On va réévaluer vos objectifs à la hausse pour compenser la baisse. (Le travail m’a tué.)

Le travail m’a tué par Hubert Prolongeau, Arnaud Delalande et  Grégory Mardon

Un article de PRESENCE

VF : Futuropolis

Devoir de témoignage  © Futuropolis

Devoir de témoignage
© Futuropolis

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première parution date de 2019. Le récit a été écrit par Hubert Prolongeau et Arnaud Delalande, il a été dessiné, encré et mis en couleurs par Grégory Mardon.

En 2019, au tribunal des affaires de sécurité sociale, Françoise Perez arrive avec son avocate : l’enjeu du jugement est la reconnaissance du harcèlement moral et du harcèlement institutionnel. Un journaliste vient interrompre la discussion de l’avocate avec sa cliente, mais l’avocate indique que ce n’est pas le moment, qu’elles doivent se préparer pour l’audience. En 1988, Carlos Perez reçoit la lettre qui lui confirme qu’il est pris à l’École Centrale Paris, il court l’annoncer à ses parents qui sont très fiers de lui. À la sortie de l’école, il passe un entretien et est embauché chez un constructeur automobile national. 5 ans plus tard, il a gravi des échelons et devient chef d’atelier. Il sort avec Françoise, et ils se marient peu de temps après.

Peu de temps après, le centre technique déménage à Gonesse, ce qui induit des temps de transport plus longs pour Carlos qui a acheté à Saint-Cloud. Il passe aussi à un aménagement des bureaux en espace partagé, plus bruyant. Dans le même temps, la messagerie électronique prend son essor et il y a de plus en plus de courriels à traiter. Françoise est enceinte de leur premier enfant. Un jour en se promenant avec elle, il voit le modèle de voiture (une Nymphéa) dans la rue, pour la première fois, le centre technique étant séparé des ateliers de fabrication. Avec la circulation, Carlos Perez se rend compte qu’il vaut mieux qu’il prenne les transports en commun, avec les aléas afférents.

Répondre devant la justice © Futuropolis

Répondre devant la justice © Futuropolis

2 ans après l’installation dans le centre technique, la direction change, et les ingénieurs sont convoqués pour une réunion plénière. Un nouveau cadre leur explique que les résultats de vente de la Nymphéa en font un succès, mais qu’il va falloir que l’entreprise s’améliore encore, en révisant ses méthodes de travail, et que des objectifs individualisés vont être instaurés. Dans le lit conjugal, sa femme lui indique que l’individualisation est également une opportunité pour que ses efforts soient reconnus à leur juste mesure. Le lendemain, Carlos Perez est confronté à un carburateur mal conçu. Il décide de demander à son équipe de travailler dessus tard dans la soirée pour le rendre conforme afin que l’équipe suivante dans la chaîne dispose d’un carburateur viable. Il passe toute la nuit au bureau avec plusieurs collègues. Le lendemain, il reçoit un message de sa femme lui indiquant qu’elle est en salle de travail. Il se dépêche de se rendre à l’hôpital et arrive juste à temps.

En découvrant cette bande dessinée, le lecteur a conscience de 2 caractéristiques. La première est qu’elle paraît en 2019, l’année du jugement sur les suicides de France Telecom / Orange : 35 suicides liés au travail entre 2008 et 2009. La seconde est que cette bande dessinée reprend des éléments du livre TRAVAILLER A EN MOURIR : QUAND LE MONDE DE L’ENTREPRISE MÈNE AU SUICIDE (2009) de Paul Moreira (documentariste) & Hubert Prolongeau (journaliste), ce dernier étant coscénariste de la BD. Le fait que Carlos Perez travaille comme chef d’atelier pour un constructeur automobile français renvoie aux suicides de trois salariés du technocentre de Renault à Guyancourt entre octobre 2006 à février 2007. Les auteurs ont donc comme intention d’évoquer les circonstances et les mécanismes qui mènent à un tel acte, par le biais d’une fiction entremêlant les éléments de France Telecom et de Renault. Le lecteur peut identifier la création du Centre Technique pour Renault, et les plans de restructuration comme pendant du plan NExT (Nouvelle Expérience des Télécommunications, plan de 2006-2008) et du programme managérial Act (Anticipation et compétences pour la transformation), ayant pour objectif de diminuer la masse salariale.

