Le défi Nikolavitch : Agent fédéral

Le defi Nikolavitch : FBI et Culture Populaire

Un article de :  ALEX NIKOLAVITCH

Illustration de MATTIE BOY

1ère publication le 05/12/18 – MAJ le 05/12/20


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Chaque mois, Alex Nikolavitch, traducteur, romancier, essayiste, scénariste et guest de Bruce Lit est mis au défi de répondre aux plus grandes énigmes de la culture geek.

–voix de Philippe Bouvard–
« La question suivante est de monsieur Tringale, de Bruce-lit sur Blogue…
Alors voilà, pourquoi que c’est toujours le FBI les méchants ? »

Alors on va la faire très courte : parce que ça peut pas être toujours les Nazis, comme s’en plaignait d’ailleurs un personnage d’OSS 117.
Merci d’être venus, saluts bien bas à la foule en délire, roulements de tambour, rideau.
Quoi ?
Comment ça, c’est un peu court, jeune homme ?
Alors déjà, pas jeune homme, parce qu’à mon âge, ça pue la vile flatterie. Et ensuite parce qu’on pouvait dire… oh ! Dieu ! … bien des choses en somme…
En variant le ton, —par exemple, tenez :
Agressif : « moi, monsieur, si j’avais un FBI,
Il faudrait sur le champ que je le noyasse ! »
Amical : « mais il doit tremper dans votre tasse »
Hein ? Je tire à la ligne ? Faudrait savoir ce que vous voulez, les gars.
Bon, on va reprendre du début.

FBI : C’est la Force G. © Warner Bros Pictures

FBI : C’est la Force G. Source :  IMDB
© Warner Bros Pictures

Déjà, d’abord, c’est pas vrai que le FBI c’est toujours les méchants.

Cette vieille fripouille de J. Edgar avait bien pris garde à présenter ses hommes sous un jour favorable dès 1935 et le film G-MEN avec James Cagney. Et le Code Hayes va de toute façon conduire à héroïser au max les défenseurs de la loi et de l’ordre. C’est un bon début pour une institution encore méconnue du grand public.
Car dans l’Amérique des années 1930, il est vrai que l’état fédéral est une structure lointaine et méconnue, qui ne parvient à exercer un réel pouvoir que depuis peu, avec les nouveaux moyens de transport et de communication. Du coup, cette nouvelle police qui vient s’ajouter aux forces de l’ordre locale, ajoutant une tranche aux niveaux de la ville, du comté et de l’état, semble inutile et un peu suspecte, et Hoover sait qu’il doit éduquer le public.

On est encore à l’époque où le moindre voyou fuit dans l’état d’à côté pour échapper aux poursuites. On est aussi à l’époque qui suit immédiatement la Prohibition, avec l’émergence du crime organisé à grande échelle, et le chant du cygne des derniers grands braqueurs flamboyants, les Dillinger et autres Bonnie & Clyde, qu’une coopération efficace des diverses services de police permet de mettre au pas.
Hoover pose avec le G-man un nouvel archétype, celui du fonctionnaire de l’enquête, archétype qui met du temps à s’imposer dans la culture, tant la mode est alors au détective privé : on voit émerger Sam Spade, l’Agent de la Continental et Phil Marlowe, des personnages plus interlopes que les Poirot ou Holmes, mais dont les rapports avec les autorités constituées sont aussi tendus. L’enquêteur des années 30-40, c’est un cow-boy des temps modernes, pas un type en complet avec une hiérarchie.

FBI : Kevin Spacey voit ressurgir ses vieux dossiers. © Warner Bros Pictures

FBI : Kevin Spacey voit ressurgir ses vieux dossiers. Source  I Collector
© Warner Bros Pictures

Dans les années 50, les grandes polices métropolitaines tentent de redorer leur blason. On verra apparaître des séries télévisées sponsorisées par la police de Los Angeles, montrant des flics intègres, permettant de faire oublier les problèmes de corruption entachant dès l’origine la réputation du service. Si vous avez vu le film L.A. CONFIDENTIAL, vous voyez tout à fait de quoi je veux parler, avec cette série sur laquelle le personnage joué par Kevin Spacey est consultant.

