Encyclopegeek : Bruce Lee
AUTEUR : JP NGUYEN
1ère publication le 31/08/15- MAJ le 06/07/19
Le croiriez-vous ? Malgré le nom choisi pour le blog, Mister Bruce T. n’a jamais vu un film de Bruce L. Le boss ne connaît pas Big Boss ! (véridique ! Ndlr).
Du coup, je me suis proposé pour vous parler de Bruce Lee. Acteur, artiste martial, philosophe, icône du cinéma d’action, il nous a quittés en 1973 mais on retrouve encore son héritage dans moult œuvres contemporaines. Retour sur le parcours d’un homme dont les poings, en plus de fracasser des briques, eurent un grand impact sur la culture geek.
Sous le signe du Dragon
Né à San Francisco en 1940 (année du Dragon !), de parents chinois, le petit Bruce grandit à Hong Kong. Son père est comédien à l’opéra de Canton et le fiston fera quelques apparitions dans des films chinois. A l’adolescence, il étudie le Tai Chi Chuan puis le Wing Chun, dans l’école du grand maître Yip Man. Dans la même période, il s’essaye aussi à la danse et remporte même un concours de cha-cha en 1958.
Un peu trop souvent impliqué dans des combats de rue, il est envoyé aux Etats-Unis pour finir ses études et valider sa nationalité américaine. Il y rencontrera sa femme, Linda Emery, et fondera une école d’arts martiaux, ouverte même aux occidentaux, ce qui lui vaudra le ressentiment d’une partie de la communauté chinoise, peu favorable au métissage des cultures. En 1964, effectuant une démonstration au tournoi international de karaté de Long Beach, il est filmé et repéré par un producteur de télévision.
Sidekick with a High Kick
Au-delà du calembour qui baptise ce blog, qu’est-ce qui peut justifier un article sur cette légende des arts martiaux ? En fait, il n’y a pas à chercher bien loin pour trouver un rapport entre Bruce et le monde des super-héros… Lee débuta sa carrière à la télévision américaine dans Le Frelon Vert. Il y incarnait Kato, le sidekick du Green Hornet ! Et il y eut même un crossover avec la série Batman d’Adam West ! La série ne dura qu’une saison, de 1966 à 1967, mais contribua à installer la notoriété de l’acteur, qui fit forte impression sur les scènes d’action. En Asie, le show fut même rebaptisé « The Kato Show » et rencontra un grand succès populaire.
Mais aux Etats-Unis, ce pays où tout était possible mais surtout/seulement si on était blanc, l’acteur d’ascendance chinoise se vit cantonné (sic) aux seconds rôles. Pire, Bruce Lee fut écarté de la série The Warrior, dont il avait écrit le synopsis, qui fut rebaptisée Kung Fu, avec un héros incarné par David Carradine, acteur totalement novice en arts martiaux !
Dépité par la tournure des évènements et conscient de la frilosité des producteurs, Bruce Lee se recentre sur les arts martiaux, qu’il enseignait déjà à des stars de cinéma comme James Coburn ou Steve McQueen. Cherchant à dépasser les techniques traditionnelles, il jeta les bases d’un nouvel art martial : le Jeet Kune Do, qui se caractérisait par une approche très pragmatique et empruntait à d’autres arts martiaux (Hapkido, boxe anglaise, escrime).
Un début de célébrité Kato-dique
1971-1973 : une carrière météoritique
C’est à Hong Kong que la carrière de Lee va redécoller, grâce à sa collaboration avec le producteur Raymond Chow. En trois ans seulement, Bruce Lee va tourner cinq films qui marqueront l’histoire du cinéma d’arts martiaux.
Dans Big Boss, il incarne Cheng, un émigré chinois en Thaïlande, travaillant dans une fabrique de glace qui sert de façade à des trafiquants de drogue. Ayant promis à sa défunte mère de renoncer à se battre, le héros sera forcé de renier son serment. Un temps corrompu par l’alcool et les prostituées, Cheng se resaisit suite à l’assassinat de sa maîtresse et de ses cousins, pour une série de combats culminant lors du duel avec le « Big Boss » de l’usine, grand organisateur du trafic. C’est le premier rôle le plus humain pour Bruce Lee, avec un héros tiraillé par sa promesse et faillible. Ses personnages suivants seront dans une veine plus archétypale. Le film bat le record du box-office hongkongais et fait accéder Bruce au rang de superstar.