Un avenir prometteur  © Futuropolis

Un avenir prometteur
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La bande dessinée est un média, pouvant accueillir tout type de narration, tout type de genre. L’introduction permet de rattacher le récit à l’actualité, mais plus encore à l’enjeu du jugement, pour la veuve de Carlos Perez, mais aussi pour le monde du travail, pour tenter de mettre les managers et les hauts cadres face aux conséquences de leurs décisions. Le cœur de la bande dessinée comprend 104 pages exposant les faits en suivant le parcours professionnel de Carlos Perez et quelques étapes de sa vie privée. Le lecteur y retrouve des transformations professionnelles rendant compte de la mutation de l’organisation du travail dans ce secteur d’activité : un changement de modèle d’organisation avec une augmentation de la spécialisation et une segmentation des process (le centre technique est déconnecté des ateliers de production : ils ne sont plus au même endroit), une accélération de la mise en place de nouveaux outils (courriels, logiciels de conception assistée par ordinateur, mondialisation), la mise en place de gestionnaires ne connaissant pas le métier, l’apparition du chômage chez les cadres. D’une certaine manière, Carlos Perez n’arrive pas à s’adapter à ces nouvelles conditions de travail malgré ses efforts, restant dans le mode de fonctionnement de l’ancien modèle.

Hubert Prolongeau, Arnaud Deallande et Grégory Mardon ont ambition de retracer ce drame pour de nombreux salariés au travers d’une bande dessinée. Afin de donner à voir cette histoire de vie, Grégory Mardon a opté pour un trait semi-réaliste, avec une apparence de surface un peu esquissée. En ce qui concerne cette dernière caractéristique, le hachurage pour les ombres est fait avec des traits pas très droits, pas très parallèles, n’aboutissant pas proprement sur le trait détourant la forme qu’ils habillent. Les personnages sont tous distincts, en termes de morphologie et de visage, avec parfois une impression de corps construit un peu rapidement (le raccord des bras aux épaules en particulier) et d’expression de visages qui peuvent être un appuyées pour mieux transcrire l’état d’esprit du personnage. Cela donne plus une sensation de reportage, de dessins croqués sur le vif, que de bâclage. Les protagonistes sont vivants et nature, le lecteur ressentant facilement de l’empathie pour eux. Il voit le visage de Carlos Perez se creuser au fur et à mesure qu’il encaisse et qu’il en perd son sommeil. Il est saisi d’effroi en page 45 (page muette) en découvrant le masque de mort qu’est devenu son visage, et la fumée de cigarette qui sort par la bouche, comme s’il s’agissait de son âme en train de quitter son corps.

Les conditions de travail  © Futuropolis

Les conditions de travail
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Il n’y a que 3 personnes qui relèvent de la caricature : Sylvain Koba (le premier nouveau chef direct) de Carlos Perez, Nicole Perot celle qui succède à Koba, et la jeune directrice des ressources humaines. En voyant leur langage corporel et leurs expressions, le lecteur voit des personnes manipulatrices, des salariés ne faisant que leur boulot, des êtres réduit à leur fonction, appliquant la politique de l’entreprise sans recul ni état d’âme, encore moins d’empathie pour les employés qu’elles reçoivent. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut y voir une exagération qui en fait des individus mauvais, ou bien l’expression du ressenti de Carlos Perez vis-à-vis d’elles. Il n’en reste pas moins que l’artiste se montre très habile à faire apparaître leur ressenti, en particulier l’esprit de domination de Nicole Perot, et sa jouissance à obtenir satisfaction, à imposer ses choix à son subalterne. À ce titre, Mardon réussit des cases terrifiantes : en page 79 Carlos Perez voyant Nicole Perot dans une légère contre-plongée qui montre son ascendant sur lui, en page 80 quand le visage de Perez s’encadre entre le bras et le buste de Perot comme si elle le tenait dans une prise d’étranglement.