Le trope classique de la série policière, c’est alors l’enquêteur opérant à son petit niveau, avec ses petits moyens et sa grande astuce, avec aussi son opiniâtreté. On se défie de la hiérarchie, et de toute façon le FBI de l’époque est perçu comme une police politique, surtout à Hollywood qui souffre de la chasse aux sorcières maccarthyste et sait que le Bureau ferme par contre les yeux sur les affaires de Mafia. Pour le policier local tel que représenté à l’écran, l’arrivée du FBI ne peut être vu que comme une ingérence politique venue d’en haut, une perturbation de son petit écosystème. L’agent du FBI est perçu comme malveillant, hors-sol et porteur d’arrières pensées. Si l’état fédéral est plus puissant qu’avant, l’individualisme américain s’en accommode assez mal. Dans l’Amérique rurale, l’agent du FBI est vu comme un citadin. Déjà une sorte d’étranger.

FBI : L’hydre nixonienne. ©Ralph Steadman

FBI : L’hydre nixonienne.
©Ralph Steadman

Dans les années 70, c’est pire encore. Le FBI a participé à la répression des mouvements contestataires et l’affaire du Watergate vient ajouter la corruption aux griefs habituels contre Washington. Qu’importe que l’informateur principal dans l’affaire, le célèbre Gorge Profonde, soit du FBI : cela, on ne l’apprendra que trois décennies plus tard. Mais au début des années 70, la méfiance envers l’état fédéral s’est transformée en franche paranoïa, avec des conséquences encore visibles de nos jours. Il suffit de lire les pages sur le sujet écrites par Philip K. Dick (qui a effectivement été surveillé par le Bureau) ou par Hunter S. Thompson.

Entretemps, J. Edgar Hoover a tiré sa révérence, et les politiques tentent de reprendre la main sur ce qui est devenu un état dans l’état.
Ce qui permettra au FBI de redorer son blason, c’est l’émergence d’une nouvelle figure du mal, le Tueur en Série. Les polices locales ne sont pas forcément bien équipées pour lutter contre une menace de ce genre (le célèbre Eliott Ness en fait les frais quand il est nommé responsable de la sécurité publique à Cleveland, et échoue face aux Tueurs aux Torses) mais la création d’un département des « sciences du comportement » va doter le Bureau d’outils conceptuels et techniques précieux (n’hésitez pas à vous procurer CHASSEUR DE TUEURS, les mémoires de Robert Ressler, le fondateur de la discipline).

FBI : Je viens réquisitionner un foie aux fèves et à l’excellent Chianti. (C) Orion Pictures

FBI : Je viens réquisitionner un foie aux fèves et à l’excellent Chianti.
(C) Orion Pictures – Source IMDB

Dès lors, l’agent du FBI cesse d’être un gêneur pour devenir un expert venant appuyer la police locale. Ce sera Clarice Starling dans LE SILENCE DES AGNEAUX et l’agent Dale Cooper dans TWIN PEAKS. La série de David Lynch montre le glissement qui s’est opéré : Cooper est accueilli à bras ouverts par le shérif Truman et travaille avec lui en bonne intelligence. La seule concession à l’agent du FBI méprisant envers les locaux est représentée par le personnage joué par feu Miguel Ferrer, dont les apparitions sont plus explosives au départ.
Lynch créera un groupe d’agents soudés (malgré l’intégration du méchant de la saison 2, ancien mentor du héros), positifs, consciencieux, malgré leurs bizarreries de comportement. Car si Cooper est un gars étrange, ce n’est même pas le plus zarbi de la bande : il y en a un qui est joué, dans le film, par David Bowie, quand même, et leur boss est David Lynch lui-même, qui joue un sourdingue assez épatant. Quand au jeune David Duchovny, il joue un agent transsexuel.

Le gros tournant (et c’est assez paradoxal), c’est X-FILES, avec Duchovny en garçon. Les créateurs de la série ne sollicitent pas l’aide du FBI au départ, d’autant que l’organisation est présentée dès le début comme impliquée dans une conspiration. Mais les personnages des deux héros, Mulder et Scully, puis de leur supérieur hiérarchique, le directeur adjoint Skinner, deviennent tellement populaires que les vrais agents en font leurs mascottes. Les acteurs racontent en interview avoir été abordés par des membres du bureau, à l’aéroport ou ailleurs, qui venaient faire la causette, voire leur montrer leur méthodes et lieux de travail.

