Nippones Friponnes (Frederic Boilet)

Anthologie Frederic Boilet

1ère publication le 05/05/15- MAJ le 30/08/18

AUTEUR : 6 PATRICK FAIVRE

Cet article se veut être un panorama des oeuvres « japonaises » de Fréderic Boilet, dessinateur et scénariste français.

So many girls so little time

So many girls so little time ©Les impressions nouvelles

De Taka Takata le Kamikaze cycliste jusqu’à Yoko Tsuno les représentations du Japon dans la bande dessinée Européenne n’ont pas manqué… Pas toujours représenté de manière flatteuse (au mieux caricaturale disons) le Japon et les Japonaises en particulier ont souvent fait office de « Fantasme exotique » très loin de la réalité du pays.

Jusqu’à ce qu’un certain Fréderic Boilet vienne y mette bon ordre… Pour lui les choses sont claires : « Au diable la différence – de fond – qui existerait entre le peuple japonais et le reste du monde. La particularité de l’essence japonaise est une escroquerie, un mensonge qui alimente les chroniques spectaculaires des médias occidentaux ou sert d’alibi aux zozos de l’extrême droite Nippone. Les Japonais sont en touts points pareils à nous, c’est leur façon d’être identique qui change… »

Je passerais sur les œuvres de jeunesse de ce talentueux dessinateur ( La nuit des archées  en 1983 et  Le rayon vert  en 1987 et enfin  3615 Alexia  en 1990, le meilleur des trois, une très intéressante mise en abyme intégrant une BD autobiographique dans une BD de fiction ! Le tout baignant dans un érotisme très prononcé…) pour me concentrer sur la période Nippone de l’auteur.

Le style n’est pas encore affiné mais l’idée est là

Le style n’est pas encore affiné mais l’idée est là ©Casterman

LOVE HOTEL (1993)

Tout commença par sa rencontre avec Benoit Peeters (bien connu pour son travail avec François Schuiten sur les  Cités obscures ) avec qui il réalisera plusieurs albums.

Tout d’abord il faut expliquer ce qu’est un Love hotel : Il s’agit de chambres louées, parfois à l’heure, refuge (très) discret pour les couples illégitimes… Souvent l’entrée se fait par le parking ce qui permet aux amants de ne jamais être vu depuis la rue et de passer directement de leur voiture à la chambre ! L’infidélité est gérée avec discrétion et efficacité au pays du soleil levant ! La décoration des chambres est souvent outrancière avec des thèmes des destinations exotiques et supposément romantiques comme Paris ou Venise dans le cas qui nous occupe…

Flirtant invariablement avec l’autobiographie, Fréderic Boilet prêtera ses traits aux personnages principaux pour chacun de ses albums ! Il est donc impossible de scinder la pure fiction de la mise en abîme…

Mise en abime sous titrée !

Mise en abime sous titrée ! ©Casterman

Bon le pitch : Un certain David Martin, fonctionnaire au ministère de la jeunesse et des sports, réussi à se faire envoyer au japon dans le cadre d’une mission d’étude. On comprendra bien vite que ce travail n’est qu’un prétexte et que sa vraie motivation est tout sauf professionnelle : Il ne souhaite que retrouver son amoureuse une jeune lycéenne de 17 ans nommée Junko ! Il bâclera sa tache dans le seul but de passer le plus de temps possible avec sa belle.

Hélas le rêve de David tournera vite court ! Cette dernière obsédée par l’idée de participer à un jeu télévisé délaissera de plus en plus son amant. Désœuvré il découvrira les bars Yakuzas de Sapporo et surtout les Love hotels en solitaire…Entre désillusion et désenchantement le héros, sorte de loser magnifique passera plus de temps à imaginer et chercher son amour qu’à le vivre réellement…

La joie des Love hotels !

La joie des Love hotels ! ©Casterman

Il apparaît très vite que le suspens n’est pas le souci principal de l’auteur, pas plus que les rebondissements du scénario d’ailleurs. Le vrai propos de Boilet est bien plutôt la transcription de la vie intime Japonaise. A une époque ou les mangas n’étaient pas aussi populaires qu’aujourd’hui, il fait office de précurseur en la matière. Pour illustrer l’aspect tranche de vie il est fait référence dés le début de l’histoire à François Truffaut et à son film  Domicile conjugal … (dont une des interprètes principales n’est autre que Hiroko Matsumoto, mannequin Japonaise muse de Pierre Cardin !).