Dans La Fureur de vaincre (Fist of Fury), il devient Chen Zhen, un élève d’une école de kung fu de Shangai du début du 20ème siècle, cherchant à venger la mort de son maître, sans doute assassiné par l’occupant japonais. Film aux relents nationalistes, il aura droit à un remake en 1994, avec un premier rôle tenu par Jet Li. C’est le premier film où Lee utilise un nunchaku, arme qui deviendra emblématique et réapparaîtra dans tous les films suivants… Personnage moins nuancé que le Cheng de Big Boss, Chen Zhen connaîtra toutefois une fin tragique, chargeant désespérément face à une rangée de fusil. Ainsi malgré sa maîtrise des arts martiaux, il meurt fauché par les balles, comme un symbole de l’impuissance du héros romantique face au système. Le film battra le record d’entrées établi par son prédécesseur…
La Fureur du dragon (Way of the Dragon) nous emmène à Rome, où Bruce Lee (scénariste, producteur et réalisateur!) incarne Tang Lung, envoyé par sa famille pour défendre les propriétaires d’un restaurant chinois contre des racketteurs. Surclassés, ces derniers feront appel au redoutable Colt, joué par Chuck Norris, ce qui mènera à un ultime duel épique dans l’enceinte du Colysée. Norris n’était pas encore auréolé de l’aura de « dur-à-cuire ultime » qu’il acquerra (un peu par dérision) à partir des années 90. Mais il possédait déjà de multiples titres de champion de karaté. Le fait que ce champion américain se voit attribuer le mauvais rôle et se fasse corriger par Lee le chinois était en soi un événement et comme un pied de nez adressé par l’homme de Hong Kong au pays qui n’avait pas voulu croire en lui.
Malgré son triomphe dans l’arène, le héros garde un côté tragique, car il refuse l’histoire d’amour s’offrant à lui et repart pour une vie de combats, pleine de bruits et de fureur.
Avec Opération Dragon (Enter the Dragon), Bruce part en mission d’infiltration dans une île où le malfaisant Han, trafiquant d’opium et de femmes, organise un tournoi d’arts martiaux. Notre héros, Lee (quelle recherche dans le prénom !) désire venger sa sœur, Su Lin qui aurait été victime des agissements de Han. Lee s’associe avec Roper et Williams, deux fugitifs américains reconvertis en mercenaires, respectivement incarnés par John Saxon et Jim Kelly. Ce dernier fut le premier artiste martial noir au cinéma et allait devenir une icône de la blaxploitation.
Bénéficiant d’une BO signée Lalo Schifrin, magnifiant le suspense et les scènes d’action, le film est connu pour son duel final d’anthologie, dans une salle remplie de miroirs, opposant le petit dragon au maléfique Han, arborant une prothèse à la main gauche, hérissée de griffes de métal ! Cette coproduction américano-hongkongaise aux accents jamesbondien fera accéder Bruce Lee à une renommée internationale posthume, l’acteur décédant quelques jours avant la sortie du film (dans des circonstances assez troubles, en compagnie de sa maîtresse…).
Mais alors, quid du « Jeu de la mort » (Game of Death) ? Lee n’ayant tourné qu’une trentaine de minutes de ce film avant de s’interrompre pour aller travailler sur « Opération Dragon », les producteurs procédèrent à un rapiéçage de bric et de broc, en réutilisant des scènes d’autres films ou en engageant des doublures, pour en sortir un ersatz en 1978. Malgré tout, ce film reste marquant pour son duel opposant le petit dragon au géant noir Kareem Abdul-Jabbar (qui fut un élève de Bruce).
Bruce contre Chuck Norris, et Kareem Abdul Jabbar : des duels de cinéma entrés dans la légende
Un combattant qui crevait l’écran
Ce qui distinguait ces films de la production hongkongaise de l’époque, c’est évidemment la chorégraphie vivante et dynamique des combats, d’une grande intensité. Mais les scénarios, certes basiques, ont aussi contribué à la formation du mythe du petit dragon. Luttant contre les patrons voyous, l’envahisseur japonais, les racketteurs ou les barons de la drogue, Bruce Lee prenait toujours la défense de l’opprimé. Il incarnait la figure du justicier, redresseur de torts, triomphant d’ennemis pourtant souvent supérieurs en nombre. Un quasi super-héros.
