RED SONJA par Gail Simone et Walter Geovani
Un article de JB VU VANVO :Dynamite Entertainment
VF : Graph Zeppelin

Les yeux verts noyés de cheveux roux © Dynamite Entertainment © Graph Zeppelin
Cet article portera sur les n° 1 à 18 de la série RED SONJA publiée entre 2013 et 2015 chez Dynamite Entertainment. La série est écrite par Gail Simone, illustrée par Walter Geovani et principalement mise en couleur par Adriano Lucas. En France, ce titre est paru en 3 tomes chez l’éditeur Graph-Zeppelin dans une traduction de Stéphanie Chaptal, Thierry Albert, Catherine Marx et Thierry Plée entre 2021 et 2024 : “La Reine des Fléaux”, “L’Art des Flammes et du Sang” et “Le Pardon des Monstres”. À noter : la version française n’intègre pas le n°0, le n°100 ni Red Sonja n°1973, également écrits ou coécrits Gail Simone.
Quand deux rousses aux tempéraments de feu se rencontrent ! Gail Simone modernise la figure de Red Sonja en lui faisant traverser l’enfer. Un chemin de croix à découvrir sur Bruce Lit : Le blog.
Red Sonja la Diablesse, la Malédiction d’Hyrkanie, n’a ni dieu ni maître. Pourtant, elle a accordé son respect au roi Dimath qui lui a montré de l’empathie et de la pitié quand elle était au plus bas. Ce roi l’appelle à l’aide pour l’aider à former des civils lorsque son armée est décimée par une peste. Mais alors que le combat fait rage, Sonja découvre qu’elle est atteinte du même mal.
Guérie, elle est chargée d’une autre mission par un pharaon mourant : rassembler 6 artistes pour qu’ils le divertissent lors d’une dernière fête… pharaonique. Un épéiste émérite, un chef reconnu, une courtisane aux talents légendaires, un montreur de fauve, un danseur, un astronome. Mais la trahison est au bout du chemin.
Lorsque Sonja est chargée d’éliminer un sorcier par les villageois qu’il tient sous son joug, elle le tue sans peine. Mais il a le temps de lui jeter une ultime malédiction : Red Sonja perd la faculté de pardonner, et manque de battre à mort un serveur qui avait renversé sa bière. C’est à ce moment que la guerrière rousse retrouve le dernier survivant des barbares qui ont massacré sa famille…

Le repos de la guerrière
© Dynamite Entertainment
L’arrivée de Gail Simone à l’écriture de Red Sonja suscite forcément la curiosité et éveille des attentes. Gail Simone s’est faite connaître pour la liste “Women in refrigerator”, où elle inventorie les héroïnes tuées, torturées, mutilées pour faire progresser un personnage masculin. Lorsqu’elle commence à écrire des comics, elle se charge de rendre leur indépendance aux superhéroïnes, comme cela a été le cas dans BIRDS OF PREY. Mais son écriture ne se limite pas à ce caractère féministe (Pour rappel à ceux prêts à s’indigner à la lecture de ce mot, le féminisme est juste l’égalité de genre, ni plus, ni moins.) Elle a notamment créé un titre majeur à partir de personnages on ne peut plus secondaires avec les SECRET SIX (sérieusement, faire de Catman un anti-héros intéressant, faut le faire !)
Dans une introduction au premier tome de ces Red Sonja, Gail Simone explique que Red Sonja de Frank Thorne lui a fait aimer le genre de la fantasy, avec une héroïne badass et rouquine comme elle. De fait, Gail Simone a insufflé des éléments du genre dans plusieurs de ses comic-books : durant son run, Wonder Woman fait ainsi équipe avec le barbare Claw et le méconnu Stalker (une création de Ditko) dans une histoire teintée de sword & sorcery, puis a écrit un crossover faisant se rencontrer Wonder Woman et Conan lui-même ! De même, ses SECRET SIX vont faire un tour du côté de Skartaris, contrée emprunte de magie qui est le terrain de jeu de WARLORD. Ce run sur RED SONJA lui permet ainsi d’explorer plus librement un univers rempli de sorciers, de monstres, de gladiatrices et de guerriers.

Le début d’une légende
© Dynamite Entertainment
Il est intéressant de noter qu’avec sa reprise du personnage, Gail Simone applique à Sonja un traitement similaire à celui de ses BIRDS OF PREY. Sous sa plume, Red Sonja n’est pas particulièrement plus sexualisée mais devient sexuellement active, invitant notamment l’un de ses compagnons de route dans sa couche et allant jusqu’à finir un album dans un luxueux lupanar aux côtés de “professionnels” hommes et femmes. Cela surprendra peut-être les lecteurs familiers avec la version classique du personnage : la Red Sonja imaginée par Marvel Comics devait en effet ses prouesses à l’épée à un serment passée à une déesse, lui promettant de rester chaste jusqu’à ce qu’elle soit vaincue au combat.
Gail Simone réécrit ces origines problématiques et les dévoile dans un flashback. La jeune Sonja évite le sac de son village mais assiste impuissante à la mort de sa famille, et tue l’un après l’autre les responsables. Pas de viol, pas d’intervention divine, juste une détermination née d’un sentiment de vengeance, et l’utilisation de ses dons naturels pour la chasse. Une épreuve qu’elle finira par surmonter dans le dernier volume, lors d’une confrontation avec le dernier survivant des assassins.