FBI : Le plus lunaire des agents. ©CBS Television

FBI : Le plus lunaire des agents.
©CBS Television- Source Welcome to Twin Peaks

Le paradoxe est là : X-FILES est la série qui va rendre grand public, avant même le développement du complotisme sur internet, tout un tas de motifs paranoïaques habituellement cantonnés à des bulletins ronéotés de diverses mouvances extrémistes : théories sur l’assassinat de JFK, utilisation des vaccins à des fins inavouables, collusions de l’état et de l’ONU avec des puissances venues d’ailleurs, expériences d’ingénierie sociale en vraie grandeur… Tout un fonds diffus mis en pleine lumière, et développé saison après saison. Là-dedans, le FBI est présenté comme corrompu, mais certains de ses agents comme intègres, poursuivant la lutte de l’intérieur. Un retour à cette vieille opposition entre l’individualisme et l’organisation étatique. (par ailleurs, la série a rendu cool l’usage du téléphone portable, ce qui est un autre de ses défauts) (saloperie)

La boucle est bouclée. L’agent du FBI peut s’avérer être un héros, mais le système est pourri. La paranoïa galopante a produit des phénomènes comme la mise sur le devant de la scène de Sarah Palin, puis de Donald Trump. Des théories complotistes née chez l’extrême droite américaine sont diffusées à grande échelle par les services secrets russes et reprises dans des séries télévisées arabes. Le FBI à la française, rêvé par des politiques américanophiles, s’est avéré un désastre organisationnel.

La vérité n’est même plus ailleurs, elle est devenue introuvable.
Et de toute façon, depuis l’affaire Snowden, le gros méchant étatique, ce n’est plus le FBI (qui à l’époque Trump se retrouve à défendre les institutions contre ceux qui sont censés les représenter, ce qui était d’une certaine façon ce que cherchais déjà à faire ce vieux saligaud de Hoover) mais la NSA.

FBI : Et ils ont rendu cool le badge d’accès, aussi… les salauds… © 20th Century Fox Television

FBI : Et ils ont rendu cool le badge d’accès, aussi… les salauds…
© 20th Century Fox Television – Source DVD Bash

Illustration sonore :

20 comments

  • JP Nguyen  

    Comme souvent avec les défis d’Alex, la question-prétexte du départ est astucieusement traitée pour donner un éclairage intéressant sur la culture populaire.

    Comme représentants de l’état fédéral, précurseur du FBI, je citerai aussi les US Marshall, qui ont aussi eu quelques représentants marquants, authentiques (Wyatt Earp) comme fictifs. Mais une rapide consultation wiki de cette institution m’indique que leurs prérogatives sont plus limitées que celles du FBI.
    D’ailleurs, ce même article comportait un renvoi vers un tableau de Norman Rockwell que je ne connaissais pas, où Ruby Bridges, première fille noire à aller à l’école des blancs, est escortée par 4 marshalls. Et c’était « seulement » en 1960… Mais pardon, je digresse…

  • Présence  

    Une présentation très vivante de l’image des agents du FBI au travers d’une filmographie choisie. C’est vrai que Dana & Fox ont fixé l’image de professionnels dans l’inconscient collectif,d’experts reconnus pour leur expertise, sans la remise en cause systématique qui existe dans le monde réel.

  • Eddy Vanleffe  

    comme téléspectateur, j’ai souvent vu la guéguerre FBI/police locale comme une sorte d’équivalent de la Police/gendarmerie chez nous.
    avec dans les séries un discours assez FBI=élite, citadine, huppée et éduquée. contre le shérif, bouseux, raciste et à peine alphabétisé.
    C’est assez rigolo de voir comme on donne des images pour séparer les gens entre eux…
    excusez moi, j’enlève mon gilet fluo et je reviens… ^^
    encore un article enrichissant et rigolo jusqu’à la remarque sur les badges d’accès…

  • Fred Le mallrat  

    Comme représentation courte, on a aussi Captain America en 1941. J e n’avais jamais remarqué avant de lire un article de X. Fournier mais dans le Captain America Comics #1 de 1941, l’opération Rebirth est une experience pilotée par le FBI. Rogers est ensuite censé être un agent du FBI « infiltrée » dans l’armée qui compte elle même des infiltrés ennemis (surement le german Fund). Tout cela est oublié aprés l’entrée en guerre des USA.

    • Fred Le mallrat  

      Donc on a en 1941, une représentation quand même d’un FBI plus « sur » que l’armée (avant la reconciliation patriotique de l entrée en guerre)..
      (j en profite pour signaler donc une forme de retcon déjà en 1941 quand les auteurs font de Rogers un militaire et oublie ce pass » d’agent du FBI infiltré..
      Les retcons c est pas les années 2000.. c est bien un outils aussi vieux que les comics.

  • Matt  

    Intéressant comme article.
    Ha ! Ha ! J’ai bien aimé la référence à Cyrano de Bergerac au début^^

    En ce qui me concerne, je n’ai jamais vraiment vu le FBI présenté comme les méchants, mais plutôt comme un « concurrent », de la même manière qu’une entreprise qui viendrait foutre son nez dans la tienne pour te dire ce que tu fais bien ou pas bien. Selon les films ou séries, parfois ils ont raison, mais peuvent être présentés comme des arrogants emmerdeurs. Trait de caractère qui n’est pas exclusif au FBI hélas^^

    • Nikolavitch  

      et tu m’as fait une belle tête de Chinois du FBI, dis !

