La fine glace (Olive)

Olive par Véro Cazot et Lucy Mazel

Un article de BRUCE LIT

1ère publication le 14/12/20 – MAJ le 02/02/23

VF : Dupuis

Je veux ma part du miroir !
© Dupuis

OLIVE est une série limitée en 4 épisodes commencés en 2020 et qui s’achèvera avec la parution du dernier tome en septembre 2022.
Il s’agit d’un nouveau scénario de notre chouchou Vero Cazot appuyé par les dessins et les couleurs à l’aquarelle de Lucy Mazel.


OLIVE est un scénario de jeunesse de Cazot retravaillé à la sauce adolescente après un déclic en lisant le journal de Spirou où l’histoire est prépubliée. Après BETTY BOOB, ET TOI, QUAND EST-CE QUE TU T’Y METS ? et LES PETITES DISTANCES, elle explique avoir voulu s’intéresser au monde de l’enfance et aux troubles autistiques.

L’école buissonnière dans un monde imaginaire.
© Dupuis

Avec OLIVE, Vero Cazot ne se départit pas de la poésie et de la tendresse qui émanaient jusqu’ici de ses récits. Elle y ajoute une dimension fantastique inédite : Olive est une ado de 17 ans qui étudie en internat. Totalement associale au point d’ignorer toute notion d’amitié ou de camaraderie, Olive passe son temps libre cloisonnée dans sa chambre. Son secret ? Parallèlement à sa vie scolaire, Olive vit simultanément dans un monde enchanté où elle règne avec un canard géant et une baleine ailée.

Bien ancrée dans une routine ressemblant à des troubles autistiques, la vie d’Olive est bouleversée lorsqu’ arrivent Charlie, une sémillante jeune fille bavarde comme une pie dans sa piaule étudiante et un cosmonaute qui échoue dans son royaume onirique.

Et si un étranger venait s’échouer dans vos rêves ?
© Dupuis

Agressée par cette irruption en altérité, chaque tome va étudier les réactions d’Olive à ce monde qui vient à elle alors qu’elle ne pensait qu’à le fuir.
Dans le Tome 1, Cazot et Mazel plantent un caractère lunaire qui sans la focalisation des auteurs pourrait être totalement antipathique. Heureusement, le lecteur dispose d’une fenêtre sur une vie intérieure plus sensible que cette ado taciturne et obsessionnellement troublée.
Le Tome 2 dévoile un secret de famille expliquant le comportement d’Olive et l’incitant à partir à la recherche de ce cosmonaute perdu dont elle seule peut retrouver la trace.
Le tome 3, le plus jouissif à ce jour, est le départ d’Olive pour la Russie et consacre l’habileté de Cazot à mettre en scène une quête pour sauver un ami à l’autre bout du monde contre toutes les statistiques pour notre héroïne qui n’a jamais quitté sa chambre.

Perdue parmi les hommes.
© Dupuis

Olive rentre dans le panthéon Cazot : celui de marginaux (des malades, des autistes, des femmes qui ne veulent pas d’enfant) dont le refus se transforme en aventure.
A l’inverse de ses héroïnes précédentes, on ne peut pas dire qu’Olive soit des plus sympathiques. Solitaire, caractérielle, peu portée sur son hygiène corporelle, Olive est un personnage d’entre-deux : métisse, elle n’est ni blanche ni noire, ni femme, ni enfant, ni sympathique mais suffisamment attachante pour que le lecteur continue à vouloir la suivre, affublée de sa salopette et son pull orange porté à l’envers.

Disons-le, elle n’est pas très jolie. Mazel donne de jolis mouvements dans ses cheveux et un regard contemplatif assez expressif. Avec beaucoup de subtilité, elle la dote d’un menton un peu disgracieux et d’une bouche triste.
Là est l’originalité du travail des autrices : elles ont à cœur de désexualiser leur histoire non par puritanisme (les bouquins précédents de Cazot régalaient beaucoup en sexe) mais par goût de la différence.

Certes Charlie, son amie, est une jolie ado bien dans sa tête et dans son corps, certes les garçons de la cantine sont toujours aussi cons, mais Cazot et Mazel ont à cœur de montrer aussi des enfants concernés par leurs études, leurs partiels et leur futur sans en faire des machines à baiser.

Une cohabitation renversante.
© Dupuis

Si le premier tome est lent au décollage (une succession de scènes où Olive envoie bouler sa cothurne), on ne s’y ennuie jamais grâce à la délicatesse des planches de Mazel. Ce fantastique là incite à la rêverie, toute paumée soit sa héroïne. Les couleurs en aquarelle participent au climat chaleureux de cette BD qui emmène son héroïne dans des froids polaires. Les planches où Charlie fait du yoga dans sa chambre sont un délice de mouvement et de grâce.

Plus globalement, l’histoire de Véro Cazot parlera aux adultes que nous sommes. L’avènement des réseaux sociaux a tous fait de nous des Olive en puissance. Moi qui vous écrit suis dans le monde de la Bd tout en étant derrière mon clavier, vous qui me lisez au travail, au lit ou à l’autre bout de France… Toi qui es en réunion et envoie des textos ou consulte Facebook en simulant un quelconque intérêt à ce qui se passe autour de ce que l’on te paie à ne pas faire…

Allo, Jeff Lemire ?
© Dupuis

Ce trouble dissociatif aussi évoqué dans CES JOURS QUI DISPARAISSENT ou YOUR NAME est routinier chez Cazot, l’identité virtuelle et réelle cohabitent presque naturellement. Sortie de sa rêverie, Olive évolue dans notre monde comme dans la MATRIX. Or, qui de nous dans cette journée pourra affirmer ne pas s’être senti pour au moins un instant étranger à ce monde et aux autres ?

