Au bout de la nuit

La grande guerre de Charlie par Mills et Colquhoun

    

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Comme Bardamu, un jeune anglais s’engage impulsivement pour défendre l’Angleterre dans la première guerre mondiale . Il n’est pas très beau , ni très malin mais Charlie est un garçon qui a les défauts de ses qualités : courageux,patriote,loyal . Il a les qualités parfaites pour servir de chair à canon pour la bataille de la Sommme , la plus sanglante de l’histoire ddes deux guerres mondiales . A ceux qui ne jurent que par le débarquement normand , Patt Mills rappelle que ce jour là 3000 hommes périrent contre 60 000 dans la Somme !

La guerre de Charlie se lit sous forme de Strip de deux pages parues dans un mensuel encourageant les jeunes garçons à lire des récits de guerre . Et d’admirer le courage éditorial de l’auteur qui, en 1979, va se servir de ce journal pro-guerre pour tribune d’un message pacifiste et engagé. La guerre de Charlie n’est pas celle de l’honneur mais d’industriels qui utilisèrent la classe ouvrière pour s’enrichir au chaud dans les loges de l’histoire.

Malgré tout son courage , malgré l’évolution de son caractère de Tommie un peu benêt à celle d’un homme courageux et respectable , Charlie est une victime d’un conflit qui le dépasse , une marionnette dont la vie et la mort ne valent rien . Qu’est ce qu’une vie humaine sacrifiée pour 100 mètres dans la boue , les gaz et les rats ?

La guerre de 14-18 permet des interrogations métaphysiques à la symbolique idéale : les tranchées de Mills deviennent un labyrinthe où des anglais peuvent confondre leur camps avec celui des allemands , où , dans une séquence émouvante rosbeef et fritz peuvent fraterniser le soir de noël avant de s’entretuer . La force de Patt Mills est de décrire une multitude d’événements sans que cela semble exagéré . Incroyablement documenté , les mésaventures de Charlie s’articulent avec le quotidien , la vie qui essaye de reprendre ses droits dans l’horreur : un gâteau d’anniversaire difficile à souffler à cause d’un masque à gaz , un soldat qui s’enchaîne à sa mitraillette pour ne pas être tenté par la désertion , des lettres de la tante de Charlie qui se plaint de ses varices superposées aux images du jeune homme qui lutte pour sa vie .

Sur la forme , le scénario de Mills accuse parfois son âge : une page de résumé pour chaque épisode du fait du format de parution initial , des bulles de pensées comme s’il en pleuvait et un point de vue parfois naif : Charlie risquant sa vie pour un cheval . Mais en même temps la démarche est cohérente . Lorsque l’on ne peut plus compter sur les hommes , il faut bien se raccrocher à l’innocence , la pureté , la beauté d’un animal .

Charlie

Mon cheval me ressemble !

Mills brosse des portraits inoubliables : Ginger le copain fidèle capable de sauver notre héros et lui balancer sous le coup de la panique des grenades dégoupillées pour ne pas mourir , Solitaire le lâche torturé par sa mauvaise conscience et l’Irlandais géant bourré sur le champ de bataille qui prend une dimension mythologique en mourant comme Samson soulevant un toit pour sauver ses compagnons .

Le dessin de Colquoun est incroyablement détaillé même s’il faut s’accoutumer à son encrage gras qui laisse peu d’espace de respiration au lecteur . Pourtant son style devient vite indispensable à l’histoire en installant une vraie connivence entre le lecteur et les tommies : le lecteur suffoque comme les soldats sur un champ de bataille parfumé au gaz!

Il est admirable qu’il réussit à retranscrire les horreurs de la première guerre chimique de l’histoire sans que le résultat soit répugnant , gore ou traumatisant . De ce fait , un jeune lecteur peut tout à fait lire une histoire mature , intelligente , puissante sans être choqué. La preuve ,que contrairement, à ce que des tacherons comme David Lapham essaient de nous faire croire , il est possible d’écrire des histoires sans concessions sur la violence humaine sans rentrer au musée des horreurs …

Cette édition est riche en bonus : manifeste de Mills , extraits de scripts , documents historiques . Tout en papier glacé , traduction de qualité , la guerre de Charlie ouvrait dès 1979 les voies du Comic Book adulte et littéraire . Dernier argument , Alan Moore vénère cette série qui « décrit comme personne l’inhumanité et la misère de la guerre » .

Vous l’aurez compris , ce bouquin a gagné sa place à côté d’A l’ouest rien de nouveau , des Sentiers de la gloire et bien sûr du Voyage au bout de la nuit.

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