Maupassant (3 contes de fantômes)

3 contes de Fantômes par Guy de Maupassant et Camille Garoche

1ère publication le 26/02/20 – MAJ le 31/10/20

Un hantage de BRUCE LIT

VF : Soleil

L’interview de Camille Garoche en fin d’article a été possible par l’entremise de Loic Clément. Grâce lui soit rendue.

Une étrange fascination  ©Soleil  ©Camille Gouron

Une étrange fascination
©Soleil
©Camille Garoche

3 CONTES DE FANTÔMES  est une adaptation de 3 nouvelles de Maupassant illustrées par  Camille Garoche. L’ouvrage agrémenté des coulisses du travail de Garoche est paru en 2019 chez Soleil. 

Il s’agit des nouvelles suivantes :

Apparition (1883)

Pour rendre service à un ami terrorisé, un jeune homme pénètre dans une maison hantée en quête de documents administratifs. Il se trouve alors face à face avec une jeune femme cadavérique qui lui demande de la coiffer.

Le Tic (1884)

Lors d’une cure thermale, le narrateur rencontre un vieillard atteint d’un tic et sa fille qui porte un gant à la main gauche. Ils vont lui raconter comment cette jeune femme a été enterrée vivante. 

La morte (1887)

Un amant passionnée enterre l’amour de sa vie. Inconsolable, il lui rend visite une nuit où tous les cadavres sortent de leur tombe.

Une mise en page aérée  ©Soleil

Une mise en page aérée
©Soleil

Dès que je le peux et surtout dès que l’occasion se présente, je finis toujours par piocher des adaptations de grands textes littéraires. Parce que je n’ai jamais renié mon parcours scolaire en littérature classique et qu’avec l’âge  ma mémoire devient d’avantage réceptive aux images qu’aux mots.

En cela, le livre de Camille Garoche est atypique ; il ne s’agit pas d’une bande dessinée mais d’un livre d’illustration avec quelques dessins illustrant les scènes clés des nouvelles de Maupassant, dont l’influence de Edgard Allan Poe est ici explicite. Et alors que l’on s’attendrait à un graphisme horrifique tel que popularisé par Berni Wrightson et Richard Corben, Garoche livre un travail d’une grande pureté, rehaussé par une impression de couleurs fabuleuse et des décors qu’elle fabrique elle-même.

A l’horreur réelle de Maupassant, Garoche oppose la dentelle d’un dessin aussi aérien que le drap d’un spectre errant. Ce qui fait la magie de ces 3 CONTES DE FANTÔMES est cette coexistence entre le beau et l’atroce, les découpages de Garoche sous lesquels se cache un détail où la vie se transforme en mort.
Aidée par un grammage agréable au toucher et d’un lettrage aéré, le lecteur pénètre dans un monde où le fantastique fait irruption dans le réel : les cheveux d’un fantôme coincés dans une boutonnière, une enfant revenue à la vie ou un cimetière réanimé.

La pureté est au rendez-vous  ©Soleil ©Camille Gouron

La pureté est au rendez-vous
©Soleil
©Camille Garoche

LA MORTE est un récit incroyable. En quelques pages Maupassant écrit sur le deuil et comment le fait de regretter une personne dans un univers entier est à la fois insensé et douloureux.  Le romantisme et ses tempêtes sous un crâne sont tournés en dérision par un auteur à l’écriture ciselée, maniant à merveille l’art de la nouvelle et de l’ironie :  aucun temps mort (!) dans ce récit où les disparus reviennent à la vie  pour corriger leurs épitaphes et indiquer, de leurs ongles crissants sur la pierre tombale, les vraies raisons de leur décès.

Tout dans ces trois contes relèvent du génie aussi bien dans le style immédiatement percutant de Maupassant que dans le sous-texte : la mort nous attend tous mais le fantastique vient distordre notre deuil : un fantôme peut nous léguer ses cheveux, une jeune fille être déclarée morte alors qu’elle ne l’est pas, une amante revenir à la vie pour avouer son infidélité.  En moins de 60 pages, le lecteur est happé un monde échappant à tout contrôle, à toute logique, à tout ordre établi.

Mourir tout en délicatesse chez Camille Garoche ©Soleil ©Camille Gouron

Mourir tout en délicatesse chez Camille Garoche
©Soleil
©Camille Gouron

Camille Garoche fait montre d’une maîtrise exceptionnelle. Le cadrage, le choix de la vignette et des gammes de couleurs, les arrières fonds chargés de symboles, tout y est pensé, immersif, parlant.  A tel point que Garoche parvient à instaurer une jolie rythmique entre le récit et une imagerie vaporeuse à la fois hors du temps et ancrée dans le 19è siècle.

Chacune de ses vignettes est un instantané de toutes les lignes de forces de l’écrit de Maupassant, un véritable feu d’artifice d’inventivité qui explose dans les rétines de son lecteur pour se dissiper lentement sans nul besoin de séquentiel pour continuer à raconter son histoire.

