Bienvenue à VilleVermine

VilleVermine l’homme aux babioles par Julien Lambert

SPECIAL GUEST : HEDDI BOUTI

VF : Sarbacane

©Sarbacane

C’est en 2019 au hasard d’une visite chez mon libraire que je suis tombé sur le premier album de VILLEVERMINE de Julien Lambert. A l’époque c’était une histoire à suivre dont le deuxième tome n’était pas encore sorti. Hésitation, je feuillette, surprise, coup de foudre, je suis séduit par les dessins. L’éditeur est Sarbacane.

Cette maison d’édition dont le catalogue avoisine les 900 publications collectionne les beaux livres. Ici elle ne s’est pas trompée, le premier tome de VILLEVERMINE intitulé « l’homme aux babioles » a reçu le prix Fauve Polar SNCF à Angoulème en 2019. Le « garçon aux bestioles », deuxième tome a suivi. Ces deux premiers livres posaient le décor.

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Enchanté par les deux premiers volumes, après avoir refermé et soufflé sur les dernières pages encore fumantes, j’avais écrit à l’auteur «je plains la BD précédente, celle dont j’ai oublié le titre et l’intrigue, et la suivante, que je ne retiendrai pas… ».
Et puis récemment est parue une nouvelle histoire de la saga, qui n’est pas une suite mais en reprend les bases, la ville et le principal personnage, c’est « le tombeau du géant ».

Tout le monde a oublié son nom. VilleVermine c’est le surnom improbable de cette ville crasseuse et glauque (« glauque » terme qui littéralement signifie « d’un vert tirant sur le bleu » selon un célèbre dictionnaire illustré, qui lui s’en fiche éperdument de ce genre de définition puisqu’il se revendique d’une autre couleur, la rousse) où vit un sombre détective : Jacques Peuplier. C’est un grand ours balèze, peut-être misanthrope mais surtout sauvage, quelqu’un que personne n’arrivera jamais à apprivoiser.

Nous sommes habitués que dans notre monde insensé tous soliloquent sans cesse, mais Jacques Peuplier, lui, ne souffre pas de cette schizophrénie. Même s’il y a du « brol » dans sa tête, il s’entretient avec les objets uniquement pour leur répondre. Ils sont bavards, alors bien sûr il fait un peu bizarre ce héros solitaire lorsqu’il s’adresse à eux. S’engueuler avec des poubelles lors d’un rendez-vous avec la belle Vanessa… Mais avec qui d’autre pourrait-il parler, lui qui évite la compagnie des humains ?

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D’anciennes maximes nous affirment qu’« il n’y a pas de sot métier » et qu’« au métier qu’il connaît, que chacun se consacre ». Pour Jacques Peuplier, sa profession c’est d’être un détective spécialisé dans la recherche d’objets perdus, un genre un peu particulier, oui c’est son gagne-pain. Tous les objets alentours ne s’y trompent pas et l’aident à retrouver les pauvres colliers perdus, bijoux volés qui ont été trop faibles pour se défendre seuls.
Cependant des fois les objets feraient mieux de se la fermer et ce n’est pas un proverbe, c’est une constatation devant leur insistance et leur jacassement.

L’occupation préférée de Jacques c’est de prendre soin de ces pauvres choses cassées, mutilées, abandonnées. Il y a de la tendresse chez ce gros balourd quand il les appelle «bidules».

Et que celui qui n’a jamais eu envie de cajoler, bercer, réparer un magnétophone à cassettes endommagé, lui jette la première pierre ! Ou plutôt qu’il évite de lui lancer des cailloux, parce que le beau ténébreux il est soupe au lait et distribue facilement des gnons. Il est du genre chatouilleux et gare à ceux qui lui cherchent des noises. En particulier ces êtres étranges, hommes-mouches volants décomposés qui sillonnent le ciel armés jusqu’aux dents.

Et puis comme dans le très grand roman « Solénoïde » de Mircea Cartarescu, il faut se méfier des enfants, qui sont une espèce humaine à part, dangeureuse et ennemie des adultes.

Un homme volant ? Comme c’est bizarre
©Sarbacane

Si les deux premiers tomes de VILLEVERMINE posent le décor et nous racontent la recherche d’une jeune femme kidnappée, qu’il faudra aller chercher jusque dans les tréfonds de quartiers malfamés, le troisième nous rappelle une histoire oubliée, celle du géant qui avait terrorisé la ville et dont on fête la défaite.

Les scénarios sont rudement bien ficelés et gardent une grande fluidité. C’est du polar avec un brin de fantastique. Ils nous feraient gober des mouches (vous suivez ?). La perspective des dessins, surtout l’architecture des immeubles, est vertigineuse, elle décrit cette grande cité qui a sa propre existence. Les découpages et les couleurs (« vert tirant sur le bleu », rappelez-vous) collent parfaitement au sujet.

Du suspense, de l’aventure, de la bagarre, un brin d’émoi, je ne peux que vous encourager à partager les aventures de Jacques Peuplier.