De prime abord, les différents environnements semblent dessinés avec la même rapidité pour une apparence facile et un peu esquissée. Au fur et à mesure, le lecteur est frappé par la diversité des lieux, leur plausibilité et leur qualité immersive. Il peut effectivement se projeter en esprit dans le petit jardin du pavillon des parents de Carlos Perez. Il a l’impression d’être assis à ses côtés pour son premier entretien d’embauche dans le bureau du recruteur où il n’y a pas encore d’ordinateur. Il a l’impression de jouer le photographe lors de la photographie prise sur les marches de l’église pour le mariage. Il s’installe dans l’open-space en éprouvant tous les désagréments de ce manque d’intimité et de cette ambiance de travail bruyante. Il voit le hall monumental du centre technique remplissant une fonction de prestige, contrastant avec la qualité dégradée des espaces de travail des employés. Il attend impatiemment le RER avec Carlos Perez, maugréant comme lui contre son irrégularité et les incidents à répétition. En page 81, le lecteur suit Carlos Perez alors qu’il inspecte le site technique de l’entreprise en Argentine, et il se trouve vraiment à inspecter une chaîne de montage, à vérifier l’installation par rapport aux processus décrits dans la base de données informatique.

Travail sans retour  © Futuropolis

Travail sans retour
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En entamant sa lecture, le lecteur a bien conscience de la nature du récit et de sa fin inéluctable. Il n’y a pas d’échappatoire possible pour Carlos Perez. Il n’y a pas d’issue heureuse. Il l’observe en train de se heurter à un changement qu’il ne maîtrise pas, qu’il ne comprend pas, qui remet en cause ses valeurs professionnelles et personnelles. Carlos Perez fait des efforts pour atteindre ses objectifs individualisés et pour répondre aux attentes de ses chefs : chacune de ces actions est à double tranchant. D’entretien en entretien, ses objectifs (comme ceux des autres) sont revus à la hausse, arbitrairement, sans prendre en compte la réalité du métier, sans espoir de les atteindre un jour, puisque dans le meilleur des cas une fois atteints ils seront à nouveau revus à la hausse. Les auteurs réussissent des passages bien plus subtils. Ingénieur de formation, Carlos Perez est envoyé dans une usine implantée en Roumanie pour augmenter la production et rationaliser une masse salariale sans la faire augmenter. Il se rend compte après coup qu’il a joué le même rôle que ses propres chefs : devenir gestionnaire sans état d’âme en profitant de la méconnaissance du droit du travail par les employés pour mieux les exploiter. Ayant assisté à une déclaration du PDG à la télé, il prend l’initiative de développer une solution technique par lui-même pour résoudre le problème évoqué par le PDG. Il apporte une solution technique sans rapport avec la stratégie financière de développement du groupe, dans une incompréhension complète du système. C’est un tour de force des auteurs à la fois par l’intelligence de l’analyse, à la fois par leur capacité à en rendre compte sous forme de bande dessinée, que de montrer à quel point Carlos Perez et cette direction désincarnée ne jouent pas au même jeu.

Il y a une forme d’inconscience à penser qu’il est possible de traiter d’un sujet aussi complexe et douloureux que la souffrance au travail, en une simple bande dessinée de 115 pages, en même temps il s’agit d’un engament total et nécessaire. Arnaud Delalande, Hubert Prolongeau et Grégory Mardon racontent l’histoire d’un individu, ce qui permet au lecteur de se projeter, de se reconnaître en lui, d’éprouver de l’empathie. Les dessins présentent une apparence d’urgence, et reflète un monde de flux en phase avec le monde de l’entreprise qui doit fourguer toujours plus de marchandises en menant une véritable guerre économique contre ses concurrents, des adversaires à écraser, à éliminer. En terminant cette BD, le lecteur a dans la bouche un goût amer : le gâchis en vie humaine, un libéralisme capitaliste sans âme qui ne fonctionne que pour son propre intérêt, son propre développement, des individus faisant fonctionner un système sans se poser de question, sans recul, une évolution implacable et inéluctable, arbitraire pour l’individu qui n’a pas les moyens de l’enrayer. À la fois, le lecteur est écœuré par cette vie massacrée, par un système institutionnalisé que les employés appliquent sans état d’âme ; à la fois il aurait bien aimé en découvrir plus, à commencer par ce qui permet aux collègues de Carlos Perez de s’adapter.

Rythme de vie  © Futuropolis

Rythme de vie
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La BO du jour

34 comments

  • Matt et Maticien  

    Merci pour ce choix et cette analyse rigoureuse. J’aurai aimé en lire davantage car le sujet m’intéresse. Il me reste à trouver la BD.

    le sujet est complexe et le coscénariste journaliste lui apporte sans doute toute l’épaisseur narrative nécessaire. Ce sujet est parfois traité sur le thème de la démonstration ce qui ne permet pas de comprendre de l’intérieur la subtile mécanique et l’adhésion de tous les acteurs à ce système ( comme on le voit avec l’épisode de la Roumanie).

