Fictions pulp – (Pulp)

Pulp par Ed Brubaker et Sean Phillips

Un article de ALEX NIKOLAVITCH

1ère publication le 18/05/21- MAJ le 21/12/21

VO : Image

VF : Delcourt

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PULP est un One Shot d’une centaine de pages écrit par Ed Brubaker et Illustré par Sean Phillips. Il s’agit d’un récit auto contenu avec une fin claire et nette.

New York, 1939. Max Winters est auteur de Pulps, ces revues à deux sous. Il écrit pour deux Cents le mot des récits de Western racontant de façon très vivante les aventures de deux desperados au grand cœur. S’il se fait maltraiter par son éditeur Mort (visiblement inspiré de Mort Weisinger, qui avait commencé sa carrière dans les pulps, avant de s’occuper des destinées éditoriales de Batman et Superman chez DC jusqu’en 1970, et dont l’oraison funèbre, à sa mort, fut « et encore, son frère était pire »), il sait que ses histoires valent mieux que leur version sur papier : elles sont ce qui reste de sa jeunesse folle, lorsqu’il faisait le coup de feu quarante ans plus tôt, vivant en brandissant son six-coups.

Mais Max est bien loin de cette époque, et la vieillesse l’a rattrapé. Victime d’une agression et d’une crise cardiaque, il sait qu’il ne pourra plus se tuer à la tâche pour gagner une misère. Le voilà prêt à ressortir sa pétoire pour régler ses soucis d’argent comme il l’avait si souvent fait. Il est arrêté au dernier moment par Jeremiah Goldman, un ancien de la Pinkerton qui lui avait couru après jadis, sans parvenir à le rattraper.

L’un de nous est de trop dans cette ville, cow-boy.
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En dire plus serait déflorer l’intrigue de PULP, chouette petit roman graphique par l’équipe de CRIMINAL, RECKLESS, SLEEPER, FONDU AU NOIR, FATALE et j’en oublie très certainement plein. Ils se spécialisent dans le polar depuis pas mal d’années, même s’ils ont donné dans d’autres genres, y compris le super-héros : Sean Phillips a débuté dans le magazine CRISIS, en Angleterre, avant de débarquer sur HELLBLAZER au début des années 90. Il commence à travailler avec Brubaker à l’occasion SCENE OF THE CRIME, où il assiste Michael Lark. Puis il fait un long passage sur WILDCATS, avec Joe Casey au scénar, où il montre sa capacité à s’approprier des ambiances différentes du simple polar.

SLEEPER, écrit par Brubaker, lui permet de rester encore un temps dans l’univers Wildstorm, mais surtout de constituer une équipe efficace : l’ambiance d’espionnage et de parano leur va bien au teint à tous les deux. CRIMINAL scelle cette collaboration en tandem : depuis 2007, Phillips ne travaille quasi plus qu’avec ce scénariste.

Les papys flingueurs.
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Celui-ci est bien connu des lecteurs de comics : il a redéfini CAPTAIN AMERICA, créant au passage le WINTER SOLDIER, redéfini CATWOMAN, longtemps animé DETECTIVE COMICS et GOTHAM CENTRAL aux côtés de Greg Rucka, succédé à Bendis sur DAREDEVIL… Lui aussi a une prédilection marquée pour des univers, si ce n’est réalistes, tout du moins terre-à-terre. Ses passages sur des séries plus SF, par exemple, comme UNCANNY X-MEN, ont moins marqué. Ses fixettes sur les secrets enfouis semblant plaquées un peu artificiellement sur un univers aussi labouré depuis longtemps que celui des mutants. Tout au plus son personnage de Vulcan s’est-il durablement installé dans l’univers cosmique marvellien.

Ensemble, les deux hommes développent depuis une quinzaine d’années leurs petits univers, en jouant sur sa profondeur temporelle. CRIMINAL s’étale sur plusieurs décennies, montrant deux générations de voyous et les conséquences des actes de l’une sur la suivante. FADE TO BLACK revient sur la chasse aux sorcières des années 50 à Hollywood. PULP nous entraîne beaucoup plus loin : à la fin de la crise de 29, avec ses laissés pour compte, mais nous ramène également à la toute fin de l’ère de la conquête de l’Ouest.

L’aventure sur mauvais papier.
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Brubaker se fait visiblement plaisir, et joue au jeu des références, citant d’ailleurs Robert E. Howard et CONAN comme modèle d’écriture pulp. Il faut dire qu’Howard a largement donné dans le genre western : si la fantasy est la partie la plus connue de son œuvre, elle n’en est pas la plus importante en volume, et le Texan a aussi bien écrit des aventures en Afghanistan que des récits de boxe ou d’horreur. Certaines aventures de Conan lorgnent d’ailleurs fort sur des structures de récits évoquant délibérément les cow-boys et les Indiens.

