Cet obscur objet du désir (Panorama)

Panorama par Michel Fiffe

Un article de BRUCE LIT

VO : Dark Horse

VF : Delirium

1ère publication le 27/04/21 – MAJ le 19/03/22

PANORAMA est un One Shot écrit et illustré par l’auteur cubano-américain Michel Fiffe. Il s’agit d’un récit fantastique d’une centaine de pages toujours aussi impeccablement maquetté par Delirum et traduit par un certain Alex N.

Le trash de toutes les scènes de Body-Horror ne sont pas à mettre entre toutes les mains.

Moins trash mais tout aussi intenses, quelques spoilers panoramiques tout au long de cet article.

Augustus est un adolescent fugueur. Il a quitté le foyer de sa tante suite à une inquiétante mutation : son corps tel du plastique fondu coule, il ne peut plus contenir ses secrétions purulentes et selon ses émotions son organisme désobéit à toutes les lois de la nature. Il se réfugie alors chez sa petite Kim et…

Avec les filles je ne sais pas….
©Dark Horse Comics
©Delirium

PANORAMA c’est un peu les XMEN sans l’aspect super héroïque mais avec les moments que l’on préfère : celui où un ado découvre une mutation qui le met au ban de la société qui, effrayée (à juste titre, le Body Horror de Fiffe n’ayant rien à envier à celui de son homologue japonais Junji Ito ou du PARASITE de Hitoshi Iwaaki.) se met à le persécuter. S’ensuit alors une échappée de foyers en connaissances où chaque interaction avec Augustus ajoute une goutte supplémentaire à cette soupe au désastre.

PANORAMA avec son noir et blanc, c’est un peu le comic book que David Lynch, celui de ERASERHEAD et dans une moindre mesure de SAILOR ET LULA aurait pu écrire avec David Cronenberg.
Les corps de ces deux fugitifs est déformé par les désirs déréglés de Kim et Augustus, deux adolescents normés en tout et pas plus déviants que d’autres. Ils seraient même plutôt banals si cette métamorphose n’attirait pas l’attention sur eux.

Augustus, un ado presque comme les autres…
©Dark Horse Comics
©Delirium

Ce Panorama de leurs névroses n’est possible que par la mise à nu de leur enveloppe métamophe-osée qui va permettre au lecteur de découvrir l’angoisse existentielle de Augustus vu de l’extérieur puis des sentiments intérieurs amoureux absolus de Kim avant que son désir de vivre ne soit plus fort que de porter en elle le deuil de son ami englouti.

Comme DANS LA PEAU DE JOHN MALKOVITCH, ce récit surréaliste où les genres se confondent sert à la fois de miroir déformant puis informant à ces deux adolescents et leur entourage : la révélation de leur égoïsme, de leur fuite en avant et ce vers quoi leur déformation leur indique comme chemin de retour : la normalité la plus routinière finalement moins mortelle qu’une existence déstructurée, soumise uniquement à des pulsions d’argent, de sexe ou d’abus de l’autre.

En cela le récit de Fiffe peut-être comme moral sans être pour autant moralisateur. Cette énergie bouillonnante doit être canalisée sans être étouffée, cet amour absolu mérite d’être vécu plutôt que rêvé, cette vie affrontée plutôt que fuitée.

Allo Junji ?
©Dark Horse Comics
©Delirium

Réduits dans un premier temps à des amas de chairs et de secrétions Augustus et Kim parviennent avec le talent de Fiffe à gagner en consistance . Le récit reste limpide et entendable grâce aux jalons que Fiffe laisse sur cette peur de vivre et d’enfanter.
L’auteur parvient même à impliquer son lecteur dans son histoire : c’est bien notre regard qui, en surmontant le dégout de ces scènes horrifiques, parvient à faire passer ce récit en couleur en offrant sécurité et compassion à ces deux freaks.

Une écriture solide et solidaire avec son lecteur couplée à une authentique déclaration d’amour aux capacités de la bande dessinée à jouer avec les formes, les morphologies, y insérer des dialogues lors d’un accouchement dantesque via un découpage maitrisé.

Delirium n’aura jamais autant mérité son appellation qu’en publiant cette BD mutante qui ne s’écoulera pas à des milliers d’exemplaire mais qui saura trouver un public curieux et avide de nouvelle sensations.

Voilà un récit atypique et profondément attachant qui ne dépareillera pas à côté des récits de Jeff Lemire ou de Matt Kindt dont les tronches fissurées et mal assurées , la tentation de la fuite et du repli sur soi sauront trouver en Michel Fiffe un nouveau compagnon d’arme.

Allo, Jeff Lemire ?
©Dark Horse Comics
©Delirium

13 comments

  • Présence  

    Merci beaucoup pour cette présentation d’une œuvre de cet auteur que je ne connais qu’à travers ses critiques pour The Comics Journal, et une saison (2014/2015) très originale des Ultimates de Marvel.

    J’avais très envie de découvrir ses œuvres, tout en étant un peu rebuté par ses dessins que ce soit dans Panorma, ou dans sa série Copra.

    Ton article ayant fait œuvre de passeur, je doute résister encore longtemps à la curiosité.

  • Tornado  

    Jamais entendu parler.
    Bel article, inspiré, qui sait mettre en valeur ce qui pourrait faire partir en courant au premier abord.
    C’est vrai que le sujet semble tout droit sortir d’un concept bien vertigineux de mangaka.
    Delirium : L’éditeur qui a des couilles…
    La BO, non. Merki.

    • Bruce lit  

      Oui, Delirium prend de vrais risques et c’est notable sur cette édition. J’ajoute que le papier est très agréable au toucher et que sa texture permet de faire ressortir le noir et blanc de Fiffe. C’est une vraie plus value que de lire de la BD aussi bien présentée. Ma collection Deliriium c’est l’instant beauté de ma bibliothèque.
      Il y a effectivement du concept manga dans le fond et la forme de ce Panorama.

  • Nikolavitch  

    Et gros plaisir de traduction. Trouver le ton juste n’a pas été facile. Mais c’est une œuvre forte, très polysémique, bien plus dense qu’il n’y parait.

  • Surfer  

    Ton comic-book ressemble plus à un manga.
    Il traite d’un thème qui m’intéresse. Je suis fasciné par certains films de Cronenberg ou Lynch qui traitent aussi du sujet.
    J’ai d’ailleurs revu récemment ERASERHEAD ( il est sur Netflix). Un Body Horror envoutant qui m’a de nouveau secoué.
    Ce film intemporel avec une musique tellement immersive et son esthétique N&B mystique et cauchemardesque me marquera assurément encore de nombreuses années .

    La BO: Bof…Bof…Bof…

    • Bruce lit  

      ERASERHEAD est un film tellement marquant… Rappelons que par la suite son héros Jack Nance apparaîtra dans tous les films de Lynch jusque sa mort.
      Lynch fait partie de mon Top 5 en tant que cinéaste, son LOST HIGHWAY est un film que je chéris particulièrement.
      La BO : j’aime bcp la pop indie, celle enfantée par Daho dans les années 80’s tout en délicatesse et élégance. Frederic Lo a ressuscité Daniel Darc. Sa voix est forcément plus plate mais ce duo avec Eicher et globalement tout son album fonctionne. Excellent duo également avec Elli Meideiros.

  • Jyrille  

    Cela fait un certain temps que cette bd a pignon sur rue et elle me tente bien. J’aime beaucoup ton article qui relève tous les points forts, et rien n’indique que je ne vais pas craquer à un moment ou un autre. J’aime bien le dessin et tout ça semble très underground. Si en plus Alex trouve que le texte est subtil, c’est encore plus intrigant.

    Je note donc.

    La BO : connais pas. Stephan Eicher ? C’est sympa.

  • FranckG  

    Bravo. J’ai eu du mal avec ma chronique sur PBD, car c’est surtout une chronique de nouveauté sur laquelle je ne peux pas vraiment m’étendre, et trop en dire casserait le « mystère » de cette œuvre beaucoup basée sur l’improbable, le fantastique, l’horreur… alors que… !?
    C’est donc avant tout un témoignage à mon avis, et tous les lecteurs (les plus jeunes) ne réussiront peut-être pas à piger ou rentrer dedans comme il le faudrait. Je dirais que c’est une œuvre plus Cronenbergienne que Lynchienne, dans ce qu’elle a de démesure, mais elle analyse avec justesse (et une sacrée métaphore) des problèmes humains psychologiques vécus par pas mal de monde lorsque l’on devient par…s.
    Un vrai chef d’œuvre donc à mon sens, finement mené.
    No spoil !!?

  • Bruce lit  

    J’ai effectivement retouché un peu l’article ce matin pour ne pas trop divulgacher.
    Par contre si l’influence Cronenberg est là, le traitement des émotions, l’empathie envers les personnages et le couple fugitifs me fait d’avantage penser à Lynch. Cronenberg n’a jamais bcp d’empathie pour ses personnages, Lynch si.

  • Eddy Vanleffe  

    Parasite est le premier repère qui me vient à l’esprit quand je vois les scans qui sont assez perturbants et marquants il faut bien le dire…

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