    Bref un article qui donne envie d’en savoir plus. Je me demande si des personnes qui vivraient aujourd’hui une situation similaire bénéficieraient du confinement obligatoire pour prendre conscience et se sauver ?

    • Présence  

      Bonjour Matt et Maticien,

      merci pour ce retour. Quelques semaines auparavant, j’avais lu Le burn-out (dans la collection de la Petite Bédéthèque des savoirs), écrite par Danièle Linhart (sociologue, directrice de recherche au CNRS), mise en images par Zoé Thouron. La forme en est différente : une BD associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction, pour une entreprise de vulgarisation.

      Je trouve aussi que le sujet est complexe. Ici les auteurs annoncent clairement le point de vue qu’ils ont choisi : montrer les événements au niveau de l’individu.

      Des personnes qui vivraient une situation similaire bénéficieraient du confinement obligatoire – Je présume que c’est très variable. Dans mon entourage, j’ai des cadres qui travaillent toujours autant qu’avant le confinement, en télétravail, et d’autres qui sont mis en chômage technique partiel. Dans le deuxième cas, oui, je suppose qu’un employé proche du burn-out bénéficie du confinement.

      • Jyrille  

        Je peux témoigner : j’ai plus travaillé en télétravail que lorsque j’allai au travail. Plus de stress même.

        • Présence  

          N’ayant jamais eu l’occasion (ni l’envie) de télétravailler auparavant, ma phase d’adaptation n’ a pas été simple, pour trouver comment produire, mais aussi comment conserver une forme de liant social avec les collègues, quelque chose qui ne se limite pas à l’envoi de courriels, de tableurs et de notes.

          • Jyrille  

            Je comprends complètement. Je n’avais télétravaillé que quelques jours de-ci de-là auparavant. Là on peut dire que c’était ma première vraie expérience de télétravail, parce qu’en plein projet qui devait être mis en production le 9 avril. Puisque je travaillais en Agile, c’était très compliqué de travailler à distance, on a perdu beaucoup de temps dû à cet éloignement. Mais il y a quelques avantages : pas de trajet pour aller au travail, un peu plus de temps pour faire du sport (en tout cas les deux premières semaines, pas les deux suivantes, trop de boulot).

            Je pense que je pourrai télétravailler régulièrement, mais pas tout le temps. Un ou deux jours par semaine, et selon le travail du moment.

          • Présence  

            J’ai quelques difficultés avec ce mode de travail : l’envahissement de mon espace privé par les dossiers professionnels (à commencer par tout ce qui n’est pas dématérialisé), le fait de travailler sur mon ordinateur personnel dont les performances sont en deçà du professionnel, la gêne occasionnée pour mon épouse, quand j’ai besoin de calme pour passer mes coups de fil.

          • Jyrille  

            Oui, j’ai eu de la chance d’avoir eu des enfants compréhensifs et ma femme travaille toujours sur site. J’ai fait beaucoup de réunions en visio (sans caméra, prend trop de bande passante) qui duraient entre une demi-heure et deux heures, c’est très compliqué, ces échanges qui devraient normalement être dans la même pièce.

  • Tornado  

    Dans un premier temps j’y suis allé à reculons car rien ne m’attire dans ce genre de BD.
    Et puis, au fur et à mesure que je lisais ton article, tu as réussi à emporter mon adhésion. Et je me suis surpris à le trouver trop court au final, en ayant envie de lire l’album !
    J’imagine que tu n’es pas un lecteur lambda face à un tel sujet. On sent une implication du fait que tu as probablement dû te sentir, disons, « associé » au destin de ce personnage. Plus ou moins je veux dire.

    • Présence  

      Je crois que c’est le plus beau compliment que tu pouvais me faire : Tornado convaincu de lire une BD naturaliste, sans Karaté ni course-poursuite. 🙂

      Dans le cadre de mes fonctions, j’avais eu l’occasion de bénéficier d’une formation d’une journée sur les risques psycho-sociaux dans le milieu professionnel. Cela avait suscité en moi de fortes interrogations sur la valeur que l’individu (à commencer par moi) peut attribuer à son métier, à son travail. Du fait de mon positionnement, je suis aussi très sensible à la distance qui sépare les gestionnaires fixant les objectifs, des exécutants qui maîtrisent le métier. Enfin, en prenant de l’âge, il se produit forcément une dérive (au sens d’une distance qui prend de l’importance) entre les techniques apprises pendant les études, les acquis de l’expérience, et les nouvelles méthodes. Le fait d’avoir un chef ou une cheffe qui a le même âge que tes enfants peut également être déstabilisant, en fonction des individus. Oui, les questionnements du personnage me renvoient à des situations professionnelles, fort heureusement pas aussi dramatiques.

      En cette période de confinement, les reportages sur les conditions de travail du personnel soignant (pas assez nombreux, avec des moyens insuffisants, et des outils pas toujours adaptés) mettent également en lumière les problématiques systémiques de l’organisation du travail dans cette branche.

  • Surfer  

    Une BD qui mérite d’exister et d’être lue.
    Cependant elle n’est pas pour moi.

    Je m’évertue à dissocier, tant bien que mal, le monde du travail et mon temps libre.

    Pendant le temps que je consacre à ma petite famille et mes loisirs, j’essaie d’oublier le travail.
    Il est donc improbable que je lise cette BD.

    La plupart des choses que tu décris dans ta chronique je les connais.
    Je travaille dans une multinationale depuis de nombreuses années. J’ai commencé avec les bippers et les écrans monochromes.
    Les téléphones cellulaires et internet n’existaient pas encore.

    L’emprise du boulot, l’évolution des technologies de communication qui empiètent sur la vie privée.
    La pression des objectifs personnels toujours à la hausse…Tout cela peut te pourrir la vie rapidement si tu ne fais pas gaffe.

    Juste un petit conseil, mettre sa vie familiale au dessus de tout.
    Pour cela, utiliser son droit à la déconnexion et le mettre en application.

    • Présence  

      Dissocier le monde du travail et le temps libre : une technique que j’essaye également d’appliquer, en trouvant un équilibre entre vie professionnelle, vie de famille et occupations personnelles.

      Je me souviens aussi des bippers et des écrans monochromes et le plaisir de faire des tableaux sous traitement de texte en tapant les codes ASCII des bordures (quel plaisir 🙂 ).

      Le droit à la déconnexion : assez paradoxal. C’est affiché comme un droit, et dans le même temps, il suffit que les autres membres de l’équipe ne le mettent pas en œuvre pour que ça remette en question le sien.

  • Thierry  

    Une fine analyse d’une BD de qualité sur un sujet vital du monde contemporain. On sent bien l’attachement du chroniqueur sur son sujet.

    J’adore le titre de l’article! C’est de toi, Présence, ou c’est une citation du livre? 🙂

    • Présence  

      C’est une citation du livre : ça me permet de coller encore plus à l’ouvrage.

  • Bruce lit  

    Etant un inconditionnel de Grégory Mardon, il est obligé que cet album arrive tôt ou tard dans ma PAL. Quel que soit le sujet, je le lirai. Je lui fais confiance sur ce que tu décris comme procédé d’empathie envers Carlos Perez.

    « Il l’observe en train de se heurter à un changement qu’il ne maîtrise pas, qu’il ne comprend pas, qui remet en cause ses valeurs professionnelles et personnelles » L’expérience du confinement nous rappelle que notre impuissance face au changement ne se confère pas au monde du travail.

    Mon travail n’est pas facile tous les jours, je gère plus de crises humaines que tout mais je n’ai jamais eu à me poser l’angoisse d’une délocalisation en Roumanie. Même ingénieur, Carlos Perez est soumis aux aléas du marché.

    En ce qui concerne la séparation entre le travail et le personnel, j’y suis très attaché et instauré des gardefous que j’applique à la lettre . Des gardefous quelque peu bouleversés avec le confinement : jamais je n’aurais imaginé être un Whasapp professionnel ni donner mont téléphone personnel à mes partenaires et usagers.

    Si le travail est destructeur dans le cas évoqué, je continue de penser qu’il structure aussi notre personnalité et que ne pas en avoir est tout aussi ravageur. Nous continuons de nous assimiler à notre métier, c’est notable quand nous rencontrons un inconnu :

    « je m’appelle xxxxx, j’ai xxxx ans et je suis assistant social / ingénieur / prof etc. »
    Je se définit donc par son travail.

