Out of Africa (Adastra in Africa)

Ad Astra in Africa par Barry Windsor-Smith

Un article façon Castor Astral de BRUCE LIT

VO : Fantagraphics

VF : Même pas en rêve…

1ère publication le 20/10/21 – MAJ le 24/10/22

Risque d’averse de spoilers.

Presque un art book !
©Barry-Windsor Smith
©Fantasgraphics
©Marvel Comics

ADASTRA IN AFRICA est une histoire écrite et dessinée par Barry Windsor Smith en 1999 pour Marvel.

Il s’agissait d’offrir à La maison des idées un troisième chapitre à la saga LIFEDEATH initiée avec Chris Claremont où Storm retournait en Afrique après avoir perdu ses pouvoirs. Durant ce pèlerinage, elle était mordue par un serpent et blessée à la tête. Au fil d’une nuit d’agonie, elle parvient à se remettre debout, faire accoucher une jeune femme démunie et apprend la coutume de son village : pour une vie naissante, une vacillante, celle du doyen, doit s’éteindre.

LIFEDEATH, en plus d’un récit de déconstruction comme les meilleures histoires de super héros peuvent en proposer entre deux crossovers, constituait une véritable métaphore philosophique qui sera reprise entre autre par Neil Gaiman dans sa première saison pour SANDMAN.

Ororo flotte comme un astre !
©Barry-Windsor Smith
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Une brève préface et une (fausse) interview de BWS nous apprend que Marvel a rejeté ce troisième opus du fait de la réitération du sacrifice d’un autre ancien pour sa tribu. Alors que BWS y met en scène la magnificence du sacrifice individuel pour le bien-être collectif, ce qui fait pourtant l’ADN des Super-Héros, Marvel, déjà refroidi quelques années plus tôt par le suicide de Kraven y voit de nouveau une apologie de l’auto-destruction.

BWS, jurant mais un peu tard qu’on ne l’y reprendrait plus, part alors avec son histoire quasi complète et la publie en indépendant en transformant Storm en Adastra, une déesse de sa série YOUNG GODS.
Pourtant à la lecture de cette histoire, personne n’est dupe : Adastra a bien le look, les pouvoirs et l’attitude d’Ororo Munroe. Elle se réfère même à cette nuit de LIFEDEATH en recherchant l’enfant à qui elle a donné la vie et en se recueillant sur la tombe de Mjnari, l’ancien qui s’est sacrifié.

Reine ou prisonnière ?
©Barry-Windsor Smith
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©Marvel Comics

Le récit se divise en 4 parties inégales, la première étant la plus impressionnante. Si ce n’est une voix off parfaitement inutile et limite gonflante, Ororo surplombe de sa superbe ses adorateurs. Muette, hautaine et inaccessible, elle fait le constat de cette terre aride et ridée qui est le legs de sa tribu avant d’entreprendre de l’arroser d’une pluie salutaire et d’en ressusciter la magie.

Les 3 autres chapitres voient Ororo retrouver la parole et perdre son aura pour des dialogues interessants non seulement pour l’histoire mais pour qui voudrait ajouter cette histoire à la mythologie personnelle du personnage.
Ororo réalise qu’une intervention divine est inutile si sa tribu n’a pas les moyens de pérénniser son action. Une fois qu’elle sera partie, qui nourira ces hommes, ces femmes et ses enfants en plein désert quand l’homme blanc a asséché le territoire naturel de l’homme noir qui, de ce fait, a perdu ses us et ses coutumes ?

Nous sommes dans du comics de Super- Héros et comme souvent, pour ne pas se risquer à des réponses politiques, tout se dénouera comme par magie quand la solution la plus simple serait que Storm / Adastra reste auprès des siens au lieu d’aller combattre Blob, Sauron ou Mesmero….
Il n’en demeure pas moins que si la déesse de la pluie sauve la journée, Ororo la terrienne montre ses failles humaines et psychologiques.

Sa majesté Ororo !
©Barry-Windsor Smith
©Fantasgraphics
©Marvel Comics

Disons-le : le discours qu’elle tient à sa tribu a tout du discours moralisateur compatissant (aujourd’hui on dirait bobo) ; retrouver ses racines, c’est retrouver sa fierté, tôt ou tard on retrouvera un moyen de se relever.
On pourrait croire que BWS tombe dans le mythe du bon sauvage, celui vaguement rousseauiste qui rejetterait les acquis de la civilisation moderne pour leur préférer ceux des sociétés primitives.
En terme de coutumes d’un autre âge, on se rappellera tout de même des ravages de l’excision dans certains pays d’Afrique noire au nom de ces dîtes coutumes.

Mais très vite, l’idéalisme de Adastra est réduit à néant par un vilain plus fort que Magneto et consorts : la réalité. Les coutumes du village de Mjnari’s ? Qui s’en rappelle quand cette femme qu’Ororo aida à accoucher est morte et que l’enfant présente des signes graves de malnutrition ? Dans ces moments là il m’est arrivé de fredonner des paroles de L’OPERA DE QUAT’SOUS : d’abord la bouffe, ensuite la morale.

