Par delà le bien et le mal

The Dark Angel Saga par Rick Remender et Jerôme Opena

Première publication le 05/15/2015. Mise à jour le 18/04/2016

VO Marvel

VF Panini

I hate myself and i want to die

I hate myself and i want to die©Marvel Comics

The Dark Angel Saga regroupe les épisodes 8 à 19 de la série Uncanny X-Force publiés par Marvel. Une histoire que Panini vient tout juste de réédité en format Deluxe. 

Attention cet article dévoile des éléments clés de la saga Dark Angel.

Oui je sais ! Encore un article sur le run de Remender pour X-Force !  Il n’ y a pas si longtemps je m’étais chargé d’un billet  ici qui couvrait l’ensemble de ces 35 épisodes. Mais en les relisant, je me suis dit qu’il était impossible de ne pas parler de la saga  Dark Angel dans un article à part.

 

Même chez Stan Lee, Angel est déjà entravé

Même chez Stan Lee, Angel est déjà entravé©Marvel Comics

Petit rappel pédagogique avant de rentrer dans le vif du sujet:
Angel est l’un des 5 premiers Xmen. Son pouvoir est relativement banal au regard de la montée en puissance des Xmen à venir. Warren Worthington III est milliardaire. Son seul pouvoir est de pouvoir voler grâce à des ailes qui lui ont poussées dans le dos à l’adolescence. Recueilli par Charles Xavier, c’est un X-man assez anodin, qui sert souvent de roue de secours aux scénaristes de la série pour expliquer les fonds illimités dont bénéficie Charles Xavier pour financer son école.

Angel quitte définitivement les Xmen après  incompatibilité d’humeur avec Wolverine. A l’époque l’oiseau (Angel) est terrorisé par la sauvagerie du chat (Wolverine). Après le retour de Jean Grey d’entre les morts, Angel fonde son propre groupe X-Factor composé – elle est pas belle la vie ? – de ses 4 anciens copains. Pendant le Massacre Mutant, Angel est capturé et gravement mutilé aux ailes par deux vilains. Amputé de celles-ci, Warren décide de se suicider et meurt en avion.

Un ange crucifié

Un ange crucifié©Marvel Comics

En apparence seulement car il est sauvé par Apocalypse, le mutant fasciste obnubilé par la sélection des espèces. Angel, ce beau garçon aryen qui justifiait son surnom d’ange avec son physique de rêve  (pas un hasard si le Hitler des X-Men porte son regard sur lui), est transformé en Archangel, une créature bleue aux ailes d’acier meurtrières et à l’âme damnée. Univers Marvel oblige, le lavage de cerveau qu’il subit ne dure que quelques épisodes et Archangel finit par retourner du côté des anges.

Le play boy est devenu l ange de la mort

Le play boy devenu l’ange de la mort©Marvel Comics

Scott Lobdell et Fabian Nicieza lui offrent quelques moments de bonheur dans les années 90 : il tombe amoureux de Psylocke et retrouve sans aucune explication ses ailes en plumes dans un épisode mystérieux. La décision de Lobdell de ramener Angel à un niveau de pouvoir inférieur n’est pas repris par la suite des scénaristes. C’est même carrément n’importe quoi, le personnage subissant des changements drastiques parfois le temps d’un épisode aussitôt oubliés dans ceux d’après. Si bien que lorsque commencent les années 2000 plus personne ne sait quel sont les attributs de Worthington.

Durant la saga des 12, il se transforme en super sayen avec des ailes de feu. L’inénarrable Chuck Austen lui redonne son apparence normale en une case, balayant 10 ans de continuité. Il possède alors des vertus guérisseuses. Il lui suffit d’ouvrir ses veines pour que son sang ressuscite ses amis tombés au combat. Cette capacité s’évapore après le départ d’Austen. Et dans les premiers épisodes d’X-Force il retrouve ses ailes d’aciers et se transforme à volonté en Archangel sans que personne ne comprenne comment il change également de plumes et de costume…

Lange de la mort est devenu...heu...un lampadaire ?

L’ange de la mort est devenu…heu…un lampadaire ?©Marvel Comics

Bref quand Remender reprend la série, ce personnage n’est plus que l’ombre de lui-même massacré par des années de mauvaise continuité avec son amante Psylocke d’ailleurs. Ce n’est pas le moindre mérite de Remender de remettre de l’ordre dans tout ce foutoir et de reprendre les choses là où Lobdell les avait laissé il y a ….20 ans.

Donc voilà : Apocalypse n’a pas choisi Worthington par hasard. Archangel est une personnalité implantée dans le subconscient de Warren pour succéder à Apocalypse. Lorsque commence le run de Remender, Angel est un héros diminué, vulnérable qui tente de lutter contre ce parasite qui ronge son âme. Il est aidé par Psylocke qui tente par tous les moyens psychiques dont elle dispose pour protéger son amant de l’aura maléfique d’Archangel. Dès le premier épisode, X-Force commet des actes horribles en préméditant des assassinats et en exécutant froidement un enfant susceptible de devenir le tyran.

