Danu, la déesse mère

Sláine, le dieu cornu par Pat Mills et Simon Bisley

1ère publication le 15/09/15- Mise à jour le 06/08/17

Des illustrations riches jusqu'à l'excès

Des illustrations riches jusqu’à l’excès ©2000 AD

AUTEUR : PRÉSENCE

VO: Rebellion / 2000 AD

VF: Nickel éditions

Sláine MacRoth est un personnage créé par Pat Mills et Angela Kincaid, apparu pour la première fois en 1983, dans le numéro 330 de l’hebdomadaire anglais 2000 AD. C’est un barbare hirsute, avec un pagne ceint autour des hanches, une arme tranchante (ici une hache) dans une époque mythique (l’âge d’or de la légende des celtes, en lieu et place de l’âge Hyborien) se battant contre des créatures surnaturelles, des sorciers et autres monstres. Pat Mills a indiqué qu’il s’est inspiré de Conan de Robert Erwin Howard, mais aussi de de Cúchulainn (héros de la mythologie celtique irlandaise).

Dans le premier tome (Warrior’s dawn), le lecteur faisait sa connaissance contre un gros monstre pendant que le nain Ukko vidait subrepticement les bourses des 4 individus qui avaient parié sur l’issue du combat. Ces premières histoires montrent un Ukko, individu plutôt pleutre, prompt à se cacher pendant que Sláine se bat, voleur, menteur et arnaqueur dans Tír na nÓg (la Terre de l’éternelle jeunesse), une Terre légendaire de la mythologie celtique, correspondant ici à une Angleterre datant d’avant sa séparation d’avec le continent européen.

Sláine est un valeureux guerrier issu de la tribu de Cesaire qui a dû la quitter après avoir courtisé Niamh, la fille du Roi. Il fait partie des guerriers Red Branch, ceux capables de maîtriser les énergies de la déesse mère lors de monstrueux spasmes de déformation (warp spasm).

(1) Warrior's dawn, (2) Time killer, (3) The king slaingh

(1) Warrior’s dawn, (2) Time killer, (3) The king slaingh ©2000 AD

Au cours de ces premières aventures, Sláine et Ukko vont acheter une prison abritant un monstre à écailles, libérer Medb (une jeune femme) promise en sacrifice à Crom Cruach, échapper à un nain maréchal ferrant, trempant ses lames dans le sang, exterminer un monstre Shoggey, servir de gardes du corps à Slough Throt, un seigneur Drune. Le tome 2 commence sur la base d’un voyage ramenant Sláine vers son village natal (toujours avec Ukko en remorque) pour combattre un dragon. Mais dans la deuxième partie, Sláine se retrouve à se battre dans une autre dimension contre des créatures extradimensionnelles (les Cythrons) et contre leur guerrier Elfric (étrange hommage déplacé à Elric de Michael Moorcock), aux côtés des Atlantes (avec un certain Myrddin, une déclinaison de Merlin).

Le début du troisième tome continue dans cette veine SF mâtinée de monstres lovecraftiens. La deuxième moitié revient en terre de Tír na nÓg où Sláine retrouve Niamh avec qui il avait fauté. Il suit un parcours initiatique destiné à prouver sa légitimité à devenir haut roi des celtes.

Sláine par Massimo Belardinelli, Mike MacMahon, Glenn Fabry

Sláine par Massimo Belardinelli, Mike MacMahon, Glenn Fabry ©2000 AD

Ce tome fait suite à Slaine the king. Il contient une histoire complète, initialement parue en épisodes dans le magazine « 2000 AD » (progs 626 à 635, 650 à 656, 662 à 664 et 688 à 698) en 1989/1990. Le scénario est de Pat Mills, et les dessins de Simon Bisley. C’est le premier tome en couleurs des aventures de Sláine.

À la fin du tome précédent, Sláine était couronné roi de sa tribu. Mais il lui restait encore à unifier les 4 tribus d’Irlande derrière un même chef pour lutter contre un envahisseur monstrueux, et ainsi libérer le pays de Tír na nÓg.

Sláine, le chaudron, et les autres trésors

Sláine, le chaudron, et les autres trésors

La première séquence montre le nain Ukko, des années plus tard, en train d’écrire l’histoire de Sláine. Il évoque en une dizaine de pages ses aventures jusqu’alors, ainsi que les forces en place, de l’histoire personnelle de Sláine (sa relation avec Niamh, ses spasmes de déformation) aux déités (Danu la déesse mère et Lug le dieu solaire), en passant par les ennemis (Medb, Lord Weird Slough Feg, les seigneurs Drune, les fomorians) et leurs déités (Crom-Cruach, les dieux de Cythrawl), sans oublier la ferme des dragons.

