Interview Reinhard Kleist

Interview Reinhard Kleist

Propos recueillis par BRUCE LIT

VF : Casterman

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« Bowie m’a sauvé la vie » écrit en postface Reinhard Kleist, l’auteur de cette monumentale bio-dessinée de l’homme qui venait d’ailleurs : David Bowie. Déjà aux manettes de remarquables biographies consacrées à Nick Cave et Johnny Cash, il clôt ainsi une trilogie d’albums dédiés à un triumvirat du rock : le portrait d’artistes qui ont fait de leur musique une religion et de nous, leurs apôtres. 

Un époustouflant rockumentaire qui évite l’écueil du biopic hollywoodien avec une obsession du détail, de la vérité et de la richesse de la personnalité de Bowie. Quand ses collègues construisaient une carrière, Bowie lui parachevait une trajectoire, avec des poussières d’étoiles pour le suivre. Dans une ultime séquence avec un hommage appliqué à 2001, Odyssée de l’Espace qui sera son alpha et son omega (la carrière de Bowie commence avec « Space Oddity »  pour s’achever avec « Blackstar », le Starman voyage à travers le temps et l’espace pour délivrer cette sentence définitive : « Le rock’n’roll transforme la survie en musique« . À lire avec les trois yeux grands ouverts.

Félicitations pour cette biographie monumentale de David Bowie. Quel a été le déclic ?

Je suis amoureux de Bowie depuis mon adolescence. J’ai toujours voulu faire un travail sur lui ou quelque chose lié à lui. À la fin des années quatre-vingt-dix, j’ai eu l’idée de faire une bande dessinée sur l’album OUTSIDE, qui avait une narration diffuse. Malheureusement, le projet été rejeté par son management.

Il m’a fallu deux biographies de musiciens pour que j’aie enfin le courage de me lancer dans ce projet. J’étais conscient que je ne pouvais pas dessiner toute sa carrière et toutes ses facettes. Mais je voulais dire quelque chose sur ce qu’il représente pour moi, qui n’est rien de moins que de sauver le monde.

Vous mentionnez dans la postface que Bowie vous a sauvé la vie. Pourquoi?

J’ai grandi dans une zone rurale près de Cologne et j’ai pensé que le monde s’arrêtait là. La musique de Bowie et ses apparitions à la télévision m’ont montré qu’il y avait un autre monde et qu’un jour je pourrais en faire partie, si je voulais le découvrir.

La deuxième fois qu’il m’a sauvé la vie, c’était pendant la pandémie, quand tout s’est effondré autour de moi. Je me suis attelé sur ce livre et il m’a fait traverser ces périodes sombres.

Vous avez choisi de ne pas raconter cette histoire de manière linéaire. Pourquoi?

J’ai choisi deux sujets principaux, l’époque de Ziggy Stardust et le temps qu’il passe à Berlin. À travers les flashbacks, j’ai pu établir des relations plus étroites entre son passé et le présent de la narration. Par exemple, ce qu’il vivait à L.A. définissait ses actions à Berlin. Les rapprocher dans la narration donne au lecteur une image plus profonde de sa pensée.

Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées pour écrire et dessiner un personnage aussi complexe ?

Il faut aller au-delà des soi-disant faits de sa biographie. En faisant des recherches sur la vie de quelqu’un, vous êtes confronté à une séquence d’événements pas très linéaires. Vous devez choisir ceux à dire et ceux à laisser de côté. Si vous avez un sujet spécifique dans le récit, cela aide.

Que ce soit dans vos biographies de Bowie, Nick Cave, Johnny Cash ou dans The Boxer, vos personnages refusent toujours de se conformer aux règles. Ce sont des rebelles…

Ils le sont, mais ce n’est pas pour cela que je les ai choisis. Chacun de ces artistes incroyables partagent des similarités avec mon parcours de vie. Quand j’ai commencé à travailler sur le Nick Cave, je suis tombé sur un sujet qu’il avait abordé : comment, en tant qu’artiste, créer un monde avec des êtres vivants dedans, décider s’ils seront heureux ou non, s’ils vivront ou s’ils mourront, être une sorte de dieu dans le monde qu’il aura créé. Nick a beaucoup aimé l’idée, nous en avons parlé pendant le processus de création du livre.