Vierge jusqu’à être vaincu ? Sérieusement ?
© Dynamite Entertainment
Gail Simone va tourner d’ailleurs en dérision plusieurs éléments de la Sonja classique. Le bretteur qu’elle doit recruter pour satisfaire un pharaon revendique ce vœu de chasteté, que Sonja trouve absolument ridicule. De même, si elle porte son fameux bikini métallique, Red Sonja change de vêtement lorsqu’elle se retrouve sous la neige, dans un marais ou sous la pluie, et remarque que son “armure” la protège bien peu lorsqu’une entité prend son apparence pour l’affronter, tout en plongeant son épée dans le torse à découvert de la créature ! Il est intéressant de noter qu’après son run sur Red Sonja, Gail Simone va présider avec Nicola Scott au “Monster Makeover” de 2016, un relooking des héroïnes de Dynamite Entertainment, “rhabillant” au passage Vampirella, Dejah Thoris et Red Sonja, des personnages jusque là hyper-sexualisés.
Pour revenir à Red Sonja, les différentes arches narratives vont dévoiler plusieurs facettes de la farouche guerrière au fil de ses rencontres. Dans le premier récit, elle doit faire face à Dark Annisia, une ancienne compagne d’infortune réduite comme elle en esclavage dans une arène. Lorsqu’elles se retrouvent sur le champ de bataille, Annisia apparaît démente. Sonja réalise rapidement qu’elle est hantée par les esclaves qu’elle a dû tuer par dizaines pour survivre et qu’elle a un désir de mort. Des tourments auxquels l’Hyrkanienne devra bientôt faire face elle-même.
Durant le second récit, chaque artiste qu’elle doit recruter lui renvoie un reflet d’elle-même. Le cuisinier dont le talent vient de ses sens exacerbés souligne la réalité de la vie de la guerrière : un corps odorant, et une absence totale de culture. Le bretteur semble être le meilleur guerrier, mais leur combat rappelle à Sonja qu’elle lutte lorsque des vies sont en jeu plutôt que pour des notions abstraites d’honneur. La concubine lui montre une vie d’indolence et de luxe qu’elle aurait pu vivre et qui semble la tenter un instant. À chaque rencontre, Sonja se dévoile un peu plus à ses nouveaux compagnons et aux lecteurs.

Des aventures dont Sonja ne ressort pas indemne
© Dynamite Entertainment
Cette ouverture progressive du personnage à autrui constitue une véritable évolution du personnage. Seule au début du run de Gail Simone, elle tisse des connections avec ceux et celles qu’elle rencontre, s’attache malgré une froideur de surface. Une évolution qui culmine dans le troisième album en une réunion de ses amis lorsque Sonja semble devoir mener son ultime combat. En effet, Sonja souffre dans sa chair durant ce récit : atteinte d’une maladie mortelle dans le premier tome, elle va jusqu’à sacrifier dans ce dernier album une partie d’elle-même dans les flammes pour protéger son entourage. Mais contrairement au syndrôme des “Women in refrigerator”, c’est bien à son personnage que ces tortures physiques et tourments intérieurs bénéficient. Elle fait face aux esprits de sa famille, à ses erreurs, à sa propre mortalité pour devenir meilleure.
Au-delà d’une écriture soignée du personnage, Gail Simone peaufine ses intrigues. Si le récit du premier story arc semble celui d’une banale invasion d’un royaume par un autre, Gail Simone va utiliser plusieurs twists pour lesquels elle donne des indices, presque à l’image d’un whodunit, permettant au lecteur attentif de deviner en amont l’identité du responsable de l’invasion ou la nature réelle de la peste. Pour la deuxième histoire, Gail Simone sait varier les recrutements, passant de l’humour (le danseur demande à être “sauvé” comme une demoiselle en détresse) à l’introspection. Dans le dernier album, l’autrice dissémine des éléments d’horreur, tant fantastiques (les sorciers sont peu commodes !) que réalistes (les blessures sont parfois horrifiantes.) Une conclusion en 2 derniers numéros dévoile également un autre visage de Sonja, celui d’une enfant qui a dû grandir trop vite et qui découvre, adulte, le plaisir de la lecture et des histoires.

Les fantômes du passé
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Walter Geovani, artiste et encreur sur cette série, est en terrain connu. Il a déjà travaillé sur de nombreux numéros du premier volume de RED SONJA chez Dynamite Entertainment (intérieurs ou couvertures), ainsi que sur la mini-série RED SONJA: WRATH OF THE GODS et, peu avant le run de Gail Simone, sur le crossover PROPHECY. Il va d’ailleurs retrouver Gail Simone sur le comics RED SONJA/TARZAN. Geovani parvient tant à représenter de larges scènes de batailles entre armées que des combats entre deux personnages, tout en rendant ses protagonistes très expressifs.
Cependant, l’artiste ne propose pas de grosses folies en termes de mise en page, j’ai surtout retenu la scène où l’on découvre les mains mutilées de Red Sonja. De même, si les personnages sont expressifs, j’ai regretté un manque de détails sur des éléments critiques, notamment la “révélation” que Red Sonja est infectée par la peste, absolument pas mis en valeur par les images.
Gail Simone parvient ainsi à moderniser la figure de Red Sonja, en en critiquant les éléments les moins glorieux. Red Sonja est déjà un personnage fort et indépendant, Simone se charge donc de l’humaniser, de la montrer sous un jour plus vulnérable sans pour autant l’affaiblir, et de faire évoluer sa personnalité vers une héroïne plus ouverte aux relations humaines.

Léger défaut de conception
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