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Et puis je n’ose l’avouer… si, quand même… mais ne le répétez pas. Parce que quand on dit un secret et que deux jours plus tard votre épicier vous en parle, c’est assez gênant. Approchez l’oreille alors : dans « le tombeau du géant », la page 27, le Dr H. Bouti, médecin généraliste, chirurgie purificatrice. Ca ne vous dit rien ? Et bien je ne remercierai jamais assez Julien Lambert pour ce magnifique clin d’œil.

Alors, lorsqu’au détour d’une consultation un de mes patients me dit fièrement qu’il n’a jamais entendu de voix, je me tourne tristement vers mes appareils. Bons enfants et pas rancuniers du tout , mon sthétoscope me susurre aux oreilles « rassure-le à ma place, son cœur bat toujours » et le sphygmomanomètre, fier avec son verre rond qui ressemble à un monocle, me glisse «et dit lui que sa tension est à 14/7 ».

Consultation gratuite !
©Sarbacane

28 comments

  • Alchimie des mots  

    Magnifique ! Voici une BD pour laquelle, je n’aurai jamais vraiment prêté la moindre attention mais vraiment !
    Vous parlez d’un homme grognon aux habitudes qui habite une ville crasseuse que celle d’une chauves-souris outre Atlantique.
    Et pourtant, je me dis qu’une seule chose qu’ils sont fabuleux nos trésors franco-belge. 😀
    Merci pour ce partage et pour ce petit secret, je vous envi, oh oui, vraiment je vous envie!

    • Heddi  

      Mille mercis pour ces compliments. J’ai eu beaucoup, beaucoup de plaisir à lire cette série.

  • Tornado  

    Voilà une BD que je ne connaissais pas et qui me fait carrément très envie ! Je verrai si je trouve ça lors de mes pérégrinations libresques.
    L’article est délicieux. On entre de plein pied dans le contenu de l’oeuvre par le biais d’une approche très personnelle. C’est chouette !

    • Heddi  

      Super, j’ai eu beaucoup de plaisir à l’écrire. Et aussi difficile d’écrire quelque chose d’aussi personnel.
      Merci !

  • Présence  

    Chic, le retour d’Heddi Bouti, après la belle présentation de Moi ce que j’aime ces les monstres, par Emil Ferris.

    Une BD dont je ne connaissais pas non plus l’existence, merci pour cette découverte.

    Docteur H. Bouti, médecin généraliste, chirurgie purificatrice : immortalisé à jamais dans une œuvre, et de son vivant en plus !

    J’aime beaucoup cette idée de s’entretenir avec des objets : en effet chaque objet nous conditionne à sa manière quant aux modalités de leur utilisation. A leur manière, ils nous parlent bien et nous agissons en fonction de ce qu’ils nous disent et nous imposent.

    La perspective des dessins, surtout l’architecture des immeubles, est vertigineuse, elle décrit cette grande cité qui a sa propre existence : voilà qui est fort alléchant car c’est tout un art que de parvenir à donner une personnalité à une ville au point qu’elle devienne un personnage incarné.

    • Heddi  

      Merci, merci merci.
      Les dessins sont très beaux et atypiques.

      Julien Lambert m’avait contacté par messenger pour me demander s’il pouvait mettre mon nom dans sa BD.
      Je crois que je me suis évanoui ce jour.
      C’est mon otoscope qui m’a éveillé en me criant dans les oreilles.

  • zen arcade  

    Les trois volumes sont dans mon interminable pile de choses à lire…
    Merci pour cette belle piqûre de rappel. 🙂

    • Heddi  

      Effectivement ils valent le coup de sortir de la pile à lire.
      Bon courage !

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour HEDDI BOUTI,

    3ème guest star (de qualité, le Boss a des gouts surs) et autant de découverte pour cette semaine.

    Ce Villevermine a clairement tout pour me plaire. Il y a un léger côté steampunk à la française dans le style ADELE BLANC SEC ou encore LA BRIGADE CHIMERIQUE J’aime beaucoup le style graphique qui me rappelle également TERMINAL CITY mais également Védrines (PHENOMENUM) ou encore
    Jean-Paul Krassinsky (KAARIB).

    J’adore le style adopté pour ton article. Cela me donne des pistes pour faire évoluer le mien.

    Perfect

    • Heddi  

      Merci pour le compliment, j’en rougis.
      Et merci pour les références, effectivement il y a un côté qui ne me paraît pas inconnu mais sans vraiment savoir mettre un nom là-dessus.

  • JB  

    Bienvenue,

    Merci pour cette découverte ! La conversation avec les objets, c’est un truc qui m’intrigue (je n’ose dire « qui me parle »), je vais de ce pas (enfin, ce week end) acquérir un tome de cette série.
    Sachant que l’auteur/artiste peut s’inspirer de personnes réelles (et quelles !), je me demande s’il n’y a pas une telle influence pour le héros – mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus.

