Born Again… Again ! (Born Again revisited)

Daredevil  Born Again par Frank Miller et David Mazzucchelli

Un article de  : JP NGUYEN

VO : Marvel 

VF: Bethy, Semic, Panini

1ère publication le 06/07/15 – MAJ le 26/09/21

Une lecture d'enfer.

Une lecture d’enfer © Marvel Comics

On a déjà beaucoup parlé de Born Again sur Bruce Lit, de la BD elle-même ou de celles qu’elle a pu inspirer ou qui lui ont fait écho. Mais cette œuvre est très riche et a marqué toute une génération de lecteurs, dont je fais partie.

Aussi, voici un article qui revisite cette histoire légendaire de l’Homme Sans Peur, sous un angle un peu différent de l’article original. Pour le coup, soyez prévenus qu’il dévoilera certains éléments-clés de l’intrigue.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques considérations sur les circonstances dans lesquelles j’ai découvert ce story-arc de Daredevil. En fait, ma première lecture fut extrêmement partielle, via les Strange 209 à 211 (rassemblés en album relié) qui furent les trois derniers numéros du « mensuel des super-héros » dans lesquels Daredevil fut publié.

C’était aux alentours de 1988, je prenais l’histoire en route, et ce fut un grand choc pour le jeune lecteur que j’étais ! Choqué de voir Matt Murdock réduit à l’état de loque, forcé de dormir dans un hôtel minable. Bouleversé, de voir mon héros broyé par son ennemi de toujours. Soulagé, de le voir échapper à la mort. Frustré, de ne pas pouvoir lire la fin de l’histoire. Malgré l’énorme charcutage effectué par les éditions LUG pour échapper à la censure de l’époque, ces épisodes avaient eu un sacré impact sur le JP pré-ado. Je me souviens même avoir recasé « un homme sans espoir est un homme sans peur » quelques années plus tard dans un cours de français pour commenter l’Antigone d’Anouilh…

Dix années après cette découverte tronquée, un samedi de septembre 1998, j’ère dans la FNAC et je tombe sur l’édition Bethy de « Renaissance ». Je viens de passer mes examens de rattrapage de 3ème année et je flippe dans l’attente des résultats. Je ne réfléchis pas longtemps avant d’amputer mon budget « sortie dans les bars » pour acquérir le précieux livre (au passage, magnifique édition, seulement ternie par l’absence de deux pleines pages…). Durant ce week-end plein d’incertitudes, ou les idées noires n’étaient pas loin, « Born Again » aura été un phare pour le JP étudiant, requinqué par cette histoire, presque un conte, en fait, d’un homme qui perd tout mais n’abandonne jamais.

T'énerves pas, Matt ! On va parler de toi, maintenant !

T’énerves pas, Matt ! On va parler de toi, maintenant ! © Marvel Comics

Et voici venu le moment pour le JP adulte de décortiquer quelques éléments-clés de cette œuvre qui l’a tant marqué.
J’ai écrit, sur un site marchand au nom de fleuve sud-américain, que Frank Miller avait « déchiré le super-héros pour révéler le héros ». En effet, les superpouvoirs sont quasi-absents de Born Again (à l’exception d’une mémorable scène impliquant les Vengeurs), c’est une histoire à hauteur d’hommes. Et sous la plume de Miller, les hommes semblent parfois bien petits, à commencer par Matt Murdock lui-même.

Le début du récit le voit s’éveiller péniblement, vérifier son courrier et découvrir des factures alors qu’il s’attendait à des offres d’emploi. Ce petit détail participe à dépeindre Murdock comme un homme parmi tant d’autres. Quelqu’un qui a besoin d’un emploi pour assurer sa place dans la société. Mais les machinations du Caïd conduisent à sa déchéance sociale (quelles images que celle de Matt allongé dans cette chambre d’hôtel miteuse puis dans une ruelle de New York !). Pour toute personne ordinaire, la menace de perdre son job, sa maison et de finir dans la rue constitue une épée de Damoclès terrifiante. Born Again démarre en présentant Matt Murdock comme un reflet potentiel du lecteur. Sa dégringolade sociale n’en sera que plus glaçante.