Si l’on veut lire une histoire à visée humaniste et optimiste comme pouvait l’être le LIFEDEATH de Claremont, on ne ressortira de ce ADASTRA IN AFRICA que vaguement déçu. BWS a ici un style assez ampoulé, parfois pénible à lire, il tente de célébrer la vie avec une froideur citadine et on se demande parfois s’il ne s’emmêle pas les pinceaux en voulant dire tout et son contraire. La vie c’est la mort et la mort, c’est la vie, certes mais après la mise en scène de l’agonie d’un enfant face à une super héroïne, c’est quand même un peu léger. Les super héros pour le ponctuel c’est bien, dans le structurel, ça ne fonctionne pas.

Une ambiance nocturne voire crépusculaire.
©Barry-Windsor Smith
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En celà, ADASTRA IN AFRICA est une lecture fascinante, une œuvre mature et sans doute inconsciente qui brosse le portrait d’une femme trop petite par rapport aux responsabilités qu’elle tente d’assumer. Une femme perpétuellement en fuite quand bien même son charisme viendrait montrer le contraire : Ororo quitte le Kenya pour les Xmen, les Xmen pour l’Afrique, Forge pour les Xmen.

Storm, qui jadis avorta dans l’horreur et dans son droit le plus absolu d’une larve brood, reste une mère abandonnique comme Scott Summers qui envoie son gosse dans le futur et Logan qui noie le sien dans une flaque de boue…
Ce peuple, ces enfants qu’elle redécouvre et qu’elle n’a pas nourri sont les mêmes que les Morlocks, autres marginaux qui vivaient sous ses pieds et dont elle s’auto-proclama reine d’un soir sans jamais en assumer les conséquences. Calisto le lui reprochera à plusieurs reprises dans la série mère : jouer les aventurières c’est bien mais ce n’est pas ça qui réglera l’enfer du quotidien des Morlocks et des Mjnari qu’elle ne fait que visiter en distanciel.

ADASTRA IN AFRICA, c’est l’échec d’une déesse qui se voulait femme. Les planches surchargées de BWS où l’on à parfois peine à distinguer la netteté, la végétation étouffante, cette pluie comme les barreaux d’une prison, rappellent les câbles de laboratoires qui environnaient Logan dans WEAPON X. Wolverine est né d’une expérience scientifique atroce, AD ASTRA ou LIFEDEATH 3 rappelle que la renaissance de Storm parmi les humains est impossible tant qu’elle ne se pose pas parmi eux.
A l’heure qu’il est, elle traite les humains de singes chez Hickman. Bon…

Celle que tu as sauvée est morte, princesse.
©Barry-Windsor Smith
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©Marvel Comics

La BO du jour

Rien ne se perd tout se transforme. De cette Afrique de Toto Cutogno, Joe DAssin fera son été indien.

17 comments

  • Eddy Vanleffe  

    Encore un livre à posséder et qui me fait poser la question,: mais qu’est ce qu’ils foutent les éditeurs indépendants français?

    MOINS DE BUZZ, PLUS D’AUTEURS!!!
    Je sais que c’est pas facile…

    mon fantasme?

    une petite structure qui publierait Nexus, Dreadstar, les Strorytellers et des centaines d’autres choses…

    • Bruce lit  

      Un truc qui aurait toute sa place chez Delirium ou Komics Initiative.
      Le risque ? Sans doute le coût ? A peine une centaine de pages. Je ne sais pas.

    • Tornado  

      @Eddy : Ça existe déjà et ça s’appelle DELIRIUM.
      Le soucis c’est qu’ils ne vendent pas assez. Les lecteurs préfèrent acheter le nouvel Omnibus ONSLAUGHT qu’ils ont déjà dans sept versions plutôt que d’acheter de l’indépendant.

      NEXUS à paraître :
      https://labeldelirium.com/a-paraitre/

      • PierreN  

        Excellente nouvelle pour Nexus (le storytelling de Steve Rude était déjà pratiquement irréprochable dès le début de sa carrière).

    • David  

      Eddy, j’ai le même fantasme que toi. Après, avec Ulule et les petits éditeurs, certaines choses deviennent possibles mais avec Dreadstar et Nexus, tu parles quand même de séries au long cours. Remarque, un éditeur tente bien l’aventure Savage Dragon…

  • Kaori  

    J’avoue que j’ai du mal à me faire aux dessins très fournis sans couleur. Cela demande une véritable concentration pour comprendre les images. On n’est plus habitués à ce niveau de détail aujourd’hui !

