Paint it black

Coffin Hill tome 1 par Caitlin Kittredge et Inaki Miranda

Black magic woman…

Black magic woman…©Vertigol Comics

AUTEUR : TORNADO

VO : Vertigo

VF : Urban

Cet article portera sur les sept premiers épisodes de la série « Coffin Hill » (regroupés dans le premier tome), réalisés en 2014 et publiés en janvier 2015 en VF par l’éditeur Urban Comics.

Il s’agit d’une série publiée initialement sous le label Vertigo de DC Comics.

Le scénario est rédigé par la romancière Caitlin Kittredge et le dessin est l’œuvre d’Inaki Miranda, à l’exception du dernier épisode, dessiné par Stephen Sadowski.

Lust for life

Lust for life ©Vertigol Comics

Le pitch : En 2003, A Coffin Hill, en Nouvelle Angleterre, un trio d’adolescentes joue avec le feu en convoquant des esprits au cœur de la forêt par une nuit trop alcoolisée. Mais tout dérape lorsque le jeu devient réalité…

Dix ans plus tard, Eve Coffin revient sur les lieux de sa jeunesse. Seule rescapée du trio, elle revient dans la maison familiale. Sa dynastie, qui dominait jadis la région, est à présent sur le déclin. Mais lorsque de nouveaux événements surnaturels réveillent les souvenirs les plus douloureux, Eve doit faire face à son héritage familial, issu d’une longue lignée de sorcières ayant survécu au massacre de Salem…

Tout le monde le sait puisque nous sommes tous, ou presque, passés par là : Lorsque l’on est adolescent, on veut jouer au grand. On devient alors le « rebelle » qui aime jouer avec le feu, cherche sans cesse à franchir les limites, quitte à se brûler les ailes.

C’est à cette époque que la tentation est grande de goûter aux fruits défendus : Le sexe pour commencer, puis la cigarette, l’alcool et la drogue. Certains vont même plus loin et expérimentent les choses les plus dangereuses, les plus prohibées, les plus extrêmes. C’est ce tunnel que nous empruntons tous lorsque nous quittons le stade de l’enfance pour accéder à celui de l’âge adulte. Il peut être plus ou moins long, tordu et ténébreux, mais il sera forcément le passage par lequel nous allons forger la part adulte qui sera la notre lorsque nous en atteindrons l’issue.

Sympathy for the devil…

Sympathy for the devil…©Vertigol Comics

Mais attention : la réalité est abrupte. Si l’on se brûle les ailes au jeu des plaisirs défendus, on en portera toujours les marques, les cicatrices, les tatouages indélébiles que la vie nous aura gravé sur la chair et dans les tréfonds de l’âme.

C’est cette vérité universelle qui circule au cœur de « Coffin Hill ». Et Caitlin Kittredge nous a tissé une véritable parabole qui illustre le passage de l’enfance à l’âge adulte dans ce qu’il peut avoir de plus édifiant, lorsque les conséquences sont lourdes de sens.

There will be blood…

There will be blood… ©Vertigol Comics

Eve Coffin, riche héritière d’une famille de nantis décadents, est ainsi le réceptacle de cette idée selon laquelle l’adolescence peut laisser des marques terribles sur soi et sur son entourage à partir du moment où les choses ont dérapé, où l’éducation a failli, où le cadre des événements n’a pas été le bon. Eve, femme forte et altière, entame alors sa quête accablante : Réparer ce qui peut l’être, empêcher le pire de recommencer. Et c’est tout naturellement que le lecteur l’accompagne dans ce chemin tortueux qui résonne dans son inconscient comme un écho, comme un miroir aux multiples facettes.

Nul doute que Caitlin Kittredge a trouvé le terrain idéal pour son récit fantastique, qui se pare ainsi d’une puissante toile de fond, entrainant le lecteur dans la tourmente de ses propres souvenirs et de son propre parcours… Parallèlement à la richesse indiscutable de son sous-texte, la romancière a pris soin d’offrir à son récit un décor envoûtant comme un conte gothique à l’esthétisme vénéneux. C’est indiscutablement le versant le plus séduisant de la série, qui développe une atmosphère puissamment addictive, au charme assez irrésistible. On côtoie ainsi tout ce qui constitue l’attrait des récits horrifiques, où les symboles gothiques des contes de notre enfance (paradoxalement rassurants puisque familiers) se mêlent à la dimension malsaine de ce qu’il y a de pire en ce monde : la part noire qui se cache au fond de nous.