    Un mot sur la couverure assez effrayante quand on l’analyse : un homme sur le point de se suicider dans l’indifférence générale dans une fourmilière trop affairée pour se soucier de lui.

    • Présence  

      C’est exactement ça : un procédé d’empathie vis-à-vis de Carlos..

      Je suis confronté comme toi à des séparations qui sautent entre vie professionnelle et vie personnelle, du fait du confinement, à commencer par l’éparpillement de mon numéro de téléphone personnel. Y aura-t-il un vrai retour en arrière après la fin du confinement ?

  • Jyrille  

    Très bel article Présence. J’aurai pensé que sur ce coup, il fût de Bruce. Mais tu décortiques parfaitement cette bd (que j’ai lue) et que j’ai grandement apprécié.

    Comme toi au premier abord on peut penser que le dessin est bâclé, mais c’est ce côté urgent qui le rend terriblement réel et immersif. Personnellement, je retiens surtout les scènes de nuit, assez saissisantes et tellement réalistes.

    Merci d’avoir donné les noms des programmes qui ont existé, je ne m’en souvenais plus et je n’ai pas cherché à me renseigner plus que ça en lisant ce livre.

    En ce qui concerne le travail, j’avais envie de parler à Carlos tout le long de la bd. De lui dire d’arrêter, que c’était des conneries, que rien ne le sauvera à part dire non. Car il m’est apparu en évidence il y a quelques années de ça (il y a douze ans maintenant) vers quoi j’allai, et qu’eux avaient tort. Finalement, j’ai eu raison. Sinon je pense que je serais passé par la dépression.

    Car c’est exactement ça : les sociétés créent des règles à suivre absolument, qu’elles peuvent modifier à tout moment quitte à se contredire. C’est impossible de leur donner satisfaction.

    Pour la première fois de ma vie, je serai en chômage technique à partir de demain. Car le Covid oblige les sociétés à faire des économies. Je suis une victime collatérale, mais loin d’être la seule, y compris dans le pays où je travaille.

    Bref, j’ai beaucoup aimé cette bd, mais je l’ai aussi beaucoup détestée, car elle est bien trop réelle.

    La BO : sympa mais toujours pas fan. En tout cas, choix parfait d’illustration.

    • Présence  

      Comme toi, cette BD m’a pris aux tripes : cette douleur de Carlos qui souhaite juste bien faire son travail et qui ne retrouve pas ses valeurs dans les règles de gestion qui ne connaissent que les chiffres, dans la financiarisation qui n’a que faire des métiers de production, de leurs contraintes et de leur réalité, sans parler du savoir-faire des individus.

      Bon courage pour cette période de chômage technique inédite.

      • Jyrille  

        Oui voilà ! Merci.

        Je pense cependant que la tendance changera. Il n’y a pas le choix, les entreprises voient bien que les personnes ont changé, le système a changé. Les jeunes ne veulent pas être pris pour des grouillots, les gens ne restent plus dans la même société toute leur vie, il est possible de travailler pour des gens bienveillants. C’est aussi pourquoi il y a cette tendance à embaucher des hapiness managers. Je n’en ai jamais rencontré jusqu’à maintenant.

        • Présence  

          Happiness managers !!! Je n’avais encore jamais rencontré ce terme. Je vais me renseigner de ce pas…

          … De retour : l’article wikipedia en français est assez explicite, bien que peu succinct. J’irai consulter celui en anglais. J’en retiens quelques fonctions du CHO (Chief Happiness Officer) déjà présente dans certaines organisations, comme aménagement d’horaires, de la mobilité, ou coaching.

  • Kaori  

    Bel article, Présence. Je t’avais « deviné », pour le coup.

    Sujet très difficile et délicat, que tu fais bien de défendre. Si seulement…

    « Nous continuons de nous assimiler à notre métier » : justement, ne serait-il pas temps de prendre de la distance ? Nous ne devrions pas être notre métier. Surtout que la société actuelle montre qu’il faudra bientôt faire plusieurs métiers pour arriver jusqu’à la retraite.
    L’absence d’activité est ravageuse, je suis d’accord. Mais notre vie ne devrait pas être résumée à notre métier qui induit ensuite un rang social.