Contre l’avis de Cathbad (le prêtre de sa tribu), Sláine décide de rassembler les trésors des autres tribus. Il dispose déjà du Chaudron de Sang, il manque l’Épée d’argent lunaire de Gorias, la Lance incandescente du soleil de Finias et la Pierre sacrée du destin de Falias. Mais avant, il doit se présenter devant la déesse mère. Il entreprend une descente dans le Chaudron de Sang pour obtenir audience.

Dans la postface, Pat Mills ironise sur le fait que Simon Bisley était un fan de Conan et qu’il était venu pour dessiner les aventures d’un barbare belliqueux et bagarreur. Il explique que la confrontation du point de vue de Bisley avec le sien a abouti à une histoire hors norme de Sláine. Effectivement lorsque Sláine s’empare de la Lance et que la Pierre se met à gémir, il est possible de repérer un sosie de Conan faisant une drôle de tête.

Conan regardant Sláine d'un drôle d'air

Conan regardant Sláine d’un drôle d’air ©2000 AD

Dès la scène d’introduction, le lecteur prend conscience que les auteurs sont passés au niveau supérieur. Pat Mills prend soin de créer un dispositif narratif qui présente ces aventures de Sláine dans un cadre mythologique, le vieux compagnon du héros écrivant ses mémoires, relatant des faits inscrits dans l’Histoire. Dès cette scène, les images de Bisley transportent le lecteur dans un ailleurs d’une rare densité, d’une rare intensité. Il a réalisé ces pages à la peinture, mêlant plusieurs techniques, laissant les couleurs transcrire les émotions des personnages. C’est ainsi qu’apparaît un vieux nain, au visage ridé, à l’expression lasse, à la silhouette voutée, dans des teintes sombres d’un rouge incandescent.

Le lecteur ressent avec force cette atmosphère alourdie par la mort qui se rapproche, et la nostalgie du temps passé. Dès la deuxième page, les couleurs sont plus vives pour évoquer les aventures de Sláine. Dès la deuxième page, le lecteur constate la démesure des images conçues par Bisley. Les guerriers ont des corps de culturiste, la chair est prise de soubresauts violents sous l’effet du spasme de déformation, les armures sont ouvragées à la déraison. Bisley rend hommage à Frank Frazetta et à Richard Corben, tout en conservant une exagération qui lui est propre. Très rapidement le lecteur comprend que les dessins de Bisley ne doivent pas être pris dans un premier degré purement figuratif, mais dans un second degré teinté d’expressionisme.

Un héros très laid à cause d'un spasme de déformation

Un héros très laid à cause d’un spasme de déformation ©2000 AD

Cette approche graphique est en parfaite harmonie avec le récit de Pat Mills. Pour ce quatrième tome des aventures de Sláine, il a décidé d’embrasser pleinement la mythologie celte, délaissant les aventures spatio-temporelles précédentes. Il va piocher dans le Lebor Gabála Érenn (entre autres) en le débarrassant de sa réécriture catholique, pour développer une vision de la cosmogonie et de la société celtiques assez personnelle. C’est ainsi que dans la première partie, Sláine a une discussion de 8 pages avec Danu, exposant la suprématie de cette déesse, et donc la prééminence de la composante féminine dans la société celte, recréant à sa sauce le stéréotype du héros viril et triomphateur. Mills relativise la toute-puissance de la virilité masculine, en ne lui accordant que la seconde place derrière la fécondité féminine, symbole de la terre nourricière. Cela ne diminue en rien les hauts faits guerriers de Sláine, la violence des combats, la force des coups, mais cela les place dans une autre perspective.

D’un côté, le lecteur découvre une trame très classique de récit d’heroic-fantasy, avec tribus se battant contre un envahisseur monstrueux, aidé par des sorciers souhaitant la destruction de la race humaine. De l’autre côté, il plonge dans des coutumes et des rites d’une culture particulière (les celtes d’Irlande), et il voit d’un œil neuf ces récits gorgés de testostérone, assujettis à une déesse participant à l’ordre de l’univers.

