24 (Ikigami)

Ikigami par Motoro Mase

Un article de BRUCE LIT

VO: Shogakukan

VF : Kazé

1 ère publication le 23/04/15- MAJ le 30/01/22

Une série publiée jusqu'aux Etats-Unis

© Kazé

Ikigami est une série écrite et dessinée par Motoro Mase. Publiée en 10 volumes en France par les éditions Kazé, la série a une fin en belle et due forme. Kazé a sorti il y a quelques mois un coffret de la série intégrale. La lecture est publiée en sens japonais.

Cet article portera sur les 3 premiers tomes de la série. Un film réussi a mis en scène ces trois premières histoires. Chaque histoire est indépendante de la précédente mais il est conseillé pour apprécier l’évolution de la révolte de l’agent Fujimoto de lire la série dans sa chronologie. Pour les plus pressés, le bilan et la fin de la série sont ici.

En 2007, Courrier International se fendait d’un article sur un manga remarquable pour lequel il ne tarissait pas d’éloge. Il s’agissait pour le journal d’illustrer la thématique Japon : une décadence sociale illustrée et Ikigami en était, toujours selon le journal pourtant peu versé dans l’art populaire, le meilleur ambassadeur.  A l’époque je ne lisais aucun manga mais je sais que cet article m’avait furieusement donné envie de le faire. Il est de ces histoires, que, sauf incident, l’on aime avant d’en avoir lu la moindre page.

Chaque histoire commence par le rappel implacable de lIkigami

Chaque histoire commence par le rappel implacable de l’Ikigami© Kazé

Ikigami met en scène un Japon semi totalitaire qui, pour enseigner la valeur de la vie, injecte à un bébé sur mille une nano machine destiné à le tuer 20 après. Vous êtes alors libres de mener votre vie comme vous l’entendez jusqu’à votre majorité. Un fonctionnaire du gouvernement vient ensuite frapper à votre porte pour vous présenter votre avis de décès ( l’ikigami ). Il ne vous reste que 24 heures à vivre avant que votre coeur n’explose. Que feriez vous ?

Mase ne se contente pas de ce Pitch génial ; Ikigami raconte plusieurs histoire en une. Comme Brian Azzarello pour 100 Bullets,un type mystérieux débarque en plein milieu de votre vie pour la faire basculer dans l’horreur. Les victimes sont tous de jeunes gens en pleine force de l’âge. Chaque volume comporte deux arcs mettant en scène le passé des victimes, leurs espoirs, leurs ambitions avant que l’Ikigami ne vienne tout bouleverser. L’histoire est placée sous le signe de la tragédie. Il n’existe aucun recours administratif ou médical à l’Ikigami. Quoiqu’il arrive, les héros de ces nouvelles meurent à la fin.

Les agents Graves et Fujimoto et leurs mallettes maudites....

Les agents Graves et Fujimoto et leurs mallettes maudites….© Kazé/Vertigo

Mase est un portraitiste remarquable qui,en quelque page, brosse des personnalités attachantes et poignantes. Le lecteur est ému puis stressé car aucun Deux Ex Machina ne viendra interrompre la capsule fatale. A la manière de la série 24, un chronomètre apparaît en permanence pour mesurer le temps qu’il reste à vivre à nos héros. Mase raconte des destins brisés à l’originalité incroyable : un gamin molesté qui décide de se venger de ses tortionnaires, un chanteur qui a compromis son intégrité et qui pousse une chanson sublime à la radio avant de s’effondrer, un jeune réalisateur toxico qui va devoir choisir entre sa carrière ou assister son amie dans ses derniers instants.

Outre ces portraits vibrants d’humanité, Mase raconte l’histoire de Fujimoto, le jeune fonctionnaire qui délivre les avis de décès. Celui-ci s’interroge sur la finalité de son travail et alterne entre révolte intérieure et soumission à un état qui pourrait le tuer à la moindre rébellion.