Un point qui m’a frappé : votre Iggy Pop est un vrai clown. Pourquoi avez-vous choisi de le représenter de cette façon ? C’est loin d’être l’animal sauvage de RAW POWER.
Je lisais sa biographie et construisais une image forte de lui dans ma tête. C’est vraiment un clown, mais aussi quelqu’un de très intelligent et introspectif. Il dit quelque part : « Être aussi fou et sauvage, c’est beaucoup de travail et ça ne s’enfile pas comme ça comme un manteau ».

Quels sont vos 5 albums préférés de David Bowie ?
ZIGGY STARDUST
OUTSIDE
LOW
STATION TO STATION
BLACKSTAR
Peut-être pas dans cet ordre. Et ça changera sans doute d’ici demain.

Comment avez-vous réagi à sa mort ?

J’étais choqué et triste. Le lendemain, je suis allé au domicile qu’il occupait à Berlin et j’ai vu des milliers de fleurs et de bougies. Il y avait des jeunes qui pleuraient sur le trottoir en écoutant sa musique. C’était un moment très apaisant. Il vit encore dans le cœur des gens.

8 comments

  • Nikolavitch  

    C’est curieux comment Kleist fait évoluer son style quand il travaille en couleurs. en tout cas, vrai beau sujet et point de vue fort (c’était le défaut du Bowie de Michael Allred, qui manquait d’un point de vue et du coup était terriblement plan-plan)

    • Bruce Lit  

      Deux albums différents que j’ai adorés.
      Bon celui de Kleist est très copieux et couvre une plus large période qu’Allred.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Merci pour la découverte de cet album et artiste.

    Ce sont des planches qui font très comics, à l’ancienne. Cela apporte un certain cachet.

    Question : Reinhard Kleist est allemand. Comment s’est déroulé l’interview ?

    • Bruce Lit  

      En anglais, tout simplement et par mail 🙂

      • Fletcher Arrowsmith  

        Merci de nous faire découvrir les coulisses. Tu n’as pas été tenté de lui demander d’où lui venait ces influences comics. Ziggy Stardust aurait fait un bon personnage de comics.

        • Bruce Lit  

          Oui, mais je trouve la démarche trop évidente.
          Bowie est déjà un héros de comics : Lucifer dans SANDMAN3

          • Fletcher Arrowsmith  

            Bien vu. Et également un personnage dans ASTRO CITY de Kurt Busiek

  • Bruno. :)  

    Toujours direct et sans « patinage », ces interviews : on est immédiatement en phase avec l’interviewé, qui semble très raccord avec sa démarche créative et le ton habituel de tes questions : très sincère. Merci de partager.
    Je trouve aussi le coup de crayon/encrage très inspiré et pêchu, plus cru et « viscéral » que Allred (que j’ai néanmoins beaucoup aimé sur X-Static). L’ensemble résonne bien avec la période à priori correspondante -c’est un ressenti très personnel. Et je trouve les cases le représentant très ressemblantes/expressives, au delà d’une simple application à le dessiner : on sent que c’est lui.

    J’ai grandi avec le David Bowie des Eighties, infiniment plus simple à écouter, la plupart du temps (ça n’est pas une critique négative : j’adore Loving The Aliens, entre autres…) que sa période précédente, dont je ne connaissais que le titre Ashes to Ashes ; prodige sonore protéiforme et complètement nouveau/neuf, qui m’avait absolument obsédé/hypnotisé. Le fait que j’en découvre les images au JT m’avait aussi pas mal interloqué sur l’importance médiatique de l’artiste (!) au delà de sa réalité purement artistique.
    Je n’ai intégré sa pluralité musicale qu’adulte et, comme tout le monde, le caléidoscope de ses univers a bien aidé à m’ouvrir les perceptions… On ne « vit » pas des premières fois aussi transcendantes que l’album Diamond Dogs tous les jours…

    Je trouve ça très chouette que des artistes ressentent cette nécessité d’exprimer leur affection/reconnaissance pour ces autres créateurs, dont les vies si singulières (!), presque entièrement consacrées à leur passion et si intimement liées culturellement à leur époque (et l’enrichissant si originalement) via ce puissant médium « populaire », sont carrément devenus presque des repères « modernes » de nos propres existences, liés qu’ils sont à nos jours, via nos oreilles.

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