    • Bruce lit  

      Mais notre vie ne devrait pas être résumée à notre métier qui induit ensuite un rang social.
      Cette idée défendue par la sociologue du travail, Dominique Meda sera entendue par le gouvernement Jospin qui accouchera de la fameuse loi des 35 H, une loi que l’on sait plus que contreversée.
      Pour ma part, les 35 h m’ont changé la vie et le blog en est le résultat.

      • Jyrille  

        Je pense que le statut ou le rang social ne devrait pas être attaché à notre métier. Je vois les différences, y compris entre mon expérience et de jeunes qui font de la finance : ils gagnent directement deux fois mon salaire. C’est toute la logique capitaliste : être payé en fonction de ce que tu rapportes comme argent.

        Si tout le système était revalorisé, on en serait plus là. On voit bien désormais que ce sont des gens peu payés et dévalorisés qui sont en première ligne de notre situation actuelle : caissières, infirmières, chauffeurs…

        Je remets ce dessin de Aranega : https://www.instagram.com/p/B-J2e5vhQ_-/

        Paru dans le Canard duconfinement : https://www.instagram.com/p/B-Imim_BDu6/

        Avant, il y avaient les rois, les nobles, les religieux puis il y a eu les notables, le curé, le professeur, le maire, le député… il faut cesser de penser en termes de hiérarchie, et commencer à penser en termes de fonctions, sans valeurs associées, ou alors complètement revues à la hausse pour ceux d’en bas et à la baisse pour ceux d’en haut.

        Cela ne me gêne pas de me définir par mon boulot. Il me plaît, et il correspond bien à certains de mes traits de caractère, je ne le fais pas par hasard. Alors qu’il y a des milliers de métiers que je serai incapable d’assurer.

        • Présence  

          J’ai beaucoup aimé le dessin. Il met en avant qu’il y a pléthore de réserve de moyens humains pour des emplois peu qualifiés. Dans un système capitaliste (offre/demande), ça veut dire qu’on peut les payer ras-les pâquerettes, puisqu’il y a en a beaucoup de chômeurs qui attendent pour accéder à cette place.

          Je regardais un reportage sur la situation à New York, bien pire encore. Un salarié sur 10 s’est retrouvé au chômage du fait de la baisse d’activité, perdant ainsi sa couverture maladie souvent assurée par l’employeur, avec un service de pension de chômage qui n’est pas dimensionné pour faire face. Double peine : plus d’emploi, et pas de quoi se soigner.

    • Présence  

      @Kaori – Si seulement… C’est une question brûlante d’actualité. Les services publics en première ligne en ce moment seront-ils renforcés au sortir de la crise, ou bien tout reprendra comme avant, avec une libéralisation économique et un secteur privé qui gagnera encore du terrain ?

  • JP Nguyen  

    Sur les quelques images montrées, je suis saisi par l’expressivité des personnages alors que l’artiste n’utilise que peu de traits pour les dessiner…
    Pour le scénario, je vais exercer un certain devoir de réserve, étant donné que je travaille pour une des entreprises mentionnées dans l’article…
    Comme toujours, une chronique méticuleuse… tu devrais demander une augmentation au Boss, Présence !

    • Présence  

      Ben ça alors ! Si on m’avait dit qu’un article tomberait un jour sous le sceau du secret professionnel !!!

      J’avais écrit cet article courant 2019, après l’ouverture du procès Orange / France Telecom, mais avant le rendu du jugement. Ça a donc été l’occasion d’aller le consulter. Extrait wikipedia :

      En décembre 2019, Orange, ex-France Télécom, son ancien PDG Didier Lombard et six autres cadres et dirigeants ont été condamnés pour harcèlement moral institutionnel, près de dix ans après une crise sociale durant laquelle plusieurs dizaines de salariés se sont suicidés.

      Le jugement :

      L’entreprise est condamnée à une amende 75.000€ (le maximum prévu par la loi à l’époque). Didier Lombard, l’ancien PDG, Louis-Pierre Wenes, l’ancien n° 2, et Olivier Barberot, l’ancien DRH, sont condamnés à un an de prison dont 8 mois avec sursis et 15 000 euros d’amende. Les quatre autres dirigeants poursuivis sont condamnés à 4 mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende. Tous sont également condamnés à verser solidairement des dommages et intérêts (environ 3 millions d’euros) aux parties civiles.

