Une belle histoire d’amour (Sunstone)

 Sunstone 1  par Stjepan Sejic

Un article de : PRÉSENCE

VO : Image

VF :Glénat, Panini (intégrale) 

1ère publication le 09/03/15- MAJ le 08/05/23

Il s’agit du premier tome d’une série indépendante de toute autre. Il contient 90 pages de bandes dessinées en couleurs, complétées par 28 pages de bonus, richement illustrées.
Il est initialement paru en 2014. Stjepan Sejic en est l’auteur complet : scénario, dessins, encrage et mise en couleurs, le tout à l’infographie. En VF, le premier tome de Sunstone vient de ressortir en intégrale chez Panini.

De sacrées coquines ?

De sacrées coquines ?©Image Comics

Lisa est une écrivaine qui travaille à son grand roman, tout en gagnant sa vie en écrivant des nouvelles érotiques. Alors que l’histoire commence, elle s’apprête à écrire sa rencontre avec Ally (une jeune femme financièrement à l’aise).

Elle s’adresse directement au lecteur en indiquant qu’il s’agit d’une histoire d’amour, avec beaucoup de scènes de lesbianisme et de bondage (pratique sadomasochiste qui consiste à attacher son partenaire dans le cadre d’une relation érotique ou sexuelle) pour éviter que le lecteur fuit ce qui pourrait être une histoire à l’eau de rose.

En 2 pages, Lisa évoque à grands traits la vie d’Ally et la sienne, avant leur rencontre, et le vide de leur vie sentimentale. Puis le récit montre la première rencontre physique, entre les 2 jeunes femmes, leurs préparatifs, et leur première nuit d’ébats, jusqu’à la deuxième rencontre.

Une vie sentimentale à développer

Une vie sentimentale à développer ©Image Comics

Ce projet jouit d’une réputation sulfureuse, puisqu’avant même sa sortie sous forme d’album en papier, un certain nombre de pages avaient été publiées sur internet (sur le site devianart) par son auteur. Dans les pages bonus, Stjepan Sejic explique qu’au départ il ne s’agissait que de gags en 1 ou 3 cases, et qu’il a développé cette histoire par la suite avec l’aide de sa femme Linda Sejic. L’objectif pour lui était de retrouver de l’énergie à dessiner, et le goût pour son métier, après la série Witchblade avec Ron Marz.

Évidemment, au vu du résumé, le lecteur s’attend à une bonne dose d’érotisme, tendance sadomasochisme. Effectivement il y a quelques scènes avec nudité frontale des 2 personnages principaux (Lisa & Ally), et quelques positions scabreuses avec domination.

Par contre, il n’y a pas de dessin de pénétration ou d’humiliation avec sévices physiques. Le niveau d’érotisme reste assez gentil, car Sejic réalise des dessins un peu rapides, sans trop s’attarder sur les finitions. Cela ne veut pas dire qu’ils sont bâclés, mais que le degré de précision variable diminue le potentiel érotique.

Il est temps de prendre des mesures... pour une tenue plus approprié

Il est temps de prendre des mesures… pour une tenue plus approprié ©Image Comics

Quelques exemples. Lorsque Sejic représente les tétons de ces dames, ou leur toison pubienne, il ne cherche pas le réalisme, il n’insiste pas sur la texture de la chair, ou sur la forme des poils pubiens. Les premiers sont représentés sous forme de cercles rapidement esquissés, les seconds sous la forme d’une tâche de couleur marron ou noir. Le lecteur peut apprécier la forme élancée de Lisa et Ally, par contre il ne peut pas s’imaginer leur grain de peau, ou les détails les plus intimes de leur anatomie.

Sejic met également en scène quelques pratiques sadomasochistes. Cela commence par Lisa attachée nue sur un lit (en étant consentante), et cela va jusqu’au bâillon boule, en passant bien sûr par le corset en latex. Il y a même un lit avec des armatures permettant des positions peu confortables.

D’un côté les dessins montrent ces éléments sans détour, de l’autre il ne s’agit pas d’une revue pornographique ou d’un manuel de parfaite dominatrice. Lisa explique elle-même dans sa narration qu’elle interrompt sa description quand le ressenti devient plus important que la technique, c’est-à-dire au cours des préliminaires.

L'accessoire qui change tout : le bâillon boule

L’accessoire qui change tout : le bâillon boule ©Image Comics

L’intelligence narrative de l’auteur est de donner la parole à Lisa pour qu’elle exprime son ressenti et ses émotions au travers des cellules de texte, et de faire en sorte que le lecteur assiste (participe presque) en tant que spectateur à la concrétisation physique de cette relation sortant de l’ordinaire (Lisa et Ally avaient déjà correspondu par internet auparavant). Sejic pose comme point de départ que c’est le souhait de vivre une expérience dominatrice / dominée qui amène à la rencontre entre Lisa et Ally. Par contre, il ne s’agit pas de femmes blasées ou expérimentées en la matière.

Du coup le lecteur découvre la mise en œuvre progressive de ces pratiques en même temps qu’elles. Ensuite, il s’agit de 2 adultes consentantes dont l’objectif est la recherche d’un plaisir partagé, mais pas à tout prix. Lisa dispose donc dès le départ d’un mot de passe qui lui permet de faire comprendre à Ally qu’elle souhaite interrompre la séance.

Qu'est-ce que je vais mettre pour ce premier rendez-vous ?

