Moi ce que j’aime c’est les romans graphiques !

MOI CE QUE J’AIME C’EST LES MONSTRES par Emil Ferris

SPECIAL GUEST : HEDDI BOUTI

VF : Monsieur Toussaint L’ouverture

Vénérable docteur en EHPAD dans les conditions actuelles que l’on sait, grand amateur de romans graphiques et membre émérite du groupe Bubble sur Facebook, notre ami Heddi est le bienvenue pour son bout d’essai chez BRUCE LIT.
C’est l’homme le plus gentil du monde (après mon papa) sauf si vous lui parlez d’IL FAUT FLINGUER RAMIREZ… Là, je garantis rien…
Bienvenue mec !

©Monsieur Toussaint L’ouverture

De mon adolescence je garde cette fascination pour les contes. Pas ceux des princes charmants, qui étaient à l’extrême opposé de ce que je ressemblais (j’étais brun, mat, maigrichon et frisé : de quel prince pouvais-je être le double ?), ou ceux des princesses sages et qui dormaient sur des matelas et des petits pois ou tentaient de dormir alors que des souverains s’agitaient pour les réveiller.

A cette époque j’avais porté mon choix sur les MILLE ET UNE NUITS, mais pas n’importe lesquelles non plus, celles traduites par le Dr J.C. Mardrus, dans une version magnifiquement illustrée. Histoires sulfureuses, érotiques et addictives.
De la même façon, cinquante ans plus tard c’est sur un étonnant ouvrage que mon regard s’est porté : MOI CE QUE J’AIME C’EST LES MONSTRES, d’Emil Ferris.

Sur la couverture une nuit éclairée par la lune et qui révèle un manoir sinistre, au premier plan un personnage apeuré, la belle Anka. Et dans le reflet de ses yeux se projette un visage, ami ou ennemi ?
Une scène inquiétante qui contraste avec l’aspect extrêmement doux au toucher, presque soyeux du livre. L’éditeur ne s’y est pas trompé et cherche à désorienter le lecteur.

©Monsieur Toussaint Louverture

C’est un gros volume et qui annonce la couleur, il y est écrit “livre premier” : ce n’est pas une simple bande-dessinée, c’est un pavé, une brique, un monument, un roman, un roman-graphique.
Et à l’inverse, lorsqu’on commence à le feuilleter, c’est sur un cahier que l’on tombe. Un cahier avec ses lignes pour écrire droit et ses spirales. Un carnet intime de petite fille.

Celle-ci est une enfant qui vit dans le Chicago des années soixante, une petite fille-monstre de dix ans qui s’appelle Karen. Malgré tout un monstre pas bien méchant, oh juste un loup-garou. Pas de ceux qui attaquent les hommes lors des nuits de pleine lune en arrachant leurs membres avec leurs dents, mais de ceux qui ne mordent lorsqu’ils se sentent menacés.

Elle a, comme toutes les petites filles-monstres, des anges gardiens : sa mère, dans les yeux de laquelle elle aime se réfugier, véritables coins de paradis et son frère Deeze qui la protège et lui fait découvrir des merveilles dans ces palais que sont les musées.
Et puis il y a cet ange-gardien fragile qui veille sur elle, cassé et abimé, Anka, sa mystérieuse voisine, retrouvée morte chez elle, peut-être suicidée. Ou assassinée, comme Karen le soupçonne ?

Cette dernière, au travers de magnifiques tableaux de musées et avec l’aide de quelques gentils autres monstres, va sonder le terrible passé d’Anka, affublée d’un manteau et d’un chapeau de détective. Car contrairement à tout ce qu’on vous a inculqué dans les contes pour enfants, l’habit fait le moine. Elle y trouvera bien plus que l’horreur qu’a pu vivre sa belle voisine. Elle découvrira également ses propres secrets familiaux.

©Monsieur Toussaint Louverture

Tout le monde a entendu parler de l’histoire d’Emil Ferris, l’auteure de cette fable, atteinte d’une maladie grave transmise par un minuscule moustique qui l’a terrassée, un de ceux qui font partie des méchants monstres.

Au sortir de son coma, un parcours de combattante, rééducation d’une paralysie et elle s’inscrit à l’Art Institute of Chicago bien qu’elle soit incapable de tenir des stylos. Sa fille est même obligée de les lui scotcher à la main pour pouvoir dessiner.