En tuant un enfant innocent, léquipe de Wolverine commet lirréparable

En tuant un enfant, l’équipe de Wolverine commet l’irréparable. Le rêve de Xavier agonise…©Marvel Comics

Face aux remords et à la violence que déchaînent ces actes, Angel va sombrer du côté obscur. Définitivement. Contrairement à la culture super héroïque classique, Warren ne parviendra jamais à triompher du mal qui le ronge. Malgré lui. Malgré ses amis. Malgré les efforts bouleversants de Psylocke pour le sauver, Warren devient complètement dingue. Dingue ? Pas vraiment ! Car Remender pour la première fois tente d’expliquer les motivations d’Apocalypse qui s’exprimait auparavant en quelques phrases génériques pour justifier ses actes :  » L’âge d’Apocalypse commence, que les plus forts survivent« .

Warren tue des milliers de personne en les brûlant vives. On comprend que la rédemption de notre ami est impossible lorsque le lecteur médusé assiste encore à la mort d’un enfant dans les bras de sa mère. Pour autant, les motivations d’Angel ne sont pas infondées. Les mutants à l’époque ont été victimes d’un génocide propre. Tous ont perdu leurs pouvoirs à l’exception de 200 individus pendant House of M. L’ambition d’Angel est de rétablir un ordre naturel fondé sur l’évolution des espèces et non sur la magie.  Ses pouvoirs lui permettent de recréer une humanité lavée des péchés des pères et des luttes raciales pour lesquelles les Xmen se sont sacrifiés. Mais cette évolution forcée, froide et scientifique se fait bien évidement au détriment de vies innocentes et de tout sentiment humain.

La cité chaleureuse de Warren....

Apocalypse now !©Marvel Comics

L’ancien X-Man accomplit son devoir de purification sans cruauté, ni sadisme. Mais sans aucune humanité ni d’état d’âme. En moins de 10 épisodes, Remender écrit une histoire incroyable plein de sous textes et fort d’un suspense insoutenable. Il commet une faute de script monumentale en ramenant les Xmen d’Age of Apocalypse. Ceux-ci ne sont pas issus d’une réalité alternative mais altérée.  Et le  Healing Factor de Wolverine continue de le guérir au delà du raisonnable. Et tous ces Xmen qui grouillent font souvent du featuring, péché mignon de ce scénariste. Pour autant, Remender construit une fable souvent philosophique mettant en lumière les notions fondamentales des dangers du pouvoir absolu, du mal, du bien et d’une science sans conscience.

Les Xmen alternatifs, aussi gratuites soient leurs apparitions permettent à Remender de démontrer que rien n’est jamais acquis et que nous sommes maîtres de nos choix. Et que comme chez Gaiman pour Sandman, certains choix semblent parfois s’imposer à nous. Wolverine en voulant contrer le tyran découvre que dans une autre réalité il est devenu lui-même le tyran. Le gentil, pur comme la neige, Bobby Drake devient une ordure aux pouvoirs terrifiants. Angel renonce à combattre ses démons. Et Fantomex en exécutant un enfant innocent a précipité le monde dans le chaos. Autrement dit, en voulant forcer l’ordre des choses, nos super héros amènent l’humanité vers l’Apocalypse qu’ils tentaient d’éviter !

Wolverine vient de tuer sa propre fille... Ils sont beaux nos héros !

Wolverine vient de tuer sa propre fille… Ils sont beaux nos héros !©Marvel Comics

Remender écrit ici une histoire plus grande que les personnages qu’il met en scène. The Dark Angel Saga, c’est une fable sur le renoncement de l’être humain à ses idéaux. Chez Scott Lobdell, c’était la mort de Xavier, véritable Christ qui plongeait les Super Héros en enfer. Chez Remender c’est la renonciation volontaire aux idéaux pacifiques des X-Men qui les conduit au chaos. En tuant, en complotant, en renonçant au pacifisme de leur mentor, X-Force renonce à toute notion d’amour et de compassion envers l’autre. Et se trouve dans la même position qu’Angel : Tuer quelques individus pour le bien commun. Plus rien ne les différencient des vilains qu’ils affrontent sinon des consciences salies et meurtries ainsi que le souvenir de leurs idéaux héroïques.

Dans toutes ces actions super héroïques, une séquence à la formidable puissance subconsciente m’a marqué. Celle où Blob transforme Fantomex en suppositoire humain. Oui ! tu as bien lu lecteur ! Fantomex se retrouve malgré lui englouti dans l’anus de Fred Dukes !  Une vraie séquence Ennis non dénuée pourtant de subtilité. Voilà à quoi est désormais réduit le super-héros : un médicament dérisoire plongé au coeur de la merde. Dans le rectum de son ennemi, le super héros réalise son impuissance ainsi que la dérision de sa volonté de contrôle sur les événements. Cette même volonté de contrôle dont Freud prétendait qu’elle venait de notre phase…anale !

Fantomex est dans le euh, Fantomex est sous euh... Bref Fantomex est dans la ...oh ! faut vous faire un dessein ?

