L’art d’être grand père

L’adoption par Zidrou et Arno Monin

Le vieil homme et l'enfant

Le vieil homme et l’enfant©Grand Angle

AUTEUR : BRUCE LIT

VF : Grand Angle

L’adoption est une histoire en deux parties scénarisée par Zidrou, illustrée et colorisée par Arno Monin. Cet article portera sur le tome 1 sorti en mai 2016, le volume suivant n’étant pas paru au moment de l’écriture de ces lignes.

Les scans de cet article m’ont été fourni par Arno Morin himself auquel je fais une double révérence pour sa gentillesse et bien sûr cet album. 

 Le pitch : Orpheline suite à un séisme dans son Pérou natal, Quinaya est une fillette de 4 ans adoptée par un couple français.
Ce tome 1 raconte l’amour naissant puis inconditionnel entre l’enfant 
déracinée et Gabriel, son grand-père français et bourru qui s’obstine à ne pas vouloir s’attacher à une gamine ne partageant pas son patrimoine génétique. 

Un séisme réel et émotionnel

Un séisme réel et émotionnel©Grand Angle

Rien que la prose du début (« Durant quelques minutes la terre trembla de plaisir ? de froid ?  Un seisme de 8.4 . Ce bon vieux Richter en eût rougi de plaisir »!) et l’on sait qu’on tient là du grand Zidrou, certainement un  des auteurs franco-belge aussi prolifique que Joann Sfar. L’adoption est une BD de conquête, semblable au coup de foudre amoureux : quand bien même vous seriez blasé, prédisposé à dire qu’on ne peut plus vous la faire, rien absolument rien ne vous protégera de la déflagration émotionnelle de cette histoire d’amour sur le tard entre un enfant et son grand père.

Pourtant en écrivant les grandes thématiques de cette histoire, on est pas sûr de se taper ça après une journée de boulot: Qinaya se rappelle de ses parents disparus, on y aborde la vie sexuelle de nos seniors, les grands drames de la vie (un vieillard a dû apprendre à survivre à son enfant décédé) qui côtoient les petites sorties de route (l’incompréhension qui règne entre Gabriel et son fils de 45 ans).

Vieux grincheux !

Vieux grincheux !©Grand Angle

Mais on est chez Zidrou, n’est ce pas, le créateur de Ducobu, mais aussi un auteur fidèle à ses thèmes de prédilection et qui ne fait pas dans la facilité.  Dans les Folies Bergères, au milieu de la folie de 14-18, il mettait en scène un instant de pure grâce en introduisant une enfant dans les tranchées. Dans Le beau voyage, il abordait avec une délicatesse infinie le suicide d’un enfant.  Et dans Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? il décrivait l’absolue dévotion d’une mère d’âge mûr au chevet de son fils handicapé.

Lu comme ça, on pourrait se croire chez Ken Loach alors qu’il n’en est rien. Zidrou n’est pas un triste sire mais un amoureux de la vie, des parenthèses de grâce qu’elle peut offrir quelle que soit l’épreuve. Ses personnages sont des résilients qui continuent en dépit de tout mais jamais par dépit. Et l’histoire de la petite Qinaya, belle à pleurer, réveille ce que nous avons de meilleur en nous : l’empathie, la compassion, un altruisme pur et désintéressée pour une enfant autre que la nôtre , totalement affiliée à notre famille d’êtres humains.

La question qui tue....

La question qui tue….©Grand Angle

La grande tirade de Zidrou correspond à ce que nous venons de décrire : l’amour ne se vole pas, l’amour ne s’achète pas, l’amour se mérite. L’album se situe dans la lignée du Voyage de Phénix et Couleur de peau : miel de Jung et du prodigieux Ce n’est pas toi que j’attendais de Toulmé. Des albums qui montre qu’être déclaré parent ne suffit pas sans l’amour en plus.

Zidrou est il un scénariste ou un peintre ? Par petites touches d’humour, il trouve les voix de ses personnages mêmes les plus anodins, il donne leurs fréquences qui vont nous permettre de les capter, de les ressentir, de les comprendre sans les juger.
Il y a bien sûr Quinaya qui cumule tous les instants de pureté quasi divine que nous offre l’amour inconditionnel d’un enfant à ses parents, ses stratégies à la fois si simples et si élaborées pour se faire aimer, sans langage autre que de l’authenticité;  Une innocence qui nous ramène au Paradis Perdu d’une vie perdue et qui ne demande qu’à vibrer encore !