Dès lenfance, les enfants savent quils mourront pour le Japon

Dès l’enfance, les gamins savent qu’ils mourront pour le Japon© Kazé

Enfin Mase prend le temps d’installer une description méticuleuse de son état totalitaire. Les dirigeants de l’Ikigami comme ceux de Battle royale ou de Suicide Island semblent avoir pensé à tout . En apparence, ces procédés criminels semblent humains, polis, nécessaire au bien être de la nation. Les habitants y semblent libres, heureux, capables de faire des choix. Les vaccins sont obligatoires. Personne ne se sait infecté. Les fonctionnaires déposent leurs condoléances au mourant, mettent à disposition une assistance psychologique et une pension de réversion pour la famille.

Dans les faits pourtant, on est bien dans le totalitarisme : toute personne se révoltant contre l’Ikigami est exécutée, aucun recours n’est possible et si la victime passe ses dernières 24 heures dans la violence, sa famille est attaquée en justice ! On pense alors à ces dictatures où la famille du condamné doit rembourser à l’état la balle utilisée pour la mise à mort !

En cas dabsence, lIkigami est tout de même délivré par recommandé ou par ...SMS !

En cas d’absence, l’Ikigami est tout de même délivré par recommandé ou par …SMS !© Kazé

Mase décrit enfin une organisation n’ayant rien à envier au nazisme : les fabricants du poison, les administrateurs civils, les décideurs du tirage au sort et les délivreurs d’Ikigami sont tous ignorants de ce que font les autres services. Ils ne sont que les rouages bien huilés d’une machine qui dilue les responsabilités de crimes de masse. Sauf que ces crimes sont commis sans colère, ni haine et par tirage au sort ! C’est ainsi que Fujimoto peut légitimement se plaindre du manque de considération de sa hiérarchie à lui balancer des avis de décès en dehors des temps réglementaires sans qu’il se rende compte de l’horreur qu’il perpétue.

A mille lieux de la paranoïa sophistiquée de Dick, Ikigami est un thriller réaliste, plausible facile à imaginer et à accepter. En racontant une histoire à la portée impressionnante, voici encore un manga qui flattera votre intelligence, votre maturité et votre sensibilité. Entre After Hours et Six Feet Under,  voici un art populaire qui propose de se questionner autour du sens de la vie et si la mort peut l’embellir ou non. Magnifique.

Un gosse frustré profite de ses dernières 24 heures pour assassiner sa mère !

Un gosse délaissé profite de ses dernières 24 heures pour assassiner sa mère ! Une histoire puissante et malsaine !© Kazé

12 comments

  • Bastien  

    Bonjour,
    Je viens donner mon avis sur ce manga que j’ai découvert sur ce site.
    Pour ma part je n’ai lu que le premier tome, malheureusement celui-ci est très inégal.
    Si la première histoire est intéressante et que la présentation de cette société m’a plu, la deuxième histoire m’a lassé ce qui ne m’encourage pas à continuer cette lecture.
    Les dessins sont très détaillés mais du coup n’incitent pas à la compassion ils restent très froid.
    Je suis du coup beaucoup plus mitigé que vous sur ce titre même si la société mise en avant est très intéressante et que les dessins sont de bonne qualité.
    Bonne journée.

  • Bruce lit  

    Alors pour le coup, si une série pouvait voir le jour, là je prends. Potentiel infini.

    • Kaori  

      Je ne connaissais pas cet article, pourtant je suis sûre d’avoir lu un autre article sur le même manga ici, sûrement le deuxième hyperlien de l’article, mais ça ne marche pas 🙁 . L’autre non plus d’ailleurs.

      Cette histoire de série, c’est une rumeur dont tu as entendu parler ? Ou juste une idée ? En tout cas, si ça respecte l’univers à la lettre, ça promet de grandes choses, oui.
      Je n’ai pas lu le manga mais, malgré le drame, la réflexion que cela suscite m’intéresse grandement.