Fantomex est dans le euh…. du Blob. Faut vous faire un dessin ?©Marvel Comics

Pour autant Remender ne plonge pas ses héros dans de la violence gratuite. Et finalement cette histoire pleine de sang et de violence est étonnamment morale.  Elle montre que le bien et l’amour ne sont pas que des notions abstraites, ni une faiblesse. Mais bien un état contre nature à l’opposé des lois naturelles édictées par Warren. Le bien est un choix difficile, l’amour un sacrifice contre nature impliquant de renoncer à toute notion d’égo, de bonheur ou de plaisir durable pour maintenir l’humanité en vie. En y renonçant, l’homme cède à ses pulsions violentes qu’il planque derrière des notions des théories justifiant ses crimes. Le plus fort n’est jamais assez fort s’il ne transforme pas sa force en droit écrivait Rousseau dans le Contrat Social. La pureté du rêve de Xavier a été souillé par l’usure de ses soldats, par le principe de réalité. Et quoi de mieux que d’illustrer la chute de ce paradis utopique par la chute du Xman nommé Angel ?

Warren ne revient pas vivant de ce voyage au bout de la nuit. Sa résurrection serait scandaleuse.  Et Remender écrit des pages souvent bouleversantes où Psylocke, une femme habitée par un amour douloureux, impossible, mais loyal,  refuse de renoncer à la mort de cet homme qu’elle aimait. Elle quitte le registre de pimbêche sexy des années 90 pour incarner une femme forte prisonnière de ses sentiments, déchirée entre la loyauté et l’obligation de mettre à mort le danger que Warren incarne.

Une conclusion aussi inévitable que tragique

Une conclusion aussi inévitable que tragique©Marvel Comics

Son acharnement à le sauver rappelle bien sûr celui de Scott Summers à aider  Jean Grey alors que tout l’accable dans la saga du Phénix Noir. Psylocke fait littéralement des allers et retours en enfer pour sauver son amant. Comme un médecin, elle s’acharne avec l’énergie du désespoir mêlé à l’aveuglement à soigner la tumeur mortelle que l’X-Man est devenu. Il est d’ailleurs beaucoup question de cancer dans cette histoire.

Et alors que Cyclope assistait au suicide de Jean, Psylocke dans une séquence marquante tue son amour pour le libérer. Aucune joie sur son visage. De la tristesse , de l’amertume et du dégoût dans ce superbe moment dramatique capté par Jerôme Opena. Les dernières séquences où elle soulage Warren à l’agonie en lui projetant la vie imaginaire qu’ils n’auront jamais sont sûrement les plus lyriques jamais lues chez les Xmen.

Jusqu'à ce que la mort nous sépare....

Jusqu’à ce que la mort nous sépare….©Marvel Comics

L’écriture de Remender peut être irritante. Elle s’encombre de détours agaçants et de tics scénaristiques parsemés de monstres de foires, de créatures grotesques et d’une psychologie des vilains assez sommaire. Techniquement, Remender ne prend pas de risques en décalquant étape par étape la saga du Phoenix Noir : un Xman surpuissant à surveiller qui perd le contrôle manipulé par un vilain et manque de détruire l’humanité face à ses anciens camarades qui ne savent plus comment l’arrêter. Le Phenix était un oiseau de feu, Angel un ange de lumière avant que tous deux ne deviennent noirs.

Mais Remender propose autre chose qu’un remake. Il associe la mort de l’enfance à la mort du rêve de Xavier. En tuant Evan, Archangel est libéré de ses dernières entraves morales et le run de Remender ne parle que de ça : qu’importe le pouvoir sans la sagesse, la puissance sans les valeurs, l’enfance sans la guidance adulte. Evan, Genocide et par la suite les jumeaux Apocalypse sont des enfants pervertis par des choix faits pour eux. Quant à Archangel, il finit détruit et renait sous la forme d’un homme-enfant.

Pas de miracle : il n' y a que l'amour pour sauver le monde

La guidance adulte sauvera le monde©Marvel Comics

En jouant sur le temps, l’espace et la violence, Remender ne fait pas que fournir un divertissement aux adultes en mal de bastons explosives. Il répond clairement étape par étape à la question  » tueriez vous Hitler enfant si vous pouviez remonter le temps » ? Et renvoie les adultes à leur responsabilité d’éducateurs en rappelant les préceptes d’Alice Miller, la célèbre psychanalyste qui démontrait dans C’est pour ton bien, que les enfants maltraités d’hier sont devenus les tyrans d’aujourd’hui.  Et que la méthode de Xavier qui consiste à éduquer et  « aimer »  ses mutants reste la moins destructrice possible. Affirmation corroborée par Deathlock cyborg psychopathe capable de lire l’avenir qui vire hippie au fil de l’histoire !

Au final le pouvoir et la responsabilité chère à Stan Lee ne s’applique pas qu’au Super Héros mais à tous les parents dotés d’un pouvoir surnaturel : éduquer un enfant avec bienveillance et compassion pour sauver notre avenir ! Tout ça dans un Comics Mainstream d’une maison d’édition rachetée par Disney spécialiste de l’infantilisme et du gâchis de son patrimoine ? Ouais ! Et ce n’est pas le moindre mérite de cette histoire époustouflante désormais publiée en France !

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