La composition admirable de Monin

La composition admirable de Monin©Grand Angle

Une allégorie admirablement plantée par Arno Monin dès la couverture : Qinaya et son grand père se toisent silencieux, séparés par la frontière symbolique de la terrasse du jardin. Qinaya semble éclore de la pelouse,  du vert de la vie, son regard est invisible mais confiant tandis que son grand père sur du béton gris, semble sidéré. L’ombre de Qinaya rampe aux pieds de son papi pour induire le mouvement de l’enfant à se faire adopter paisiblement tandis que son ombre à lui, comme une bonne partie de sa vie, est derrière lui. De ces deux mondes va naître une rencontre. Celle qui fera grandir Quinaya, surmonter son deuil et agrémentera la vie du vieux bougon.

Ce qui est très habile dans l’écriture de Zidrou est de faire appel aux sentiments sans pour autant sombrer le manichéisme : les conditions de l’adoption de l’enfant sont dénoncées dans un twist violent, le grand-père a une vie amicale et sexuelle. Malgré le fait d’avoir vendu sa boucherie à un arabe et d’être attiré par les grosses bagnoles, on remerciera les auteurs de ne pas avoir écrit un vieux con aigri détestant les immigrés.  Gabriel est un peu rustre, un peu ours, un peu fort en gueule mais il s’inscrit dans la tradition française allant de Michel Simon à Gerorge Brassens (pour moi, Brassens a toujours été un-gentil-papi). Il est en tout cas plus vivant et joyeux que cette pauvre Rosa de La Vie devant soi.

Sois calme ma douleur....

Sois calme ma douleur….©Grand Angle

Avec le retour du personnage de la grand-mère bienveillante présente de Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ?  Zidrou parvient à écrire la connivence construite au fil des années entre deux personnages aux portes du 4ème âge empreinte de respect, de reproches et de tendresse.  Mais surtout, on se rend compte qu’à sa manière, il écrit sa Comédie Humaine  tant ses personnages semblent issus d’une même lignée : celle de l’humanisme.

L’adoption aurait pu s’appeler La réappropriation ; ce moment où l’arrivée d’un enfant pousse l’adulte un peu plus vers sa propre mort (Claremont avait écrit de très jolies pages là dessus dans le Lifedeath des X-Men) mais aussi dans la réappropriation dans ce qui lui reste à vivre. L’occasion d’avoir une seconde chance d’exprimer des émotions inconnues ou interdites de sa jeunesse. Le bonheur de s’oublier totalement pour un être vierge de tout jugement sur votre histoire personnelle et familiale. Gabriel se laisse peu à peu apprivoiser par Quinaya qui le révèle à lui-même et à cet adage voulant que nos enfants nous donnent la vie.

Une arrivée en classe tout en délicatesse et en silence©Grand Angle

Ce travail n’aurait jamais pu être accompli sans le travail exemplaire d’Arno Monin.  L’alchimie entre les mots et l’image font que chaque page s’apprécie au ralenti . J’ai scruté chacune des planches de Monin, comme un album de famille ou chaque photo m’était précieuse.  Proche du photo-réalisme, certains diront de Sandoval, Monin distille des moments où le corps complète les silences ou les émotions de ses personnages. Lorsque Quinaya évoque la mort de ses parents au Pérou par un simple dessin, la séquence est muette. Pas besoin d’en voir plus pour comprendre que ce n’est pas la première fois que la fillette sublime son traumatisme.

En bonus, de nombreux croquis de Monin témoignent de sa virtuosité à croquer le langage corporel de l’enfant et à, saisir en quelques traits les sailles de joie pures, de tristesse, de fantaisie et de malice de la petite péruvienne. Un travail qui mérite d’être d’autant plus souligné que l’enfant n’a que très peu de dialogue et que le dessin nous permet de nous l’approprier.

Voir des amis pleurer….©Grand Angle

Soutenu par un dessinateur virtuose et une fin d’une intensité telle que si vous ne versez pas votre petite larme, c’est que vous n’avez pas de coeur, voici un album qui arrive à point nommé dans notre France Bleue Déprime.   Cette adoption, c’est aussi celle du lecteur là où la vie semble plus grande et si minuscule face au rire d’un enfant.  Et le soleil jamais plus doux qu’une caresse sur une joue endormie.

Pour toi Pablo.

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