    • Heddi  

      J’avoue avoir été bluffé par le concept, j’ai toujours eu envie de discuter avec des objets de tous les jours et là je voyais quelqu’un qui y arrivait de manière naturelle.

  • Laurent CritiKomics  

    Salut Heddi,
    Bel article. Merci pour la découverte.
    Bon je ne pense pas le lire tout de suite (j’ai tellement de choses en attente déjà) mais il est dans ma liste bien au chaud. J’adore les ambiances enquêtes/brin de fantastique.
    C’est marrant, sur la couverture du n°2 le héros me fait penser à Edgar gentleman cambrioleur (il y a un petit air).
    Quelle fierté d’avoir son personnage, c’est un beau cadeau de l’auteur.
    À bientôt.

    • Heddi  

      Merci pour le compliment.
      Le personnage dans le BD qui me représente, c’est une plaque sur la porte avec mon nom. C’est drôle car c’est un médecin qui n’a pas bonne réputation dans l’histoire…

  • JP Nguyen  

    Un polar dans une ville fictive à forte personnalité, cela m’évoque le TERMINAL CITY de Dean Motter, déjà cité plus haut par Fletcher.
    Je ne connaissais pas du tout cette série (quoique, peut-être la couverture, du fait de son prix à Angoulême ?). J’y jetterai un oeil à l’occasion.

    Je comprends ton émotion à l’idée de faire partie du multivers du 9ème art, à travers le personnage que l’auteur a créé à ton nom… Belle anecdote.

    • JB  

      Dans les références comics, je pense également au THE QUESTION de Rick Veitch, réimaginé en shaman urbain qui parvient à parler avec les villes, ou du moins à interpréter leurs signes.

      • Fletcher Arrowsmith  

        ou bien des personnages de Warren Ellis comme Jack Hawksmoor ou le batteur.

        • Fletcher Arrowsmith  

          La faculté d’échanger avec des objets est également exploité dans les romans de Edward Carey (LE CHATEAU).

          • Heddi  

            Ah ! Je ne connais pas, je vais regarder. Merci pour la référence.

        • JB  

          Attention, la mention de Warren E. est dangereuse en ces contrées ^^

    • Heddi  

      Merci
      effectivement grande émotion d’apparaître dans un clin d’oeil dans une BD.

  • Bruce lit  

    Rien que pour le plaisir de te retrouver dans une BD je vais chercher cette BD Heddi. Je retrouve parfois le trait de Grégory Mardon , un dessinateur que j’adore. Ok, je vais tenter le truc.

    • Heddi  

      Bruce,
      je l’ai achetée en 10 exemplaires.
      Et comme je viens à Paris fin septembre, je peux t’en offrir un exemplaire.

  • Jyrille  

    Bienvenue Heddi ! Super article tout en délicatesse sur une bd, un auteur et des références que je ne connais absolument pas, y compris le roman et son autrice que tu cites. C’est ça qui est bien ici, on en apprend tous les jours. Devenir un personnage de bd, c’est quand même la méga classe je dis.

    Ca a l’air sympa et un peu perché, en vrac je pense à Vermin le dessin animé (à ne pas montrer à tout le monde), Dark City, Hiram Lowatt et Placido pour les objets parlants. Merci donc pour la découverte.

    Pas de BO ?

    • Heddi  

      Merci beaucoup Jyrille.

      Je conseille vivement le roman Solénoïde, un des meilleurs livres que j’aie lus. Le présent ennuyeux d’un professeur enseignant le roumain à des enfants qu’ils déteste et qui lui font peur. Cet enseignant, poète dans son âme, achète une maison dont les fondation contiennent une bobine, un solénoïde, dont le pouvoir apparaît progressivement. Au milieu d’une Bucarest qui s’effondre et rythmée par les manifestations des piquetistes, secte interdite, contre la Mort. Merveilleux…

      La bande originale était proposé à Bruce. Je n’aime pas tellement le rap, mais dans mes contradictions quotidiennes, j’écoute Dooz Kawa en boucle…
      https://www.youtube.com/watch?v=Ph-nYb05oiM

      • Jyrille  

        Merci à toi Heddi ! Je ne connaissais pas Dooz Kawa, c’est pas mal, assez old school donc ça passe pour moi.

  • Eddy Vanleffe  

    Welcome aussi Docteur…
    Merci de parler de cet objet de curiosité que je n’aurais pas choisi sur un étal puisque le dessin (enfin l’esthétique) ne me séduit pas du tout, même si le découpage et le sens du détail dans les décors sont hallucinants.
    A présent je me pencherai dessus en bibli et plus si affinités..;

    • Heddi  

      Ah ? un autre Eddy.
      Merci pour ta réaction, de mon côté j’avais franchi le pas à un moment où je voulais lire moins de BD…
      Je m’étais dit qu’une BD un peu atypique dans sa forme relancerait mon goût pour le genre en général.

      Je l’ai vu à la bibliothèque de Grenoble, donc il doit être un peu partout maintenant.

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