Pour les asiatiques, c’était une revanche prise sur des années de caricature raciste du cinéma Hollywoodien, où les orientaux étaient relégués aux rôles comiques et de surcroît joués par des acteurs blancs grimés. Pour les noirs américains, c’était un symbole de la résistance face à la domination blanche. Pour le geek, c’était le fantasme du petit gars discret et humble mais capable de rabattre son caquet au grand baraqué de service si on le cherchait trop. Sa vitesse d’exécution phénoménale et la puissance dégagée par ses coups lui donnaient une présence phénoménale sur grand écran, accentuée par une attitude « bad-ass », de combattant jamais intimidé et tournant parfois ses adversaires en dérision…

De 1974 à 1977, Bruce eut régulièrement sa place en couverture des 33 numéros de Deadly Hands of Kung Fu
La vie après la mort : la Bruceploitation
Le charcutage du « Jeu de la mort » ne fut pas la dernière manœuvre des producteurs de cinéma pour capitaliser sur l’aura de Bruce Lee. Il y eut tout un tas de films où des clones du petit dragon venaient tataner les méchants. Réalisés avec peu de moyens, avec des acteurs aux pseudos fleurant bon la contrefaçon (Bruce Le, Bruce Lai, Bruce Li, Bruce Liang…) et des scénarios indigents, ces œuvres sont surtout connues des amateurs de nanars. La palme revient sans doute à The Clones of Bruce Lee où pas moins de 3 sosies se partagent l’affiche !
Mais le cinéma-bis n’est pas le seul à avoir cherché à faire du cash avec le fondateur du Jeet Kune Do. Chez Marvel Comics, le personnage de Shang Chi, le maître du Kung Fu, fit son apparition en décembre 1973. Si la série s’inspire des romans de Sax Rohmer pour son vilain, le Docteur Fu Manchu, il est indéniable que son héros doit une bonne part de son look à Bruce Lee. D’ailleurs, le personnage secondaire de Clive Reston fut également influencé par celui de Roper, un des alliés de Bruce dans le film Opération Dragon…

Par l’intermédiaire de Shang Chi, le fan peut fantasmer des rencontres du petit dragon avec le Marvel Universe…
Marvel publia aussi une biographie dessinée du défunt en 1976, dans le numéro 28 de « Deadly Hands of Kung Fu », un magazine surfant clairement sur l’engouement pour les arts martiaux que l’acteur avait suscité. Nombre de couvertures mentionnent son nom et mettent en scène Bruce Lee lui-même ou un personnage lui ressemblant. A l’intérieur de la revue, on retrouvait des aventures en noir et blanc de Shang-Chi, des Sons of the Tiger, de Iron Fist et consorts entrecoupées d’articles/interviews avec des réalisateurs/acteurs du cinéma d’arts martiaux.
Dans les années 70, Bruce Lee aurait aussi pu apparaître dans les pages de comics sous le trait de Jack Kirby, mais ce dernier vit son projet refusé. Il recyclera ses esquisses pour le personnage de Gin Seng (sic) dans sa dernière série, Phantom Force, publiée en 1993.
Hommages collatéraux
Dans les jeux videos de Beat Them Up, il y a très fréquemment un personnage rendant hommage à l’acteur décédé, de Fei Long dans Street Fighter à Marshall Law dans Tekken en passant par Liu Kang dans Mortal Kombat…
Chacun de ses ersatz met en évidence le charisme énorme de la star des arts martiaux. La confiance et la détermination qu’il affichait à l’écran, associés à son sens de la mise en scène des combats ont laissé une image très forte dans l’esprit de plusieurs générations de spectateurs.
La tenue de moto jaune rayée de noir qu’il portait dans « Le jeu de la Mort » est passée à la postérité, récupérée par Uma Thurman dans Kill Bill ou déclinée dans d’autres teintes par le dessinateur David Aja pour l’apparition de Shang Chi dans un épisode de Secret Avengers en 2012. On la voit aussi dans « La Tour Montparnasse Infernale » (hum, je n’ai pas dit que tous les hommages étaient des réussites…)
La gestuelle de Bruce Lee a également été copiée/pastichée bon nombre de fois, dans les films d’arts martiaux, évidemment, mais aussi en dehors du genre comme par exemple pour la scène du Dojo entre Neo et Morpheus, dans le premier film de la trilogie Matrix.
Dans les mangas, Kenshiro (Ken le survivant), héritier du Hokuto, possède une filiation certaine avec Bruce Lee, que ce soit par les cris stridents accompagnant les coups qu’il décoche, sa façon de passer son pouce sur le coin des lèvres avant de se mettre en garde ou encore sa technique lui permettant d’assimiler celles de ses adversaires. Du reste, lorsque ses frères Raoh et Toki s’affrontent, ils sont respectivement comparés à un torrent furieux et à l’eau calme. Cette image évoque pour moi la déclaration de Bruce Lee sur la nécessité d’être informe comme l’eau, qui peut couler ou écraser. Cette citation fut également recasée dans la série animée Cowboy Bebop.
