Mutant ou schizophrène ? (Legion)

Legion saison 1 par Noah Hawley

1ère publication le 06/09/17-MAJ le 16/09/18

AUTEUR:  PIERRE N

Un fils qui n’a rien à envier à son père en termes de puissance dévastatrice

Un fils qui n’a rien à envier à son père en termes de puissance dévastatrice / Source : CDN / ©FX/ ©20th Century Fox

Cet article portera sur la première saison de la série Legion , composée de 8 épisodes et diffusée à partir du 8 février 2017 sur la chaîne FX ( The Americans , Fargo , Louie , Justified ).

Attention cet article comporte quelques spoilers imperméables à la télépathie.

Il fut un temps pas si lointain où les enfants de l’atome n’étaient pas les plus chanceux dans le domaine des adaptations live sur le petit écran, que ce soit avec Mutant X (qui n’a en réalité aucun lien direct avec les X-Men) ou encore le pilote d’une série Generation X avortée, et basée sur le titre éponyme de Scott Lobdell et Chris Bachalo.

À l’heure où les big two s’imposent de nouveau dans ce médium qui leur a souvent été propice (en particulier en ce qui concerne les adaptations animées), il était donc temps pour la Fox de faire revenir ses mutants dans l’arène télévisuelle par le biais d’une de ses branches, la chaîne FX.

La production a fait un choix judicieux en embauchant Noah Hawley, le showrunner de l’excellente série Fargo (adaptée du fameux film des frères Coen), pour superviser cette adaptation plutôt libre de l’univers des X-Men, et centrée autour du personnage de Legion/David Haller, alias le fils du Professeur X dans l’oeuvre originale.

Deux fous s’aiment d’amour tendre, mais comment s’y prendre quand on ne peut pas avoir de contacts physiques?

Deux fous s’aiment d’amour tendre, mais comment s’y prendre quand on ne peut pas avoir de contacts physiques? / Source cimg ©FX/ ©20th Century Fox

Depuis sa première apparition il y a plus de 30 ans dans le titre New Mutants de Claremont et Sienkiewicz, le fils de Charles Xavier et Gabrielle Haller ne s’est pas retrouvé si souvent que cela sur le devant des projecteurs (avec quelques exceptions notables, tel que Legion Quest, le prélude du crossover Age of Apocalypse ), en dépit de son lien de parenté et peut-être tout simplement en raison de sa grande puissance, qui le relègue bien souvent au rôle de deus ex machina encombrant (tout comme Sentry ou Franklin Richards).

Du coup il y avait de quoi se demander pourquoi l’attention de la Fox s’est posée sur ce personnage plutôt qu’un autre plus populaire (les projets ne manquent pas actuellement, qu’il s’agisse du film consacré aux Nouveaux Mutants, ou encore de la série The Gifted ). Il y a fort à parier que si le personnage n’avait pas eu droit à une série régulière rien que pour lui durant la période Marvel Now (l’excellent run de Simon Spurrier sur X-Men: Legacy ), il n’aurait probablement pas tapé dans l’oeil des futurs producteurs du show.

Noah Howley a sans doute vu dans ce personnage peu exploité le terreau d’un certains potentiel visuel et narratif, et cela en raison des particularités du personnage, et en particulier le lien entre ses pouvoirs et ses problèmes mentaux. Comme bien d’autres, Legion s’inscrit dans la veine du héros à problèmes, popularisée par la maison des idées à partir des années 60. En plus de son look capillaire, c’est avant tout sa schizophrénie qui le distingue des autres mutants (chacune de ses personnalités a accès à un pouvoir différent, un concept qui a part la suite été repris par Grant Morrison pour son run sur la Doom Patrol ).

Le Shadow King: une entité aux facettes tour à tour repoussantes…

Le Shadow King: une entité aux facettes tour à tour repoussantes… / Source : Res Cloudinary ©FX/ ©20th Century Fox

Howley part de ce principe de base en plaçant David dans un asile psychiatrique (nommé Clockworks, une référence qui renvoie au film Orange Mécanique de Kubrick) dès le début de la saison (avec en guise d’introduction un montage qui revient sur sa jeunesse tourmentée), et en installant d’emblée une ambiguïté sur la véritable nature des problèmes de David : est-il un schizophrène en proie à des hallucinations où plutôt un mutant surpuissant qui n’a pas conscience de ses véritables capacités ?