    Je me demande comment Marvel a pris la chose quand ils ont découvert ce récit qui reprend Ororo sans jamais la nommer…

    La BO : alors ça c’est une surprise ! L’été indien est à la base un titre italien de Toto Cutugno ? Très agréable…

    • JB  

      Il faut dire qu’en couleur, Adastra est une caucasienne rousse. Le noir et blanc permet d’en faire un sosie officieux de la célèbre X-Woman.
      Sinon, je me suis trompé de « Toto » à la première lecture et ai cherché en vain les ressemblances entre l’Eté indien et leur « Africa » ^^’

      • Bruce lit  

        Je n’ai jamais lu AD ASTRA ailleurs que celle-là. Je te crois sur parole.
        J’ai mis ici deux versions : l’originale par le groupe Albatros puis reprise par son créateur Toto Cutugno.

  • Tornado  

    C’est sûr que ça claque. Les premiers scans avec les pleine-pages surchargées ressemblent à une sorte d’amas organique fascinant, presque une illustration de Giger.
    LIFEDEATH est pour moi le meilleur récit des X-men. Je le mets encore au-dessus de GOD LOVES. Mais je n’ai toujours pas lu LIFEDEATH II. Alors le III qui est un faux III en VO… 🙄

    La BO : Ahahah !!! Mais où diantre as-tu déniché ça, toi ???!!! 😆 (et quel rapport avec l’article ?)

    • Bruce lit  

      En VF, c’est tout à fait l’histoire que tu pourrais adorer puisque fond et forme y fusionnent même si comme je l’ai indiqué à Patrick sur FB je trouve l’écriture moins puissante que sur WEAPON X.
      Ca reste quand même un grand moment de BD, du haut de gamme. Si MArvel avait ce genre de signature en permanence, je reviens tout de suite.

      La BO : L’été Indien est une chanson fascinante. J’ai fais quelques recherches et voilà.

      • David  

        Superbe article, Bruce, riche en fond. Et ta réflexion sur les X-Men abandonnant leurs enfants est très pertinente. Ça me rappelle pourquoi j’ai tant aimé les X-Men

        • Bruce lit  

          Il ne fait pas bon être enfant chez les super-héros. L’homme normal s’en sort mieux.

  • Patick 6  

    Waow ! Je n’ai jamais vu nullepart ce comics que ce soit en VO ou en VF ! Je pense que ça va etre tendu à trouver de nos jours (enfin sans casser sa tirelire je veux dire).
    Quoi qu’il en soit elle est sur ma liste (même si tu apportes quelques réserves concernant le scénario).

    Pour la BO, il est vrai qu’en Dassin j’ai des lacunes, mais j’ignorais qu’il s’agissait d’une reprise !
    Euh et autrement Rose Laurens « Africa » non ? ahahah

  • Jyrille  

    Très bel article Bruce. Les planches sont époustouflantes et de toute beauté. Maintenant je n’ai aucune envie de lire ça, peut-être simplement de le feuilleter.

    Pourquoi une fausse interview de BWS ?

    « Abandonnique » est-il un vrai mot ?

    Est-ce que la bd peut être lue sans avoir aucune connaissance en X-Men ?

    La BO : tu m’apprends un truc. Jamais entendu parler de cette version originale. Et en plus tu nous fait éviter le Africa de Toto, merci pour ça !

    • Bruce lit  

      Abandonnique est un terme très souvent employé dans le travail social notamment dans les signalements pour enfants en danger.
      Le terme tel que définit par le Larousse s’applique très bien à la personnalité d’Ororo : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/abandonnique/30
      La fausse interview : sans doute un exercice de style pour le plaisir du sarcasme.
      Sans lire les Xmen, tu perds quand même l’intensité des déceptions d’Ororo quand même.
      AFRICA de Toto : c’est le cauchemar absolu. A ce stade il faut choisir entre le suicide ou le meurtre.

  • Présence  

    Incroyable : j’ai mis la même note, à peu de chose près pour les mêmes raisons. J’ai peut-être plus apprécié sa dimension philosophique : une fable étrange sur des questions existentielles complexes mettant aussi bien en jeu l’individu, que la société au sein de laquelle il évolue, un questionnement sur l’ordre établi et l’ordre naturel des choses.

    Le village africain dont les habitants survivent tout juste. L’homme blanc est passé par là et il a laissé des tas de machines agricoles qui ne fonctionnent plus faute de carburant, et de pièces détachées pour l’entretien. Les habitants souffrent à la fois de malnutrition aggravée, de perte de repères culturels suite au décès de leur doyen, et de perte d’espoir du fait du caractère précaire de la vie et du caractère arbitraire de la mort. À nouveau la déesse est de retour et elle va pouvoir faire un miracle pour sauver le village, ou tout du moins pour pouvoir subvenir à ses besoins de nourriture. Mais, pour le coup, la question la plus pressante est celle de l’avenir. Est-il possible de pérenniser les effets du miracle ? Est-il possible de croire en cette déesse et de reprendre le dessus sur la fatalité ?

  • Nicolas  

    Très bel article, Bruce
    Je recommande également Monstres, par le sieur BWS, une relecture pour adultes des origines de Hulk.

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