Psyko Therapy (Harleen)

 

HARLEEN par Stjepan Sejic

Une évaluation de BRUCE LIT

1ère publication le 09/12/2020 – MAJ le 26/08/21

VO : DC Comics

VF : Urban Comics

Rhaa ! La cover de l’année ? De la décennie ?
©Dc Comics / Urban Comics

HARLEEN est un récit complet portant sur les origines de Harley Quinn et sa love story avec le Joker.
Il s’agit d’un Comics de plus de 200 pages écrit et dessiné par Stjepan Sejic, le papa, entre autres de SUNSTONE.
Harley Quinn n’est plus un personnage à présenter mais il est tout à fait possible de lire cette histoire sans aucune connexion avec le monde de Batman et du Joker.


A noter la très belle édition des éditions Urban même si la VO la surclasse : format Deluxe et couverture amovible bluffante.

Vous pouvez desserrer la camisole : aucun spoiler ne viendra étouffer votre plaisir de lecture.

Nous deux…
©Dc Comics

Avec Deadpool, Harley Quinn est le personnage que vous croiserez le plus souvent en conventions et autres festivals Cosplay (si un jour tout ça reprend).
Harley est nettement plus jolie que le mercenaire bavard, mais dans les deux cas, nous avons à faire à deux caractères borderline, tout de rouge vêtus et dont le caractère imprévisible et cartoony plaisent beaucoup.

Armée de son maillet, habillée en polichinelle, dotée d’un comportement de femme-enfant, on aurait tendance à oublier que dans une autre vie Harleen Quinzel était….psychiatre ! Une origine racontée dans MAD LOVE où la jeune doctoresse s’éprenait de son patient, le Joker.

Quelques films plus tard, Harley est un vrai phénomène de société et Sejic propose d’en raconter la YEAR 1 dans un format Black Label, le créneau autrefois réservé par Vertigo pour un lectorat adulte avide de sensations fortes. Il s’agit donc de gommer le volet grotesque et comique de l’histoire de Bruce Timm et Paul Dini pour en livrer une histoire d’amour dramatique avec la voix off de Harley omniprésente.

L’onirisme et l’expressionisme des jeux vidéos ARKHAM ASYLUM
©Dc Comics

1er constat : A l’inverse d’un Sean Murphy qui prenait de larges libertés avec la mythologie de Batman dans son WHITE KNIGHT, Sejic reste assez sage dans sa relecture des origines de l’Arlequine. On pourra même dire conventionnel. Voire timoré.

Harleen Quinzel est une jeune psychiatre de 30 ans qui prétend qu’en restituant l’empathie des criminels d’Arkham, il serait possible de les réhabiliter. Recrutée par Lucius Fox et financée par Bruce Wayne, Harleen va avoir carte blanche au sein de l’asile d’Arkham pour interroger Poison Ivy, Killer Croc ou Zsasz sur les motivations de leurs crimes et leurs éventuels remords.

Mais l’objectif d’Harleen est d’approcher le Joker qui un soir lui laissa la vie sauve alors qu’il était sur le point de lui loger une balle dans la tête.
Dès lors, insomniaque et accro à l’alcool, Quinzel ne va d’avoir de cesse de vouloir retrouver l’homme qui aurait pu la tuer, fascinée comme un papillon de nuit prêt à se bruler sur une lumière trop intense.

Le silence de l’agneau
©Dc Comics

Sejic tout au long de ce récit tente d’approcher Harleen avec respect : ce n’est pas l’écervelée que son image populaire pourrait laisser supposer mais un médecin compétent. Elle se bat dans un monde d’hommes pour s’imposer, manque de confiance en elle et d’amis.
Cette jeune femme est seule au monde, sa vie ne compte pour personne. Ses exposés ennuient son public et son comportement, coucher avec ses professeurs parce qu’elle aime les hommes mûrs, lui vaut l’opprobre de ses collègues.

Seijic s’inscrit en apparence dans le cahier des charges imposé par le Black Label de DC : délivrer des histoires de références avec une signature, un cachet visuel qui en jette, quelques Fucks non censurés et de l’érotisme soft.
Il suffit de regarder le regard incroyable qu’il donne à Harleen pour reconnaître qu’il signe le portrait ultime de ce personnage qui oscille entre fragilité et folie meurtrière. Ses planches sont fluides, formidablement aérées, souvent inspirées notamment lorsqu’il souligne l’expressionisme des duels entre Batman et le Joker.

Une femme perdue dans l’ultramoderne solitude de Gotham
©Dc Comics

Pour le reste, on pourra adresser à Seijic le même verdict qu’au JOKER de Lemire : euh, tout ça pour ça ?
Oui, fort de ses 200 pages, Seijic ne raconte pas grand chose et se perd comme son héroïne dans les couloirs de son ambition. On pourra même s’agacer du côté lisse de son entreprise.