Si Howley avait choisi la première option, vous vous doutez bien que cette adaptation n’aurait plus eu grand chose à voir avec le matériau de base ; mais plutôt que de mettre fin à cette incertitude dès le début, l’intérêt initial de la série réside dans cette façon de jouer sur les deux tableaux, et d’imbriquer l’un dans l’autre au sein d’une narration ambitieuse et exigeante, assez déstructurée dans un premier temps, afin d’être raccord avec l’état d’esprit fragmentée de David.

…ou séduisantes

ou séduisantes / Source : IMDB  ©FX/ ©20th Century Fox

Il faut comprendre par là que dès lors que le spectateur a accès à cette histoire par le biais du point de vue et de la subjectivité de David, celui-ci ne doit pas prendre pour argent comptant ce qu’il voit à l’écran, puisque le showrunner prend un malin plaisir à brouiller les pistes, pour déjouer la capacité à dissocier ce qui relève du réel ou des visions fantasmagoriques du héros.

Cette structure narrative permet d’aborder le sujet par le biais d’un volet expérimental fructueux, pour mieux explorer les possibilités qui en découlent tant sur le plan des thématiques que de la mise en scène (une domaine dans lequel la série se distingue particulièrement par rapport à ses consoeurs).

Habituellement dans les films de la Fox, la représentation visuelle de la télépathie et du plan astral est réduite à une portion congrue, mais ici la réalisation se montre plus audacieuse en multipliant les trouvailles formelles (changements du format de l’image, disparition soudaine du son, passage de la couleur au noir et blanc, pause dans le temps, plan-séquence, effets de transitions), avec un visuel qui convoque une imagerie surréaliste pour un résultat épatant.

Dès le début, ce qui frappe c’est l’attention particulière accordé à la direction artistique de la série, et notamment à son esthétique néo-rétro, qui lorgne beaucoup sur celle des années 60/70 (la soeur de David est fringué comme si elle sortait tout droit d’un épisode de Mad Men , et le personnage excentrique interprété avec brio par Jemaine Clement semble être nostalgique de cette période) tout en incorporant des technologies et des éléments de design plus récents, ce qui participe à renforcer le flou temporel autour de l’intrigue.

La bande son est plutôt soignée elle aussi (Serge Gainsbourg, Rolling Stones, The Who, Radiohead), et c’est l’occasion pour le showrunner de mettre en avant l’influence de Pink Floyd sur la série puisque la compagne de David se nomme même Syd Barrett (le fondateur du groupe qui devint schizophrène).

Puisque la série n’est pas intégrée à la continuité des films de la Fox, il n’y a pas à craindre de fan-service superflu (tel les caméos de Psylocke et Glob Herman dans X-Men 3 ), et l’identité du père de David n’est jamais véritablement confirmée, même si les indices laissés ici et là laissent peu de place au doute (un puissant télépathe chauve en costard avec un X sur les roues de son fauteuil roulant).

Il ne fait pas bon vivre dans l’esprit de David

Il ne fait pas bon vivre dans l’esprit de David / Source  IMDB ©FX/ ©20th Century Fox

Aux côtés du septième épisode, le pilote s’impose rapidement comme un des (sinon le) plus réussi du lot, car c’est celui qui cultive le plus l’incertitude avec une narration déstructurée, qui arrive à rendre brillamment compte de l’instabilité mentale de David par le biais du montage et des effets de mise en scène. La construction des autres épisodes est plus linéaire mais leur intérêt n’est pas décroissant pour autant puisque cela va de pair avec l’amélioration de l’état de David.

