Bullshit Detector : Daredevil COLD DAY IN HELL
Une dissection par DOOP parsemée de divagations de JP NGUYEN
Un dessin qui déchire ©Marvel Comics
Dans un futur alternatif, un vieux super-héros sort de sa retraite pour un dernier tour de manège. Red Devil Returns ? Old Man Murdock ? DD : Twilight ? Non : DAREDEVIL COLD DAY IN HELL.
Charles Soule et Steve McNiven posent à nouveau leur regard sur Matt Murdock dans ENFER GLACÉ, une mini-série en 3 parties dont les premières previews avaient fait grand bruit, tellement on sentait une volonté d’aller chasser sur les terres de Frank Miller. Malheureusement, l’attente est à la hauteur de la déception. Si McNiven arrive à nous éblouir graphiquement, Soule, sans grande surprise, n’arrive pas à faire décoller un récit qui se contente de naviguer en pilote automatique, sans jamais proposer quelque chose d’original.
Il se passe quoi dans DAREDEVIL ENFER GLACÉ ?
On pensait que Charles Soule, après un run assez moyen sur Daredevil, avait abandonné toute idée de faire quelque chose de nouveau avec le personnage. Et pourtant le voici une décennie plus tard à nouveau sous le feu des projecteurs, avec un projet dont les premières planches ont ravivé l’intérêt de tous les amateurs des aventures du diable rouge : DAREDEVIL ENFER GLACE. DAREDEVIL ENFER GLACÉ se veut être le dernier baroud d’honneur de Matt Murdock, dans un futur apocalyptique ressemblant à celui du DARK KNIGHT RETURNS de Frank Miller. La volonté de filiation est évidente. Après avoir abandonné le combat et être devenu un vieillard, Matt Murdock se voit contraint de reprendre le costume de Daredevil pour empêcher plusieurs bombes sales de transformer les habitants de Hell’s Kitchen en monstres. Vieux, usé et fatigué, notre héros va se retrouver ainsi confronté à d’anciens camarades de jeu habituels, comme ELEKTRA, CAPTAIN AMERICA ou le PUNISHER.
JP se souvient de l’annonce de cette mini-série. McNiven ? Why not ? Avec un style lorgnant vers l’hommage à Miller période ELEKTRA LIVES AGAIN ? Yeah ! Scénarisé par… Charles Soule ? Euh… Comment dire… Jadis, JP avait été un lecteur vouant au Diable Rouge un amour aveugle : Charles Soule lui avait rendu la vue. Mais il parait que ce récit a été concocté selon la méthode Marvel, avec une plus grande latitude laissée au dessinateur pour concevoir le récit en images avant que le scénariste ne vienne y apposer ses mots. Le résultat en serait-il moins saoulant, malgré un titre glacé qui sentait le réchauffé ?

Dans son pardessus râpé, il s’en allait dans l’hiver, le DD… ©Marvel Comics
Un scénario qui sent le rance (un peu comme Matt Murdock).
Plutôt que d’essayer de proposer quelque chose qui approfondisse le personnage, Charles Soule se contente d’une histoire sans aucune ramification. Certes, on fait appel au passé du personnage, les bombes étant constituées du même matériau qui a donné ses pouvoirs à Matt à l’origine, mais cela ne fait pas vraiment de sens. Parce que l’on peut penser qu’en plus de 50 ans, la science a fait progresser les choses, et que ladite substance radioactive n’est plus utilisée. De fait, Soule rattache son histoire au passé de Daredevil d’une manière très superficielle. De la même manière, il nous propose un monde qui sort vraisemblablement d’une guerre, on a une faction qui sert d’antagoniste mais on ne sait pas qui est aux commandes (le gouvernement, un groupe paramilitaire ?). Soule et McNiven nous proposent un univers mais ne le développent absolument pas, ce qui rend l’impression de vide encore plus présente. Personnellement, je n’ai pas compris qui sont ces fameux débés dont les personnages parlent à longueur de récit. On ne connaît pas l’histoire qui a amené à cette situation, les fondements de cette Amérique en guerre, et Soule ne nous donne aucune clef. Cela n’a donc pas de sens.
JP reconnaissait qu’il n’était pas aisé de planter efficacement le décor d’un futur alternatif. Alan Davis l’avait pourtant fait dans FANTASTIC FOUR : THE END. Mark Millar s’était acquitté de la tâche dans OLD MAN LOGAN. Mais ces séries bénéficiaient de plus de numéros, ça doit être ça, non ? Ou pas, puisque Claremont et Byrne avaient assuré le job en quelques pages dans DAYS OF FUTURE PAST. Aux auteurs inspirés, le futur ne tient pas au décompte paginé.