Une belle initiative des éditions Soleil qui parvient avec ces 3 CONTES DE FANTÔMES à associer classique et modernisme, le mot et l’image, le masculin et le féminin,  en flattant tous les sens de son lecteur. Ne manque que le verre d’absinthe à repenser pour un éventuel coffret à venir.

La beauté   ©Soleil ©Camille Gouron

La beauté n’est pas de ce monde
©Soleil
©Camille Garoche

Interview Camille Garoche

Peux tu présenter ton parcours ?

Après des études d’art graphique, je suis devenue graphiste car tout le monde disait que l’illustration c’était bouché. Bref au bout de 6 mois de CDD en temps que graphiste dans une grosse boîte, Hermès m’a contactée pour créer des illustrations. Du coup ça m’a donné le courage d’envoyer mes dessins à des éditeurs, ça a tout de suite marché! Et depuis quelques années j’écris mes propres livres avec mon amoureux Didier.

Quelle est la genèse de ce projet ?

Je voulais faire un recueil d’histoires de fantômes pour Métamorphose; j’ai lu beaucoup de nouvelles, et finalement je me suis dit que Maupassant c’était le meilleur, pourquoi ne pas faire un recueil avec juste ses histoires?

Que représente Maupassant à tes yeux ?

J’ai lu Maupassant au collège comme tout le monde, et « Boule de Suif » m’a profondément marquée. C’est devenu un de mes auteurs préférés. En dédicaces j’ai été étonnée du nombre de personnes qui m’ont avouées qu’elles n’aimaient pas Maupassant! Ça ne va pas tout tout!
Je trouve qu’il est super fort en fins. Parfois j’ai l’impression qu’il a écrit une fin normale, et bim au dernier moment il décide d’enlever la dernière page sans plus de cérémonie. Ce devait être le genre de type à pas aimer dire au revoir.

L'envers du décor  ©Camille Gouron

L’envers du décor
©Camille Garoche

Quels ont été les défis à relever pour cette adaptation ?

Je voulais faire découvrir des contes un peu moins connus. Je ne pouvais pas faire le Horla! Et puis je me suis dit : Si j’arrive à faire aimer un peu Maupassant à un collégien ce sera déjà énorme!

Peux-tu expliquer à nos lecteurs les étapes de ton travail ?

J’ai fait ce livre en papier découpé. J’ai dessiné tous les éléments de mon image sur du papier légèrement épais, puis j’ai découpé avec un scalpel et tout installé et collé comme dans un petit théâtre (décors, éléments de décors, personnages etc). Ensuite je joue avec la lumière, et je prends une photo. Je retouche sur photoshop.

Pour ce livre j’avais très envie d’avoir des découpes laser pour les entrées de chapitre. Mais je ne voulais pas que ce soit gratuit : il fallait une idée derrière. Et puis c’était un clin d’œil à ma technique de travail.

Ton choix graphique est étonnant : on pourrait s’attendre à de l’horreur et du gore et non à  la dentelle de tes illustrations et leur luminosité mélancolique…

Le gore c’est pas mon truc! Et puis écrire des choses horribles c’est une chose, les montrer ça en est une autre (luminosité mélancolique c’est joli ça!)

Une artiste qui utilise la colle à bon escient... ©Camille Gouron

Une artiste qui utilise la colle à bon escient…
©Camille Garoche

Illustrer du Maupassant au 21 è siècle c’est vivre hors du temps ?

Je ne sais pas quoi répondre; illustrer aujourd’hui un auteur qui m’a plu au collège, ÇA c’est être hors du temps!

En postface tu remercies ta famille à qui tu aimais raconter des histoires horrifiques. Quelles sont celles qui ont fait vibrer la jeune Camille Garoche ?

J’ai lu tous les « chair de poules » et tout ce qui pouvait faire vaguement peur à mon CDI, (au collège j’étais un rat de CDI) Mais pour mes frère et sœurs c’est surtout des histoires de mon invention que je leur racontais (le phare hanté, la prof d’anglais décapitée etc). Au même age j’ai aussi vu « la nuit des morts vivants » qui m’a traumatisée évidemment (du coup je traumatisais les autres y a pas de raisons!) Et puis j’ai découvert Stephen King et une nouvelle passion est née.

Quels sont tes projets ?

J’aimerais beaucoup faire une bd jeunesse. J’écris avec Didier, on est en train de faire un scénario. Un nouveau terrain de jeu à explorer!

 © Didier Genevois.


© Didier Genevois.

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LA BO du jour : attention, clip aussi dangereux qu’un écrit de Maupassant

12 comments

  • Surfer  

    « à l’heure où ma mémoire devient d’avantage receptive aux images qu’aux mots. »

    Je ne sais pas si c’est cliniquement prouvé, mais je fais le même constat !
    Ce qui est évident, c’est que lorsque l’on met des images sur un texte, on touche un public beaucoup plus large. Ça marche aussi dans l’autre sens, je suis persuadé que ce livre peut aussi faire découvrir la littérature classique aux plus jeunes.