Enfin, le cinéma ne s’est pas privé pour pondre des biographies sur cet artiste martial hors du commun, les deux plus connues étant Dragon : l’histoire de Bruce Lee (sorti en 1993 avec Jason Scott Lee dans le rôle titre) et Bruce Lee : naissance d’une légende (qui s’intéresse à la jeunesse de Lee, avant son voyage aux Etats-Unis). Ces biopics sont d’un intérêt très relatif, lorgnant souvent vers l’hagiographie pour le premier et souffrant de problèmes de rythme pour le second. Ils peignent un portrait à la fois trop lisse et fantasmé d’un homme dont la vie n’avait pourtant pas besoin d’être romancée pour être portée à l’écran. Même en restant fidèle à la vérité historique, le destin de Bruce Lee reste « larger than life ».
https://www.youtube.com/watch?v=p_Z40ipylhg
Un jeet kune do et un hokuto shinken parfois très similaire
Lee-gacy : héritage cinématographique…
Bruce Lee a ouvert une nouvelle voie dans le cinéma d’arts martiaux, chemin ensuite suivi par les Jackie Chan, Jet Li mais aussi Chuck Norris, Jean-Claude Van Damme et autres Steven Seagal. Certains lui reprochent d’ailleurs son approche esthétisante de la violence et d’avoir attiré dans les dojos des ados querelleurs avides d’acquérir les techniques martiales pour aller casser la gueule à leur voisin. C’est oublier que les films de Bruce Lee comportent presque tous une critique de la violence et que l’homme lui-même a connu un parcours l’éloignant des combats de rue pour la violence simulée et maîtrisée des plateaux de tournage.
Première superstar mondiale d’origine asiatique, il fut un symbole et une inspiration pour nombres de jeunes têtes brunes (y compris votre serviteur) dans un cinéma longtemps dominé par la figure impérialiste du héros blanc (une tare qui n’a malheureusement pas disparu, le White Washing est toujours de mise à Hollywood, par exemple, pour le rôle du Mandarin dans Iron Man III, joué par le très chinois… Ben Kingsley !?).
Le fils de Bruce Lee, Brandon, fera aussi carrière dans le cinéma d’action mais celle-ci sera encore plus courte que celle de son père : il décède sur le tournage de The Crow (un film inspiré du comic-book de James O’Barr) en 1993, à l’âge de 28 ans, suite à un tir accidentel d’arme à feu (le revolver utilisé avait été mal vérifié).
… et héritage philosophique
Art martial créé par Bruce Lee, le Jeet Kune Do est encore enseigné de nos jours. L’approche pragmatique et personnalisée prônée par son fondateur « On absorbe ce qui nous est utile, on rejette ce qui ne l’est pas et on ajoute ce qui nous appartient » séduit encore bon nombre de pratiquants.
Les livres de philosophie qu’il a écrits, même s’ils ne contiennent pas de pensées révolutionnaires, laissent entrevoir un homme éclairé, aussi soucieux d’aiguiser son esprit que d’affûter son corps. Certains de ses aphorismes (plus intelligibles que ceux de Van Damme) m’évoquent le Zarathoustra de Nietzsche : « Ne priez pas pour une vie facile, priez pour avoir la force d’en supporter une difficile. » tandis que d’autres montrent un certain sens de l’humour : » J’ai une maîtrise de philosophie. Je peux donc facilement comprendre pourquoi je ne trouve pas de travail ».
Si « La voie de l’immortalité est déjà d’avoir une vie digne de s’en souvenir. », alors Bruce Lee est immortel. A tout le moins, une part de lui continue à vivre dans le cœur et la tête de milliers de gens, qui ont vu ses films et ont été inspirés par ses duels légendaires, y puisant la motivation nécessaire pour mener leur propre combat ordinaire.
Plus modestement, au niveau du blog, nous continuerons à cultiver un certain éclectisme que ne renierait pas le petit dragon, puisant dans tous les media (comics, manga, bd, ciné, série) et les genres (super-héros, SF, héroic fantasy, polar, steampunk, western, humour, chroniques sociales) pour vous offrir des chroniques éclairant tous les territoires de l’imaginaire (bien dit JP! Ndlr).

Un combattant philosophe passé à la postérité Source Wikipedia