La Commedia de Pulcinella (Le Retour à la terre)

Le retour à la terre par Manu Larcenet et Jean-Yves Ferri

1ère publication le 11/06/15-MAJ le 07/04/19

La couverture du premier tome, désormais difficilement trouvabl

La couverture du premier tome, désormais difficilement trouvable ©Dargaud

AUTEUR : CYRILLE M

VF : Dargaud /Poisson Pilote

Le retour à la terre est une série en cours en six tomes de Manu Larcenet, Jean-Yves Ferri et Brigitte Findakly. Elle est éditée chez Dargaud dans la collection Poisson Pilote.

A la fin des années 90, les auteurs prometteurs tels qu’issus de Fluide Glacial ou de l’Association sont approchés par les grands éditeurs. Dargaud lance la collection Poisson Pilote, qui porte ainsi bien son nom, puisque commencé au tout début de l’an 2000, elle ne propose que des auteurs de cette génération.

Manu Larcenet fait partie de la bande de Fluide Glacial, à l’époque entièrement en noir et blanc pour les pages intérieures, avec d’autres auteurs désormais de renom tels que Blutch ou Etienne Lecroart.

Dans sa série Blotch, Blutch transpose le journal à la belle époque et met en scène des alter-ego de ses collègues. Larcenet devient ainsi Larssinet, Gaudelette devient Gouttelette, et le journal se transforme en recueil de dessins humoristiques avec un simple récitatif, version Almanach Vermot.

Une première page toujours dans le style des livres pour enfants, où certains mots sont remplacés par des illustration

Une première page toujours dans le style des livres pour enfants, où certains mots sont remplacés par des illustrations ©Dargaud

Larcenet a toujours dessiné et écrit selon ses deux visages : l’un est enjoué, drôle, caustique, fan de punk et d’absurde, comme dans Bill Baroud. L’autre est angoissé, rempli de doutes et de troubles psychosomatiques ou réels. Dans sa collection On verra bien éditée aux Rêveurs de runes, il publie des histoires personnelles et très sombres sur son service militaire ou son statut d’auteur. Quittant la vie de banlieue qui sied à sa culture de la rue pour la campagne, cherchant sans doute un peu de calme, Larcenet voit son ami Jean-Yves Ferri lui proposer une méta-série mettant en scène son alter-ego Manu Larssinet dans cette nouvelle vie. C’est le Retour à la terre.

En cinq tomes, Manu Larssinet dompte donc le retour à la vie à la campagne, et devient un homme et père accompli. Les titres des tomes ne trompent pas : La vraie vie, Les projets, Le vaste monde, Le déluge, Les révolutions. Chacun apporte son lot de tracas quotidiens, des premiers problèmes de connexion internet aux manques de la vie citadine, de la nature indomptable aux joies du potager.

Le classique décalage de langage

Le classique décalage de langage ©Dargaud

En choisissant la format en demies-planches, Ferri remet au goût du jour les gags de Gaston, maniant un humour de situation proche des sitcoms américaines, où un seul regard peut faire office de blague. Il garde également un scénario en filigrane, où chaque album trouve une conclusion et se concentre sur quelques péripéties déclinées sur plusieurs gags : l’abattage de châtaigner, le dessin pour l’affiche de la fête du cochon, la convention de bd, le week-end du frère citadin…

Cela génère une galerie de personnages touchants et tous attachants, du maire magouilleur à la vieille ancienne résistante, des potes punks aux autochtones rustres mais accueillants, du chat paumé au chien de berger. Ensemble, ils festoient aux Ravenelles (la ferme des Larssinet), recueillent des ravers pourchassés par la maréchaussée, affrontent Paris et ses éditeurs, jouent de la musique et goûtent aux produits de la terre.

Et là, c’est le drame…

Et là, c’est le drame… ©Dargaud

Larcenet dessine tout cela simplement, sans fioritures, mais avec un dynamisme fantastique, une science de l’onomatopée, et donne vie à de vrais personnages avec trois traits universels mais qui une fois associés prennent une toute autre signification.

Ferri écrit sa méta-série en mettant en abyme cette même série, menant à une suite de gags métaphysiques sur le personnage de papier et son modèle réel, tout en gardant un réalisme savoureux. Jamais le lecteur n’est perdu ou ennuyé par ces petites scènes parfois anecdotiques.