La chambre grand luxe, dernière escale avant la rue…

La chambre grand luxe, dernière escale avant la rue… © Marvel Comics

Mais le héros connaît aussi une déchéance morale, qui démarre dans le premier chapitre, où il agresse les truands dans les bars malfamés, sans raison précise; et culmine dans une scène se déroulant dans le métro. Matt reste indifférent à une agression se déroulant dans sa rame et ne réagit que lorsqu’il est menacé directement par un voyou. C’est alors qu’il fait montre de ses qualités de combattant et laisse éclater sa rage, dont un officier de police fera aussi les frais.

Le sous-texte de la scène est assez saisissant : ce ne sont pas les capacités qui font le héros, ce sont les valeurs. En renonçant à venir en aide aux autres, Murdock chute de son piédestal de justicier. A noter la mise en scène particulière adoptée par Miller : un flashback raconté au Caïd par un de ses hommes de main, envoyé en observation et qui utilise une langue élégante et maniérée pour décrire l’assaut de Murdock contre les voyous. Cette caractérisation de malfrat au langage docte sera réutilisée par Frank Miller dans Sin City, avec l’un des comparses du duo « Fat Man et Little Boy ».

Un combat brutal, raconté avec des mots choisis…

Un combat brutal, raconté avec des mots choisis… © Marvel Comics

Echappant à la noyade, Matt Murdock émerge de l’East River, brisé physiquement mais sur le chemin de la rédemption morale. Celle-ci démarre lorsqu’il se confronte au truand Turk Barrett, déguisé en Père Noël. Alors que, dans ses heures de gloire, Daredevil envoyait régulièrement valdinguer Turk par la vitrine du bar de Josie, il a cette fois-ci le dessous, se faisant poignarder.

Il se traîne alors au gymnase Fogwell, où, plus jeune, il s’entraînait en cachette, à l’insu de son père. Se vidant de son sang, il martèle de coups de poing un sac de boxe tout en se livrant à une saisissante introspection. Il ressasse ses frustrations passées, sa déchéance présente mais refuse d’abdiquer car le lutteur en lui vit encore. Cette scène reste pour moi un monument d’art séquentiel, où Miller et Mazzucchelli nous projettent totalement dans l’esprit de cet homme au bout du rouleau mais qui se refuse à abandonner.

La narration subjective magnifie la volonté indomptable de Matt Murdock, pourtant KO-debout…

La narration subjective magnifie la volonté indomptable de Matt Murdock, pourtant KO-debout… © Marvel Comics

Sauvé et recueilli par une bonne Sœur qui se révèlera être sa mère, Matt reprend des forces dans un foyer de sans abris. J’ai toujours apprécié le dialogue où Matt questionne Sister Maggie. La dénégation de la religieuse est un bijou d’ambiguïté, clarifiée par la super-ouïe de Matt qui lui sert de détecteur de mensonge. Plus de 20 ans après la création du super-héros aveugle, Frank Miller parvenait encore à enrichir sa mythologie. En organisant les retrouvailles avec sa mère qui l’avait abandonné, il faisait de la rétro-continuité mais à la différence d’autres ajouts effectués ultérieurement (dans Daredevil ou dans l’univers Marvel en général) ce dernier s’intègre parfaitement dans le récit de Miller et dans l’histoire du personnage.

C’était d’ailleurs une prouesse de raconter une telle histoire à l’intérieur d’une série régulière et non pas dans une one-shot situé en dehors de toute continuité. Cette dernière est souvent décriée par le lecteur moderne, car devenue un fardeau trop lourd à trainer pour des auteurs peu inspirés. Pourtant, le fait que Born Again se passe « dans la continuité » renforce son impact. Dans Strange 210, Matt fera même une apparition dans un épisode de l’Araignée, laissant un Peter Parker chamboulé par sa rencontre avec un Murdock au trente-sixième dessous.

Of course not, child.