    Je suis très friand de ce type d’adaptation. Allan Poe par Corben ou Wrightson , S. King par Jae Lee…

    Les illustrations sont très belles et je suis d’accord, on est pas obligé de tout montrer pour évoquer …

  • Tornado  

    On te sent inspiré sur le sujet !
    C’est un bien bel article, à tout point de vue. Ça m’a donné envie d’acheter le bouquin, pour le lire, l’offrir, etc.
    Tu sais que je suis un très grand fan de Maupassant. Et j’aime bien avoir des bouquins illustrés. J’essaie de me soigner car sinon mes étagères seraient encore bien plus remplies qu’elles ne le sont déjà.
    J’adore la technique de Camille. C’est inventif et poétique. Je lui aurais mis une très bonne note si je l’avais eu en cours ! 😀

  • Tornado  

    J’ai essayé la BO. Je m’attendais à pire. Je ne déteste pas. Ce n’est pas trop indus et le refrain est réussi.

  • Bruce lit  

    @Surfer : Nous sommes assez proches du graphisme de livres pour enfants, un domaine où Camille Garoche excelle. Globalement et même en comics désormais , je suis à la recherche de dialogues concis et limités. Je suis sur l’intégrale INVICIBLE et je trouve que Kirkman s’y oublie souvent : il pourrait faire mieux avec moins.

    @Tornado : même topo. Tant mieux si l’article semble réussi. Sans l’interview de Camille, l’article aurait renoué avec la brièveté des débuts de Bruce Lit, une épure que je cherche désormais. Je suis désormais à la recherche de mes tics d’écriture, en ai repéré certains et cherche à m’en débarasser.
    Je me rappelais bien évidemment de ta passion pour Maupassant et les rediffusions de ce We, c’était un clin d’oeil t’étant adressé.
    Pour NIN, c’est assez pop et j’aime moins….

  • Eddy Vanleffe  

    très joli et un boulot de dingue que met en lumière l’interview…
    je suis heureux qu’il existe de tels artistes (surtout aussi jeune à priori), c’est rassurant pour plein de raisons…
    j’ai beaucoup aimé ces nouvelles de Maupassant. je me souviens des anthologies fantastiques de chez Librio qui faisaient la part belle aux auteurs français dont la carrière fantastique étaient souvent occultée au profit de leurs œuvres les plus célèbres… deux m’ont marqué lui et Théophile Gauthier….

  • Loic clement  

    Ce livre a l’air sublime. Si j’avais un peu de sous, je craquerais volontiers…

  • Bruce lit  

    @Loic : oui, ce livre est formidable et Bruce Lit n’aide pas toujours à la gestion du porte-monnaie.
    Tiens, pendant que tu es là, une anecdote pour toi. Ma fille, 9 ans ce mardi, me fait signer hier une note d’information de son école autour du Harcèlement Scolaire.
    Ce faisant, je lui demande tu sais ce que c’est le Harcèlement ?
    Elle me répond,: ben oui papa, c’est ce qui arrive à Dracula dans le livre que tu m’as fait lire !

  • Présence  

    Une nouvelle preuve de l’éclectisme du site : un recueil de nouvelles illustrées. Du coup, la trahison (de l’adaptation) est minime puisque que le texte est présent en intégralité. Je ne me sens pas très client de ce format, et en même temps que j’écris, je me rappelle que mes livres de la bibliothèque rose, puis de la bibliothèque verte comportaient de (trop) rares illustrations qui donnaient plus de substance au récit.

    L’interview est très sympathique, et les deux photographies particulièrement surprenantes dans ce qu’elles révèlent de la réalisation des décors. Voilà une approche graphique aussi inventive et créatrice que du Dave McKean !

    • Bruce lit  

      L’interview est très sympathique, et les deux photographies particulièrement surprenantes dans ce qu’elles révèlent de la réalisation des décors. Voilà une approche graphique aussi inventive et créatrice que du Dave McKean !
      Ou du Figure Replay !

  • Jyrille  

    Je n’ai pas eu de formation littéraire, mais je le regrette de plus en plus. Surtout que je remarque dans mon travail même que tout est basé sur le langage et la structuration des idées, que si nous avions tous plus de formation à ce niveau, la vie serait plus simple. J’avais un cours d’informatique passionnant, qui étudiait la grammaire des langages informatiques.

    Je ne suis jamais attiré par les livres illustrés de cette manière, mais pour une fois, je pourrai me laisser tenter. Pour découvrir des nouvelles de Maupassant que je ne connais pas tout d’abord, et ensuite pour les illustrations de Camille Garoche. Elles me semblent en effet très recherchées, et semble également inspirée par Dave McKean (avec ces décors…). Tandis que Tardi qui illustre Céline, je m’en fous.

    Et puis ton article est tellement enthousiaste que j’aimerai vraiment au moins y jeter un oeil, à ce livre (bien vu pour le coffret avec de l’absinthe). Soleil est vraiment une maison étonnante.

    L’interview est trop courte mais très sympa, ça renforce ma curiosité.

    La BO : j’en parlais avant… C’est pas mauvais mais pas non plus le NIN qui me fait vibrer.

    • Bruce lit  

      Je ne vois pas trop de McKean là-dedans. Pas une once de noirceur ou d’agressivité.

      • Jyrille  

        Pas dans le style mais dans la procédure artistique.

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