Points de vue différents

Points de vue différents ©Dargaud

Parfois, la demie-planche devient une seule case, et le dessin devient un vrai dessin humoristique à la Sempé, le texte du bas remplacé par le titre du gag en haut à gauche. Les couleurs de Brigitte Findakly sont fonctionnelles mais également rassurantes, jamais agressives ou déplacées, soulignant l’état d’esprit d’une série aussi poétique que drôle.

Partageant les valeurs de l’entraide et du partage, les personnages du Retour à la terre essaient constamment de trouver un équilibre entre la modernité du monde et la nature toujours indomptable. Les solutions qu’ils trouvent sont souvent désarmantes de simplicité et célèbrent toujours l’amour de la vie, des enfants, des bonheurs évidents. Tout comme son illustre modèle, ses relectures n’ennuient jamais et rendent toujours euphoriques et heureux. Elle fournit des blagues à la vie de tous les jours, rendent complices : ma fille me demande régulièrement quand allons-nous aux Ravenelles, alors qu’elle pense en fait à un autre endroit.

Grand succès commercial, la série est pourtant moins reconnue que celles que Larcenet développa seul comme Le combat ordinaire ou Blast. Elle ne mérite pourtant pas d’être ignorée tant ses qualités sont nombreuses et son sujet tellement universel qu’elle n’est pas prête à veillir.

De l’onomatopée inédite

De l’onomatopée inédite ©Dargaud

 

 

28 comments

  • JP Nguyen  

    J’ai tendance à confondre cette série avec Le Combat Ordinaire. J’avais commencé cette dernière mais arrêté pour manque de place, avant de tout simplement oublier d’acheter la suite. Le retour à la Terre, je pense qu’un pote me les avait prêtés. Faudrait que je relise tout ça…
    A part ça, chouette article m’sieur Cyrille, avec des éléments de contexte éditorial et tout et tout !

    • Jyrille  

      Merci mille fois JP ! Tu devrais les lire, c’est vraiment drôle et amusant, et c’est encore meilleurs lus à la suite.

  • Bruce lit  

    Je n’en finis pas de découvrir ce Larcenet. Le contraste Punk et retour à la cambrousse est sûrement irrésistible et promet de beaux comiques de situations. Sur ma liste médiathèque. Thanx man ! PS : Je ne comprends pas la référence de ton titre.

    • Jyrille  

      Merci Bruce et de rien, il faut partager les bonnes choses… Mon titre fait référence à la commedia dell’arte, où les personnages ont tous des noms précis. Ici, je suis parti des masques de la commedia ; un qui rit, un qui pleure. J’ai personnifié celui qui rit par ce prénom. Pour un autre article sur Larcenet, j’ai mis l’accent sur un personnage tragique, car il joue sur les deux tableaux comme je le dis au début de l’article.

  • Présence  

    Je garde également un très bon souvenir de cette série. Ton article exprime et explicite plusieurs de mes impressions (que je n’avais jamais mises en mots) : méta-série, humanité des personnages, les couleurs de Brigitte Findakly (je n’avais pas pensé à analyser cet aspect, et je suis entièrement convaincu par ta remarque).

    J’ai également beaucoup apprécié les paragraphes introductifs racontant l’émergence de ces jeunes talents. Pour un lecteur comme moi qui a vu surgir ces albums ex nihilo sur les présentoirs de la FNAC, c’est très intéressant de découvrir comment le parcours de ces jeunes talents (au moins celui de Larcenet) avant la célébrité.

    • Jyrille  

      Merci beaucoup Présence ! 😀 Pour les avoir relus avec mes enfants, la série garde sa fraîcheur et son universalité, c’est presque un classique de la bd.

  • Patrick 6  

    J’ai une préférence pour le coté urbain du « Combat ordinaire » mais « Le retour… » est excellent aussi !
    A noter que Larcenet a aussi sorti une BD au titre amusant : « Les super héros injustement méconnus » tout un programme…

    • Jyrille  

      Ce sont deux bds différentes, Patrick, j’adore le Combat ordinaire mais le propos n’est pas du tout le même finalement 😉 « Les super héros… » est un des rares Larcenet que je n’ai jamais lu.

  • phil  

    le Combat a en effet un peu éclipsé cette série, injustement car dans le cadre des contraintes imposées (pour tous les âges, demi pages…) c’est brillant
    Depuis Gaston je n’ai qu’un titre à gags français de ce genre qui a égalé celui ci : De Gaulle à la Plage, du même Ferri (mais en solo)

  • Tornado  

    Je ne connais pas du tout ! J’ai arrêté de lire Fluide Glacial après le lycée et je ne connais pas Larcenet.
    Ce type de mise en page m’évoque les BDs de Zep. Et j’en viens à me dire qu’il n’y a encore rien sur Zep chez Bruce Lit !