Of course not, child © Marvel Comics

Plus globalement, je pense que le lecteur découvrant Daredevil via Born Again sera moins touché que celui qui l’aura connu dans ses exploits super-héroïques antérieurs (j’en ai d’ailleurs fait l’expérience lorsque j’ai fait lire ce comic-book à certains amis). L’impact émotionnel maximal ne peut être atteint que si on sait quel héros a été Daredevil, quel a été son statut dans l’univers Marvel. Sans cette connaissance, ses déboires sont sans doute moins poignants. En ce sens, Born Again est un sommet du comics mainstream mais pas vraiment une histoire auto-contenue (à l’inverse de Dark Knight Returns ou Batman : Year One).

Une autre marque de l’audace de Frank Miller : la place énorme accordée à Ben Urich, simple journaliste, civil sans pouvoir autre que celui des mots. C’est lorsqu’il se résoudra à prononcer le nom de Matt Murdock qu’il vaincra sa peur et se dressera face au Caïd, qui avait pourtant déployé de gros moyens d’intimidation à son encontre, avec en particulier une infirmière capable de vous faire oublier rapidement le fantasme de la blouse blanche… Ainsi, la détermination de Ben Urich fait écho à celle de Matt Murdock et permet à Frank Miller de réaffirmer que c’est le courage et non le pouvoir qui fait le héros.

Ben Urich, héros dans l'ombre de Daredevil

Ben Urich, héros dans l’ombre de Daredevil © Marvel Comics

Si on part du principe qu’il s’agit d’un récit âpre et noir mais intégré dans l’univers partagé Marvel, l’apparition des Avengers et le rôle de Captain America dans la dernière partie du récit sont tout à fait cohérents. Ainsi, le microcosme de DD et l’univers Marvel s’enrichissent mutuellement. Certains déplorent cette orientation du récit et aussi l’absence de confrontation finale entre Daredevil et le Kingpin. L’homme sans peur se contente d’épingler des malfrats, pour récupérer l’argent nécessaire aux réparations du fast-food dans lequel il travaillait, et d’exposer publiquement le Kingpin, pour lui infliger non une défaite physique mais un discrédit moral. Je ne considère pas ces choix comme des défauts dans la narration car ils sont, somme toute, cohérents avec la trajectoire du récit.

L’idée de Miller n’était pas de ramener Daredevil à son point de départ mais de le faire renaître. Abandonnant une double vie compliquée d’avocat/super-héros, Murdock redevient un homme du commun, menant une vie plus simple. Le trait de Mazzucchelli subit par ailleurs lui aussi une simplification au fil du récit, pour confiner à l’abstraction sur certaines cases.

The Chef of Hell's Kitchen

The Chef of Hell’s Kitchen © Marvel Comics

Débarrassé de son costume d’avocat, libéré de son conflit intérieur entre justicier et homme de loi, Matt Murdock termine l’histoire en tant que petit cuistot dans la cuisine du diable. Un métier moins prestigieux que sa carrière précédente, mais avec la perspective d’une vie plus lumineuse, avec Karen Page à ses côtés. En prologue du récit, on avait d’ailleurs vu un Matt Murdock par son parcours professionnel, insatisfait par son travail.

Même s’il n’est sans doute pas nécessaire de traverser toutes les affres par lesquelles est passé Matt Murdock pour regarder l’existence d’un œil neuf et se réinventer, Born Again contient un message positif majeur. C’est le « Never Give Up », la nécessité de s’accrocher pour traverser les petites et grandes épreuves de la vie. Ce message a durablement marqué le JP jeune lecteur et garde tout son sens pour le JP adulte.

Je terminerai cet article en empruntant une citation à RDB, blogueur sur Mystery Comics : « on lit souvent sans s’attarder suffisamment sur les livres (que ce soient des romans ou des comics), on les consomme puis on passe à autre chose, parfois on finit par oublier ce qu’ils racontent. Et ce qu’ils racontent sans doute de plus précieux, c’est ce qui nous forme comme lecteur. »

Selon la période de la vie à laquelle on lit ce récit, selon la connaissance que l’on a du personnage de Daredevil, indépendamment des qualités intrinsèques de cette BD, l’impact de la lecture ne sera pas le même. Mais pour moi (pour un certain Bruce T., aussi, et sans doute beaucoup d’autres), Born Again aura été une lecture formatrice, qui résonne encore en moi plus de vingt-cinq ans après.