      • Bruce lit  

        Merci de ta visite Kao’.
        J’ai fait pas mal de ménage sur le blog. Comme tu le sais le serveur qui nous héberge menaçait d’exploser et j’ai viré de vieux articles que je trouvais dispensables ainsi que de personnes ayant quitté le blog et portées disparues.
        Tu trouveras ici tous les articles restants sur IKIGAMI.
        Pas d’annonces hélas d’une série autre que mon fantasme.

        • Kaori  

          Merci Bruce. Bon, je vais me renseigner sur le film, au moins…

        • Eddy Vanleffe  

          C’est marrant ce besoin de voir un truc passer sur les écrans…
          Concernant Junji Ito, toutes les adaptations sont notoirement ratées. Mermaid en animé, c’est de la merde en branche. et souvent on a version écran un peu à la Sin City, quasiment identiques…

          • Kaori  

            C’est pas un besoin, c’est un accès plus facile que les mangas en plusieurs volumes.

            Si l’adaptation est ratée, je ne me l’infligerai pas, et je regarderai du côté du manga, oui. Mais clairement, ces dernières années, je suis plus tournée vers le mouvement que vers la lecture… question de disponibilité, de finances, de place etc.

            Ma fille nous réclame des mangas à corps et à cris, lol, alors que la maison est pleine de romans… ça me saoule un peu parce que déjà, on n’a plus de place dans les bibliothèques, et que c’est un budget d’investir dans une série. On peut toujours revendre, mais c’est un truc que je déteste faire. Je n’arrive pas à me séparer des objets. C’est donc mon conjoint qui s’en charge pour moi… en m’obligeant à faire du tri, ce dont j’ai tout autant horreur !

          • Eddy Vanleffe  

            Je suis devenu une annexe de la bibli municipale… c’est mon lot et mon destin…
            ça me dérange moins que les bibelots qui prennent la poussière.
            je ne revends plus puisque je rachète dix ans plus tard…
            mais moi je peste contre le reflexe qui consiste à penser que le livre doive accéder à une certaine notoriété que par une adaptation (qui éloigne de l’auteur et de ce qu’ils voulait dire)
            Bruce voulait adapter Maus il y a quelques jours… l’objet écran sera forcément censuré à mort et expurgé de l’ambigüité que Présence a tellement bien mis en évidence.

  • Bruce lit  

    @Eddy.
    Non, ce n’est pas un besoin, juste des idées.
    L’actualité montre que ‘l’antisémitisme a de beaux jours devant lui et que lé révisionnisme pullule. Les rescapés de la Shoah ont tous disparus, il ne reste plus comme l’autre petite merde de Zemmour qu’à réécrire l’histoire en disant que le Vel d’Hiv, c’était pas si grave.
    Dans ce contexte, une MAJ de MAUS s’impose pour moi car l’on sait que la jeunesse ne viendra pas aussi naturellement à ce médium sans le passage à l’écran.
    Je parle d’une série animée qui reprendrait le graphisme de MAUS. Ce n’est que mon idée et elle me semble bonne.
    Quant à IKIGAMI, les séries asiatiques ayant le vent en poupe, il serai dommage de ne pas en profiter. Pour le coup, il y a là le potentiel à aller plus loin que l’oeuvre originale. Ce n’est que ce genre d’hypothèse qui pourrait me motiver à sauter le pas.

    • Kaori  

      Tu as vu, il y a du positif avec l’histoire de Tennessee : MAUS ne s’est jamais aussi bien vendu !

      • Bruce lit  

        Du buzz positif, on ne va pas s’en plaindre.

  • Glen Runciter  

    Pas Dickien du tout en effet, on est plutôt dans un univers à la Robert Sheckley (La septième victime, le prix du danger, etc) en plus sombre mais tout aussi corrosif.
    J’avais beaucoup aimé ce manga.

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