PULP, comme son titre l’indique, convoque tout ça à la fois, plonge dans ses racines. C’est une manière pour Brubaker, dont les premiers émois littéraires viennent de la collection de polars paternelle, de retracer sa propre généalogie. Le détective de série noire, tout comme le super-héros, est pour partie le descendant direct des cow-boys idéalisés et des desperados des premiers westerns. C’est ce continuum de la pop culture qu’évoque PULP. Brubaker, qui excelle dans l’écriture et la mise en scène de personnages vieux, usés, fatigués, nous montre les genres se nourrissant les uns des autres, s’empruntant leurs codes les uns aux autres, par exemple l’ultime baroud des vieux héros, dans un monde qui a changé et ne le reconnaît plus. Si Brubaker s’appelait Clint et pas Ed, PULP serait à la fois son IMPITOYABLE et son GRAN TORINO.

Les pistoleros ne sont pas censés mourir vieux.
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18 comments

  • JP Nguyen  

    Je l’ai lu il y a quelques temps. Effectivement, il y a du Impitoyable dedans. D’ailleurs, impitoyable, voire sadique, Brubaker l’est souvent avec ses personnages… L’année dernière, ma meilleure lecture du duo reste l’arc Cruel Summer dans Criminal.

    Pour l’inventaire des collaborations du duo, je rajoute Gotham Noir, chroniqué aussi sur le blog :
    http://www.brucetringale.com/bat-in-noir-deux-elseworlds-de-batman-facon-film-noir/

    • Nikolavitch  

      c’est top, Cruel Summer. je l’ai traduit dernièrement, il va pas tarder à sortir en VF, et ça boucle bien plein de trucs dans Criminal.

  • Tornado  

    Celui-là, je ne vais pas le rater…
    Un idéal de comics en ce qui me concerne.

    C’est bien de faire un tour d’horizon sur ce qu’a fait Brubaker en et hors mainsteam. Et c’est fou de se dire que Phillips ne fait plus que ça à présent ! Tant mieux s’il parvient à s’épanouir complètement dans ses choix et ses univers de prédilection. Je me souviens de son travail sur certains épisodes spéciaux de Spiderman. c’était la classe !

    La BO : Ahhh ! Un peu de musique de cowboy, je ne résiste pas ! 🙂

  • Surfer  

    Alors là, comme dirait l’autre hystérique… J’ACHÉÉÉÉÉTE !!! 😄😄😄

    Un nouveau one shot de notre duo de choc qui est réalisé avec une harmonie digne de SIMON & GARFUNKEL cela ne se refuse pas 👍

    Merci de préciser, avec des mots rassurants, qu’il s’agit d’un récit auto contenu avec une fin claire et nette! C’est ce que je recherche dans mes lectures actuellement.
    Ta chronique est particulièrement bien construite. J’ai bien aimé lorsque tu reviens sur la carrière des 2 auteurs, Un piqûre de rappel ne fais jamais de mal et en plus, j’ai aussi appris des choses. Je trouve ce partage culturel bienvenu 😉.

    Le thème du comic me parle énormément ! J’adore les histoires de personnages vieillissants qui sont témoins de générations en pleine mutation.
    J’ai, moi même 50 balais et j’ai vécu le siècle dernier ! Et , putain, qu’est-ce que j’adore les cow-boys ! Ils me fascinent depuis l’enfance . Dommage que sur ma planète, il n’y ait pas eu de vaches, sinon je serai devenu cow-boy à la place de super-héros 😁

    Tu finis ton article par:

    « Brubaker, qui excelle dans l’écriture et la mise en scène de personnages vieux, usés, fatigués, nous montre les genres se nourrissant les uns des autres, s’empruntant leurs codes les uns aux autres, par exemple l’ultime baroud des vieux héros, dans un monde qui a changé et ne le reconnaît plus. Si Brubaker s’appelait Clint et pas Ed, PULP serait à la fois son IMPITOYABLE et son GRAN TORINO. »

    J’y vois, quant à moi, TOMMY LEE JONES le chérif vieillissant de NO COUNTRY FOR OLD MAN.

    La BO: j’ai revu récemment WALK THE LINE, le film biographique du chanteur réalisé par J. MANGOLD.
    Fortement recommandé, même ci comme moi, on adhère pas trop à cette musique.

    • Nikolavitch  

      fun fact, mon daron a quitté la Yougoslavie parce qu’il voulait aller en Amérique devenir cow-boy. Bon, il s’est arrêté en chemin, sinon je ne serais pas là. Mais il a toujours gardé le goût du western et de la musique country.

  • Bruce lit  

    Tarratata, assez parlé de Eastwood, le cowboy de la couverture c’est Monty Clift, non ?

  • Kaori  

    Que dire ? Excellent article, avec tout plein d’infos et de références. Top. Le genre western est loin d’être mon genre préféré mais avec Brubaker je peux aller dans tous les genres, je crois bien !