Ainsi, si le décorum de la série est extrêmement classique, voire stéréotypé (des corbeaux, du sang, un look et un maquillage à la The Cure pour faire gothique), il se révèle surprenant à force de servir de tremplin à un récit inédit, non pas dans les codes mais dans le traitement. Et les personnages s’imposent peu à peu grâce à une étonnante épaisseur, qui porte l’ensemble au niveau de l’excellence.

Break on through (to the other side)

Break on through (to the other side) ©Vertigol Comics

Et si l’on tenait là le nouveau  Locke & Key ? C’est la question que je me suis tout d’abord posé puisque les deux séries possèdent bien des points communs (des héros adolescents ou jeunes adultes, un cadre horrifique et surnaturel teinté d’une ambiance à la Lovecraft, une région sinistre et un vieux château plein de secrets…).

La réponse est non. COFFIN HILL est une série classique qui ne possède pas la poésie, la truculence et l’originalité de la géniale création de Joe Hill et Gabriel Rodriguez. Néanmoins, au stade de ce premier tome, je me dis que ses personnages vont rapidement me manquer et que la richesse de cet univers aboutit sur un indéniable constat : Vivement la suite !

Je terminerais par un bémol :  je ne suis pas vraiment convaincu par la partie graphique effectuée par Inaki Miranda. Si ses personnages sont suffisamment charismatiques (même en même temps extrêmement lisses, ce qui est complètement paradoxal !), si ses décors sont souvent soignés, voire magnifiques, le découpage des planches n’est vraiment pas très bon et les mouvements des corps sont carrément laborieux, pour ne pas dire du domaine de l’amateurisme.

C’est dommage car les dernières pages de croquis sont superbes et témoignent d’un véritable talent pour le dessin entant que tel. Mais il y a un réel problème au niveau de l’art séquentiel : Les vignettes se suivent de manière cacophonique.

Pas d’après photo…

Pas d’après photo…©Vertigol Comics

D’après photo…

D’après photo…©Vertigol Comics

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les tentatives d’innover narrativement sont ratées, surtout lorsque le même personnage est représenté trois fois dans le même cadre pour illustrer son déplacement. Les ellipses ne sont absolument pas maîtrisées et les passages entre un espace et un autre subissent une coupure brutale qui gêne la compréhension des séquences.

Et encore une fois, Inaki Miranda ne maîtrise pas du tout le mouvement des corps, qui sont trop souvent figés et maladroits, sauf lorsque l’artiste utilise des modèles photographiques (ce qui parait évident dans certaines cases, tant l’écart et visible d’une pose à l’autre). J’ai ainsi regretté, à la lecture du septième épisode illustré par Stephen Sadowski, que ce dernier, au style classique mais impeccable, n’ait pas dessiné l’ensemble de la série.

9 comments

  • Présence  

    En relisant ton article, je reste séduit par le décorum classique, très bien rendu. En regardant les images de l’article, mon œil (moins exercé que le tien) voit d’abord les différentes composantes gothique, que je trouve bien employées, et bien mises en valeur.

    L’image avec la légende « Lust for life » m’a permis de visualiser l’utilisation vraisemblable d’une référence photographique (merci, car c’est une chose que je ne sais pas remarquer tout seul à la lecture).

    Je suis admiratif de l’aisance avec laquelle tu mets à nu l’épine dorsale du récit : porter les marques, les cicatrices, les tatouages indélébiles que la vie nous aura gravé sur la chair et dans les tréfonds de l’âme lors des prises de risques en tant qu’adolescent.

    En revoyant les images, je reste subjugué par le charme vénéneux qui s’en dégage.