Frank Miller offre un nouveau départ à Matt Murdock dans ce qui aurait aussi pu être la fin parfaite de la série…

Frank Miller offre un nouveau départ à Matt Murdock dans ce qui aurait aussi pu être la fin parfaite de la série… © Marvel Comics

25 comments

  • phil  

    Bravo JP joli retour sur article
    On en voudrait plus
    je partage pratiquement tout ce que tu évoques là, objectif comme subjectif, expérience de lecture/jeune inclue
    je reviens très souvent sur ce chef d’oeuvre mainstream sur mon blog, essentiellement graphiquement car je suis plutôt une bille quand il s’agit de parler d’histoires
    Je ne relis très régulièrement que cet arc, et the Dark Knight Returns, mais sur la durée la marque laissée par BA sur moi est probablement bien plus profonde que celle du chevalier noir, car je me sens infiniment plus proche de DD
    Tu as raison, connaitre le perso apporte forcément un plus, mais ça fonctionne tout de même hors continuité, je l’ai vérifié avec mon neveu qui a aimé sans connaitre la série
    Il y a tant de choses essentielles dans ces chapitres d’une vie…mais rares sont les comics dont les dialogues, nombreux, restent dans ma mémoire des années après lecture (en vo car ce titre, « grâce » à Lug m’a poussé fortement vers la vo)
    Graphiquement, en deux mots sinon je ferai 4 pages, BA est une oeuvre inclassable car Mazzucchelli évoluait pile en même temps qu’il dessinait ces épisodes; Il était classique (mais très bon) avant, il sera minimaliste façon Alex Toth après; et sur BA il commence classique et fini minimaliste; le personnage est déconstruit puis reconstruit pendant que le dessin fait de même. Troublant, désarmant à la première lecture (« mais comment il dessine trop mal à la fin alors qu’il était bon au début »:-) mais tellement cohérent
    Nuke, à la fin, m’a parfois semblé un peu forcé, pas à sa place, mais à la réflexion il y est, à sa place, puisqu’il remet le héros sur pied à sa façon. Un combat final avec le Kingpin aurait été attendu et ne pas le faire fut brillant, là encore
    Même les couleurs, datées, sont bien car elles sont dans le narratif, le minimaliste là aussi. Un peu grossières, mais ce coté brut colle au ton, ce qui n’empêche que tout fan se doit avoir la version artist edition de idw reproduisant les planches originales dans le format d’origine, avec toutes les corrections.retouches…visibles. Une merveille. Ces livres idw sont chers mais il y a tant qui ne méritent pas ce traitement (j’aime bien Aragones mais quel intérêt d’avoir Groo en fac similé?) que s’il vous faut vendre votre corps pour acheter cette beauté…n’hésitez pas

  • JP Nguyen  

    « On en voudrait plus » : oui, je n’ai pas parlé de Karen, Foggy, Glori… Ni même du Caïd!
    Preuve qu’il y en a, des choses à dire. ..
    Je laisse cela pour un futur article d’un autre camarade…

    Content de t’avoir fait commenter, j’espérais bien que tu rappliquerais, vu le sujet…

    Toutefois, je ne peux moralement t’approuver dans ton incitation à vendre son corps pour acquérir l’artist édition 😉

  • Présence  

    Le langage docte de Burt Schlubb et Douglas Klump dans Sin City : inoubliable !

    Sœur Maggie : effectivement, les scénaristes ultérieurs de Daredevil ont été bien embêtés avec ce personnage ayant abandonné son fils pour suivre sa vocation. En tant que lecteur, je ne suis moi-même pas très convaincu de ce jeu de cache-cache instauré par Frank Miller entre Matt et sa mère.

    Never give up – Ce fut également une leçon d’héroïsme ordinaire pour moi, une leçon de vie, quoi qu’il en soit la vie continue. J’ai également été marqué par la version « Un homme sans espoir est un homme sans peur », peut-être plus cynique, mais tout aussi porteuse de renouveau.

    Pour rebondir sur les propos de Phil Cordier, j’avais eu l’occasion de feuilleter l’édition d’IDW, et de lire les commentaires de David Mazzucchelli. C’était également très instructif de découvrir comment il avait innové en matière de mise en couleurs, avec des feuilles de calque pour réussir certains effets spéciaux, et s’affranchir de détourer certains contours, avec un trait encré.

