LES BELLES FOLIES (LE BARON)

LE BARON par Jean-Luc MASBOU

Un article éthéré d’ EMMANUEL BALLANDRAS

1ère publication le 11/02/20 – MAJ le 27/08/21

VF : Delcourt

©Delcourt

En me baladant dans une librairie, je suis tombé complètement par hasard sur ce bouquin au dos toilé, avec un petit papier publicitaire spécifiant : Par le dessinateur de DE CAPE ET DE CROCS. Pour moi, il n’en fallait pas plus pour que j’embarque le bouquin sans même l’ouvrir ! Direction la sortie en courant ( après avoir payé hein? Faut pas abuser non plus) pour vite me régaler !

Mon grand amour pour la saga DE CAPE ET DE CROCS. m’avait fait dire qu’il était impossible que je sois déçu avec l’histoire que j’allais lire. Et je ne m’étais pas trompé !

La première fois que j’ai entendu parler du baron de Münchhausen, c’était avec le dessin animé Le secret des sélénites qui passait à la télévision en 1984 ( déjà???). J’apprendrai un peu plus tard que ce fameux Münchhausen a vraiment existé, qu’il était militaire et un conteur d’histoire. Plus tard, certaines de ces histoires extravagantes furent reprises et éditées en livre par un anglais qui commercialisa ces fables.

Souvenir des quarantenaires…

Au travers du bouquin Le baron, Jean-Luc MASBOU enfile la double casquette de scénariste et de dessinateur. Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire les autres ouvrages qu’il a pu faire en tant que scénariste… mais en tant que dessinateur, je savais déjà à quoi m’attendre, c’est-à-dire du très bon.

Le baron de Münchhausen est présenté comme un ancien militaire allemand à la retraite durant la fin des années 1700. Après avoir risqué sa vie plusieurs fois à cause de son métier, il mène une vie paisible près du village de Bodenwerder où il est connu comme une figure locale. Car en effet, la grande particularité du bonhomme est de raconter des histoires le plaçant dans des situations irréelles, exagérées, et impossibles à croire. Pourtant, la plupart des gens aiment beaucoup cet aristocrate excentrique, connu pour son grand art à captiver les foules malgré l’énormité de ses propos. Et comme le bougre est d’une foncière gentillesse, tout le monde l’apprécie beaucoup, exceptées les personnes désabusées. La femme du baron fait partie d’ailleurs de cette catégorie-là, ne tolérant que très peu ses gentilles divagations. Or, un marchand ambulant arrive dans la petite bourgade et présente aux habitants un livre parlant des aventures de leur baron. Lorsque le baron lit le bouquin, l’histoire commence à prendre forme.

Le scénario est vraiment pertinent et très actuel. Münchhausen est dépeint comme truculent, tendre, cabotin, à la fois perché et les pieds sur terre… Il sait aussi très bien qu’il arrive bientôt au terme de sa vie. Après avoir été confronté à l’horreur des guerres, il ne garde pourtant aucune séquelle psychologique des batailles, et il n’aspire qu’à apporter de la joie et du rêve à son entourage par ses talents de conteur. Mais cette envie est contrariée par des personnes de son entourage acariâtres ou incrédules, refusant de rentrer dans son petit jeu. Tandis qu’au contraire, d’autres ne demandent qu’à entendre ces histoires, aussi rocambolesque soient-elles, pour se sentir émerveillées.

Le baron découvre qu’on a écrit ses histoires
©Delcourt

Le style de dessin est immédiatement reconnaissable pour les amateurs de la série De cape et de crocs. Fidèle à son habitude, MASBOU réussit grâce par sa grande dextérité en peinture à réaliser de superbes décors dans lesquels on s’immerge pour entrer dans un monde mi-onirique, mi-réel. Quant aux personnages, ils sont haut en couleurs et sont tous parfaitement distinguables.

Tout le long de l’histoire, Münchhausen se heurte aux esprits retors et pragmatiques, et saisit la moindre opportunité pour raconter ses folles histoires issues de son imagination à qui veut l’entendre. On le voit passer de la joie à la résignation lorsqu’il est obligé de réaliser des tâches qu’il n’a pas envie d’accomplir : ce genre de choses que les artistes ne supportent pas car ils se sentent esclaves ou soumis à des obligations voulant annihiler leur côté artistique et rêveur. Entre procrastination, résignation, et tristesse de se sentir étranger dans le monde dans lequel il vit, Münchhausen garde néanmoins un cap. Il sait qu’il arrive à divertir les foules par ces histoires et se fait un point d’honneur à apporter un peu de joie par ses exagérations imaginaires.

On commence alors à discerner une portée philosophique que l’auteur est parvenu à instiller discrètement : est-ce un tort de faire rêver des gens par des fariboles ou des contes impossibles? Et qu’en est-il de nous, amateurs des arts et des lettres qui, au 21ème siècle, sommes confrontés à des politiciens pédants et égoïstes, au réchauffement climatique, à la pauvreté grandissante, aux esprits vindicatifs, aux pervers narcissiques, à la télé-réalité, etc? 

Que peut-on dire aux gens qui considèrent que la pop culture est un passe-temps seulement digne pour les enfants ? Au final, qui sont les plus malheureux ? Ceux qui n’arrivent pas ( ou plus) à rêver? Ou ceux qui parviennent encore à s’évader par la soupape de sécurité qu’apportent la musique, les films ou la bande dessinée ?

Et bien croyez-le ou non, mais dans Le Baron, certaines questions se posent à nous-même. Et lorsque nous aurons trouvé la réponse, nous parviendront à nous situer davantage dans ce monde. Cette perspective vous semble trop ambitieuse ? Essayez, vous pourriez être surpris…

Ces décors ! Ces couleurs!
©Delcourt

19 comments

  • Tornado  

    J’ai beau avoir la série DE CAPE ET DE CROCS, je ne connaissais pas cet album !
    Ton article est bien tentant, à la fois par le choix des planches, toutes absolument magnifiques, et à la fois par la description du contenu, qui a l’air enchanteur et plein de sens. Bref, tout ce que j’aime ! 👍

  • Eddy Vanleffe  

    Masbou est un graphiste surdoué et hors norme dans sa minutie qui en plus plus de tout cela sait donner dans la fantaisie…
    si des gens ne lisent pas DE CAPE ET DE CROCS, il faut qu’il essaient, c’est une oeuvre d’art absolue et la preuve qu’on peut lire des trucs intelligents et brillants sans se prendre la tête…

  • Matt  

    Le secret des Selenites ? What ?
    Mais euh…non, le titre c’est bien les fabuleuses aventures du légendaire baron de Munchausen.

    C’est quoi cette jaquette et ce titre avec ces personnages ??
    Je l’avais sur une VHS ce dessin animé, enregistré par mon oncle je crois.
    On parle bien de ça hein ?
    https://www.youtube.com/watch?v=P38_kvG5H9U

    Bon ça a très mal vieilli, mais j’ai connu comme ça aussi ce personnage.
    Mais là y’a un truc chelou sur le titre…c’est un autre dessin animé le secret des machins.

    Bon bref^^
    Jamais trop connu autre chose sur ce personnage. Il y a des films aussi, mais jamais vu aucun.

    La BD a l’air jolie. Faut voir…

    • Tornado  

      Il y a deux superbes films :

      Celui de 1943, réalisé et adoubé par le régime nazi. A cause de ça le film a trimballé pendant des lustres une réputation abominable alors que c’était juste une superproduction germanique, juste une féérie avec rien de nazi dedans… C’est un chef d’oeuvre, à ranger à côté du Voleur de Bagdad de 1940.
      Et la version de Terry Gilliam, truculente et irrésistible, avec plein d’acteurs géniaux dans les seconds rôles (Robin Wiiliams même pas crédité en roi de la lune lubrique et déjanté !).

      carrément un manque à ta culture cinématographique !!!

      • Matt  

        Ok ok je note. Pas la peine de s’exciter hein !! Toi aussi t’as des manques, non mais !^^

        Robin Williams pas crédité ? Bah euh…pourquoi ?

  • Manu  

    @Tornado : merci bien! Si tu as l’occasion de lire au calme « Le Baron » surtout ne t’en prive pas! Je trouve d’ailleurs que ce bouquin se savoure mieux en s’isolant du reste du monde 😉

    @Eddy : je te rejoins sur tous les points! Masbou et la série « De cape et de crocs » sont à mes yeux des must-have de la bande dessinée française.

    @Matt : non, je parle bien du film d’animation « Le secret des Sélénites ». C’est une autre film d’animation que celui des « fabuleuses aventures du légendaire baron de Münchhausen ». « D’ailleurs, « le secret des Sélénites » reprend la même galerie de personnages secondaires accompagnant le Baron. En revanche, je n’ai pas pu voir les films dont parle Tornado.

  • JP Nguyen  

    Ah, mince… encore un article qui donne envie d’acheter !
    J’ai lu et apprécié De Cape et de Crocs, les planches sont très jolies et en plus, ce Baron n’est qu’un one-shot… Pas de risque de série à rallonge.
    Mon seul prétexte sera donc ma fréquentation limitée des points de vente ces derniers temps… Mais entre le Van Gogh de Zezelj et cette BD, voilà vraiment deux idées de futurs achats…

    • Manu  

      Merci JP,! Oui c’est du one-shot, donc tu peux te laisser tenter sans devoir attendre de suite.

  • Présence  

    Tout pareil que Tornado.

    Ton article est bien tentant, à la fois par le choix des planches, toutes absolument magnifiques, et à la fois par la description du contenu, qui a l’air enchanteur et plein de sens. Bref, tout ce que j’aime !

    Je suis passé plusieurs fois devant cet album à la FNAC, et j’avais réussi à résister jusqu’ici (pour une fois), ce dont je n’étais pas peu fier. Et voilà que ton article fort joliment tourné a fait voler en éclat ma bonne résolution. Je te dis quand même merci.

    • Manu  

      Merci à toi cher Presence. Si tu en as la possibilité, n’hésite surtout pas, car l’histoire est très jolie et super bien illustrée.

  • Bruce lit  

    Alors si quelqu’un peut m’expliquer « La barbichette de Sainte Dorothée », je me coucherai moins bête ce soir…
    Un an de confinement nous aura rappelé l’importance du rêve, du plaisir et la fantaisie. Cette époque m’attriste tellement, la politique s’invite partout, nous y sommes des citoyens enrôlé de force dans des causes souvent justes mais terre à terre.
    Voilà qui pourrait correspondre à mon besoin de lecture Manu. Complétement d’accord avec toi sur le besoin de rêver. Encore. Toujours. Dans ma Wish List.

    • Manu  

      Tout à fait Bruce… Je n’ai que 43 ans, mais je commence de plus en plus à ne plus aimer le monde dans lequel on vit. Les évènements vont trop vite et trop fort. La superficialité est trop grande. Mais l’art permet de s’évader et de respirer. Alors continuons tant qu’on le peut 🙂

  • Jyrille  

    Je suis passé tout à l’heure à la Fnac et je suis tombé dessus. L’objet est très beau, le dois toilé fait tout de suite chic, le format est généreux, mais le prix m’a dissuadé (à la place, j’ai pris les deux Donjons qui me manquaient (hein Bruce) et le dernier tome de MIND MGMT : je vais pouvoir attaquer).

    Je ne connais pas le nom du dessinateur de De capes et de crocs mais en regardant les scans j’ai immédiatement pensé à lui. J’aime bien cette série, que je n’ai pas lue en entier (peut-être huit ou neuf tomes) et que je n’ai pas, mais je ne suis pas un grand fan, notamment parce que je ne suis pas très friand du dessin. Il est précis, expressif, très chaleureux et coloré, avec de très beaux décors, mais il est un peu trop figé pour moi.

    Je n’ai aucun souvenir du dessin animé dont tu parles, je crois que ma première rencontre avec le Baron est le film de Terry Gilliam de 1988. J’en ai un souvenir flou, mais la photo et les décors étaient typiques de Gilliam, très beaux et organiques. D’ailleurs je me souviens d’une interview où il disait qu’il était tombé amoureux du décor (de cinéma) du théâtre (dans le film, suivez un peu). Et c’est vrai que le théâtre est sans doute le grand point commun entre le Baron et De capes et de crocs.

    A lire ton résumé, je me rends compte que c’est aussi le pitch de BIG FISH de Tim Burton. J’aime beaucoup ta conclusion, cela fait plusieurs décennies que j’ai choisi mon camp, camarade ! Après t’avoir lu, je me demande si je n’aurai pas dû la prendre finalement.

    Et la BO ?

    • Manu  

      Excellente analyse sur le point fédérateur du théatre, Jyrille!
      Pour ma conclusion, je suis plus que ravi que cela t’ai parlé 😀 Entre la passion ou la raison, il est parfois difficile de faire des choix. Mais si on se conforme et qu’on ne vit plus, on meurt à petit feu…

  • Matt  

    Voilà j’ai reçu aujourd’hui le DVD du Baron de Münchhausen de Terry Gilliam. T’es content, Tornado ? Hein ?

    Ahem…je fais semblant hein^^
    Merci pour la recommandation.

    Mais punaise, c’est mon voisin qui me l’a envoyé ou quoi ? Commandé hier, arrivé aujourd’hui…

  • Présence  

    Bonjour Emmanuel,

    j’ai suivi tes conseils et j’ai fini par lire cette BD. Merci beaucoup pour cette découverte.

    https://les-bd-de-presence.blogspot.com/2021/06/le-baron.html

    Bien évidemment, le lecteur comprend avec l’introduction que le thème principal est celui de l’affabulation, de l’histoire imaginaire. Mais ce thème ne prend pas le pas sur l’histoire : il ne l’écrase pas, elle ne devient pas un simple artifice sans substance. Bien sûr il se produit une mise en abîme puisque c’est l’histoire d’un conteur hors pair, qui redécouvre ses histoires dans un livre qui les regroupent, et cette histoire est elle-même racontée par le conteur qu’est le bédéaste. Mais la forme de la narration n’a rien de nombriliste, ni d’intellectuelle. Le plaisir de lecture reste au premier degré, libre au lecteur d’envisager ce second degré s’il le souhaite. S’il y est sensible, il se rend également compte que le baron évoque d’autres thèmes en passant. Il parle avec sa femme de son choix d’abandonner la guerre, pour arrêter de tuer, de la futilité d’assommer ses invités en étalant ses possessions, ou encore de ce qu’un individu peut souhaiter laisser à la postérité.

    Juste une adaptation des aventures du baron de Münchhausen ? Que nenni ! Un album aux magnifiques dessins, une narration très agréable à l’œil, jouant gentiment sur la forme pour souligner l’importance de la qualité de la narration dans une histoire. Une évocation de certaines des aventures du baron, avec une verve et une faconde au goût inoubliable. Un récit avec des réflexions justes et touchantes. Une belle histoire qui célèbre les affabulateurs.

    • Manu  

      Diantre j’avais loupé ton commentaire Présence! Mes excuses les plus plates. Ton article est carrément excellent.

      • Présence  

        Du coup, je te renouvelle mes remerciements pour avoir su trouver les mots pour me convaincre de lire cette bande dessinée : merci.

        • Manu  

          Vous en êtes un autre très cher

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