      • Jyrille  

        Oui, sympa le dessin !

        J’y pense, Mattie a raison : c’est souvent les emmerdeurs incompétents, le FBI, pas toujours les méchants. Je pense à Die Hard…

        • Matt  

          Oui, j’y vois comme une façon de taper sur les grosses organisations avec leurs gros sabots qui ont des autorisation venues d’en haut. Par principe, on aime tous taper sur les grosses entreprises ou institutions qui viennent faire chier en se croyant meilleurs.
          Mais y sont pas forcément méchants^^

          Et quand ce sont des mecs du FBI les héros, il y a la CIA ou la NSA comme méchants dans l’ombre^^

  • Bruce lit  

    Encore un défi relevé haut la main qui montre que le FBI a été rendu cool par Mark Frost et Jonathan Demme. Mais alors c’est qui les méchants dans E.T ? La CIA ?
    Très bonne illustration de Mattie Boy comme d’habithude.

  • Tornado  

    Merci bien même si je me sens toujours inculte : Je ne sais toujours pas quelle est la différence entre le FBI et la CIA…

    • Matt  

      La CIA tient plutôt des services secrets que de la police. Ils se foutent complètement des meurtriers et tout ça. C’est une agence de renseignements, d’espionnage. Ils bossent pour la sécurité nationale, pas pour les braves civils victimes de tarés insignifiants^^
      Mais ils peuvent fournir des renseignements au FBI si nécessaire.
      Et les opérations de la CIA sont beaucoup plus floues, il y a plein de théories du complot sur des opérations clandestines, l’espionnage de gens sur le territoire américain (alors que c’est interdit, etc.)
      Pour le coup ils passent plus souvent pour les méchants que le FBI^^

  • Jyrille  

    Excellent comme d’habitude. Tu me rappelles que je dois toujours voir le film avec Leonardo Di Caprio que j’ai en DVD. Beau tour d’horizon de la planète geek et son FBI en tout cas, il fallait un peu de travail pour mettre ça en forme et en faire un article qui se mord la queue. L’introduction à la Cyrano est savoureuse.

    Il manque une référence lorsque tu parles des tueurs en série : c’est la dernière création de Fincher, la série Mindhunters. Elle semble très fidèle historiquement et assez fascinante. Mais c’est la preuve que tu as bien traqué les agents…

    La BO : je devrai aimer, je connais le bonhomme et le film. Bel à propos en tout cas !

    • Nikolavitch  

      pas vu mindhunters, là j’ai plus le temps pour de grosses séries TV

      • Jyrille  

        Dix fois une heure.

        • Nikolavitch  

          faudra que je tente. mais là, en ce moment, mon emploi du temps c’est du délire

  • Bob Marone  

    Merci pour ce panorama qui met en avant l’importance fictionnelle de XFiles, série chère à mon petit cœur. Dans un autre genre, beaucoup moins pop, la série Manhunt (à ne pas confondre avec Mindhunter) retrace la traque de Unabomber, le serial-bomber, de manière très réaliste. Où l’on voit que l’agent du FBI moyen passe plus de temps à éplucher des tickets de carte bleue qu’a planter des crayons dans le faux plafond…
    Sinon tu mentionnes l’expérience foireuse d’Eliott Ness dans la traque d’un serial-killer à Cleveland. L’excellent Torso, de Bendis, retrace ça. J’avais beaucoup aimé ce roman d’un échec.

    • Bruce lit  

      Il m’est impossible d’apposer l’adjectif excellent à Bendis. TORSO fait partie d’une de mes pires expériences de lecture à une époque où j’appréciais Brian Bidule Machin.
      Par contre oui, Unabomber et son terroriste idéaliste est passionnant à suivre.

      • Bob Marone  

        Ha ha ha ! BLDD (Bruce la dent dure) a encore frappé ! Marrant que Torso t’ait été aussi pénible. J’avais trouvé la narration singulière (et je comprends que cela puisse agacer) mais j’avais vraiment bien accroché. Faudrait que je le relise mais l’atmosphère, la reconstitution historique avec utilisation de la presse d’époque, de photos m’avait séduit.

        • Bruce lit  

          L’histoire ne va nulle part, les personnages sont mal caractérisés, le dessin est atroce et la fin ? y’en a pas…N’est pas Alan Moore ou David Fincher qui veut.

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