    • Bruce lit  

      Magnifique mon JP. Je suis bien emmerdé maintenant ! Lorsque je créerais un hyperlien Born Again, je mettrais quel article en référence ???? Maximum respect pour avoir cité du DD en français ! Je me reconnais complètement là dedans ! Le jour du bac philo qui portait sur la conscience de soi, j’avais cité The Wall, Apocalypse Now et E.T….Et Dieu inventa l’oral de rattrapage…..

      Je suis très sensible à tes arguments concernant le fait que le héros est un être armé de valeurs et de courage et non pas de pouvoirs. A sa manière, Ben Urich est un héros encore plus grand que Matthew puisqu’il risque de sa peau sans pouvoirs aucun. C’est bien ce que je reproche aux héros Marvel d’aujourd’hui, puisqu’on en parlait hier. La violence me choque moins que leur absence de valeurs. La plus choquante à mon sens est la perte de toutes valeurs morales de Scott Summers chez les Xmen. Cette perte de grandeur s’est ironiquement accompagnée d’une chute des ventes pour les mutants. Et je n’extrapole pas, puisque le groupe qui leur succéda sont les Avengers mené par un Captain America garant de ces valeurs !

      Born Again est ma table de rosette. La preuve ultime qu’une histoire de super héros peut largement dépasser son cadre pour être une vraie leçon de vie.

      J’aurais adoré voir écrire Miller pour Spidey. J’avais été surpris de le voir écrire J.J. Jameson comme un éditeur responsable et courageux et non pas comme l’hystérique de service. Je fais partie de ceux qui rêvait d’une confrontation avec le Kingpin mais tes arguments sont incontestables. Ce que j’assimilais à de la paresse venant de la part de Miller est finalement un acte de maturité hors du commun. Merci de m’avoir ouvert les yeux là dessus.

      @ Présence : A mon tour de me la péter…. Ne pourrait on pas interpréter la présence de Maggie Murdock sous le sceau du symbolique inconscient ? Matt a été abandonné par sa mère. Son crédo hérité de son père est de ne jamais abandonner. Ne pourrait t’on pas lire entre les lignes : ne m’abandonnez pas, maman, pourquoi m’as tu abandonné ? Ce qui rappelle la supplique du Christ sur la croix ? Matt descend à son tour de la croix et se retrouve sur les genoux de Maggie en forme de Pieta. Il peux donc renaître puisque son abandon est terminé…..

      • Présence  

        Belle analogie qui me semble bien adaptée à la situation.

        À titre très personnel qui n’engage que moi, je n’ai jamais réussi à accepter la dimension religieuse du personnage. Tes remarques sont fondées et justifiées. C’est que de mon côté, je ne vois qu’une attitude religieuse de façade, sans aucune spiritualité. Matt Murdock ne professe aucune foi, et tous les auteurs ont été trop frileux pour oser évoquer un tenant de la foi chrétienne, encore moins un crédo.

        Ce constat s’applique tout autant à Frank Miller qui se sert de l’imagerie liée à l’église chrétienne (bonne sœur, vitraux, église), sans jamais parler de spiritualité. Au mieux il évoque en passant la morale judéo-chrétienne, mais certainement pas le dogme ou la foi. Il ne fait que se servir des apparences de l’église comme des éléments de décor.

        Du coup, l’intégration de la mère de Matt tombe complètement à plat en ce qui me concerne, elle relève de l’artifice bon marché. Pourtant, il est possible d’en faire une lecture christique comme tu le prouves.

        • JP Nguyen  

          Hum, Nocenti, après avoir rendu Matt infidèle à Karen dans son run, l’a quand même confronté aux démons d’Inferno et l’a même envoyé en enfer faire face à Mephisto. Et là DD s’en sort, entre autres, car il renonce à la violence.

          Quand à Miller, dans Elektra Lives Again, il envoie Matt à l’église et le fait prier pour le salut de l’âme d’Elektra (et évoque une expiation du jeune Matt pour un vol de bonbons…)
          Mais je concède que Matt a davantage une éducation religieuse qu’une conviction religieuse.
          Les auteurs se servent effectivement plus de la symbolique que de la vraie religion dans les histoires, mais ça me va plutôt bien car je ne suis pas croyant.

          • Bruce Lit  

            Complètement d’accord avec la religion de façade ( d’Eglise) qui manque de développement…..
            JP as tu lu Fall of the Kingpin ? Que penses tu de la séquence où Matt déclare à Fisk abattu à ses pieds :  » Je te Pardonne » ?

  • phil  

    Il est alors possible de vendre le corps d’autrui, mais j’ai peur de tomber, encore davantage, sous le coup de la loi

  • Bastien  

    Bonjour,
    Et merci pour cet article qui est très intéressant et retrace bien le parcours émotionnel de Matt Murdock durant cet arc.
    Le seul bémol pour moi reste Nuke que je trouve en décalage avec le reste de cet arc.
    Les dessins de Mazzucchelli sont en accord total avec le récit ce qui renforce le sentiment d’abandon puis de renaissance du personnage.
    Sinon cet lecture est comme tu l’as décrite indispensable pour comprendre ce que peut être un vrai héro lorsqu’il est bien écrit.
    Merci pour cet article.
    Bonne journée

  • JP Nguyen  

    @Bruce : pour le « Je te pardonne » de Fall of the Kingpin, bien vu ! Je ne m’en souvenais plus ! C’est effectivement une manifestation de la morale chrétienne du personnage mais dans le même arc, Matt jouait un tour assez peu reluisant à Typhoid Mary (la séduire pour la livrer à la police). Alors ce que j’en pense… Matt Murdock est sans doute comme beaucoup de monde. Il a des principes mais ne les respecte pas toujours. Que ces principes soient dictés par sa foi, je ne crois pas trop, même si c’est toujours au bon vouloir du scénariste…

  • comics-et-merveilles.fr  

    En ce moment, bien que je possède n éditions de Born Again aussi, je reste tenté malgré moi par celle qui vient de sortir :/
    J’ai connu également la descente en enfer avec cette période de Strange où un mois plus tôt John Byrne quitta La division Alpha, l’arrêt de Daredevil après 4 épisodes seulement du run Born again, un spiderman sous les traits de Ron Frenz (même avec mon « open mind » de maintenant, je n’y arrive toujours pas), les défenseurs qui n’étaient que l’ombre d’eux même (ils le sont souvent d’ailleurs) et les vengeurs qui arrivent mais pas forcément en forme (bien mieux des mois après grâce à la paire John Buscema/Tom Palmer).
    Bref, je vivais davantage dans le passé en achetant les anciens Strange/Spécial Strange/Titans/Spidey/Nova pour découvrir les joyaux tels que Rom, les X-men de John Byrne, les nombreux épisodes de l’araignée, Les Daredevil de Gene Colan ou les étonnantes créations françaises (désolé, j’en oublie forcément).
    La renaissance vient réellement au moment où j’ai découvert le magasin Album à Paris en 1988 (à quelques mois près) et là…j’ai réellement basculé. J’ai repris très rapidement le Born Again VO en relié.
    Pour revenir justement à Born again, j’aimais naturellement DD et je me rappelle que j’étais davantage choqué par son arrêt que par l’arrêt brutal de l’histoire. Pour vous dire, je ne suis pas certain que je mesurais à cette époque toute la maturité et toute la profondeur du drame qui se dessinait devant moi. Je me rappelle d’avoir fait l’analogie avec la « récente » déchéance de Tony Stark où Rhodey prit pour la première fois sa place dans l’armure (d’ailleurs ironie du sort ou pas, Iron man bascula dans Nova, encore un attentat à l’époque!)…Souvenez vous de Strange 184 par exemple et de sa couverture, le milliardaire était une loque et cuvait également son alcool dans un hôtel minable. Cette histoire d’Iron Man que j’aimais tout autant (à l’époque), qui s’en souvient encore réellement ?
    Quand j’ai commencé dans Strange 208 et les 3 suivants cités, ces premiers épisodes de DD, avec la la chute d’Iron Man en tête, mon premier réflexe a été de dire : « On vient de nous faire le coup avec Iron Man… »
    Après c’est sûr, les aventures de Rhodey en Iron man ne cassaient pas toujours des briques. Ceci explique peut-être cela…Maintenant bien entendu, je perçois la différence de « niveau », mais à 18 ans, je ne suis pas si sûr surtout biaisé par cette « inspiration » que j’ai trouvée peu originale.
    Merci en tout cas pour avoir fait remonter tous ces excellents souvenirs que j’ai souhaité partager. Je pars de ce pas revoir mes petits Strange adorés 🙂

    • JP Nguyen  

      Merci pour le partage d’anecdote ! Une preuve de plus qu’il faut resituer les oeuvres dans leur contexte, mais que ce contexte peut être très subjectif…

    • Bruce lit  

      @ JP : je n’ai jamais lu cette histoire où DD et Spidey conversent pendant Born Again. Je l’ai vu passer, mais jamais mis la main dessus. Où puis je trouver ça ?
      @ Comics et merveille : Do you remember tony Stark’s Fall ? Sure ! tout est ici mec !

      • comics-et-merveilles.fr  

        c’est plutôt rassurant du coup, ouf! Par contre, pour les fans post 2000, ce serait pas mal que Panini fasse un peu plus de bruits. Ou alors on attend tranquillement plus de 10 ans pour les avoir dans les intégrales :/

      • JP Nguyen  

        De mémoire, c’est dans le Strange 210… J’ai lu les 209-210-211 ensemble, sinon c’aurait été un peu bizarre car Peter rencontre Matt dans son épisode et dans celui de DD, Murdock vient juste de se faire retrouver par Sister Maggie dans le gymnase Fogwell…

  • Jyrille  

    JP, cet article est encore une fois remarquable. Ton analyse de la situation, de la lecture que l’on peut en faire, du traitement graphique, sont pertinents et plein de sens. De mon côté, n’ayant découvert cette histoire très récemment (je ne l’ai lue qu’en VO), je n’ai évidemment pas le même ressenti, même si j’ai des souvenirs de lecture sur DD dans les comics Lug (je pense) où il était effectivement très puissant. De plus, j’ai lu le run de Bendis avant de me refaire les DD de Miller, j’avais déjà une vision adulte de la bd.

    Bref, bravo, je ne vois pas quoi ajouter à une telle densité, surtout que lorsque l’on y met son histoire personnelle, cela a souvent une autre dimension. Ah si : n’est-ce pas ici que l’on a également comparé le dernier scan avec une pochette bien connue de Dylan ?

    Et maintenant je m’en vais lire vos commentaires…

  • Bruce Lit  

    Oui, c’est ici que la comparaison avec Dylan et James Dean descendant les rues de New York ont été faîtes ainsi que d’autres références à Taxi Driver.
    Le « Never give up » : j’y réfléchissais hier et je me disais qu’encore aujourd’hui, cette petite phrase, cette petite séquence avait encore une influence dans ma vie….PArce que je peux vous dire qu’en se le vant tous les jours à 5 h30 du mat ( Murdock) ‘, se prendre 3 à 4 heures de trains dans la tronche avec la SCNF-RTAP qui veut ma mort et les joies du boulot, en rentrant j’ai souvent envie de me coucher et mourir que d’écrire une ligne…..Merci donc à DD, Miller et MAzzucchelli….

  • Bruce lit  

    TIens ! JP une question pour un spécialiste. Le « never give up » apparait avant MIller où seulement dans Born Again.
    Ma femme a cédé à ma pression en lisant BA et je suis bien capable de répondre à cette question : « pourquoi FOggy fait ses courses au lieu de chercher son ami »…..

    • JP Nguyen  

      Oulah, je ne peux pas prétendre avoir lu tous les numéros de DD avant ceux de Born Again, alors…
      Ce que je sais, c’est que bien sûr, DD avait déjà eu l’occasion de démontrer son caractère indomptable et que, dans le run de Miller, quand il poursuit Bullseye dans le métro, il dit « I never give up. That’s why I always beat you. » La phrase est assez commune somme toute. Par contre, je ne crois pas qu’un autre auteur de DD l’ait élevé en leitmotiv comme le fit Miller dans Born Again. Et puis, ce qui fait la force de ses mots, ce n’est pas seulement cette formulation claire et succincte, c’est le contexte dans lequel Matt les prononce, après avoir traversé le purgatoire.

      Foggy aide Matt pendant son procès mais après la destruction de la maison de Matt, ils perdent contact, Matt devient fou et Foggy doit chercher un nouveau job… Foggy n’a pas de pouvoirs et pas de piste. Il n’est pas investigateur comme Ben Urich et même ce dernier ne retrouve Matt que parce que Matt le veut bien…

  • Tornado  

    Magnifique témoignage (plutôt que de dire « article » ou « commentaire »). Un véritable « JP Special Origins » !

    l’artist édition ! J’en rêve en VF. Malgré les arguments de Phil, hautement respectables, j’ai toujours rêvé d’une version recolorisée, façon « Killing Joke ». La simplification du dessin de Mazz au fur et à mesure du récit (que je n’ai lu qu’une seule fois et très tard il y a seulement quatre ans !!!), m’était apparu comme un défaut, que je pensais dû à un « baclage » pour causes d’obligations de terminer cet arc narratif dans les temps (de même que le dénouement, qui m’avait paru bâclé avec les Avengers).

    Bref, vous l’aurez compris, je n’ai pas du tout la même expérience que vous autres sur ce récit que j’ai pourtant trouvé très impressionnant. Et d’ailleurs, je ne l’ai jamais commenté, comme si j’étais intimidé par la tâche. Je m’en rends compte aujourd’hui, quand je lis tous vos commentaires qui me font me sentir petit au regarde de cette oeuvre majeure du medium super-héroïque.
    Je m’incline.

  • JP Nguyen  

    « Témoignage » est le bon mot, Tornado. Je ne cherchais pas à convaincre à tout prix les lecteurs n’appréciant pas cette BD (si,si, il y en a…) mais plutôt à expliquer, à travers mon expérience, pourquoi cette oeuvre avait eu un tel impact sur un certain lectorat…

    Allez, une petite anecdote bonus :
    En dernière année d’école d’ingé, je devais présenter un projet en « humanités », obligatoire pour valider le diplôme (en plus des matières scientifiques, bien sûr). Au lieu de torcher ça rapidos comme certains camarades de promo, j’ai réalisé un mini-dossier d’une dizaine de pages plus 8 planches en noir et blanc pour retracer la carrière d’un certain… Frank Miller. Pour valider le sujet, j’avais besoin de convaincre un professeur. Je m’adressai à un prof d’anglais qui avait aussi donné quelques cours de ciné (nous décortiquant entre autres quelques scènes de Taxi Driver), lui faisant pour cela lire Dark Knight Returns et… Born Again, of course !
    Il préféra nettement le premier, mais reconnut des qualités aux deux.
    Rétrospectivement, je trouve bien sûr mes planches très moches mais elles avaient le mérite d’essayer de refléter l’évolution du style et du découpage de Miller (quelle ambition !)
    Et la soutenance se passa fort bien, même si je dus défendre mon auteur fétiche devant un jury plutôt amateur de franco-belge et assez méfiant envers les comics…

  • Seb  

    Oh je vais l’acheter. Merci à vous.

  • Nikolavitch  

    Clairement un sommet de la série, avec un Miller et un Mazzucchelli tous deux au top. cette histoire abonde de pures leçons de narration BD, avec un découpage magnifique, et un sens de l’iconisation des personnages très poussé (l’apparition de Thor, par exemple, reste un modèle du genre de par sa simplicité redoutablement efficace).

    en ce qui concerne l’importance donnée à Urich, on peut noter que l’épisode revenant sur les origines de Daredevil, au tout début du run de Miller (lorsque le script est encore signé Mackenzie) fait la part belle au personnage, et constitue un premier sommet du run. il y a une vraie cohérence à long terme en associant Urich à la réitération des origines (avec une marque de confiance partagée) et à la déconstruction radicale à laquelle se livre Miller dans Born Again.

    • Bruce lit  

      Je ne renonce pas à continuer à déconstruire BORNA AGAIN vie un autre article consacré cette fois à Karen Page.

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