    • Jyrille  

      Zep, je passe, même si j’apprécie beaucoup ses bds, son trait et son humour. Il faudrait que tu tentes Larcenet, Tornado, c’est réellement un auteur majeur à la production conséquente et qui touche à beaucoup d’ambiance tout en restant le même. Une vraie personnalité, pas facile, torturée, mais qui a beaucoup à dire et qui transcende son dessin à chaque fois.

  • Lone Sloane  

    Un article où l’on sent toute l’affection que tu as pour cette série. Et je partage entièrement ton enthousiasme sur cette collaboration fructueuse entre Ferri et Larcenet. Le talent de Ferri est tel qu’il a depuis été choisi pour scénariser Asterix, respectueusement pour la première aventure, et j’attends avec curiosité le nouveau en octobre. Larcenet est un auteur complet majeur, et sa maturité est impressionnante quand on voit sa progression depuis les années Poisson pilote.Il est à l’aise dans des oeuvres introspectives (Le combat ordinaire) ou fictionnelles (Blast) toutes marquées par une forme de noirceur très contemporaine.
    Mais j’ai une préférence pour le côté comédie italienne du Retour à la terre ou foutraque déconnant du Bill Baroud chroniqué par JP ou des Cosmonautes du futur.
    J’ai l’édition format à l’italienne des 3 premiers tomes du Retour, qui met vraiment en valeur le format strip de cette BD.
    Concernant le choix de ton titre, et puisque la paternité est un des sujets traités dans le Retour, j’adore l’expression « avoir un polichinelle dans le tiroir » -:)
    Merci pour la fraîcheur de ta chronique, Cyrille.

    • Jyrille  

      Merci beaucoup, Lone, ton commentaire me touche vraiment. Je te rejoins complètement, j’ai d »ailleurs relu les Cosmonautes du futur juste après le Retour à la terre, et c’est meilleur que dans mon souvenir, même si un peu moins attachant. Je préfère aussi le Larcenet plutôt comique, en ce sens, le Combat ordinaire propose un parfait dosage entre rire et introspection, avec des moments forts, des sentiments communs contrebalancés par certaines beautés et légèretés de la vie. Quant au titre, bravo pour la référence, je n’y avais même pas pensé 🙂

  • Bruce lit  

    Il me reste 20 pages du Combat ordinaire mais je peux d’ores et déjà dire que c’est une lecture fabuleuse, miraculeuse, que j’avais envie / besoin de lire à titre personnel. Tout me parle dans cette histoire. C’est grave sans être tragique, profond sans être pathos, drôle sans être beauf. Je trouve les couleurs sensationnelles. Merci à JP et Cyrille pour cette découverte-indirecte-.
    Je vais réfléchir à mon envie d’écrire là dessus ou de garder ce bonheur pour moi…..

  • Jyrille  

    Mais merci Bruce ! C’est pour partager ce qui nous a touché ou plu qu’on est ici, principalement, non ? Je suis extrêmement content que cela te plaise à ce point et que tu aies découvert cet auteur assurément majeur. J’adorerai lire ta prose sur cette série !

    • Bruce lit  

      Oui, ça m’a vraiment plu ! Sans doute une de mes meilleures lectures de 2015. Je vais réfléchir à écrire là dessus, je ne suis pas sûr d’y arriver et surtout de vouloir le faire. J’ai enchaîné les articles profonds ces temps ci : The Wall, le tribute à James Dean, Sa majesté des Mouches, l’enterrement de Jean Grey et Monster publié cette semaine. Des articles qui m’ont pris un long temps d’élaboration et qui j’espère vous plairont. Un peu de légèreté voire un bon nanar me feraient du bien ….On verra 🙂

  • Bruce lit  

    Voilà, je l’ai finit. Je l’avais sur ma tablette et vient de tout acheté….vite, avent que tombent les impôts…(et que je tombe avec)….
    C’est une oeuvre importante. Je suis très impressionné par les allers retours de Larcenet entre la comédie sociale, l’analyse politique et sociologique de la France d’aujourd’hui et le travail de deuil autour de la mort du père. Seul bémol , on ne sait pas trop ce que devient le frère si important de l’histoire. De la grande BD….Et je confirme que je n’écrirais rien là dessus….