Le scénario prend pas mal de libertés avec le matériel original mais de façon pertinente, en respectant l’essence du personnage et les concepts de base. Ainsi le refuge pour Mutants rappelle le manoir de Westchester, et les capacités de Syd, empêchant tout contact physique avec les autres, rappellent forcément Malicia et sa romance contrariée avec Gambit (la relation symbiotique de deux être qui partagent le même corps n’est pas sans rappeler également Madrox et ses doubles). C’est pour ainsi dire une adaptation qui fait le choix de la fidélité à l’esprit plutôt qu’à la lettre (et avec un personnage comme Legion qui n’a pas forcément à la base une fanbase conséquente, les scénaristes se sentent d’autant plus libre de le réinterpréter).

Un cosplay réussi de Double-Face

Un cosplay réussi de Double-Face.  Source  IMDB ©FX/ ©20th Century Fox

En raison du budget, les pouvoirs des mutants ne reposent pas forcément toujours sur le strict plan visuel, leur intérêt ne tient pas tant dans les affrontements mais plutôt dans les possibilités narratives qu’ils permettent ; entre celle qui peut permuter son corps avec celui des autres ou celui qui peut voyager à loisir dans les souvenirs (un outil idéal pour la thérapie), la série ne manque pas d’imagination sur ce plan-là.

La continuité de l’univers mutant n’est tout de même pas complètement occulté, puisque le showrunner y a pioché le personnage du Shadow King, un vieil ennemi de Xavier associé à son rejeton depuis la saga de l’île de Muir de Claremont. L’entité planquée dans l’esprit de David n’est autre qu’Amal Farouk, et chacune de ses apparitions ne manque pas de malaise et de tension, rappelant ainsi les apparitions fugaces mais mémorables de Bob dans Twin Peaks . Le qualificatif Lynchien est parfois accolé de façon systématique dès lors qu’il y a un peu d’étrangeté dans les péripéties, mais ici vu la nature du show et l’utilisation du plan astral, cela s’y prête plus que pour d’autres séries (l’utilisation de la tarte à la cerise, indissociable du personnage de Dale Cooper, tend à confirmer l’hypothèse de cette influence).

Vers la fin de la saison, l’intrigue revient sur un des rares antagonistes rescapés du pilote, en évoquant ce qui lui est arrivé dans l’intervalle, pour mieux aborder cette fois l’histoire de son point de vue. Ce détour narratif permet d’éviter l’écueil du manichéisme en humanisant les ennemis de David, de simples mortels qui ont eu aussi leur propre histoire (la démarche n’est pas sans rappeler les oeuvres de Grant Morrison, qui a souvent cherché à s’éloigner de l’aspect binaire lié aux camps opposés, pour privilégier les zones de gris).

Cela n’empêche pas pour autant à la série de se reposer sur des recettes qui sont parfois de l’ordre de ces poncifs que l’on retrouve souvent dans les séries tv et les comic-books (les héros qui se réveillent dans un hôpital psychiatrique en croyant temporairement que tout ce qu’ils ont vécu auparavant n’était qu’une illusion).

Un havre glacial à l’abri des turpitudes de la réalité

Un havre glacial à l’abri des turpitudes de la réalité / Source : Archinect ©FX/ ©20th Century Fox

Le casting se montre très convainquant dans l’ensemble, qu’il s’agisse du charismatique Dan Stevens ( The Guest ), de la charmante Rachel Keller ( Fargo ), ou encore de Jemaine Clement ( Flight of the Conchords ), qui adopte ici un look 60’s/70’s pour figurer le déphasage temporel de son personnage.

Les inconditionnels de Parks and Recreation comme moi seront content de retrouver Aubrey Plaza dans un des rôles principaux, celui du personnage énigmatique de Lenny, prévu au départ pour un homme âgé. Howley s’est ravisé sur le sujet (en intégrant cette donnée puisque l’entité en question se cache derrière plusieurs avatars) et il a bien fait puisque l’actrice crève l’écran dans ce rôle multiple, assez délicat à gérer sans partir dans des excès de cabotinage.