  • SCARCE- Xavier Lancel  

    Ouch, tu as du avec Inaki Miranda. Autant je peux comprendre ta remarque sur les ellipses, autant j’apprécie beaucoup la manière dont il fait bouger ses personnages, avec élégance. C’est uniquement grâce à lui que je suis resté sur cette série pendant 15 numéros, mais la scénariste m’a finalement fait jeter l’éponge: c’est plutot son scénario, inutilement alambiqué (les flashbacks saucissonés dans le récit ne servent à rien) et qui manque terriblement de passion qui est à blamer, plus qu’Inaki Miranda, que j’espère vite revoir sur un autre projet.

  • Tornado  

    Effectivement je n’accroche pas à son style très lisse. Question de goût strictement personnel.
    Tu n’es pas le premier à dire que la série ne tient pas ses promesses par la suite. C’est dommage.

  • Bruce lit  

    Aie, si la série ne tient pas ses promesses, je ne suis pas preneur. Ce que tu fais remarquer sur la cacophonie des vignettes spoile carrément mon article de vendredi sur Je suis Légion. Je vous préviens, ça va chier dans le ventilo !
    « Il peut être plus ou moins long, tordu et ténébreux, mais il sera forcément le passage par lequel nous allons forger la part adulte qui sera la notre lorsque nous en atteindrons l’issue. » Euh…. certains ne l’ont jamais trouvé cette issue !
    Sinon, je ne peux qu’approuver en tant que Rocker le fait que chacune des légendes fasse référence à de grands titres de la musique binaire ! Ta version des Paint It black vaudou est très envoûtante, merci !

  • Stan FREDO  

    Je ne sais pas pourquoi ni comment mais je suis cette série ‘Coffin Hill’ via un abonnement au mensuel, depuis le n° 1. Oui, c’est à mon sens moins bon par la suite. Oui, le premier TPB est très intrigant, attachant etc. Oui, les dessins ont leurs limites – Diable sait que j’y suis sensible ! – mais le HC français comme le TPB US valent le détour.

  • Patrick McGoohan  

    Même si la série ne semble pas être sans défaut, tu m’as au moins convaincu de m’y intéresser !
    Bien joué 😉

  • Bastien  

    Bonjour,

    J’ai lu cette série et je me souviens avoir passé un bon moment de lecture.
    Les décors d’après photos ne me gênent pas car j’ai l’habitude d’en voir dans les mangas et je m’y suis habitué.
    Par contre il est vrai que le découpage est parfois déroutant.
    J’ai aussi eu du mal parfois à distinguer notre héroïne d’une de ses amies.
    Et je n’ai pas aimé la colorisation, trop de dégradés de couleurs pastel à mon gout.
    Malgré cela l’ambiance est pesante, le récit est intéressant et les personnages sont attachant.
    Bonne journée.

  • Jyrille  

    Je ne pense pas m’y mettre. C’est dommage, j’aime beaucoup la couverture, on dirait Batwoman par JH Williams III. J’aime bien ton article qui part sur le constat de l’adolescence. Cela dit, les dessins ne m’attirent pas du tout même si cette série a l’air attachante. Et superbes légendes 😉

  • Bruce lit  

    Bon….
    Présence m’a filé ça et j’ai lu le premier tome ce matin et j’ai pas aimé du tout.
    Comme dit dans ton article les dessins sont trop lisses, il n’y a rien d’organique pour s’intéresser à un personnage pas attachant pour un sou.
    J’ai trouvé l’épisode d’introduction assez calamiteux, je ne supporte plus ces scénaristes qui situent leurs histoires sur 3 timelines différentes pour….rien. C’est juste brouillon, ça fait vraiment page de pub : Eve se fait tirer dessus, elle a des visions auxquelles tu ne comprends rien à priori, et puis, pof, retour à un truc qu’elle a dit 10 ans avant, puis 6 ans après….Non ! Ce genre d’écriture me gonfle, le flashback c’est tout un art, pas un gimmick à la Lost où on t’expliquait que si le gars aimait pas les chemises vertes c’est que il en avait trop vendu dans une vie antérieure.

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