Walk like an Egyptian : Interview Denis Bajram

Tanis par Valérie Mangin, Denis Bajram et Stéphane Perger

VF : Dupuis

Propos recueillis par BRUCE TRINGALE pour GEEK MAGAZINE #50

2025 commençait à peine que Dupuis envoiyait déjà l’artillerie lourde : Tanis, tout droit sortie du journal de Spirou ! Mangin, Bajram au scénario et aux dessins, le tueur Stéphane Perger, l’homme qui avait déjà illuminé la résurrection de Photonik dans Luminary.
Rencontre avec le créateur culte d’Universal War One, qui a pour ambition de bouleverser ses jeunes lecteurs !

Comment est née cette envie de raconter le destin de cette héroïne 10 000 ans avant notre ère ?
Probablement, il y a huit ans atour de discussions sur Alix Senator, une série historique où Valérie essayait de diffuser une ambiance fantastique. On avait envie de réécrire Les Aventures Mystérieuses publiées dans J’ai Lu, ces bouquins au contenu ésotériques que l’on considèrerait comme complotiste aujourd’hui, où l’on nous affirmait que l’Atlantide avait vraiment existé! (rires)

Vous définissez Tanis comme un album d’Antique Fantasy. Expliquez-nous !
En fait, nous nous situons dans un bout de civilisation inconnue qui aurait donné naissance à l’antiquité. On se permet ces incursions de fantastique et de SF.

Vous n’écrivez plus seul depuis la sortie d’Universal War 2 il y a une douzaine d’années. Pourquoi ?
Sur UW2, je me suis pris mes engagements syndicaux dans la figure. Ça m’a cassé le moral : j’étais un auteur à succès dans un milieu en difficulté, je ne l’ai pas bien vécu. Il y avait tellement de douleurs de la part de mes collègues… Etant inquiet par nature, n’ayant pas l’impression d’être à la hauteur de mes ambitions, ça m’a cassé les pattes. C’est Goldorak et les bouquins de Valérie qui m’ont aidé à retrouver confiance…

Comment s’est répartie l’écriture avec Valérie Mangin ?
Nous mourrions d’envie de nous adresser aux ados. Comment les immerger dans une fiction, leur transmettre cette matière sans les noyer de références ?  L’avantage c’est que Valérie est historienne et que moi je suis passionné esthétiquement par tout ça.A la fin de l’album, il y a un cahier explicatif ; c’est clairement l’influence des Mystérieuses Cités d’Or.
Nous vivons en couple avec Valérie, donc l’avantage c’est que nous pouvons discuter des heures de la direction à donner. On écrit le synopsis et ensuite Valérie scénarise l’écriture des scènes, des dialogues et ensuite on affine tous les deux.
L’autre étape au moment du storyboard, c’est lorsque Stéphane apporte ses modifications.

Tanis est publié dans le journal de Spirou.  J’y ai retrouvé les mêmes sensations que dans mes premiers Thorgal ou les X-Men de Claremont.
(Content) J’assume à fond Claremon !  Oui, avec Byrne c’est une influence majeure pour moi. Et puis  Jim Starlin qui était capable de parler philosophie en mettant en scène de grosses bastons. C’est un esprit que je voulais réintroduire dans Tanis.Ecrire pour les enfants, c’est une leçon d’humilité, on est toujours pris pour un crétin. Qui a remercié ‎Bernadette Després pour Tom-Tom et Nana qui a émerveillé des générations alors qu’on obtient la reconnaissance en tournant des demi-navets de cinéma ?

Il y a une scène de décapitation lors d’une bataille ! Vous assumez cette violence graphique ?
Ah ah ! On a mal parlé de cette scène entre nous : notre histoire parle de la violence tout en la condamnant. On ne voulait pas faire de Fantasy charmante. Nous sommes partis du principe que beaucoup de nos lecteurs avait déjà vu Game Of Thrones et Squid Game.


Parlons du dessin incroyable de Perger : quelles étaient vos attentes à son égard ?
Nous voulions qu’il combine le franco-belge, le manga et les comics pour parler aussi bien aux adultes qu’aux enfants. Le résultat a dépassé nos attentes.  Le manga parle plus aux gamins que les comics ou la francobelge !  Il est temps de faire tomber ces barrières entre ces trois cultures. C’était déjà le but au moment de Goldorak. C’est notre prise de risque à nous trois : aller vers la jeunesse, quitte à se priver d’une reconnaissance autre que le public !
Miller et Moore ont survalorisé la tonalité adulte aux dépends de l’entertainement de la génération d’avant. En quoi La Saga du Phenix Noir serait moins honorable que Watchmen ? Pourquoi les auteurs français ne pourraient-ils pas aller sur ce terrain avec intensité ? Marre de les voir tous s’engoncer dans la BD à sujet ou le roman graphique ! Nous, on n’est pas arrivés à la BD avec ça mais avec PIF, Rahan, Gaston Lagaffe

