La ballade de John Lennon

Lennon par Corbeyran et Horne

Une séance de BRUCE LIT

VF : Marabulles

1ère publication le 17/05/19- MAJ le 12/12/20 

Imagine John Lennon ©Marabulles

Imagine John Lennon
©Marabulles

LENNON est une histoire complète scénarisée par Corbeyran et dessinée par Horne. Il s’agit de l’adaptation en BD du roman de David Foenkinos (auteur de LA DÉLICATESSE) qui propose une revisitation du mythe du Beatle assassiné en 18 séances chez une psychanalyste dont on ne verra jamais le visage.  N’ayant pas lu le roman, il ne me sera pas possible de rendre à Foenkinos ce qui est à Corbeyran.

Il n’est pas nécessaire d’avoir une vaste connaissance de la vie de John Lennon pour apprécier cet album, la narration étant limpide et très pédagogique. Et puis tout le monde, je veux dire,  le monde entier connaît Lennon, non ? 

Pas de spoilers, la fin on la connaît déjà : il meurt….

Internet relaie souvent cette citation de John Lennon qui me bouleverse à chaque fois : A l’école, quand on m’a demandé d’écrire ce que je voulais être plus tard, j’ai répondu « heureux ». Ils m’ont dit que je n’avais pas compris la question, je leur ai répondu qu’ils n’avaient pas compris la vie..  Impossible de savoir si cette anecdote est véridique mais elle illustre parfaitement l’intime tourment de l’auteur d’IMAGINE : cette aspiration à être heureux et ne jamais y parvenir, malgré le fait que cet homme, plus célèbre que Jésus Christ,  avec son groupe ou en solo, aura embelli la vie de milliards de terriens, malgré les drogues, les femmes,  l’idolâtrie qu’il suscita et le couple mythique qu’il fonda avec Yoko Ono.

Naissance de John Winston Lennon. ©Marabulles

Naissance de John Winston Lennon.
©Marabulles

Tout au long de ces 18 séances, Corbeyran propose 18 tableaux avec une thématique spécifique où, comme en analyse, l’esprit de Lennon vagabonde entre son passé et son présent.  Le musicien va faire des liens entre sa volonté de créer un groupe pour recréér une famille idéale qu’il détruira le moment venu lorsqu’il s’estimera assez grand pour être lui-même et non plus l’excentrique d’une formation dont il estimait l’image trop lisse.

Ce qui frappe dès l’ouverture de cette histoire, c’est l’exacte appropriation de la langue de John Lennon par Corbeyran. Celui-ci retranscrit à merveille les traits d’esprit du musicien réputé pour son humour, sa lucidité et sa fragilité. Les rockers retrouveront avec bonheur l’exactitude de la mythologie Beatles : les concerts à la Cavern, Stu Stutcliff, le voyage en Inde, la rencontre avec Yoko et sa relation avec son frère ennemi Paul McCartney.

Mais, alors que trop souvent les biopics hollywoodiens brillent par leur réécriture et leur omission (le BOHEMIAN RHAPSODY qui gomme l’homosexualité de Freddy Mercury en est l’exemple le plus récent et surtout le plus navrant), LENNON permet au lecteur d’avoir une vision globale de l’homme et de l’artiste. Un artiste torturé et malheureux qui tentera toute sa vie de soigner une enfance épouvantable.  John Lennon naît en plein bombardement de Liverpool pendant la seconde guerre mondiale. Son premier cri est couvert par les sirènes. L’ironie de Lennon voudra qu’il regrette ne pas avoir été enregistré à ce moment là, cela aurait valu une fortune….

Le groupe comme substitut à la famille d'un enfant abandonné. ©Marabulles

Le groupe comme substitut  familial d’un enfant abandonné.
©Marabulles

Vient ensuite l’enfance de celui qui hurlera MOTHER dans son PLASTIC ONO BAND. Lennon est abandonné une première fois par son père qui, marin, passe tout son temps hors du foyer (Daddy, Don’t go !). Quant à Julia Lennon, c’est une jeune femme qui ne souhaite pas rester otage d’un nourrisson ; tant et si bien que le bébé John passe toute ses nuits à hurler, seul (SEUL !)  dans son couffin pendant que sa mère batifole à l’extérieur (Mommy, Come Home !).

John sera alors élevé par sa tante Mimi jusqu’au jour où ses parents l’enlèvent et  lui imposent un choix inhumain : choisir avec  lequel de ses parents il préfère vivre.  Le coeur du petit John est de nouveau brisé et ce choix si cruel n’aura finalement aucune importance :  il est de nouveau abandonné par ses deux  parents juste avant l’adolescence.

Son père lui soutirera de l’argent toute sa vie. Il se réconciliera avec sa mère juste avant que celle-ci ne meurt heurtée par un chauffard qui catapulte son corps sur 30 mètres. Le jeune John bouillonne de colère et de rage : il se bagarre, blesse sérieusement tous ceux qui l’importunent.  Sa rencontre avec son exact opposé solaire Paul McCartney le sauvera de la délinquance. Si le succès amènera son lot de satisfaction immédiate, notamment sexuelle, Lennon sombre très vite dans la dépression. Il picole plus que de raison, il appelle à l’aide sous les vivats de son public (HELP) et doit passer son temps à se cacher de ses fans, cacher qu’il est marié et père de famille.

LENNON oscille entre l’empathie que l’on peut éprouver pour cette vie si torturée et l’aversion que les réactions de John déclenchent chez le lecteur. Car l’homme aura sacrifié beaucoup de vies dans sa quête du bonheur : sa femme Cynthia qu’il humilie en permanence, son premier fils Julian qu’il n’arrive pas à aimer , la petite May son assistante personnelle dans le lit de laquelle il trouve le réconfort durant sa rupture avec Yoko Ono avant de la laisser tomber impitoyablement.

Le chanteur de WOMAN se comportait comme un enfant irresponsable avec les femmes de son entourage. ©Marabulles

Le chanteur de WOMAN se comportait comme un enfant irresponsable avec les femmes de son entourage.
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La magie de la bande dessinée nous permet d’avoir un regard double sur cet homme double et dont le dernier album s’appellera….DOUBLE FANTASY. Non, John Lennon n’était pas un saint et la manière chaotique dont il a fait souffrir ceux qui l’aimaient n’étaient que les reflets de sa propre culpabilité. Oui, la voix off du personnage, les séquences assemblées par la magie de la psychanalyse permettent de donner du sens aux actes immoraux d’un artiste qui tentera dans le dernier quart de sa vie d’expier ses péchés un à un. A aucun moment les auteurs ne jugent les actes contradictoires de cet homme chantre sincère du féminisme mais qui faisait tant souffrir les femmes en coulisses.

Il deviendra ainsi le premier rocker père au foyer en négociant avec Yoko ce deal infranchissable pour les machos de l’époque : John élèvera Sean Lennon, l’enfant de l’amour inattendu puisque Yoko l’aura porté au péril de sa vie (à 42 ans elle enchaînait les fausses couches). A ceux qui reprocheront à Ono d’avoir dissout les Beatles, Lennon n’aura de cesse de répéter qu’elle l’aura, au contraire, sauvé d’une mort certaine. Pour sa femme et son fils, il arrêtera l’héroïne, trouvera de la poésie à passer l’aspirateur à la maison et un sens à sa vie en donnant des biberons. C’est dans la plus stricte simplicité (d’un homme à l’abri du besoin financier) qu’il se sentira enfin lui même et dont DOUBLE FABTASY se fera l’écho après une carrière solo agrémentée de chansons assez lugubres.

Une mise en scène habile où le lecture est à la fois dans les souvenirs de Lennon et sur le Divan avec lui. ©Marabulles

Une mise en scène habile où le lecteur est à la fois dans les souvenirs de Lennon et sur le Divan avec lui.
©Marabulles

Si la narration de Corbeyran est brillante de bout en bout, le dessin de  Horne n’est pas en reste. Le regard vaporeux de Yoko, les différents look de Lennon, le minois enfantin de Paul, la James Dean attitude de Stu, tout est parfaitement rendu, croqué, exact.  La répétition de certaines séquences, l’aspect figé de ses planches sont autant d’instantanées de souvenirs de John Lennon et des leitmotivs qu’une séance d’analyse induit.

Le lecteur quitte John Lennon soulagé, libéré de ces 18 séances où il s’investit avec une honnêteté exceptionnelle, avec un sourire aussi beau qu’une balle, celle de Mark Chapman qui l’attend en bas de chez lui et qui mettra un point final à sa quête de bonheur. Un véritable parcours romanesque du héros qui meurt à la fin alors qu’il aura triomphé des pires dragons en lui-même.  Cruelle ironie : c’est parce que John Lennon semble heureux que Chapman l’abat. Le chanteur est devenu à ses yeux un petit bourgeois qui a trahi la cause rock.

LENNON est un splendide hommage au père fondateur de la musique populaire. Une simplicité sophistiquée à peindre le portrait d’un homme qui ne soit ni dans la justification, ni dans la victimisation. Comme une chanson des Beatles.  All you need is love, John is all you need !

Lennon, jugé coupable d'être heureux va être abattu. ©Marabulles

Lennon, jugé coupable d’être heureux va être abattu tel un nouveau Christ.
©Marabulles

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Et si Lennon était parti voir un psy avant sa mort, il aurait parlé de quoi ? De sa vie, de son enfance tourmentée et des Beatles bien entendu. Lennon un bijou de Corbeyran et Horne à découvrir chez Bruce Lit.

Merci Mr Lennon d’avoir existé

104 comments

  • Sophie  

    Je suis ressortie de votre article les larmes aux yeux tant par la force et la conviction de votre style que par la magnifique citation de John Lennon sur le bonheur. Ma journée en a été changée et je vous en remercie. Je vais acheter cet album.

    • Bruce lit  

      Pardon pour la réponse tardive Sophie.
      Je suis très touché de votre attention et suis à mon tour ému d »apprendre qu’à mon échelle j’ai pu contribuer au bonheur d’autrui… Love is all you need.

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