Enfant j’étais fasciné par “ASTERIX ET CLEOPATRE” et sa luxueuse couverture : “la plus grande aventure qui ait jamais été dessinée” avec l’énumération des litres d’encre (et de bière) et des multiples gommes, crayons, pinceaux qui avaient été nécessaires à sa réalisation.

Ici, inventaire à la Prévert ou même à la façon de Perec, c’est un travail titanesque de huit cents pages dont quatre cent seize constituent le premier volume. Dans un format de 204×265 mm, une épaisseur de 37mm. Dessiné entièrement au stylo-bille. Et pour Emil Ferris un long pèlerinage pour faire éditer ce roman, essuyant les refus de quarante-huit éditeurs.

Et puis je n’en dirai pas plus, j’ai trop parlé. A vous de découvrir ce puissant et bel ouvrage édité par Monsieur Toussaint Louverture, éditeur passionné, passionnant.

©Monsieur Toussaint Louverture

Une autre femme qui aime les monstres

29 comments

  • Tornado  

    Un bouquin que j’ai aperçu en tête de gondole toute cette année.
    Je l’ai feuilleté et ça ne m’a pas du tout fait envie. Une approche artistique et expérimentale qui ne me séduit pas dans la lecture d’une bande-dessinée. Du coup j’aurais voulu en savoir plus sur le type de narration particulier de la chose. Les dessins sont très beau, ça y a pas à dire, et apparemment l’article décrit une chouette histoire de fantômes. Mais au jour d’aujourd’hui, je ne me sens pas prêt à franchir la barrière de ce qui ne m’attire pas dans cette lecture (la forme).
    Bienvenue à HEDDI.

    • Heddi  

      Merci beaucoup pour tes souhaits de bienvenue !

      Laisse toi tenter par ce roman, même page après page…
      On n’en ressort différent.

      Bonne journée !

    • Chip  

      Si le style graphique ne te convient pas, pas sûr que la narration fasse le job, personnellement j’en ai retiré une sensation de rêve inquiétant qui tourne parfois au cauchemar, une vraie atmosphère de conte de fées, donc, même si je n’avais pas fait le rapprochement avant de lire ce post.

      Ceci dit, c’est comme l’eau : une fois dedans, tu peux dire aux autres qu’elle est bonne et en profiter. Il faut juste y aller doucement et s’asperger la nuque. Et ne pas trop manger. Et avoir un slip de bain. Cette métaphore est nulle, en fait.

      • Dam Minette  

        J’adore la métaphore ! C’est exactement ça !
        Allez hop, à l’eau!

  • JB  

    Bon, c’est vendu 🙂 Merci pour cet avant-goût qui donne envie de découvrir la suite.

    • Heddi  

      Super, j’avais peur de faire la critique d’un livre qui avait été tant acclamé.

  • Jyrille  

    Bienvenu Heddi et respect pour t’être frotté à cette oeuvre intimidante. Comme elle est dans ma BAL (Bibilothèque à lire) depuis un certain temps, je ne vais pas lire ton article avant de l’avoir lue (j’ai un retard absolument honteux). Merci encore en tout cas !

    La BO : un album que j’ai beaucoup écouté et dont je ne me lasse pas.

    • Heddi  

      Merci Jyrille
      J’ai essayé au maximum de ne pas spoiler, j’ai retravaillé mon texte une dizaine de fois pour enlever tout ce qui pouvait donner trop d’indices.
      Ceci dit l’intérêt de ce livre repose beaucoup sur le climat qu’il instaure.

      • Jyrille  

        De rien Heddi. Mais depuis quelques temps, j’ai décidé de ne plus lire de chroniques avant de lire ou relire les bds, pas forcément pour gâcher, mais surtout pour ne pas influencer mes sensations et pouvoir ensuite les confronter à celles des autres.

  • Chip  

    Merci, Heddi pas Vanleffe.

    • Heddi  

      pas de quoi, j’ai adoré partager mon intérêt pour ce livre.

  • Eddy Vanleffe  

    Quand j’en ai entendu parler la première fois, j’étais très attiré par le coté bordélique du bouquin, avec ces partis pris, mais en le feuilletant, j’ai pris un peu peur d’encore prendre une leçon sur l’humanité qui est trop méchante et tout ça…
    J’ai perdu le courage…

    • Heddi  

      Mince, bien au contraire, cette petite fille nous réconcilie avec ceux qui devraient nous effrayer.