C’est là qu’Olive devient adorable : dans sa force à venir secourir un ami virtuel au mépris du danger, du froid et de ses chances de survie. Elle entend un appel et devient une force de vie tendue vers l’autre quand bien même tout ceci n’a aucun sens. L’altruisme se transforme en obsession, la générosité manque de tuer, la vie manque de conduire Olive à la mort.
Mine de rien, Cazot et Mazel viennent d’écrire leur TINTIN AU TIBET.

Tintin chez Spirou !
© Dupuis

La BO du jour

Olive aime bien les petits canards, ça tombe bien :

https://www.youtube.com/watch?v=h9xZmI4thpM

12 comments

  • Surfer  

    « l’habileté de Cazot à mettre en scène une quête pour sauver un ami à l’autre bout du monde contre toutes les statistiques pour notre héroïne qui n’a jamais quitté sa chambre. »

    Il m’a suffit de lire ça pour comprendre le rapprochement avec TINTIN AU TIBET. C’était tellement évident que je n’ai pas eu besoin que tu le cites en fin d’article.
    Avec le diptyque sur la LUNE c’est mon œuvre préférée de HERGÉ.

    On te sens touché par la sensibilité de Vérot Cazot.
    Tu m’as donné envie de lire cette Autrice.😉

    Sinon, un truc qui n’a rien à voir… je n’ai jamais compris, pourquoi les auteurs des BDs Franco Belge mettent 2 ans à faire 4 épisodes…Alors que les américains te sortent 1 comic par mois !

    Pour la BO, je repasserai si tu nous sors un truc de derrière les fagots 😀😉

  • Eddy Vanleffe  

    Dans un tout autre ordre d’idée, cette histoire me fait penser à SI TU TENDS L’OREILLE de Yoshifumi Kondo pour cette séparation entre mode imaginaire et mode réél où l’héroïne se sent étrangère.

    Pour le reste c’est autre chose effectivement….
    Bon je n’ai pas les logiciels pour apprécier ce genre d’oeuvre qui se fascine pour les marginaux…
    plus je vieillis, plus j’aime le peuple simple et ordinaire qu’on représente souvent comme une masse hostile à tout…

  • JB  

    C’est marrant, j’ai aussi pensé à Jeff Lemire avec la couverture du tome 1 qui m’a rappelé le jeu de miroir Trillium

    • Bruce lit  

      @JB : il y a effectivement du Jeff Lemire dans cette histoire, en moins dépressif ceci dit.
      @Eddy ; je note. C’est un manga ou un animé ?
      @Surfer : si tu as connu l’animé CLEMENTINE dans les années 80, on y retrouve aussi une certaine ambiance.

      • Eddy Vanleffe  

        un film du studio Ghibli normalement dispo sur Netflix s’ils y sont encore…c ‘est plein d’empathie pour le monde, pour l’amour de l’art… c’est du Ghibli quoi!

        • Eddy Vanleffe  

          CLÉMENTINE: CHEF D’OEUVRE ABSOLU!
          c’est un voyage à travers les contes du monde entier…

  • Tornado  

    Encore cette magie de la BD de nous raconter les grands thèmes de la vie sous le vernis du merveilleux… c’est quand même plus cool et intéressant qu’un film naturaliste des frères Dardenne ! 🙂

    La BO : On dirait du Coldplay. En moins bien…

  • Jyrille  

    Honte à moi : je n’ai toujours pas lu de Cazot. Mais cette série pourrait bien en être mon introduction car elle m’intéresse beaucoup. Le dessin est très beau et l’histoire me parle (en plus je viens d’attaquer la lecture de NEXT MEN de Byrne). Je note dans un coin, merci Bruce, car cela fait quelques temps que j’en entends parler sur la page Les Amis de Spirou. Et puis il n’y a que quatre tomes prévus, c’est suffisant.

    Merci également pour les liens vers les articles 😉

  • Jyrille  

    La BO : les copains ont raison ça sonne comme du Coldplay. Au moins autant que Greta Van Fleet ressemble à du Led Zep. Peut-être est-ce que ce titre est plus récent et que sa maison d’édition lui a un peu forcé la main ?

    Bref j’aime pas, pour le moment Babybird ne me convainc pas malgré tous les extraits que tu as mis. Même si j’avoue bien volontiers que c’est sympa, ça serait parfait comme titre de fin d’une romcom adolescente.

  • JP Nguyen  

    Cette année, j’ai abonné mes filles à SPIROU. Mais je ne leur ai pas souvent emprunté le mag. Du coup, j’ignore si il est passé en prépublication dedans pendant cette période. Ce serait ma meilleure option pour découvrir cette série et me faire mon idée car sinon, le sujet ne me branche pas des masses…

  • Présence  

    Quel plaisir de retrouver Véro Cazot sur le blog !

    Olive est un personnage d’entre-deux : belle expression pour caractériser ce personnage.

    L’avènement des réseaux sociaux a tous fait de nous […] autour de ce que l’on te paie à ne pas faire… 100% d’accord. Pour un vieux comme moi qui ai connu le monde sans internet, sans téléphone portable, sans ordinateur, l’omniprésence de mes activités dématérialisées et mondialisées (bon, au moins à plusieurs endroits de la France… Non, mais au moins à plusieurs endroits de l’Île de France) est parfois vertigineuse.

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