres.blogspot.com/2016/12/le-jouet-de-francis-veber-1976.html

  • Tornado  

    C’est étrange, fan de Pierre Richard quand j’étais gamin, je me souviens que je n’aimais pas tellement ce film là (mais je ne me souviens pas pourquoi). Il faudrait évidemment que je le revoie.
    Les films de Richard que je me passais en VHS :
    – La Chèvre
    – Les Compères
    – Les Fugitifs
    – Le Distrait
    – Les Malheurs d’Alfred
    – Le Grand Blond avec une Chaussure Noire
    – Le Retour du Grand Blond
    – La Moutarde Me Monte au Nez
    – La Course à l’échalote
    – Je Suis Timide Mais Je Me Soigne
    – La Carapate (peut-être mon préféré)
    – C’est Pas Moi C’est Lui

    • Bruce lit  

      @Tornado : Pierre Richard est un cas à part dans le paysage français. Il suffit d’en parler et tout le monde a un sourire au coin des lèvres. Je ne connais pas la Carapate.
      @Hé Patrick, c’est le crossover entre nos deux blogs ! C’est super ton reportage, un vrai travail de détective parisien. Tu as en plus à trouver plus de scans de films que moi !
      @Présence : 1976, les éditions lUG vivent tout de même leur âge d’or non ?
      @Mat et Maticien : ah, oui De Funnès…Je mets un peu avec Fernandel et ses suites un peu épuisantes de Don Camillo et les Gendarmes.

    • Matt  

      Je n’ai pas vu des masses de films avec Pierre Richard, même si je le voyais de temps en temps dans des petits rôles (Alexandre le bienheureux par exemple)
      Je me souviens évidemment du grand blond avec une chaussure noire, mais pas trop des autres. J’ai du en voir quelques uns tout de même, mais j’étais gosse.
      Euh…je me souviens aussi du « jumeau » mais euh…surtout parce qu’il y avait des jumelles anglaises mignonnes que Pierre Richard voulait séduire toutes les 2 en s’inventant un frère jumeau (un truc qu’on voit aussi dans les contes de la crypte, mais ça finit différemment^^)
      Pour être honnête, je m’en souviens surtout parce qu’à l’époque ou je l’ai vu, j’étais à peine ado et les 2 jumelles ne m’avaient point laissé indifférent…mais je ne sais même plus si le film est bien.
      J’avais été surpris en pensant que c’était pour les enfants mais ça faisait un peu trop « cul » pour ça en fait^^

  • Matt  

    Je ne connais pas ce film. ça a l’air bien. Et le thème me parle puisque moi aussi j’ai une certaine aversion envers la culture d’entreprise…
    Je suis en fait très peu familier des films de Pierre Richard. J’avais l’impression plus jeune que ce n’était pas forcément pour les enfants.
    Faut dire que je suis tombé un jour sur « le jumeau » avec un Pierre Richard qui fait semblant d’avoir un frère jumeau pour se taper 2 sœurs jumelles…et j’étais un peu perplexe, ce n’était pas le Pierre Richard rigolo qu’on m’avait vendu.

  • Patrick 6  

    @ Tornado : La Carapate était très drôle mais ma préférence va au Grand blond et bien sur au Jouet. Je pense qu’en dehors des références aux super héros c’est sans doute l’un des films les plus dérangeant pour un enfant ! La scène ou le PDG achète à prix d’or une maison à une famille qui n’avait rien demandé, à la condition expresse qu’ils partent dans les 5 minutes, m’avait un peu traumatisé !

    @ Bruce : et oui voilà ce qui s,’appelle de la synergie :)) A noter que tu m’avais annoncé l’article pour le jour de Noël je pensais donc avoir un peu plus de temps, j’ai dû finir en catastrophe hier soir ! (Des photos seront d’ailleurs à refaire).
    Et autrement les scans ont été fait par moi même à partir du dvd 😉

  • JP Nguyen  

    Je me demande si je ne suis pas tombé dessus lors d’un diffusion télé… Si c’est le cas, je crois que je n’avais pas accroché… Faut dire que Pierre Richard est un peu victime de son personnage du grand blond, qu’on s’attend toujours à retrouver. Du coup, quand ce n’est pas tout à fait le cas, il y a une attente déçue…
    Bon, avec la double recommandation de Patrick et Bruce, ce film mérite assurément une deuxième chance !
    Pour les décors marveliens dans un film français, je me souviens vaguement d’un polar avec Bebel où l’un des truands avait un placard décoré avec un Iron Man géant… Image marquante pour le jeune JP, à l’époque où les Supes n’étaient pas encore mainstream…

  • PierreN  

    En tant qu’inconditionnel des comédies avec Pierre Richard des 70’s, ce film m’avait pourtant échappé, et en le découvrant cette année, il s’est avéré être très satisfaisant (alors que la suite du Grand Blond est vraiment décevante).

  • Jyrille  

    Franchement, je ne pense pas que tu aies besoin de trouver une excuse pour parler de ce film. Le jouet est un objet de geek, souvent, surtout depuis Star Wars, non ?

    J’aime beaucoup ce film, il est vraiment différent. Je l’ai revu il y a deux ou trois ans avec mes enfants, lors d’une rediffusion télévisuelle, et j’avais été étonné du propos politique et surtout, au final, je l’avais trouvé très triste. Je me suis presque excusé auprès de mes enfants, eux aussi ont senti le malaise. Alors que dans mon souvenir, c’était bien plus délirant. Dans le film, il ne reste prisonnier qu’une seule grosse journée il me semble.

    Pour la liste de Tornado, je crois bien les avoir tous vus, mais je n’ai aucun souvenir de quelques-uns (C’est pas moi c’est lui, La course à l’échalotte, Les malheurs d’Alfred, La moutarde me monte au nez). Comme lui, j’adore La carapate, un polar comique, qui a lieu pendant les évènements de mai 68, avec une scène géniale avec De Gaulle à la fin… Mais le Grand Blond doit être le meilleur (alors que sa suite est pourrie). Il faut dire que Yves Robert était touché par la grâce dans les années 70.

    La BO, ce sont des souvenirs… Merci donc Bruce pour cet article qui mérite largement d’exister et de rappeler ce film atypique. Tes comparaisons avec Gaston, Tintin et les comics est bienvenue, je n’y avais pas trop pensé en le revoyant. J’ai été ému de voir le dernier scan, c’est touchant de voir les acteurs quarante ans plus tard.

  • Mat & Maticien  

    J’ai vu le film hier et l’ai apprécié à sa juste valeur avec la nostalgie du tempo. Les séquences prennent le temps de s’installer, le montage est assez lent, le propos politique est assumé mais pas caricatural et on sourit devant l’actualité du film. La monstruosité est partagée. Bref, j’ai passé un chouette moment. thanks

  • Alex Sindrome  

    Merci pour ce papier qui m’a renvoyé à de nombreux souvenirs ! J’adorais ce film (comme presque toutes les comédies de Pierre Richard d’ailleurs). Enfant je me souviens que si j’étais trop jeune pour réellement comprendre la face sombre indiscutable de ce film, la peine que j’éprouvais pour Perrin était me mettait dans un état terrible. Petit j’étais une vraie éponge émotionnelle il faut dire…

  • Bruce lit  

    Quel plaisir de recevoir ici Alex Sindrome dont l’album tourne en boucle à la maison depuis 3 semaines à la maison. Je m’attendais à te trouver sur l’article Joy Division ou Marilyn Manson, mais pas chez Pierre Richard !

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