La référence ne doit du reste rien au hasard tant tout comme dans les films de la Nouvelle Vague les personnages de Boilet prennent le pas sur l’histoire ! Particularité de l’album les bulles de dialogues sont souvent écrites en Japonais (avec la traduction en bas de case) inventant par la même un nouveau concept : La BD en VO sous-titrée ! Le style graphique « très gras » rend l’accès de cette BD un peu difficile de prime abord. Les premières pages peuvent paraitre un peu « rebutantes » et contrastent assez avec le cadrage presque cinématographique des cases, mais on s’habitue très vite à ce style qui sert plutôt bien l’histoire…

Je connais Tokyo comme ma poche

Je connais Tokyo comme ma poche ©Casterman

TOKYO EST MON JARDIN (1997)

Où l’on retrouve David Martin désormais reconverti en représentant de Cognac ! Hélas il n’est pas plus brillant en tant que VRP qu’au sein du ministère. Après des mois il n’a pas réussi à vendre une bouteille aux fins connaisseurs en Cognac que son les Japonais (Tout occupé qu’il était à découvrir la culture Japonaise qui le fascine et à profiter de la vie nocturne de Tokyo). Comble de malchance non seulement il apprend que son patron alerté par son manque de réussite va venir à Tokyo pour deux semaine, mais en plus David se fait plaquer par sa copine ! (Nipponne et tout autre rime en Onne qu’il vous plaira de rajouter).

L’horizon serait bien noir s’il ne rencontrait pas la belle Kimié dont il tombe amoureux…Désormais convaincre son patron de le laisser rester au Japon devient vital ! Sa double mission : chaperonner son patron et séduire sa belle !

Objectif : Kimié !

Objectif : Kimié ! ©Casterman

Une nouvelle fois l’histoire est le prétexte pour une promenade drôle et sensible dans le Tokyo du quotidien en détournant les stéréotypes avec humour. Les deux semaines avec son patron, qu’il doit promener à travers Tokyo, seront l’occasion pour l’auteur de donner son point de vu sur la culture du pays et faire voler en éclat les clichés de son employeur (qui représente ici la vision typique des occidentaux sur le Japon). Il lui démontrera la curiosité des autochtones envers les Français en expliquant (selon ses propres mots) « Elle dit que c’est ça la France qui plaît aux Japonais. Ce n’est pas le TGV ou la Tour Eiffel, ils ont la même chose… c’est le cinéma, les droits de l’homme, le vin… »

A noter que Frédéric Boilet comme de coutume ne va pas loin pour chercher son inspiration : La petite amie de David, Kimié, lui est directement inspirée par Kaoru Sekizumi (Traductrice des Cités obscures notamment) et qui est devenue … l’épouse de l’auteur en 1996 !

Graphiquement le style c’est très nettement affiné depuis l’album précédent, l’auteur a eu le temps de préciser sa technique souvent basée sur des photos retravaillées, parfois même sur des vidéos! L’érotisme de certaines scènes n’en est que décuplé et une grande sensualité se dégage des cases… Crues mais exemptes de toute vulgarité.

Au revoir le Japon et bonjour Lyon !

Au revoir le Japon et bonjour Lyon ! ©Aire libre

DEMI TOUR (1997)

Frédéric Boilet continue sa fixation sur le Japon mais cette fois-ci exit le Tokyo et destination Lyon ! Joachim 38 ans (toujours sous les traits de Boilet il va sans dire) est de passage à Lyon la veille de l’élection présidentielle Française opposant Lionel Jospin à Jacques Chirac. Apprenant avec tristesse la défaite du candidat qui avait sa préférence, il s’installe dans un bar pour noyer sa déception. Il y rencontre Misato, une jeune Française d’origine Japonaise, qui elle est ravie du résultat vu qu’elle est de droite !