Tanis bénéficie qu’une qualité rare : on est prêts à la suivre au premier regard, on l’impression de la connaître depuis toujours comme le refrain d’une chanson pop !
Merci, c’est tout à fait ça : je voulais qu’on l’aime et que l’on puisse pardonner à Tanis. C’est une adolescente, elle se construit parfois au prix de terribles erreurs. Votre comparaison avec la pop me plaît beaucoup : Tanis, c’est une chanson des Beatles !La vraie pop c’est d’être ambitieux et en même temps de s’abandonner à ses pulsions. En France il faudrait être soit dans l’intellect ou faire du caniveau avec des nanas à poil. Moi, j’aime l’entre-deux, le point d’équilibre.



Il semblerait que Tanis continue au-delà du tome 2. A quoi doit-on s’attendre ?
C’est une série sans fin avec toutes les pistes que nous avons lancées entre les cailloux dans le ciel et de grandes batailles spatiales. On a construit ce monde, on a toutes les clés : chaque tome se passera dans une civilisation différente ! Le prochain quittera l’Egypte pour remonter vers la mer morte.On vise le très long terme en donnant au lecteur le destin du personnage dès le départ. C’est un procédé que les lecteurs de Conan connaissent bien.  Nous connaissons déjà qui elle va rencontrer, qui va mourir…

Où en sont Universal War 2 et 3 ?
Je suis dessus, c’est encore long au démarrage.  Je suis en train de storyboarder les trois albums d’un coup.Je suis passé à la réalisation du destin pour ne plus avoir d’angoisses….pardon, du dessin !  c’est un beau lapsus ! (rires)Je fais de l’anti Game of Thrones car je pense que Martin n’avait pas sa fin. Il est coincé avec un monde de surprises permanentes qui ne peuvent qu’être que décevantes. Moi, c’est l’inverse : tout ce petit monde est réglé depuis 1998. Toute l’angoisse est dans la forme…

7 comments

  • Nikolavitch  

    Toujours ravi de voir ressurgir le Bajram, envers qui ma dette est écrasante.

    • Bruce Lit  

      Si tu parles des frais de bouteilles, la tienne envers moi est pas mal, non plus…

  • JB  

    Merci pour le partage de cet échange !
    « Les Aventures Mystérieuses »… Oh, le flashback ! Des livres formats pocket à la couverture rouge ? Entre « Le Secret de Mu », ou les expériences extracorporelles, j’ai bien trop lu ces trucs étant gosse.

    Pour Les Mystérieuses Cités d’or, avec le recul, l’influence paraît évidente sur les images présentées.

    Antique Fantasy : La chose étrange, c’est que nous vivons dans un monde où les complotistes croient que les Pyramides étaient des centrales électriques ou qu’il y existe des preuves que des géants ont vécu parmi les humains. L’espoir qu’un passé meilleur a existé ?

    • Bruno. :)  

      Une grrrosse manipulation des réseaux, plutôt : non seulement il ne faut pas croire tout ce qu’on lit, mais il faut surtout douter de l’authenticité idéologique des déclarations qu’on y trouve…
      Les faits véritables sont, de toutes façons, immédiatement discernables et indubitables : suffit d’avoir des z’oeils et d’écouter son estomac. Le boulot au niveau du cerveau est largement sur-estimé : on trimballe trop de névroses pour être complètement rationnels -ou même totalement honnêtes.
      Faut surtout douter de soi-même, et régulièrement se remettre en question, vis-à-vis de tout ça (si on s’y intéresse, évidemment).

  • Bruno. :)  

    Elle est très intéressante, cette interview ; notamment sur le ressenti de Denis Bajram vis-à-vis de son travail, ainsi que de sa situation en porte-à-faux (son succès critiqué).
    J’avais survolé un tome (au début) de son UW2 et n’y avais rien vu qui m’interpelle (sinon le très joli travail des couleurs infographiques !) ; mais la sensibilité qu’il affiche ici me le rend d’emblée sympathique : je comprends très précisément ses complications d’artiste, en ce qui concerne la « forme » qu’il doit encore donner à sa création.
    Parlez-nous encore des processus de créations de tous ces as du crayon : ça donne la pêche !

    • Bruce Lit  

      j’ai été le premier surpris de la vulnérabilité que Bajram m’a confié pendant cet entretien.

  • Présence  

    Ça fait vraiment plaisir de lire une interview étoffée et perspicace de Denis Bajram.

    Je n’aurais jamais soupçonné l’impact de l’engagement syndical de Bajram sur son écriture.

    En quoi La Saga du Phenix Noir serait moins honorable que Watchmen ? – C’est une question pour Tornado ? 😀

    Je suis passé à la réalisation du destin pour ne plus avoir d’angoisses… – Superbe ! Félicitations d’avoir gardé ce magnifique lapsus.

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *