Vivre libre ou mourir

Pride of Baghdad par Brian Vaughan et Niko Henrichon

Première publication le 10 aout 2014. Mise à jour le 18 janvier 2015. 

Beauté Féline

Beauté Féline…©Vertigo

Pride of Baghdad ( POB ) est une graphic novel sortie en 2006 chez Vertigo puis publiée en France d’abord par Panini puis Urban Comics sous le titre Les Seigneurs de Bagdad.

C’était une autre époque ! Ni meilleure, ni pire.

Simplement celle de la deuxième guerre du golfe où la notion de camps était devenue impossible entre un tyran Irakien genocidaire et un abruti américain qui se lança dans une guerre illégitime en traînant dans le sang le concept de démocratie.

Que ce soit le monde de la musique, du cinéma,  des séries Tv ou de la littérature,  chacun y allait de son couplet anti Bush.

A tel point que ce qui était une expression d’indignation légitime se transforma bientôt en un empilement de lieux communs, le pompon étant décerné à Madonna, une artiste à l’authenticité avérée,qui encourageait toute milliardaire fut elle, à la résistance habillée en Che Guevara, un mec hyper cool aux positions pacifiques reconnues…

Brian  K Vaughan auteur de comics à succès décide lui aussi de filer l’allégorie de l’absurdité, de la violence et de l’injustice de la guerre en Irak en brossant le portrait de 4 lions échappés du zoo de Bagdad.

Il reconnaît en postface s’être inspiré d’un fait divers où des lions affamés dans les rues irakiennes avaient été abattus par des soldats américains. A partir de là, il brosse le portrait de cette féline famille composée du lion Zill,  sa compagne Noor,  leur lionceau Ali et Safa vieille amante borgne et bourrue. Lorsqu’un missile tombe sur leur zoo, ces animaux qui n’ont plus que de vagues souvenirs de la liberté, de la chasse et des couchés de soleil dans la savane.

Vaughan est un scénariste doué et sympathique. On ne peut guère l’accuser d’opportunisme, à l’inverse de la Madonne si conne. Voilà un type qui a écrit Y The Last Man, une histoire où le seul homme vivant sur terre pensait à retrouver sa fiancée plutôt de forniquer la planète entière. Voila un auteur qui,chaque fois qu’il le peut embauche des dessinatrices, population rarissime dans l’industrie alpha mâle des comics.Et voici un scénariste qui se donne souvent la peine de donner une épaisseur psychologique crédible à ses histoires et ses personnages.

Quand on arrive en ville

Quand on arrive en ville !©Vertigo

Ici Vaughan fleure bon la métaphore de la liberté. Il donne à chacun de ses lions une voix intérieure, un point de vue respectable sur l’avantage et les dangers de cette liberté. Alors que Noor ne pense qu’à s’enfuir du zoo quitte à fomenter des alliances contre nature avec des singes et des impalas, Safa, vieille lionne fatiguée préfère la sécurité du zoo  plutôt que de risquer sa peau. Plus en retrait les personnages masculins Zill et Ali incarnent respectivement la force et la paresse masculine ainsi que l’innocence de l’enfance.

On retrouve dans POB certaines thématiques que Vaughan abordait dans Y The Last Man : un monde en ruine, une société désagrégée où une famille tente de retrouver une place. Comme souvent chez cet auteur, on accroche immédiatement avec ses personnages, leurs personnalités et l’ambiance de l’histoire. Vaughan est un scénariste cultivé qui s’est souvent servi de son médium pour poser des questions philosophiques, notamment ici autour de la valeur d’une liberté acquise sans que l’on ait à se battre pour elle.

Nature Vs Culture

Nature Vs Culture©Vertigo

Malheureusement, Vaughan cède une fois de plus à son péché mignon : l’expédition de ses intrigues. Une fois libres, nos lions rencontrent d’autres habitants de la savane, dissertent sur la folie des hommes et se rendent compte qu’uil est plus facile de dévorer une carcasse dans un zoo que de chasser et libérer un instinct animal entravé par des années de captivité.

Dans ces moments, Vaughan peint de charmantes vignettes remplies d’humour et d’affection pour ses personnages. Dans la dernière partie de son récit, il cède à l’action spectaculaire alors que la première partie plus contemplatives lui permettait de traiter son sujet. Quelques pages avant la fin, il met en scène un duel avec un Grizzly pervers aussi idiot qu’inutile.

Duel contre un gros bêta violeur de félines....

Duel contre un gros bêta violeur de félines….©Vertigo

Ceci serait pardonnable si Vaughan ne tombait pas dans tous les pièges du récit anthropomorphique. On sait depuis Esope et La Fontaine que cette forme de récit permet de disserter sur la nature humaine en prenant la place d’animaux. Or très vite, il est flagrant que Vaughan ne maitrise pas cette forme de récit.

Pour comprendre les raisons de la cécité de Safa, on apprend que celle-ci a été victime de viol de la part du mâle dominant de sa tribu. C’est un peu réducteur, facile et le viol féminin permet encore une fois à un scénariste paresseux de mettre en scène la souffrance d’une femelle. Mais lorsque l’on voit dans la séquence suivante un troupeau de lions se préparant à un viol collectif, on se demande où Vaughan a la tête. Pourquoi ne pas mettre en scène de vraies humaines dans un récit de guerre plutôt que de nous raconter l’histoire d’une lionne traumatisée ?

Viol collectif dans la jungle, terrible jungle ?

Viol collectif dans la jungle, terrible jungle ?©Vertigo

Vaughan dit avoir passé beaucoup de temps à se documenter dans un zoo américain. Quelqu’un pourrait il lui dire qu’il n’existe pas de tortues marines dans  Le Tigre ? Que des oiseaux ne peuvent pas s’envoler d’un zoo qui leur brise les ailes ? Qu’un Lion n’a pas de sens de l’honneur ? Qu’une Lionne avec deux yeux crevés ne se ballade pas tranquillement comme si de rien n’était ?

Et puis, c’est quoi ces dialogues ? Un Lion qui lorsqu’il s’énerve traite les autres d’animaux ? Un Ours qui menace de violer des lionnes ? Le même qui se moque de nos amis en leur reprochant de scier la branche sur laquelle elles sont assises ? Vaughan se plante sur toute la ligne. Il veut mettre en scène des animaux innocents victimes de la folie des hommes. Il décrit finalement  des hommes qui agissent et s’expriment sous la forme de lions et autres bêtes sauvages !

La crinière au vent !

La crinière au vent !©Vertigo

Heureusement Pride of Bagdad est moins pénible à regarder qu’à lire. Les dessins de Niko Henrichon sont tout simplement magnifiques. Le plaisir de lecture est immédiat et le dessinateur sait trouver l’équilibre entre les expressions humaines ( un lion qui se bouche les oreilles) et animales. Lorsque les avions US passe au dessus de Zill, il pense au vent sur crinière de l’animal et des fleurs à ses pattes.

Les couleurs choisies constituent à elle seule une indication de chapitres. L’orange pour la captivité, le vert pour la liberté, le rouge pour le destin final de nos félins. Ambitieux et généreux sur la forme, maladroit et hésitant sur le fond, POB reste un album attachant aux dessins magnifiques. Brian Vaughan est bourré de bonnes intentions mais, comme pour son final de Y The Last Man, il ne va pas jusqu’au bout de son projet, et ce qui commençait magnifiquement tombe finalement à plat.

Çà me fait mal de l’écrire mais Grant Morrison dans WE3 s’en sort mieux…. Et puisqu’on est dans la contrition, oui, l’édition Panini avec son grand format et son papier glacé est plus agréable que celle d’Urban !

Une tortue marine près d'un fleuve...

Une tortue marine près d’un fleuve…©Vertigo

16 comments

  • jyrille  

    Je ne connais pas du tout ce scénariste, à part de réputation. Cela ne donne pas envie de tenter, même si les dessins ont l’air magnifiques. On pourrait sans doute parler longuement de l’anthropomorphisme dans les dessins, puisque souvent ils véhiculent tout d’abord un trait de caractère (un vautour pour la rapacité, un lièvre pour la vitesse et la lâcheté…), même si il s’agit de clichés. Ici ce n’est pas le cas, le but est de se mettre à la place des animaux et du coup cette bd doit être bien ratée…

    Bon, je n’ai toujours pas lu Duncan le chien prodige mais il va falloir !

    http://www.amazon.fr/Duncan-chien-prodige-Saison-un/dp/2916207783/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1407675374&sr=1-1&keywords=duncan+le+chien+prodige

  • Nicolas  

    Vivre Libre ou Mourir.
    Je sais que ça n’a rie nà voir, mais ca me rapelle une vieil album desX-Men de chez LUG.

    J’avais bien aimé Pride of Bagdad, juste une fois en passant mais la lecture de l’article ne me donne pas envie de m’y replonger. Un torpillage en règle, même moi je n’ai pas le verbe aussi acéré !

  • Nicolas  

    Plus serieusement Bruce, j’aime beaucoup ton article, tu montres très bien les invraisemblances et les défauts du scénario et tu sembles avoir beaucoup aimé les dessins de Niko Henrichon.
    On dira que c’est un bel album qui aurait mérité une écriture plus cohérente et une travail de recherche plus approfondie sur les coeurs de nos amis les animaux de la savane.

    • Bruce lit  

      Bonjour Nicolas,
      Je n’avais pas l’intention de torpiller Vaughan pour qui j’ai du respect. J’avais moyennement apprécié Pride à sa sa sortie mais il y avait toujours un petit quelque chose qui m’empêchait de le revendre. Ce n’est qu’en le relisant une cinquième fois et dans l’objectif de faire une critique constructive pour le blog que j’ai enfin réussi à mettre des mots sur ce qui me chiffonnait dans cette histoire.
      Concernant mon « verbe », c’est quelque chose que j’essaie de travailler au contact de tous les chroniqueurs de Bruce Lit. Etant de tempérament passionné, mon premier réflexe était autrefois de descendre en flammes ce que je n’appréciais pas. En trouvant le mot juste et en écrivant sans colère, le résultat est finalement plus intéressant.
      Ton article paraîtra en fin de semaine à part ça !
      Et oui, tu as bonne mémoire, le titre est effectivement un clin d’oeil à la saga des broods des Xmen !

      • Nicolas  

        Bruce, j’ai trouvé ton analyse de ton propre style très interessante : moi aussi j’ai tednance à vouloir déscendre en flammes un auteur que je déteste (Morrison, Liefeld) pour finalement l’appécier comme il est (Liefeld). Quand j’ai commencé X-Force je ne savais pas que j’allais me retrouver à aimer les vieux New Mutants de Liefeld, ce qui montre bien qu’une analyse dans le calme et sans colère donne des fruits plus savoureux. De manière dépassionnée je dirais que Grant Morrison me saoule tout en reconnaissant l’influence qu’il a eut sur l’industrie du comics au fil des ans, quand à Liefeld je dirais quec’est une passionné sincèrement amoureux de son medium qui a développé un style qui lui est propre, c’est à dire completement immature et bête. Mais lui il respecte son public et ne cherche pas à nous prendre pour des cons. Enfin il me semble.

        • Bruce lit  

          Une anecdote de Grant Morrison à propos d’Image et de Liefeld : placer leurs produits de manière alphabetique à côté des blockbusters de l’époque pour attirer le chaland : Spawn / Spiderman, Generation X / Gen 13, Xmen / Youngblood.
          Nicolas, je ne suis pas sûr qu’un type comme Liefeld qui vole dans les caisses soit un modèle d’intégrité. Quant à respecter son public, mouais….Ce serait dire que TF1 soigne son audimat…Parce que Liefeld c’est quand même une conception de gros flingues, gros nibards non ?

          • Nicolas  

            J’aime bien la comparaison Image/Marvel : en effet, c’est un pompage clair, comme Marvle et DC qui se copient l’un l’autres depuis x années : X-Men/Teen Titans par exemple.

            Rob Liefeld : en effet, je doute qu’il soit un modèle d’intégrité et ses « oeuvres » sont de la merde
            enrobée de strass et de paillettes. Comme TF1 et ses programmes.

  • tornado  

    Je ne l’ai lu qu’une fois mais j’avais adoré.
    Comme toujours, toutes les incohérences relevées m’avaient parues bien légères en comparaison de la force du concept et de la mise en forme magistrale du récit.
    J’aurais du écrire ma remarque plus tôt, car il faut que certains sachent que cette BD peut aussi être très appréciée !
    Ces désaccords de fond n’enlèvent évidemment rien à la qualité de l’article de Bruce.

    • Bruce lit  

      @ Tornado, c’est justement en sachant l’admiration que tu as pour Vaughan que je me suis demandé ce qui me déplaisait chez lui sans rentrer dans le pamphlet.
      Je garde un excelent souvenir des premiers The Last Man avant que les deux derniers tome ne me refroidissent totalement

  • jyrille  

    Oui, tu as raison, j’en ai moi-même quelques-unes… Mais là ce n’est pas possible à cause de la mise en page vraiment originale… J’aurai dû préciser. Enfin si ça se trouve je me trompe.

  • Présence  

    L’anthropomorphisme ne me paraît pas gênant (encore moins du fait que je n’ai pas lu cette histoire) parce que La Fontaine (et Ésope avant lui) utilisait ce dispositif narratif pour raconter leurs fables. Pour les dessins (grâce à l’échantillon fourni par cet article), je suis plus admiratif des couleurs que des dessins (avec ces drôles de coiffure en pétard pour les lions).

  • Xabaris  

    Pour le coup, je rejoins Tornado. J’ai vraiment adoré ce comics.
    Par contre oui, j’avoue aimer les animaux au point d’être influencé par les récits tels que « Bêtes de sommes », « WE3 » ou « Pride of Baghdad ».

    Mais effectivement, je ne vois pas le problème sur le côté fantasque et irréaliste de ce comics. Ce n’est pas une histoire vraie, juste inspiré d’un tout petit événement qui s’est déroulé pendant la guerre.

    Ne confondrais-tu pas « goût personnel » et « qualité d’écriture »? (pardonnez mon audace BOSS)

    • Bruce lit  

      Disons que je ne vois pas l’intérêt de faire vivre un viol par des animaux. Et que je n’ai pas compris pourquoi utiliser des animaux dans ce cas…

  • Matt  

    Je reviens de chez mon librairie chez qui j’avais une remise de 10€, et j’ai chopé Motor Girl de Terry Moore (attention Bruce, j’espère que c’est bien !) et The private Eye de Vaughan. Ce dernier, vu qu’il est en format à l’italienne, j’ai surement une chance que Tornado ne me pique pas la chronique^^ Enfin je ne l’ai pas encore lu mais mon libraire avait l’air emballé. On verra. L’idée m’a plu en tous cas : une société post-Internet ou toutes les infos privées des gens ont filtré et sont devenues accessibles à tous. Du coup tout le monde vit masqué dans les rues pour préserver une forme d’intimité.

    • Jyrille  

      Ah ben les deux me font de l’oeil. Tu me diras ce que tu en penses. Surtout The Private Eye…

      • Matt  

        The private eye est très bien^^
        Une sorte d’enquête dans un monde qui nous est présenté au travers des personnages (genre un vieux papy qui se souvient encore d’Internet, facebook, tout ça…) Donc pas trop d’exposition pénible, et une intrigue prenante avec une réflexion sur la vie privée, la critique d’Internet, etc.

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