Qu’est-ce que je vais mettre pour ce premier rendez-vous ? ©Image Comics

Malgré le côté scabreux de la forme de leur plaisir (cette relation dominante / dominée), l’histoire ne verse jamais dans un voyeurisme malsain. Stjepan Sejic prend le temps de d’exprimer l’état d’esprit des 2 femmes, leurs doutes, leurs appréhensions et leur excitation. Le lecteur découvre la naissance d’une histoire d’amour assez romantique, présentant une particularité singulière, à savoir la forme de leur amour physique. Lisa finit par rationaliser le recours à cette relation de soumission comme une forme d’expression d’une passion pour un divertissement sortant un peu de l’ordinaire, faisant d’elle et d’Ally des geeks d’un genre particulier, mais rien de plus.

Le lecteur ne doit pas s’attendre non plus à une réflexion sur les pratiques sadomasochistes. Il y a bien un passage sur les réactions sensorielles de Lisa lorsqu’elle enfile le corset en latex. Mais l’auteur ne creuse pas la psychologie de la dominée, ou de la dominatrice. Il reste à l’état de simple constat du plaisir de la dominée de pouvoir apprécier de s’en remettre au bon vouloir d’une autre et d’accepter ces petites douleurs qui la rendent plus consciente de son corps. Il montre Ally comme une personne prenant presque plus de plaisir à imaginer le scénario et la mise en scène des ébats à venir, qu’à les réaliser.

Beaucoup de place laissée à la tendresse

Beaucoup de place laissée à la tendresse ©Image Comics

Tout au long de ces pages, il insiste surtout sur la relation de confiance entre Lisa et Ally, et sur le développement de leurs sentiments amoureux l’une pour l’autre. Sans les scènes de soumission, il s’agirait presque d’un roman à l’eau de rose, dépourvu de niaiserie.

Dans cette histoire Stjepan Sejic raconte la première rencontre amoureuse entre une dominatrice et une dominée. Il ne réalise pas une BD pornographique, mais une BD érotique dans laquelle les sentiments occupent la première place. À l’opposé d’un catalogue de prouesses sexuelles anatomiquement et morphologiquement sujettes à caution, il s’agit avant tout d’une histoire d’amour, où la confiance réciproque prime avant tout.

La symbolique du collier et de la clé

La symbolique du collier et de la clé ©Image Comics

12 comments

  • Bruce lit  

    La couverture ne fait pas envie je trouve. Les dessins d’avantage. Je n’aime pas beaucoup les trucs racoleurs, mais ce que tu décris de l’exploration des sentiments des personnages m’intéresse beaucoup. J’avais beaucoup aimé le film  » La Secrétaire » qui explorait il y a une quinzaine d’années le même pitch. C’est encore un film que j’ai à la maison, l’un des rares à ne pas avoir été revendu.

    • Présence  

      Je ne me suis pas étendu dans l’article sur l’origine de ma curiosité. J’apprécie beaucoup le travail de Stjepan Sejic que j’ai découvert dans des séries Top Cow, comme Witchblade ou Angelus (avec des scénarios de Ron Marz). En outre cette histoire a bénéficié d’un très bon bouche-à-oreille, avant même sa sortie, grâce à la prépublication sur devianart.

      En feuilletant ce volume en boutique, j’ai pu me rendre compte que la dimension « racolage » était très restreinte, et le traitement graphique ne repose pas sur les codes des films pornographiques (de type performance physique et acteurs grimaçant à outrance).

  • Tornado  

    Ah ! Je découvre enfin l’article avec les scans ! Et bien ils sont superbes !
    Si c’était un sujet qui m’attirait, je me serais laissé tenter. Mais en BD je suis resté un geek qui veut lire des histoires de grands enfants !
    En gros : ça a l’air chouette, mais ça manque de karaté !!! 😀
    (C’est une phrase que je balance souvent dans les milieux intello. ça fait un effet boeuf !)

    Super article cela-dit, où le contenu est décortiqué avec une précision méticuleuse !

    • Présence  

      Jolie phrase. J’aime bien également une variante : « Madame Bovary, ça aurait été mieux avec une course-poursuite en calèche. »

  • Yuandazhukun  

    Le sujet ne m’interpelle pas plus que ça donc je ferai l’impasse mais super article ! Merci Mr Présence !

    • Présence  

      En donnant une place importante aux sentiments et aux appréhensions des 2 protagonistes, Stjepan Sejic montre l’universalité de leurs émotions, identiques quelles que soient le genre des amoureux concernés, et leur mode relationnel. Il s’adresse donc à tous les lecteurs, quel que soit leur sexe, ou leur pratique sexuelle.

    • Bruce lit  

      Personne d’autre n’a vu le film #La secrétaire? # ?

      • Présence  

        Non, je ne l’ai pas vu.

        • Bruce lit  

          Tu devrais Présence. Il s’agit d’une femme qui découvre le plaisir de la soumission avec un patron sadique. Les deux s’aiment profondément et malgré une couverture racoleuse, c’est un film d’amour assez étrange.

          • Marti  

            La Secrétaire, c’est 50 Sahdes of Grey en bien fait donc ? 😉

            Très de troll gratuit, merci pour cet article qui rappelle qu’érotisme ne rime pas forcément avec voyeurisme… Je n’ai pas encore lu quoi que ce soit dessiné par Sejic, mais après la pub que Sam en fait sur Comixity cet article m’a convaincu qu’il était de franchir le pas (de lire du Sejic hein, pas de m’adonner aux pratiques SM !).

          • Bruce lit  

            Dans mon souvenir, il n’y a pas de scènes érotiques dans le film. Simplement des situations de dominant-dominé.

  • Présence  

    Lisant aussi avec assiduité les commentaires de Sam et écoutant les podcasts de Comixity, j’attends aussi avec impatience les autres séries de Stjepan Sejic : Death Vigil, et la reprise de la série Rat Queens.

Répondre à Bruce lit Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *