Vindicte aphone ? (V for Vendetta le Comics + Le film)

Focus : V Pour vendetta, comics + film

Article de : TORNADO

1ère publication le 12/04/16- MAJ le 01/09/19

Fidèle or not fidèle ?

Fidèle or not fidèle ?

Cet focus a pour objectif de mettre en parallèle le comic-book originel réalisé par Alan Moore & David Lloyd et son adaptation cinématographique. L’idée première était de ne parler que du film, mais il s’est avéré qu’il était impossible de ne pas revenir sur la bande-dessinée, tant elle ne peut être occultée dans la perspective d’un tel processus comparatif.

Cet article est ainsi complémentaire de celui de Cyrille M dont le contenu était déjà roboratif, et qu’il est bien entendu conseillé de relire au préalable…

1) Le comic-book

Commencé en 1982, achevé en 1990, V Pour Vendetta est l’un des premiers chefs d’œuvre du grand Alan Moore.
Néanmoins, dans la postface de la dernière édition VF en date (Urban Comics), l’auteur de Watchmen l’avoue : V Pour Vendetta est l’œuvre de deux auteurs : Lui-même, mais aussi David Lloyd, le dessinateur de la série.
La genèse de l’œuvre fut ainsi fortement tributaire de son metteur en image, qui imprima sa personnalité de manière particulièrement forte, afin que le résultat soit celui que l’on connait aujourd’hui. Ainsi, ce n’est pas Alan Moore qui décida que le décorum du récit ait pour personnage principal un vigilante affublé du masque souriant jadis porté par le révolutionnaire anglais Guy Fawkes, mais bel et bien Mr Lloyd. Et même le titre, V For Vendetta, ne sort pas de la tête de Moore, mais de son éditeur !

Pour ce qui est du contexte de l’histoire, là encore, il faut regarder du côté de David Lloyd. Car c’est bien « à cause » de ce dernier qu’Alan Moore imagina finalement ce récit dystopique à la toile de fond anticipationnelle dans la droite ligne du 1984 de George Orwell. Au départ, la série était sensée être un hommage aux pulps des années 30 et aux premiers super-héros de l’aube, du genre The Shadow. Un décorum rétro pour un justicier défendant héroïquement les opprimés, à la manière de Zorro ou autre Robin des bois, le tout transposé dans un cadre de récit noir, façon polar ! Mais le fait est que David Lloyd stressait à mort à l’idée de mettre en image une ville à l’architecture aussi connotée que celle de cette époque (l’art déco), suppliant son scénariste de trouver une alternative à cette option. Et c’est ainsi que V Pour Vendetta se réorienta vers le futur, dans un récit post-nucléaire se situant non pas aux Etats-Unis mais en Angleterre, permettant à David Lloyd de dessiner la ville de Londres exactement comme il l’entendait !

The Killing Joke !

The Killing Joke !
©DC Comics

Il faut se remettre dans le contexte de la genèse de la série : Entre 1982 et 1985, chaque épisode de V For Vendetta est un comic-strip de quelques pages en noir et blanc publié dans le magazine Warrior. Le rythme de publication est probablement rapide et les auteurs doivent bosser dur afin de respecter les délais. Cela ne les empêche pas d’être ambitieux mais nécessite en tout cas d’être au diapason sur le terrain de la qualité conceptuelle et artistique de leur projet.
Le magazine Warrior disparaîtra en 1985, laissant la série inachevée. Celle-ci sera rachetée par l’éditeur américain DC Comics, et Moore et Lloyd termineront ainsi leur œuvre qui sortira au final sous la bannière Vertigo, la branche adulte de DC Comics, dans la version colorisée et complétée que nous connaissons aujourd’hui.

On perçoit alors à quel point nos auteurs étaient ambitieux. Toujours dans la postface de l’intégrale, Alan Moore se souvient que David Lloyd (encore lui !) souhaitait en finir avec les procédés narratifs ampoulés du monde des comics dans leur version « old school », et ainsi se débarrasser des encarts de texte, des bulles de pensée et autres onomatopées. Toute la narration devait être réalisée par le découpage et la mise en scène séquentielle ! Moore commença par paniquer à l’idée de renoncer à toutes ces ficelles narratives, mais puisa finalement en lui-même les ressources nécessaires afin d’y parvenir, et révolutionna ainsi le monde des comics super-héroïques qui, de Swamp Thing (DC Comics) à Captain Britain (Marvel), en passant par Batman et Superman, le mena à Watchmen

Version originale : Pas de bulles de pensées. Pas d’onomatopées…

Version originale : Pas de bulles de pensées. Pas d’onomatopées…
©DC Comics

Ainsi, V Pour Vendetta finit par devenir, à l’issue d’un travail de titans, l’un des premiers grands comics de super-héros pour adultes, dans lequel l’ambition de la toile de fond côtoyait celle de la mise en forme, pour une communion ultime entre le fond et la forme…
Tous ces changements constitutionnels permirent au final la création d’un super-héros inédit et ambivalent, d’une richesse conceptuelle inouïe, à la fois bon et cruel, complètement fou mais prodigieusement intelligent et cultivé, héros et terroriste à la fois ! Et prônant une valeur par dessus tout : la liberté.
Et ainsi naquit « V », le super-héros anarchiste, le défenseur de la liberté dans un monde post-apocalyptique où l’Angleterre, l’un des seuls pays à avoir survécu au cataclysme nucléaire, a sombré dans la dictature fasciste où tout est surveillé, où les noirs, les homosexuels et autres « indésirables » ont été exterminés dans des camps de concentration. « V » sera donc le sauveur, celui qui s’attaquera au pouvoir, seul contre tous, et unique espoir de ramener la liberté dans un monde complètement sclérosé par la pire des dictatures…
Un super-héros évoquant souvent Batman (on retrouve bien les codes consacrés, avec masque, cape et gadgets divers et variés), beaucoup ceux des pulps d’antan, mais également un héros annonçant ceux du genre cyberpunk, qui culminera avec la saga Matrix au cinéma (ce n’est pas pour rien que les frères Wachowski adapteront finalement notre série !).

Dans la forme, le duo Moore/Lloyd fait des merveilles. Divisé en trois actes (trois parties principales), le récit s’articule telle une pièce de théâtre et exhale des relents shakespeariens. L’atmosphère sombre et désespérée est sublimée par un graphisme puissant et réaliste ne souffrant d’aucun défaut et sachant restituer chaque aspérité du récit, qu’elle soit matérielle, physique ou émotionnelle.
Certaines séquences, notamment lors du premier acte (le meilleur des trois, assurément), sont autant de pièces maîtresses de l’histoire du comic-book, où le découpage des planches au cordeau offre une résonance impressionnante au contenu sémantique du récit, notamment lorsque « V » déclare à la justice, personnifiée par son avatar statufié, qu’elle est désormais pervertie par la dictature, avant de la faire exploser ! Une mise en scène à la fois littéraire et iconique, portée par une verve d’une inspiration incroyable, offrant à l’ensemble une portée universelle et une classe narrative à l’épreuve du temps.

Faites péter la justice !

Faites péter la justice !
©DC Comics

Dans le fond, Alan Moore nourrit son sujet d’un nombre incalculable de détails substantiels. Le temps de quelques pages, il multiplie les références culturelles (arts plastiques, cinéma, musique…) et enrichit la personnalité de son héros par autant de constituants fondamentaux venant contrebalancer le manque de nuances imposé par son apparence monolithique de vigilante masqué (car le lecteur ne verra jamais son visage). Par une mise en scène jouant sur la mise en abîme, le scénariste et le dessinateur utilisent tout un jeu de miroirs dans lesquels le reflet des personnages finit par se confondre symboliquement avec celui du lecteur. Se faisant, les auteurs appellent ce dernier à s’identifier directement à certains protagonistes et, ainsi, le mettent en position de s’interroger sur le choix des personnages, suscitant sa participation aux enjeux philosophiques soulevés par leur histoire.
Cette richesse sous-jacente invite également chaque lecteur à pouvoir relire la série indéfiniment, avec la promesse d’y trouver à chaque fois de nouvelles pistes de réflexion et de nouvelles découvertes référentielles, entendu que la culture de chaque lecteur évoluera probablement de concert avec le temps…
Bien évidemment, à la fin, le lecteur est encouragé à mettre lui-même le masque de Guy Fawkes, et à poursuivre le combat contre la dictature…

Au delà de tous ces détails référentiels et de cette mise en scène symbolique, Alan Moore puise ses sources dans l’Histoire de l’Angleterre (comme il le fera plus tard avec From Hell) et s’imprègne du climat angoissant de l’ère Thatcher (contemporaine de la genèse de V For Vendetta) afin de développer son itération d’un régime totalitaire où le sentiment de peur ressenti par le peuple (et son désir de sécurité) est utilisé par les gens de pouvoir pour mener à l’oppression et au fascisme.
A l’arrivée, V For Vendetta devient un véritable plaidoyer contre toutes les dictatures et tous les régimes totalitaires, une ode à la liberté et un appel à l’anarchie. Ce dernier élément est sans doute le plus ambigu, puisqu’il incite à choisir, à travers cette anarchie, une solution radicale face au pouvoir et à ses méfaits. Toutefois, on notera que le personnage de « V » entrevoit la notion d’anarchie non comme un synonyme de chaos nihiliste, mais plutôt comme une alternative à la corruption exercée par le pouvoir. Son idée de l’anarchie est ainsi inféodée au respect des valeurs humaines et dictée par un code de l’honneur exigeant une haute dévotion à ces valeurs. A maintes reprises, « V » insiste pour que le commun des mortels s’éveille à deux notions majeures : Premièrement la prise en main de son propre destin (chaque personne doit se lever contre le pouvoir et se battre pour sa condition, plutôt que de se laisser dicter ses lois pour le confort d’une existence docile). Deuxièmement la préservation absolue de la culture sous toutes ses formes, sachant que cette dernière notion, qui élève notre condition, est systématiquement la première victime d’un régime totalitaire…

A l’heure où notre propre pays sent monter lentement mais sûrement un parti d’extrême droite de sinistre popularité, V Pour Vendetta apparait rétrospectivement, et plus que jamais, comme une parabole imparable sur les méfaits des régimes totalitaires et des états régnant par la force sur des promesses de sécurité et de répression…

Inouï : Un super-héros torture sa protégée… pour son bien !

Inouï : Un super-héros torture sa protégée… pour son bien !
©DC Comics

2) Le film

V Pour Vendetta, le film, est réalisé en 2006 officiellement par James McTeigue, mais en réalité écrit, produit et partiellement mis en scène par les frères Wachowski, les créateurs de la saga Matrix.

Le pitch : Dans un futur proche mais dystopique, l’Angleterre a sombré dans le fascisme et la répression. Le pays est gouverné par le Haut Chancelier Adam Sutler, dont la milice (appelée Le Doigt) pourchasse tous les « dissidents » et autres minorités tels que les musulmans et les homosexuels, qui sont envoyés dans des camps de concentration.
En cette année 2038, la veille du 5 novembre, jour historique ayant vu le révolutionnaire Guy Fawkes tenter de faire exploser le Parlement en 1605, apparait un terroriste dont le premier acte est de dynamiter la statue de la justice de l’Old Bailey…

Rien qu’en écrivant le résumé ci-dessus, je me rends compte à quel point cette adaptation cinématographique par les frères Wachowski transforme le récit d’Alan Moore & David Lloyd par le fond, non sans le simplifier à outrance. L’exercice de politique-fiction mené par le créateur de Watchmen était de haute volée mais n’appartenait qu’à lui. Et puis il était parsemé de détails embarrassants, relatifs aux drogues, notamment, et d’appels à l’anarchie ! Enfin, son contexte (les années 80 et 90) était trop ancien. Il fallait donc le réactualiser…

Le fascisme, avec la bonne couleur !

Le fascisme, avec la bonne couleur !
Source Allocine 
©Warner Bros

D’un simple point de vue formel, le film est plutôt une bonne surprise. Efficace, bien écrit, servi par des dialogues soignés, il affiche une toile de fond prêtant sans cesse à réfléchir sur les errances de nos sociétés, non sans comparer ce futur dystopique à l’actualité récente, et notamment à l’état du monde moderne post-11 Septembre 2001…
Les scènes d’action sont étonnamment rares pour un film de ce type (c’est quand même, à la base, une histoire de super-héros !), mais elles sont superbement chorégraphiées et particulièrement iconiques (on est bien chez les frères Wachowski !). Et même si ces scènes d’action sont peu nombreuses, il faut avouer que l’on ne s’ennuie pas une seconde tant le film est maitrisé dans son rythme et son découpage.
Hélas, la mise en scène de James McTeigue, anciennement premier assistant sur Matrix, atténue un peu les symboles par une réalisation froide et trop souvent désincarnée. Mais cette déconvenue est heureusement contrebalancée par la présence d’un impressionnant panel d’acteurs de premier plan, parmi lesquels Nathalie Portman dans le rôle d’Evey, John Hurt dans celui du Chancelier, Stephen Rea dans celui de l’Inspecteur Finch, et bien évidemment Hugo Weaving dans le rôle de « V », qui parvient à conférer une étonnante présence à son héros masqué par le langage du corps et une diction suave et haut-perchée particulièrement charismatique !
Il s’agit donc d’un bon moment de divertissement, avec des airs intelligents…

Avec des airs intelligents… Evidemment, cette dernière tournure laisse entendre un brin de sarcasmes dans la formule. Car c’est bien là qu’est le problème : Et si, derrière ses airs intelligents, cette critique soi-disant pénétrante sur notre monde civilisé était plutôt maladroite ? Et si cette adaptation du comic-book de Moore & Lloyd était finalement complètement à côté de la plaque ?
Remettons-nous une fois encore dans le contexte de la sortie de la série (1982 pour le premier épisode) : Nous étions alors en pleine guerre des Malouines, et dans cette atmosphère déprimante, les auteurs critiquaient dans leur sous-texte le gouvernement de l’ère Thatcher et son régime répressif. Dans un tel décor proche de l’extrême droite, l’idée de créer un justicier aspirant à faire exploser le gouvernement et le remplacer par l’anarchie tenait de la parabole activiste.
Les frères Wachowski comprennent alors que le contexte a changé, et cherchent à critiquer autre chose, en regardant là où se trouve l’actualité. C’est à priori une bonne idée. Mais… n’est pas Alan Moore qui veut…


Quelque chose de Bruce Lee ?

Et pourtant, tout légitimait les Wachowski dans la perspective de cette adaptation, depuis leurs thèmes récurrents au diapason de V For Vendetta (l’oppression du pouvoir déclinée sous toutes ses formes dans la saga Matrix), jusqu’à leur dévotion au monde des geeks, et en particulier à celui des films de karaté, des comics et de la bande dessinée en général.
Pour autant, le manque de mise en exposition du futur dystopique de leur adaptation est carrément incompréhensible, car s’ils avaient créé le monde post-apocalyptique ultime avec Matrix, voilà que celui de V For Vendetta passe tout simplement à la trappe ! On oublie ainsi la troisième guerre mondiale et la chute du monde occidental telle qu’évoquées dans le comic-book, les cataclysmes et les bouleversements climatiques ayant amené l’Angleterre a régresser à l’état de pays en crise à moitié détruit semblant sortir des années 40 ! Le Londres selon les Wachowski est tout beau, tout propre, et ses habitants lovés dans leurs beaux appartements chatoyants ne sont ainsi plus tellement crédibles lorsqu’ils décident de se rebeller contre l’état !

Ces changements de fond amènent ainsi un certain nombre de maladresses significatives :
Dans le comic-book, La toile de fond en termes de politique-fiction était tellement bien développée que le personnage de « V », même s’il était considéré comme tel, était moins un terroriste qu’un justicier à la « Robin des bois ». En revanche, le Parti fasciste dirigé par Le Destin (un puissant ordinateur programmé par le Parti afin d’exploiter le pays et d’asseoir scientifiquement son emprise sur la population, soit une idée écartée dans le scénario des frères Wachowski !) était tellement bien décrit dans ses ramifications malveillantes qu’il s’apparentait à un véritable « Terrorisme d’état » (un concept tout à fait réaliste, théorisé de manière officielle par le philosophe anglais Thomas Hobbes). Le terrorisme venait donc de l’état, et non du justicier !
Pour le coup, le film réduit considérablement toutes ces nuances et le personnage de « V » n’apparait plus que comme un véritable terroriste au sens premier du terme, imposant ses idées en détruisant les monuments historiques de son pays. Et cette simplification des enjeux politiques amène finalement ce postulat à n’être plus, en définitive, qu’une apologie de cette dernière notion : le terrorisme.

V : Homme de spectacle ? Terroriste ? Cuisinier ?

V : Homme de spectacle ? Terroriste ?
Source Allocine 
 
©Warner Bros

Certes, le parti-pris des auteurs du film était courageux car, au lendemain des attentats du 11 Septembre, il fallait avoir des cojones pour mettre en scène le premier blockbuster dont le héros serait un terroriste faisant régner la terreur pour ses propres idéaux ! Qui plus-est en faisant des musulmans (encore un élément absent du comic-book originel) l’une des cibles de ce parti fasciste moderne occidental jamais avare d’immondes amalgames ! Le tout partait indubitablement d’un bon sentiment, il va sans dire. Et c’est bien là qu’est la maladresse, car les auteurs brûlaient ainsi l’essence du récit d’Alan Moore et David Lloyd sur l’autel de la bienpensance.
C’est la mode d’aujourd’hui : Bien trop de personnes se réfugient derrière ce concept de la « bienpensance ». C’est-à-dire qu’il s’agit envers et contre tout de paraître « gentil », et ce sans chercher à prendre en considération toute la complexité du réel. Soit une forme de pensée unique, une doctrine fermée préférant le simplisme manichéen plutôt que d’oser regarder la véritable ambivalence de la nature humaine dans les yeux. Et de réfléchir !
Et V For Vendetta, le film, tombe de pleins pieds dans ces travers.

Le résultat ? Et bien il faut admettre qu’aujourd’hui, après les abominables attentats perpétués en France en 2015, cette apologie maladroite du terrorisme crée un étrange sentiment de malaise ! Tentez l’expérience, vous allez voir que ce long métrage de 2006 a un goût plutôt bizarre après Charlie Hebdo et le 13 novembre !
Dans le comic-book, l’ambivalence du justicier était tout à fait discutable (notamment dans cette longue séquence le voyant torturer sa jeune protégée Evey, afin de la libérer de la peur et de la préparer à prendre le relais face à l’insurrection), mais cet appel à l’anarchie était porté haut par la densité de la toile de fond, préférant laisser le lecteur choisir sa voie.
Le film apporte en définitive un postulat opposé, puisque la scène finale voit le peuple tout entier porter le masque de Guy Fawkes, comme s’il passait soudain d’une idéologie à une autre, sans discernement ! Alan Moore & David Lloyd étaient pour le coup beaucoup plus subtils, laissant le lecteur sur une fin plus ouverte, où chacun pouvait choisir sa propre option…

Aujourd’hui, le film a fait des émules puisque le collectif des Anonymous, mouvement hacktiviste particulièrement actif sur Internet, a repris le masque de Guy Fawkes comme un étendard de sa philosophie. Encore une fois, voilà un groupe dont le concept premier (défendre la liberté d’expression) part d’un bon sentiment. Mais les nombreuses dérives observées en son sein (souvent des adolescents qui opèrent sans discernement et pervertissent l’idée première) démontrent que la réalité est bel et bien la suivante : Il ne faut pas se réfugier aveuglément dans la bienpensance et occulter la très complexe réalité de notre monde. Ce constat était présent dans le comic-book d’Alan Moore & David Lloyd. Mais certainement pas dans son adaptation cinématographique.
Alors ? V For Vendetta : une vindicte aphone ? Certainement pas. Mais à prendre avec des pincettes, assurément !

La conclusion est sans appel : A force de vouloir trop simplifier une œuvre de référence pour les besoins de son adaptation sous d’autres mediums, on finit par la vider de sa substance, de sa richesse, allant parfois jusqu’à la contredire…
Le film des frères Wachowski pêche ainsi par simplisme et maladresse, et devient avec le temps une sorte de « bourde » (le véritable terrorisme est loin d’être aussi romanesque !), rattrapée par l’épouvantable réalité de notre monde moderne que l’on ne pourra probablement améliorer qu’avec davantage de nuances… et de finesse !
Pas étonnant avec le recul, qu’Alan Moore en personne ait jugé le script du film complètement inepte, se détournant ainsi de toute adaptation de ses œuvres…


Le monde est V !

38 comments

  • Lone Sloane  

    Une chronique homérique dont tel Ulysse, nous sortons plus rusé.
    Je me rends compte que je n’ai gardé aucun souvenir du film, aucune empreinte visuelle, aucune texture alors que le comics de Moore et Lloyd, au-delà de son aspect pamphlétaire dont toi et Cyrille avait si bien parlé, est vraiment caractéristique par la noirceur et le grain « charbonneux » de son dessinateur.

  • Tornado  

    Merci a tous pour les retours. Je suis étonné qu’il n’y ait pas eu davantage de défenseurs du film car il est en général très estimé et, moi-même, je le trouvais super avant de le revoir à l’occasion d’écrire l’article…

  • Jyrille  

    Finalement j’ai enfin revu le film hier soir avec Maël (qui ne l’avait jamais vu) et j’ai donc relu ton article Tornado (il est toujours super). Et bien je ne sais pas si c’est parce que je connais bien la bd, mais je n’ai pas ressenti la sensation de malaise que tu dépeints.

    Alors oui c’est propret, on est loin d’un monde manquant de tout, on se croirait dans une ville des années 2010 mais pourtant la dictature est là : camps de concentration, flics violeurs, surveillance incessante, les détails ne manquent pas. Evey est étonnée de la qualité de la nourriture de V, qui la vole directement chez le chancelier. La partie Valérie explique bien clairement que nous sommes face à une purge ethnique et culturelle.

    J’ai aussi apprécié les différences avec le script original : le personnage de Gordon qui remplace l’amant de Evey et insiste sur le mauvais traitement des musulmans et des gays. Tout comme l’idée d’un coup d’état par V pour tuer le chancelier.

    Gageons qu’il aurait fallu une mini série télé pour ainsi transcrire la bd plus littéralement : la première planche prend au bas mot deux minutes de film. C’est donc une adaptation toujours réussie pour moi, fidèle, mais qui a quelques défauts que je ne jugerais pas rédhibitoires ni même qui inversent le message premier.

    Par contre, l’allusion au comte de Monte Cristo insiste un peu trop sur la vengeance de V, qui pourrait finalement n’être appréhendé que de ce point de vue. Et il est vrai que le peuple de Londres n’a pas assez de scènes pour bien exprimer sa soudaine volonté finale.

  • Tornado  

    Je suis bien obligé d’insister car je continue d’y voir une apologie maladroite du terrorisme (je l’ai revu deux fois pour être sûr). Après, çe reste un point de vue personnel.
    Le passage où Gordon insiste sur le mauvais traitement des musulmans et des gays m’a fortement déplu justement à cause de la bienpensance sous-jacente qu’il assène à coup de massue. Une manière de paraitre gentil alors que la réalité est beaucoup plus complexe que ce postulat manicchéen.
    J’aurais préféré une critique plus subtile, où ce ne sont pas telles ou telles communautés qui sont des victimes ou des bourreaux, mais plutôt tel ou tel être humain…

    • Jyrille  

      Tout ceci est peut-être maladroit mais j’y vois les bonnes intentions avant la leçon de morale bien-pensante. C’est sans doute une question de ressenti personnel plus que de point de vue.

  • Jyrille  

    Vu les évènements de la nuit j’ai trouvé le vrai point faible du film, ce qui me fait dire que je suis d’accord avec toi sur un vrai problème de message : toute l’histoire avec l’empoisonnement par l’eau est tirée par les cheveux et inverse l’historique de la montée au pouvoir d’un gouvernement fasciste. Cela est nettement moins acceptable ou logique par rapport à un monde presque post-apocalyptique.

    • Tornado  

      C’est vrai.
      Pour en revenir à l’apologie du terrorisme, je trouve par exemple David Fincher beaucoup plus fin dans Fight Club : Là où Tyler Durden voit une manière de faire le bien dans l’acte terroriste, le personnage de Norton est horrifié par les dommages collatéraux.
      Le spectateur peut alors se faire sa propre opinion, sans être pris pour un neuneu comme dans le film des Wachowski, tout en percevant bien les limites de l’acte terroriste.
      En revoyant Fight Club ces jours-ci, j’ai été soufflé par la fin : Deux ans avant les événements du 11 Septembre, Tyler Durden parle de « Ground zéro » à la toute fin, juste avant que Norton et Bonham-Carter se tiennent la main face à deux tours jumelles qui s’écroulent !
      Fincher avait un sacré coup d’avance là où les Wachowsky en avaient un paquet en retard (avis personnel).

      • Jyrille  

        Je l’ai aussi revu récemment et je ne peux qu’être d’accord.

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