Chirac-Jospin : And the winner is…

Chirac-Jospin : And the winner is…©Aire libre

Faisant fi de leur différence d’âge et d’opinion ils apprendront à se connaitre et créeront des liens sur fond de « Pansémiotisme » (une intéressante théorie visant à relier les coïncidences entre elles. « Tous les événements de ce monde ont une signification inconsciente qu’on peut apprendre à décoder en prêtant attention aux coïncidences » … Tout un programme !). Grace à cette science un parallèle va se créer entre ces deux destins que tout oppose… En vain pourtant, vu que la belle finira perdre sa virginité dans les bras d’un autre ! Pas de bol.

Nouvelle collaboration avec Peteers en couleur cette fois-ci, l’érotisme, bien que présent, est au demeurant moins marqué que précédemment.

Au niveau de la sonorité les mots "épinard" et "nombril" en japonais sont très proches

Au niveau de la sonorité les mots « épinard » et « nombril » en japonais sont très proches ©Ego comme X

L’EPINARD DE YUKIKO (2001)

Retour au Japon après la parenthèse Lyonnaise dont Frédéric Boilet signera seul le scénario… L’auteur (cette fois ci on suppose que c’est vraiment lui puisqu’aucun nom n’est précisé pour le personnage masculin) Mangaka Français habitant à Yokohama, rencontre Yukiko une jeune Japonaise.

Il en tombe amoureux, hélas comme il se doit cette dernière est déjà éprise d’un autre ! En attendant le retour de l’élu de son cœur, Yukiko et l’auteur vivront une passion amoureuse éphémère et intense !

Bizarre love triangle

Bizarre love triangle ©Ego comme x

L’amour du dessinateur est manifestement envahissante puisque Yukiko est présente à quasi toutes les cases, omniprésente et dessinée sous tous les angles ! L’intimité du couple fut-il éphémère passe en détail sous le crayon de l’auteur… A mi-chemin entre exhibitionnisme et ode à l’amour nous avons affaire ici à du grand art !

Techniquement parlant Boilet poursuit son chemin hyper réaliste en généralisant son utilisation de la photographie dans son œuvre. Une partie des photos ont été prises au fur et à mesure de son histoire avec Yukiko et l’autre partie a été réalisée après leur rupture, il a donc utilisé une doublure féminine ressemblant à son amie !

Le procédé est assez complexe mais en résumé, l’auteur se base sur les photos pour faire ses dessins puis les scanne. Il intègre ensuite par ordinateur son dessin avec la photo originale afin de composer les nuances de gris. L’opération finale consiste à assembler l’image obtenue pour composer les pages de la BD !

Le résultat est saisissant de réalisme, les personnages donnent l’impression de littéralement sortir des cases pour prendre vie…

Travail à 4 mains

Travail à 4 mains ©Casterman

MARIKO PARADE (2003)

Ayant publié de nombreuses histoires de quelques pages, Fréderic Boilet eu l’idée de les relier entre elles afin de former un tout. Pour se faire il fit appelle à Kan Takahama une Mangaka Japonaise qui devait se charger de dessiner un fil rouge entre chaque histoire.

La tâche de départ parait simple puisque chaque histoire représente invariablement l’auteur avec une Japonaise dévêtue ! Pourtant Kan Takahama va largement dépasser le concept de « bouche trou » pour créer une véritable histoire qui finira même par prendre le pas sur les courtes histoires de Boilet !

 Toujours autobiographique mais dans un style qui tranche clairement avec celui de Boilet

Toujours autobiographique mais dans un style qui tranche clairement avec celui de Boilet ©Casterman

En résumé l’auteur et son modèle, Mariko une jeune Japonaise de 24 ans, vont sur l’ile d’Enoshima afin d’y réaliser des prises de vue pour préparer un nouveau manga. Pas de chance c’est la saison des pluies et ils passent le plus clair de leur temps dans leur chambre, ce qui leur donnera l’occasion de feuilleter de vieilles histoires réalisées ensemble ainsi que des illustrations et par là même de se redécouvrir l’un l’autre… Évoquer de vieux souvenirs et faire l’amour voici d’excellentes occupations !