Ukko complètement impliqué dans sa rédaction

Ukko complètement impliqué dans sa rédaction ©2000 AD

Simon Bisey fait feu de tout bois tout au long du récit, hypnotisant le lecteur avec des visions dépassant les stéréotypes propres aux récits de barbares, refusant de reproduire les clichés visuels des histoires de Conan et consort, s’émancipant d’une représentation purement figurative, pour donner son interprétation de l’histoire. Sláine se coiffait à la mode celte, en sculptant ses cheveux en pointe ; Bisley lui fait des pointes évoquant le hérisson, certainement impossible à réaliser dans la réalité, mais parfaitement représentatives du piquant du personnage. Sláine porte une ceinture destinée à l’aider à supporter les spasmes de déformation ; Bisley en fait une énorme ceinture qui l’empêcherait de se pencher dans la vie de tous les jours, mais qui figure avec force l’énergie qu’elle doit contenir.

Sláine rencontre la déesse Danu, Bisley n’en fait pas une frêle jeune fille taille mannequin, mais une femme épanouie. Un dragon prend part au combat ; Bisley n’essaye même pas de le naturaliser, c’est un monstre gigantesque aux dents innombrables et acérées, avec des griffes d’une taille démesurée. Loin d’assaillir le lecteur par une exagération constante, ces images le transportent dans un monde fantasmé, avec une grande cohérence interne, aux saveurs relevées.

Dans le chaudron, Sláine se soumet à la volonté féminine

Dans le chaudron, Sláine se soumet à la volonté féminine ©2000 AD

De son côté, Pat Mills semble avoir fait des efforts pour éviter les ellipses brutales dont il est coutumier, ainsi que les ruptures de ton sans concession du fait de transitions inexistantes. Le dispositif d’Ukko narrant l’histoire des décennies plus tard apporte les transitions nécessaires d’une partie du récit à l’autre, et fournit des respirations humoristiques bienvenues, sans casser l’ambiance du récit. Son travail de recherche sur les mythes et légendes celtiques transparaît dans chaque scène, sans parasiter le récit, sans le transformer en un cours didactique. Ses personnages disposent tous d’une personnalité affirmée et de motivations réelles, sans recours à un altruisme peu vraisemblable.

Si vraiment il fallait trouver des défauts dans ce récit, il serait possible de regretter les motivations trop basiques des ennemis et les rappels un peu trop lapidaires sur des éléments apparus dans les tomes précédents (pas d’explication sur l’importance ou la fonction du harnais de déformation, l’importance donnée aux dragons apparus dans le tome précédent, à commencer par Knucker). Mais ces éléments passent à l’arrière-plan, balayés par le comportement truculent d’Ukko, la joie de vivre communicative de Sláine, sa vitalité, et la force du récit.

Une interprétation graphique à la démesure des légendes

Une interprétation graphique à la démesure des légendes ©2000 AD

Dans sa préface, Pat Mills ne prend pas de gant et énonce son point de vue sans ambages. Pour lui, « Horned god » est un récit d’exception grâce à la force de la vision de Bisley, et l’ambition thématique du récit. Il estime que la série ne retrouvera cette grandeur qu’avec l’arrivée de Clint Langley dans Books of Invasions. Effectivement, cette histoire bénéficie de la complémentarité et de l’osmose entre scénariste et dessinateur, tous les deux au summum de leur art. À eux deux, ils rejettent toutes les conventions propres à ce type de récit, pour transfigurer ce récit de genre (généralement à destination exclusive d’adolescents mâles) pour en faire une œuvre littéraire abordant la nécessité de donner la première place aux femmes dans la société, une provocation d’une ampleur inouïe dans un récit de barbares tranchant des têtes à qui mieux-mieux.

Malgré le départ de Simon Bisley, Pat Mills a continué d’écrire les aventures de Sláine dans Demon killer, illustré par Glenn Fabry, Greg Staples et Dermot Power.

Un affrontement barbare

Un affrontement barbare ©2000 AD

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C’est une légende du Comics britannique qui débarque aujourd’hui hache à la main : Slaine. Présence vous raconte sa genèse ainsi que ses aventures mises en scène par Simon Bisley. Non, Mr Conan, vous n’avez pas le monopole de la barbarie !

La BO du jour : La hache, c’est bien pratique, encore faut il savoir la manier, Mr Slaine ! C’est le cri d’alarme lancé par Roger Waters qu’il vous faut savoir écouter (même si vous ne vous appelez pas Eugène…).