Lisse comme son manque d’audace sûrement entravé par la direction de DC. On attendait du créateur de SUNSTONE (à qui il adresse un clin d’oeil amusant) beaucoup plus d’érotisme et de sexualité perverse à laquelle ces personnages sont susceptibles de se livrer.
Lisse comme son Joker, version adolescent bellâtre qu’il ne parvient jamais à rendre inquiétant ou effrayant. En rajeunissant ainsi son personnage, il tombe même dans un délit de racolage en faisant de lui, un bandit cool, romantique et surtout assez rationnel. Disons-le, son Joker est terriblement fade.

En un mot, Sejic commet en temps réel les mêmes erreurs que son personnage : il franchit les limites d’un dessinateur surdoué en voulant montrer qu’il est aussi un grand scénariste.
Las….son entreprise aurait été tellement plus audacieuses sans ces longues cellules de textes où la plupart des dialogues ne font ni progresser l’histoire ni susciter une quelconque empathie. Etrange jeu que cette femme qui cherche l ’empathie et Quinen suscite aucune.

Trop de blabla, j’ai donné déjà…
©Dc Comics

Sejic ne parvient pas à rendre cette psychiatre convaincante. Oh certes, il y a de longues pages qui rappellent à quel point notre civilisation ne fait que masquer notre sauvagerie, que Gotham est une bête sauvage prête à exploser et qu’il faut être un saint pour aller au Paradis alors qu’en étant soi-même on risque l’enfer.
Mais honnêtement, Seijic enfonce des portes ouvertes, use et abuse de tous les clichés possibles sur la sociopathie et la séduction que ces êtres sans limites peuvent exercer sur les plus frustrés qui respectent les règles.

Lorsque Thomas Harris met en scène Hannibal Lecter face à Clarice Sterling dans LE SILENCE DES AGNEAUX puis HANNIBAL, le public n’a aucune difficulté à croire en la compétence de son psychiatre cannibale et sa stagiaire douée mais hésitante. Par des jeux de labyrinthe fascinants, il parvient à nous convaincre de l’histoire d’amour perverse qui se construit sous nos yeux horrifiés.

Seijic, lui, met en scène deux adulescents avec un crush amoureux dans un asile. C’est TWILIGHT chez Batman… Faute de sexe et d’extrémité, il faut digérer des chapitres embarrassants où Harleen est plus convaincante en Florence Nightingale (le syndrome de l’infirmière qui tombe amoureuse de ses patients) qu’en experte de l’âme humaine et qui couche avec le Joker dans sa cellule sans que personne ne se pose de questions… Certains baisent dans les chiottes des avions ou des discothèques, d’autres dans une cellule entourés de gardes armés et de caméras désactivées…

Une rencontre marquante avec Batman
©Dc Comics

Harleen ne dispose jamais ni du vocabulaire d’un psy (un comble lorsqu’un scénariste accorde autant d’importance à ses dialogues) ni encore moins des pare-feux permettant de rester à distance de son patient. Le lecteur connait parfaitement la fin : elle va succomber au Joker qui la manipule mais il lui faut 200 pages quand une bonne quarantaine aurait suffi. C’est long, bavard, pas pertinent pour un sou et surtout assez maladroit dans son approche de la psychiatrie : jeter une jeune femme fragile dans l’arène d’un tueur en série sans supervision, relectures de ses notes ou travail en équipe. C’est un peu comme si on précipitait un jeune Jedi en colère et frustré dans les rets d’un Sith manipulateur et machiavélique….

Dans cette psychologie de bazar, on pourra retenir une analogie avec le monde du super-héros : un homme seul capable de s’élever contre les injustices, une femme seule, persuadée dans son complexe du messie, de soigner les psychoses d’un asile d’aliénés sans en avoir ni les compétences ni l’envie.

Une déception immense venant d’un label qui explora comme personnes le fil tenu entre l’identité et la folie (HUMAN TARGET). En terme de lecture mature, le fan de comics avalera de travers ce Canada Dry ni profond ni divertissant (ce que MAD LOVE était).

Fade, interminable, répétitif, peu convaincant on se prend à rêver d’une version allégée de ce bel objet où Seijic aurait eu d’avantage confiance en ses talents inouïs d’illustrateur pour un réaliser un album nimbé de silence, de mystères et de non-dits : c’est avant tout de cela que la folie se nourrit.

Le silence est d’or…
©Dc Comics

La BO du jour Docteur est-ce que je peux vous embrasser ? Je saurais être patient.


37 comments

  • Alchimie des mots  

    Alors une lecture tardive de cet article où je rejoins le côté lisse de l’histoire et sa fin déjà connue.
    Après disons que le point fort de ce récit sont les magnifiques planches de l’auteur, je suis assez déçu de sa version d’Harvey Dent.
    Ça reste tout de même, une belle mise en scène, je dirais même que c’est aussi une belle lecture d’adulescent 🤭

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