Ne joue pas avec ta nourriture

Chew 1 ( Tony Chu ) – Taster’s choice par Layman et Guillory

Un flic rabat joie

Un flic rabat joie©Image

AUTEUR : PRÉSENCE

Tony Chu est un enquêteur de la police de Philadelphie, il a la particularité d’être cibopathe. C’est quoi cibopathe ?

C’est un mot inventé par John Layman (le scénariste).

Ça veut dire que chaque fois que Chu mange quelque chose cela lui provoque des flashs visuels ayant trait à ce qu’il vient d’ingérer (sauf pour les betteraves qu’il peut manger sans crainte de savoir où elles ont poussé et qui les a récoltées).

La première scène montre la préparation d’une soupe au poulet dans un restaurant. Le cuisinier se coupe et quelques gouttes de sang tombent dans le faitou.

Pendant ce temps là, Chu et John Colby (son partenaire) sont en train de passer commande dans un établissement de restauration rapide.

Ils sont en planque devant un magasin qui sert de couverture pour de la vente illégale de poulet.

Dans ce monde, la grippe aviaire a eu pour conséquence de rendre toute consommation de poulet illégale.

Le poulet a tué 160 millions de personnes dans le monde et fait donc l’objet d’une interdiction aussi stricte que l’alcool sous la prohibition.

Ce qui se passe en cuisine !

Ce qui se passe en cuisine !©Image

Par la suite, Chu fera partie de la RAS, une brigade chargée de traquer les trafiquants de poulet sous toutes ses formes.

Il a la désagréable surprise de constater que Chow Chu (son propre frère, ex-animateur d’une émission culinaire télévisée) en est client.

Malheureusement ils ne peuvent mener leur enquête à son terme du fait de l’intervention de Mason Savoy, un agent de la Food and Drug Administration (FDA).

Après une intervention qui tourne mal, Tony Chu se retrouve muté à la FDA, pour faire équipe avec Savoy. Sa première enquête est de savoir ce qu’il est advenu d’Evan Pepper, un inspecteur des services de l’hygiène qui a disparu.

Mason Savoy , tout en rondeurs

Mason Savoy , tout en rondeurs©Image

Ce tome est le premier d’une série débutée en 2009 ; il contient les épisodes 1 à 5. Depuis la parution de ces épisodes, John Layman a indiqué que la série « Chew » (Tony Chu en VF) est construite comme une histoire complète, qui devrait compter à terme 60 épisodes.

John Layman a choisi de créer une série sur la base d’une trame policière.

Pour se distinguer des innombrables séries du même genre, il a pris soin d’intégrer plusieurs éléments originaux, à commencer par les talents extraordinaires de Tony Chu et le caractère illégal de la viande de poulet.

Les épisodes suivants recèlent également d’autres surprises qui permettent de créer une ambiance qui sort de l’ordinaire. En particulier, Tony Chu fait la connaissance d’Amelia Mintz, une critique culinaire, elle aussi peu ordinaire.

En plus de ces éléments atypiques, Layman emmène sa narration dans une direction éloignée de celle des enquêtes policières. Le lecteur frémit à chaque fois que Tony Chu doit utiliser son don sur des mets de plus en plus immondes.

Au menu ce soir une oreille !

Au menu ce soir : une oreille !©Image

Layman a pris le parti de faire découvrir l’environnement de Chu à la même allure que ce dernier qui prend ses fonctions à la FDA (un environnement qu’il ne connaît pas).

Layman choisit des localisations qui sortent de l’ordinaire : les bureaux d’un grand quotidien, plusieurs restaurants et un observatoire spatial (le télescope international de Gardner-Kvashennaya).

Enfin, certains détails laissent à penser que Layman a dû servir dans un restaurant ou travailler dans un fastfood car ils respirent le vécu (il faut toujours être poli avec un serveur).

C'est quoi la cibopathie ?

C’est quoi la cibopathie ?©Image

Les illustrations sont réalisées par Rob Guillory qui se charge également de la mise en couleurs. John Layman a fait lui-même le lettrage. Guillory a recours à un style un peu cartoon, avec une simplification des formes qui flirte parfois avec une très légère abstraction.