Dieu a un plan ne mais il l’a pas communiqué aux auteurs…©Marvel Comics
Des passages obligés
Si le début est plutôt intéressant, puisque au moins Charles Soule nous évite la confrontation Matt/Wilson Fisk, il ne peut s’empêcher de ramener des personnages secondaires emblématiques qui gravitent depuis des années autour du personnage. Mais encore une fois, il n’explique ni leur présence, ni leurs intentions. Elektra vient donner un coup de main… parce qu’elle voit Matt déambuler dans le ciel. Et elle disparait aussi sec. Ça permet juste à McNiven de pomper le style de Miller dans ELEKTRA RENAIT À LA VIE mais en termes d’avancée dans le scénario, cela n’a aucun intérêt. Elle sauve certes Matt de la mort, mais sans autre raison que parce qu’elle était dans le coin à ce moment-là. On ne sait pas non plus pourquoi le PUNISHER est retenu prisonnier par le TIREUR et ce qui a conduit à ses mutilations. CAPTAIN AMERICA vient faire un tour et disparaît. C’est lui qui lance l’histoire. Alors j’entends bien qu’il y a quand-même un lien entre les deux personnages (notamment sous Miller dans BORN AGAIN ou bien dans un épisode inédit en France de Ann Nocenti) mais pourquoi ne pas avoir choisi Spider-Man ? Qui a une histoire beaucoup plus fournie avec Daredevil. Parce que l’armée est peut-être dans le coup ? On n’en saura rien. De fait, la présence de tous ces personnages ne sert encore une fois qu’à rattacher l’histoire à un passé, mais sans que les liens soient forcément associés à ce qu’il se passe. Une sorte de fan service en fait.
Comparons quelques scènes d’ENFER GLACÉ avec d’autres récits de DD :
Par un temps neigeux, Matt Murdock vient se recueillir devant la tombe de… Elektra ou Wilson Fisk ?
En position de faiblesse face à un truand, Matt Murdock fait face et se prend un coup de couteau ou bien lui donne-t-il tout l’ argent qui a sur lui ?
Votre Daredevil, vous le préférez vaillant face à cinquante yakuzas dopés aux hormones ou bien galérant face à une dizaine d’hommes de main de Bullseye ?
Si vous optez pour la deuxième réponse à chaque question, vous êtes au diapason de cette saga de seconde zone qu’est ENFER GLACÉ, qui pourrait revendiquer une continuité avec le DD de NETFLIX, pas forcément bon à rien mais quand même un peu mauvais en tout, et bercé trop près du bénitier, invoquant la volonté de Dieu à longueur de temps.

Elektra kills again ©Marvel Comics
En pilote automatique
Le scénario avance comme il doit avancer, sans se préoccuper d’une moindre cohérence. De fait, il ne ressasse que des lieux communs et l’on n’apprend rien sur Matt Murdock. Pourquoi il a abandonné ? On ne sait pas, tout du moins pas clairement. Qu’est-il devenu durant tout ce temps ? Pareil. Matt Murdock n’existe pas dans ce récit. Dans DARK KNIGHT RETURNS, puisque c’est quand même LA référence voulue par les auteurs, Miller se servait de la vieillesse de son personnage pour faire ressortir ses fragilités psychologiques et pour tirer le récit vers le haut, proposant une exploration fine de la dualité de son héros. Dualité qui existe en plus chez le personnage de Daredevil. Il n’y avait qu’à se baisser pour ramasser tout ce qui a été entrepris par les différents scénaristes pour faire évoluer Matt Murdock. Là il ne se passe rien. Matt réagit, ne progresse pas et la page de fin ne suffit pas à rendre le tout crédible. Les raisons du tireur pour faire exploser Manhattan sont bien fades (il trouve le monde gris) et en aucun cas on a l’impression de lire une histoire qui sort de l’ordinaire.
Si les voies du Seigneur sont impénétrables, la voix donnée à DD par le scénariste est des plus fluettes, ce qui tint JP à distance de cet homme sans peur qu’il ne reconnaissait pas vraiment. Le dénouement de l’intrigue ne lui procura aucune satisfaction, même si sur l’échelle ouverte du foutage de gueule scénaristique, ce récit n’atteignait pas le niveau du MAPONE de DAREDEVIL : END OF DAYS ni l’indigence azuréenne du run de Saladin Ahmed. Niveau arnaque, ces dernières années, être lecteur de Daredevil, c’est avoir les voies pénétrables.

Bullseye a choppé l’adresse du dermato de Deadpool ©Marvel Comics
Heureusement les dessins
Même si je ne pensais pas dire ça un jour, les dessins de Steve McNiven sauvent l’ensemble et permettent d’effacer un peu non pas l’incohérence, parce que cela tient la route, mais la platitude du scénario. En effet, je n’ai jamais eu de réelle appétence pour ses dessins, que j’ai toujours trouvé corrects mais sans plus. Là je dois reconnaître que McNiven a su faire largement évoluer son style pour proposer quelque chose qui puisse se rapprocher du trait de Frank Miller. Et même si parfois on a vraiment l’impression de voir une photocopie des dessins de ELEKTRA RENAIT À LA VIE (c’est surtout frappant lorsqu’il croque Elektra), le dessinateur arrive quand-même à proposer, via son hommage à Miller, un style personnel et qui lui est propre. En fait, le style de McNiven évolue au fil des pages. On passe d’un pur plagiat de Miller, que ce soit dans les postures, dans les abondances de traits sur les visages, à un mélange hybride, mais qui fonctionne. Et surtout, c’est très lisible. La narration dans l’action est extrêmement fluide et très agréable à lire. C’est aussi lui qui met en couleurs le premier épisode, qui est le plus réussi (Dean White prend le relais à partir du deuxième numéro et c’est un peu plus lisse).
Pour conclure, DAREDEVIL ENFER GLACÉ se veut un vibrant hommage au Daredevil de Frank Miller. Et si au niveau du graphisme le pari est réussi (McNiven arrive à rendre un véritable hommage en réalisant une synthèse entre son style et celui de Miller sans singer ce dernier), on ne pourra pas en dire autant de l’histoire, très morne et sans réelle aspérité.
Lecteur de comics revendiqué, JP ne lisait toutefois pas ces récits illustrés que pour regarder de jolies images. Telle une église désaffectée aux beaux vitraux, ENFER GLACÉ lui semblait sonner trop creux. En tant que testament du Diable Rouge, cette histoire ne saurait contenter tous ses fidèles. Frappant par son côté iconique, son écriture lui fait (largement) manquer le statut d’œuvre-culte.

Méthode Coué ou Méthode Marvel : aucune n’est infaillible ©Marvel Comics
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La BO du jour :
Les paroles n’ont aucun sens, mais au moins c’est assumé.

Merci pour la lecture à 4 yeux !
Pff, la flemme des Old Man The End 20 ans après… Des succédanés de DKR avec de moins en moins d’imagination. À la description, j’ai même plus l’impression que ce DD tente d’émuler Spider-Man: Reign, ce qui en ferait une copie d’une copie.
Bonjour.
Merci pour ce retour qui confirme ce que je pense depuis un moment.
A la lecture de l’enthousiasme lu ici et là sur ce récit, je me suis demandé à qui il s’adressait. La réponse est évidente : pas à nous, pas à ceux qui ont grandi avec le DD de Miller.
J’ai personnellement arrêté de lire DD, justement à partir de Soule. Niveau narration et développement des personnages cela ne me correspondait pas. Mais je sais qu’en fait je suis un cas assez isolé. Il y a toute une génération , la génération Netflix-Urban-MCU qui ont en fait leur référence.
Graphiquement cela donne envie ? Oui mais pourquoi lire une copie de Miller alors que l’on peut lire l’original (largement disponible). C’est beau mais finalement trop dans l’hommage sauf pour ceux qui n’ont ou ne liront jamais Miller. On en revient donc à la question du début : à qui s’adresse ce comics ?