      • Kaori  

        Merci pour la « suite », Présence.
        Ces suicides ont été reconnus comme des victimes, c’est déjà une bonne chose…
        Est-ce que la sentence est à la hauteur ? Rien ne ramènera une vie, de toute façon. Mais la responsabilité a été reconnue, et c’est déjà un grand pas.

        • Présence  

          La BD s’ouvre sur le même constat de l’avocate de l’épouse de Carlos : faire reconnaître la responsabilité des dirigeants et la réalité du harcèlement moral institutionnel est un enjeu majeur et un premier pas indispensable et significatif.

  • Eddy Vanleffe  

    La patte de Présence permet de bien comprendre les enjeux, comme toujours.
    La BD-documentaire, j’en lis mais c’est un peu comme la presse, c’est rare que j’en achète.
    Souvent comme pour tout sujet qui « dénonce », c’est assez déprimant et affreusement quotidien…
    je ne crois pas partager l’optimisme de Jyrille parce que tout ce qui est « happy coaching », c’est un epeu de l’épi phénomène pour cacher une réalité plus complexe et plus sombres.
    ces affaires ont 10-20 ans et on aurait pu croire que ces méthodes auraient été proscrites voire même combattues mais comme pour la circulation des armes aux USA, une certaine inertie bloque un peu le tout. en Hôpital, nous commençons à présent depuis deux ans et l’application concrète de la T2A (tarification à l’activité) une précarisations des moyens, des emplois (infirmières contractuelles qu’on peut bouger à sa guise) etc… ça va mener au burnout et à terme au suicide aussi…
    le COVID a mis en évidence les failles, mais rien ne changera…
    une directrice s’est jeté du toit de son école l’année dernière, on commémoré dans la joie et le respect Chirac l’amateur de Corona alors à la mode….
    non on ne va pas dans le mur, on est dessus.

    • Jyrille  

      Note bien que je ne pense pas que les happiness managers soient utiles. Mais le fait que certaines sociétés s’en rendent compte et essaient de changer certaines choses me permet de penser que tout ne va pas dans le mur.

      Pour la santé c’est effectivement très problématique, ma femme m’en parle réglièrement (elle bosse dans l’administratif d’une clinique privée).

      • Présence  

        Pendant l’allocution du président de mardi soir, mon épouse et moi cochions mentalement les déclarations qui répondaient aux critiques faite sur la gestion de cette crise, sur les choix de gestion des hôpitaux publics, sur les salaires des infirmières, sur les employés exposés au public, etc. Il a bien pris soin d’indiquer que cette pandémie devait servir de leçon et que des actions correctives seraient mises en place.

        Dans le même temps, je vois que l’annonce d’une date de fin de confinement évoque une reprise, un retour à la normale… comme avant. Je suis très curieux de découvrir quelles seront les actions concrètes d’amélioration des services de soin, et des conditions de travail du personnel soignant.

    • Présence  

      @Eddy – Concernant cette BD en particulier, j’étais effectivement attiré par le sujet a priori (Comment en vient-on à se suicider pour le travail ?), mais aussi par le dessinateur que Bruce m’avait fait découvrir et que je tiens en haute estime pour ses qualités de narrateur.

      Mon ressenti n’a pas été celui d’une BD qui dénonce, mais plutôt d’une BD qui montre un parcours de vie. Du coup, c’était plus l’image d’un individu et de son rapport au travail, de la manière dont il réagit à des contraintes systémiques imposées, non négociables, à l’évolution des conditions de travail, de son organisation, mais aussi des valeurs dans ce secteur d’activité. Cela constitue également un questionnement sur la représentation qu’on s’en fait, sur nos évidences quant au travail, évidences qui n’en sont pas.

  • David  

    Pour moi, cette bd est aussi un petit chef d’œuvre, rapide et concis, décrivant avec efficacité l’évolution du monde du travail au XXIième siècle. Pour avoir eu la chance de rencontrer les auteurs à Angoulême avant le confinement, je ne peux qu’approuver cette critique !!! A lire absolument !!!

    • Présence  

      Merci pour ce gentil retour de lecture. Comme tu le dis, il y a en creux ce basculement d’une organisation du travail où le savoir-faire métier des exécutants est structurant, à une organisation où le financier prime sur tout, les produits financiers finissant par générer plus d’argent que la production des biens.

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