Lorsque le Shadow King intervient par le biais de ses divers avatars, Howley a recours a la grammaire du cinéma d’Horreur (mêlant dans un même épisode une re-interprétation du Bolero de Ravel et l’usage de lunettes révélatrices, à la manière du jubilatoire They Live de John Carpenter) pour montrer la dangerosité de la situation dans laquelle se trouvent David et ses alliés.
Dans une autre scène c’est cette fois le genre de la comédie musicale façon Bollywood qui est convoquée, et enfin dans une autre, c’est le visuel de la série qui change radicalement pour adopter les codes du cinéma muet.

Ce changement de genres et de tons participe à la richesse de l’ensemble ; certains n’y verrons qu’un exercice de style un peu vain, tandis que d’autres trouveront ces expérimentations visuelles et narratives bien plus réjouissantes et stimulantes que le morne quotidien des films actuels des big two, où les films auto-contenus se font rares puisqu’ils s’inscrivent dans leur grand tout de l’univers partagé (ce qui n’empêche pas d’y trouver de bonnes surprises de temps en temps).

Décidément, après Logan le renouveau de la franchise mutante en 2017 est marqué par la lettre L, et même si les prochains films X-Men n’incitent pas à la confiance, le volet télévisuel s’avère en tout cas bien plus prometteur grâce à cette excellente première saison, qui se distingue par sa vision d’auteur et son ambition, éloignée du cahier des charges des blockbusters et des contraintes de l’univers partagé de la Fox.

Une référence 80’s qui ravira les fans de John Carpenter

Une référence 80’s qui ravira les fans de John Carpenter / Source : IMDB ©FX/ ©20th Century Fox

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Après Logan, Marvel a frappé fort cette année en tablant sur une série adulte voire carrément flippante. Pierre N est entré dans la Legion de FX et vous en parle chez Bruce Lit.

La BO du jour:

38 comments

  • Nikolavitch  

    C’est tout ou rien, Légion, y a ceux qui adorent et ceux qui fuient à toutes jambes.

    je suis dans la première catégorie, pour ma part, mais je peux comprendre les blocages.

    (et la saison 2 est encore plus perchée, assez morrisonienne par moments, avec les androïdes androgynes, la narration parfois totalement destructurée, etc.)

    • Bruce lit  

      Voilà : une série qu’aurait pu écrire Morrison….
      ‘Tchoum !
      Où est mon antihistaminique ?

    • Jyrille  

      Ah j’ai loupé la saison 2 va falloir que je m’y mette. Comme Nikolavitch j’aime beaucoup.

  • Ben Wawe  

    Je dois m’y mettre depuis des mois, je vais tenter. Curieux de voir le résultat.

    • PierreN  

      « Curieux de voir le résultat. »

      Et moi curieux de ton retour. 😉

  • Jyrille  

    Les trois saisons sont sur Disney+ !

  • Jyrille  

    Bien, je viens de terminer la saison 2 : on ne peut pas dire que l’histoire avance vite tout au long de ces 11 épisodes, mais j’ai pris un énorme pied à les voir. C’est visuellement très beau, complètement barré, musicalement toujours chiadé, la photo est à tomber, les idées assez incroyables car pour la plupart du temps incongrues, avec une certaine logique dans les décors et les costumes (toujours du néo rétro). Dans un épisode What If?, on suit les divers destins possibles de David, et une scène reprend directement une scène de Orange Mécanique, comme quoi ce film reste une influence assumée du showrunner.

    Une série absolument pas pour Bruce donc. Allez, je vais me faire la saison 3. Et je dois toujours voir Fargo et Flight of the Conchords.

    • PierreN  

      « Allez, je vais me faire la saison 3. »

      Probablement la meilleure du lot. Je présume que les détracteurs du show (et de cette dernière saison en particulier) pourraient qualifier cela de « succession de clips musicaux avec un semblant d’histoire autour).

      • Jyrille  

        Pour le moment j’ai vu le premier épisode, il tient toutes ses promesses !

  • Jyrille  

    J’ai fini Legion. Je suis vraiment fan. Le dernier épisode fait une référence à H2G2 qui me fait bien plaisir mais surtout il y a une séquence avec une reprise du Mother de Pink Floyd qui ne pouvait pas être mieux utilisée.

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