13 comments

  • Bruce lit  

    Oh la la… Je passe….Je vois souvent des Slaine en occaz’ à Appoum Bapoum sans avoir jamais eu envie plus que celà de sauter le pas ! En tout cas, la polyvalence de Mills est impressionnante : du récit de guerre de Charlie en passant par Marshal Law ou Judge Dredd ou bien Savage. Tiens, quelles sont les récurrences de son oeuvre ?

    • Présence  

      Excellente question, je dirais un personnage principal issu du prolétariat, du peuple, ou d’une caste de réprouvés, qui prend conscience de la manière dont la société ou l’ordre établi l’utilise et qui remet en cause les classes dirigeantes. Il peut s’agir aussi bien de Charley qui subit le système pour que l’auteur puisse en mettre à nu les mécanismes, de Marshal Law qui lutte contre l’imposture de ceux qui se font appeler superhéros, de Bill Savage qui refuse la collaboration, ou encore de Sláine ingérable mais devenant le roi des Celtes, de Nemesis l’extraterrestre qui lutte contre l’Inquisition des humains, des ABC Warriors (des soldats robots qui font le sale boulot), de John Blake (Greysuit) qui remet en cause son conditionnement de soldat d’exception, ou de Titus Defoe et du mouvement politique des Niveleurs en Angleterre (Levellers, guerre civile anglaise 1642-1648) .

  • Tornado  

    Les tomes de Slaine dorment sur mes étagères alors que je n’en ai lu aucun.
    Ce qui me fait peur, il faut dire, ce sont « les ellipses brutales dont Mills est coutumier, ainsi que les ruptures de ton sans concession du fait de transitions inexistantes »…
    J’ai plusieurs fois feuilleté divers tomes de la série « Requiem Chevalier Vampire » (une série franco-belge écrite par Mills et dessinée par Ledroit), et à chaque fois, je trouve le découpage tellement indigeste (pour rester poli) que je repose le bouquin illico.

    • Présence  

      « Requiem chevalier vampire » m’a aussi fait reculer, en partie du fait de l’esthétique très appuyée d’Olivier Ledroit.

  • JP Nguyen  

    Merci pour cet article qui éclaire cette BD sous un jour nouveau pour moi.
    Je n’aurais jamais pensé qu’elle pouvait véhiculer un message féministe.

    • Présence  

      Contre toute attente, Pat Mills a soigné la représentation des femmes dans cette série avec un gros barbare plein de muscles. C’est une composante qui se retrouve dans les autres tomes de la série.

      • Bruce lit  

        Ah ! Surprenant ça ! Un truc qui m’intéresserait si j’avais ça en médiathèque….
        Par curiosité présence, à part les zombies, y’a til un genre de BD qui te rebute ?

        • Présence  

          Je sens comme un sous-entendu pour les zombies d’un auteur en particulier, mais j’ai lu beaucoup de Crossed, les Marvel Zombies de Kirkman et les suivants de Fred van Lente, et Titus Defoe (une série de Pat Mills, 2 tomes parus) se bat contre des zombies. Il y a des genres en BD pour lesquels j’ai un fort a priori négatif (sans avoir d’auteur en tête, et en sachant qu’il existe des exceptions) : les mangas à la française, les comics à la française. En ce qui concerne les genres (en revenant à mes choix de comics), je fais l’effort de diversifier mes lectures, de m’aventurer dans des genres qui m’attirent moins. En y réfléchissant, je ne suis pas trop attiré par les BD relevant du genre sitcom ou romance (avec bien sûr, là encore des exceptions).

  • Jyrille  

    Ce sont les seuls Slaine que j’ai lus, en VF, chez Comics USA ou Zenda à l’époque ? Je ne sais plus… C’est en quatre tomes. Faudrait que je me trouve l’intégrale, parce que comme Présence, j’adore cet arc. Les dessins de Bisley sont terribles et le discours de Mills sur la féminité est totalement décalée dans ce genre d’histoires. Bref, je trouve que c’est du grand art, et je suis très fan de l’humour qu’on y recèle.

    Bravo Présence d’avoir su présenter tous ces éléments et de disséquer parfaitement le dessin de Bisley ! Je ne connais pas d’autres oeuvres de Pat Mills par contre.

    • Walking Jyrille  

      Merci pour le rappel ! Marshal Law me tente bien.

    • Présence  

      Merci pour le lien et les informations dans ton article parce que je suis totalement inculte en la matière.

      • Nikolavitch  

        bon, après, comme tu l’as vu, même s’il est sourcé, l’article est très déconnant dans le ton.

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