    • Nikolavitch  

      et ça reste un polar, le western n’y est qu’à l’arrière plan

  • Eddy Vanleffe  

    ça a l’air bien cool tout ça Brubaker est de toute façon un grand actuel, aucun doute là dessus.
    Merci pour la review!

  • Bruce lit  

    Bon sinon, tu triches un peu puisque seulement les deux derniers paragraphes portent réellement sur PULP, le reste faisant office utile du rappel de la carrière de Brubaker. Mais il est vrai que ma deadline a été plus que short.
    J’ai adoré ce crû du tandem, ça se dévore et est particulièrement futé de bout en bout. Comics de l’année sans se fouler.
    La BO : pourquoi pas, j’aime bien à dose homéopathique.

    • Nikolavitch  

      et puis c’est un récit assez court, en parler trop sans tout spoiler comme un goret, ça devient dur. donc j’essaie d’en dire juste assez et de recontextualiser

  • Jyrille  

    De Brubaker, je ne connais que son run sur DD. Je n’ai jamais plongé dans Criminal ou ses autres travaux (Fondu au noir et Fatale étant ceux revenant le plus souvent). Je crois que ce PULP va me faire sauter le pas, il me titillait déjà depuis les commentaires de Bruce et Présence, mais là tout me donne envie.

    Damn! Il va falloir que je trouve le temps d’y aller…

    La BO : toujours cool. Je ne la connaissais pas celle-ci je crois.

  • Présence  

    Article sympathique sur une histoire que j’avais bien aimée.

    Cette rétrospective permet de mesurer à quel point ils ont réussi à développer leur goût du polar dans le marché des comics américains, sur le long terme, ce qui est déjà une sacrée réussite. Et plus c’est de la bonne.

    Dans la liste tu pouvais également ajouter Bad Weekend

    http://www.brucetringale.com/rendez-moi-mes-planches-bad-weekend/

  • Bob Marone  

    Sur ma reading list. J’ai lu récemment Bad Week End après une critique enthousiaste ici même et j’ai trouvé cela très bon. Pourtant, je n’étais pas emballé par le thème qui me paraissait un peu éloigné du Noir de Criminal. Décidément le duo Brubaker/Philips fait des étincelles.

  • Jyrille  

    Je viens de la finir. Il va falloir que je me procure fissa d’autres oeuvres du duo parce que j’ai trouvé ça dément ! Extrêmement bien écrit, un vrai polar, très bien construit et surtout une histoire prenante qui fout la pêche. Oui, j’ai pensé à GRAN TORINO mais aussi à LA HORDE SAUVAGE. Ton article est totalement éclairant sur le glissement des héros via la pop culture.

    Merci, c’est de la super bonne came !

  • Fletcher Arrowsmith  

    honte à moi, je n’ai acheté aucune production de Brubaker/Philips cette année. Il n’y en aura même pas sous le sapin. Vivement les étrennes et plus tard la délectation des retours après lectures attentives.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour Alex,

    Lu hier soir, à la faveur de ma bibliothèque qui le possédait.

    Sans t’avoir lu avant voilà ce que j’avais en tête sitôt terminé : Si Brubaker s’appelait Clint et pas Ed, PULP serait à la fois son IMPITOYABLE et son GRAN TORINO

    Bien que graphiquement on voit la différence entre la partie Western et Urbaine (qui n’est ni plus ni moins qu’un western en ville), je mets quand même un bémol entre le lien entre les deux. Cela semble tellement deux récits différents, que finalement, le rapport entre les deux n’a pas complètement fonctionné sur moi. C’est trop différent.

    Et puis je crois que je suis finalement resté frustré de ne pas lire un pur western par Brubaker/Philips.

    Cela reste néanmoins une top lecture, le type de comics qui se place immédiatement dans le haut du panier.

  • Alchimie des mots  

    Bonsoir, j’avoue que ce comics m’a pris à contre-pied.
    D’abord, les planches qui font référence à l’histoire Pulp du personnage et aussi à son passé.
    Je n’avais pas vraiment adhéré, ce qui fait que je n’étais pas intéressé par sa lecture.
    Puis quand j’ai vu que les autres pages sont dans la même lignée que Criminal, c’est là que j’y ai prêté attention et surtout le fait qu’il est remporté un Eisner.
    Je l’ai trouvé vraiment très court, je ne savais pas où vous voulez en venir les auteurs.
    J’ai bien compris que c’est une personne d’un autre temps et les éléments apportés sur la crise de 1929 et le rappel à la référence du film d’Eastwood ont été un plus.
    Dommage qu’il n’y ait pas de préface ou de postface pour expliquer les intentions des auteurs.
    Cela manquait de contenu à ce niveau, un bon comics, malgré tout.
    Merci

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