Cependant la deuxième journée de leur séjour Mariko révèle qu’elle a décidé de quitter le Japon et de poursuivre ses études à l’étranger… Minimalisme de l’histoire comme souvent chez Boilet ce qui compte ce sont les émotions, la sensualité… et les dessins ! De prime abord les deux styles de dessins sont difficilement compatibles, lui très réaliste et détaillé, elle plus délié et un peu naïf (un style très manga en somme) le traitement des ombres et des dégradés de gris servira à unir les deux traits pour un résultat plutôt convainquant…

Le travail de toute une vie

Le travail de toute une vie ©Les impressions nouvelles

L’APPRENTI JAPONAIS (2006)

Un bien curieux objet que celui là ! Ni une BD ni un livre, il ne s’agit pas non plus d’une biographie, ni d’un essai… Mais un peu tout cela à la fois ! Ce livre est une chronique de son séjour au pays du soleil levant. Il se divisera en quatre parties, où il notera tour à tour ses impressions lors de son arrivé à Tokyo, des illustrations et textes de «Prisonnier des Japonaises » (tout est dans le titre ! «Les Japonaises sont formidables, note l’auteur, et si ça ne tenait qu’à moi, je ne parlerais que d’elles dans ces chroniques»), des croquis, des lettres, de photographies… le tout assemblé chronologiquement.

Comme l’a très bien écrit une chroniqueuse lors de la sortie du livre : « Attention, une mise en garde est cependant nécessaire : il est possible, voire probable qu’après la lecture de ce livre, les lecteurs aient envie de partir au Japon, de lire TOUS les livres de Frédéric Boilet et d’épouser une Japonaise… » Mission accomplie sur les trois points me concernant ! ( Ndlr : fripouille !).

Comme un avion sans Elles !

Comme un avion sans Elles ! ©Ego comme X

ELLES (2007)

L’auteur conclura en beauté son cycle Nippon par un recueil de neuf histoires courtes et en couleurs publiées dans la presse Japonaise entre 1997 et 2003. Neuf histoires et autant d’aventures amoureuses. D’un érotisme torride et explicatif il est difficile de rester insensible à la sensualité qui se dégage de ces planches !

Des sexes pleines pages, des poitrines en gros plan, des éjaculations faciale, une scène d’amour ultra réaliste en plans subjectifs (probablement réalisée par le procédé indiqué plus haut)… L’auteur ne tourne pas autour du pot (si je puis dire) mais utilise son talent pour éviter toute vulgarité et faire cohabiter tendresse, amour et poésie !

Ce qui différencie cet ouvrage d’autres BD érotiques (je pense à celle de Manara par exemple) c’est qu’habituellement les femmes n’y sont représentées que via leur sexualité et en tant qu’objet de désir… Rien de tel ici, les femmes ont une âme, une personnalité, une épaisseur…En un mot elles existent ! Il vous est du reste rappelé que ce livre se lit à deux mains et que si la beauté du trait ne vous rend pas aveugle il vous rendra probablement sourd…

Après ce feu d’artifice final Boilet quittera la Japon et ne sortira plus d’album… En 2014 il fera à nouveau parler de lui avec un ouvrage de photographies « 286 jours » réalisé avec Laia Canada. Une nouvelle fois une histoire de passion et de sexualité débridée mais cette fois ci en photo et en version Andalouse et non plus Nipponne… Le monde de la photographie y a sans doute gagné mais celui de la BD lui porte le deuil !

Rideau !

Rideau !  © Les impressions nouvelles

2 comments

  • Jyrille  

    Exceptés Elles et l’Apprenti japonais, j’ai tout lu ici. Merci Patrick d’avoir écrit cet article ! Boilet est l’un des rares artistes dont je possède une dédicace. Il accompagnait sa dernière compagne en date, l’auteure de Fraise et Chocolat où encore une fois il s’agit d’autobiographie avec Boilet, de sexe et d’une nippone. Il fut d’une gentillesse affable, d’une bonne humeur et d’un humour qui ne dénote pas du tout avec ses bds.

    En fait j’adore Boilet car comme pour Taniguchi, ses bds sont accueillantes, bienveillantes, et il retranscrit merveilleusement le sentiment amoureux. Tokyo est mon jardin est peut-être ma préférée, mais il faudrait que je les relise, L’épinard de Yukiko est très bien aussi. Faut que je tente Elles, je pense.

    Sinon je te jalouse un peu quant à vivre au Japon… Est-ce toujours le cas ?

  • Jyrille  

    Autant le second tome fait un peu redite, autant le premier tome de Fraise et chocolat vaut vraiment le détour, oui.

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