  • Matt  

    Bienvenue Heddi.
    C’est intrigant comme bouquin. Je ne sais pas si je pourrais m’adapter à la forme assez chaotique avec bouts de BD, de roman, pavés de texte à côté d’un petit dessin, etc.
    Après bien sûr le contexte de création de ce livre est particulier, et il faut soutenir ce genre de création.
    Mais je ne sais pas si ça marcherait sur moi.
    Vu le prix, il faudrait que je puisse emprunter ça pour tester. 34€ ça donne pas trop envie quand on n’est pas sûr d’accrocher à la forme.

    • Heddi  

      34 euros pour la version classique, auxquels tu rajoutes 70 euros pour la version de luxe quand tu as été complètement subjugué comme moi…
      Ne t’inquiète pas c’est quand même assez linéaire.

    • Dam Minette  

      Il faut le mettre sur la liste d’achat de la bibliothèque ! La mienne a suivi mon conseil et désormais dispose d’un exemplaire (qui j’espère a été emprunté par des curieux).

      • Bruce lit  

        Nice to have u here Dam Minette. Welcome 2 u.

        • Heddi  

          J’ai maintenant la chance de croiser Dam Minette dans la rue et dans ton blog.

  • Bruce lit  

    Ravi de t’accueillir Heddi.
    Merci pour ce papier limpide qui me permet de me faire une idée précise de cet étrange objet que j’ai effectivement vu en rayon mais dont l’hermétisme apparent et la taille bouffeuse de place dans une étagère ont été dissuasifs. Visiblement j’ai eu tort et tout pourrait m’intéresser si toutefois un tome 2 soit planifié.. Je viens de demander à l’éditeur, nous verrons bien. J’aime quand une BD est fait avec les tripes et l’énergie du désespoir.
    Ton couscous-retour t’attend toujours à Paris, mec.
    Been a pleasure.

    • Heddi  

      Tu es un ange.
      Merci pour tes conseils précieux qui m’ont évité de m’enliser dans une critique d’un livre aussi complexe.

  • Matt  

    Sinon c’est quoi la private joke avec IL FAUT FLINGUER RAMIREZ ?…
    On veut savoir !

    • Heddi  

      Non, rien….

      Juste que le battage médiatique autour de cet ouvrage m’a singulièrement énervé et comme j’ai l’habitude de me répéter j’ai dû l’écrire 200 fois sur un forum dédié à la BD.
      Une BD qui fait des calendriers, bonus multiples, clip youtube, QRcodes, arrive à me lasser.

      • Matt  

        Ah
        Moi je n’en avais pas entendu parler^^
        Donc techniquement cet article à aussi fait de la pub à cette BD 😛

  • Présence  

    Bienvenu Heddi.

    Une critique immédiatement sympathique car j’aime beaucoup le conte de la princesse au petit pois, et je me souviens encore de cette version de la couverture d’Astérix et Cléopâtre avec son énumération.

    Une fois n’est pas coutume, je n’ai pas lu ce comics (mais je l’ai offert à mon fils qui a beaucoup aimé).

    Je sens que je vais finir par chiper cet ouvrage à mon fils…

    • Heddi  

      Ahhh merci pour ces compliments !
      La princesse au petit pois ça doit être un de mes premiers contes.

      Bon, essaie de zieuter un peu le livre de ton fils. C’est d’une grande beauté.

  • Kaori  

    Merci pour cette critique d’une oeuvre et d’une auteure dont je n’avais jamais entendu parler !
    Pour le coup, je suis subjuguée par la forme et les conditions de réalisation ! Ton article donne vraiment envie de se pencher dessus…
    Ah, et bienvenue 🙂

    • Heddi  

      Bonsoir Kaori, tu peux foncer sur ce bouquin, qui peut au départ sembler difficile à aborder mais tellement beau un fois plongé dedans.

      Et pis merci pour ta bienvenue !

  • JP Nguyen  

    Merci pour cette découverte. Savoir que tous les dessins sont réalisés au stylo-bille est assez impressionnant. Les images de l’article montrent un résultat bluffant.

    Après Eddy (Van Leffe), Edie (l’illustratrice), voilà que Bruce décroche la signature d’Heddi…
    On peut voir se dessiner un fort choix Eddi-torial…

  • Penelope  

    Toujours un tel plaisir de te lire Heddi !
    J’aime quand tu nous racontes des histoires.

    J’ai reculé tellement de fois sur cet ouvrage, te lire à son sujet m’a ouvert un autre champ/chant des possibles…
    Peut-être finirai-je par tenter l’aventure, j’avoue que je suis un peu impressionnée.
    Merci de ce retour toujours tellement… inimitable !

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