Il a un don remarquable pour donner une silhouette et un visage caractéristiques à chaque personnage. Il est d’ailleurs très agréable de voir qu’il met en scène des individus de morphologies et de corpulences variées.

Il utilise parfois des conventions graphiques appartenant aux dessins animés, tels que des giclées de sang peu réalistes ou des petits cœurs pour évoquer la naissance d’un sentiment amoureux entre 2 personnages. Ce style rend la lecture très agréable et dégage un léger parfum de dérision.

Il met en œuvre également quelques trouvailles visuelles qui accentuent l’étrangeté du pouvoir de Chu. La première giclée de souvenirs nés de l’absorption d’aliments repose sur une double page qui prend du temps à déchiffrer et qui évoque la complexité du phénomène et la concentration nécessaire à Chu pour digérer ce transfert d’informations.

La cibopathie : une capacité qui met mal à l'aise

La cibopathie : une capacité qui met mal à l’aise©Image

L’exagération des représentations sert également à transcrire le dégoût du détective lorsqu’il doit ingurgiter des choses peu avenantes pour faire avancer l’enquête.

À la lecture de ce premier tome, je suis resté partagé entre 2 attitudes. D’un coté, voilà une série avec beaucoup d’originalité, une dynamique solide alimentée (sans jeu de mots) par des enquêtes intrigantes, des personnages hauts en couleurs et des lieux inattendus.

De l’autre coté, ce premier tome comprend beaucoup d’éléments dont la plupart ne sont que des mises en bouche peu consistantes.

Des exagérations de dessin animé

Des exagérations de dessin animé©Image

Pour commencer, aucun des personnages n’a de vraie personnalité ; chacun est réductible à 2 ou 3 stéréotypes. Il est donc difficile de ressentir quelque chose pour ces individus superficiels.

D’un coté, l’idée de jouer avec la nourriture et d’associer l’acte de manger à la mort constitue une provocation dérangeante.

De l’autre, cet aspect est pour le moment également sous-développé et l’auteur ne brave que superficiellement cet interdit.D’un coté, Rob Guillory dispose d’un style déjà affirmé qui marie habilement exagérations et sens du détail pertinent. De l’autre, le dosage est parfois à contretemps du scénario.

ET LA SUITE ? Ce tome est le premier dans une série de 12, racontant une histoire complète en 60 épisodes (en cours de parution en 2014). L’inventivité délirante et maîtrisée de John Layman et Rob Guillory ne faiblit pas, bien au contraire. Dans les 4 premiers tomes, Layman favorise la mise en place des éléments de l’intrigue, au détriment des personnages qui n’ont pas toujours assez de place pour exister.

Les 4 premiers tomes se lisent donc avec grand plaisir du fait d’un humour ravageur, d’intrigues échevelées et inventives et de personnages sympathiques.

C'est pas moi, c'est lui : de vrais gamins !

C’est pas moi, c’est lui : de vrais gamins !©Image

Avec le tome 5 (épisodes 21 à 25), la narration prend une autre dimension. Layman et Guillory augmentent le niveau d’humour pour trouver un équilibre très agréable entre les péripéties farfelues, les différents registres de comiques, et une intrigue distribuée sur plusieurs personnages.

En 20 épisodes, les personnages ont cumulé assez de scènes pour avoir acquis une épaisseur psychologique les rendant unique.

La familiarité avec ces derniers et la connaissance des liens qui les unissent génèrent l’unité qui manquait aux tomes précédents, pour que le lecteur ait la sensation d’être dans un roman, plutôt que dans une suite de nouvelles faiblement connectées, privilégiant l’histoire.

L’histoire a alors pris toute son envergure, Layman et Guillory ont trouvé la bonne alchimie entre les différentes composantes de leur récit. La série Chew écrase toute la concurrence par son humour, son inventivité, sa loufoquerie et ses personnages sympathiques, attachants, faillibles, très humains.

Ce premier volume pose les marques d’une série qui, par son humour et sa galerie de personnages complètement cinglés, atteindra dans les volumes suivants des résultats exceptionnels. Tony Chu continue de suivre la trace d’Evan Pepper dans International Flavor.

 Chew : c'est aussi une histoire d'amour.


Chew : c’est aussi une histoire d’amour.©Image

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