      • Bruce lit  

        C’est toi qui a écrit ça Cyrille ? Si non, qu’en as tu pensé ? Je chercher ça dans ma bibliothèque globale….
        // l’article, ce n’est pas dommage : la plupart du temps, les articles me viennent en tête pendant ma lecture. Là, le vide complet…. Une pure expérience égoiste de lecteur où mon sens critique était comme anesthésié par l’excellence du récit. Du coup, je ne risquerai d’écrire que des platitudes.
        Ah ! si ! tous les rôles féminins sont superbement écrits !

        • Jyrille  

          Oh non, ce n’est pas moi, c’est Saint Epondyle, c’est son blog… Je ne l’ai pas vu, et je t’avouerai que je n’ai aucune envie de voir ce film même si j’ai beaucoup d’affection pour l’acteur principal, qui m’a l’air un meilleur choix que celui de Manu Payet qui avait un temps été pressenti pour ce rôle. Bien d’accord pour les persos féminins !

  • PierreN  

    D’après le boss sur FB, la reprise est prévue pour mercredi.

  • Lone Sloane  

    Ciao a tutti,
    Pour ceux qui aiment et ceux qui veulent découvrir, et parce que celui que je traverse, de retour à la terre, est à la fois moins long (10 piges depuis le tome 5) mais tout aussi folklo et engageant, une possible couv de la nouveauté à paraître en 2019, où le ramage et le plumage sont une invitation à se balader sur la branche: https://www.bdgest.com/forum/download/file.php?id=82459&mode=view

    • Jyrille  

      O JOIE !!!! Merci Lone pour ce retour inattendu ! La bise mec !

  • Jyrille  

    J’ai acheté et lu (deux fois) le tome 6. C’est splendide. Drôle, toujours dans le bon ton, avec des dessins de Larcenet encore plus impressionnants qu’avant. La couverture est clairement inspirée de Van Gogh pour moi. Bref, achetez tous les volumes, c’est du bonheur en papier !

    Des exemples de tableaux de Van Gogh

  • Kaori  

    Cela fait très très longtemps que j’ai laissé le monde de la BD.
    Et là j’avoue que l’article et ceux sur Le combat ordinaire m’ont troublée…

    Ayant grandi dans des villes jusqu’à mes 27 ans pour ensuite m’installer à la campagne où j’y ai trouvé un certain équilibre et une sérénité, forcément, ça me tente.
    Mais Le combat ordinaire me parle encore plus, avec cette recherche du sens de la vie…
    L’inconvénient de la campagne, c’est qu’on est vraiment loin de toute médiathèque -_-.

    • Matt  

      Moi j’ai grandi à la compagne et quand j’ai du bosser en ville avec ses métros et tout…woah…
      J’aime pas^^
      J’aime pas le monde, la foule, l’air pollué, la crasse partout.
      Snif…
      Hélas on trouve pas trop de taf en campagne. Mais j’y suis bien mieux.
      Après on peut être à la campagne sans être dans le trou du cul du monde. Hop en 20min de voiture on trouve une médiathèque.

      • Kaori  

        Je n’ai jamais aimé la ville. Et plus la ville est grande, plus je déteste. J’ai eu des tendances agoraphobes. Maintenant, ça va, en vieillissant, on se focalise sur autre chose…
        Mais conduire en ville, c’est toujours une horreur pour moi. Quand j’ai commencé à bosser, je mettais 20 minutes chaque matin pour faire 5 km, dans le stress et le bruit. Maintenant, je mets 20 minutes pour faire 25 km. Dans le calme des routes de campagne.
        Parfois la facilité d’accès de la ville me manque, surtout depuis les enfants, qui doivent se taper 1h de bus pour faire 7km, ou quand il faut prendre la voiture pour absolument tout, notamment les vêtements et les chaussures, parce que ça grandit vite ces bêtes-là (et les frais d’essence qui s’ajoutent aux dépenses…) !
        Concernant le travail, effectivement, c’est un problème. Moi ça va, on aura toujours besoin d’enseignants. Mais pour mon conjoint, c’est plus compliqué…

        • Jyrille  

          Le combat ordinaire est une grande oeuvre, un indispensable. Tous les Larcenet sont de belles bds, dans plusieurs styles. Le retour à la terre est un chef d’oeuvre indémodable pour moi, c’est du niveau de Gaston Lagaffe, oui, j’ose.

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