Focus : One Piece
Un article de Maxime FONTAINE

One Piece, un univers foisonnant
C’est le best-seller des shônens et l’œuvre de toute une vie. Celui qui bat tous les records depuis près de trente ans. Il nous a procuré des émotions vives. Il nous a fait rire, pleurer, vibrer. Pourtant, depuis le Tome 59 et la guerre de Marineford -un summum !- le soufflé est retombé. Un peu normal : les histoires au long court, ça a forcément des hauts et des bas.
En chemin, certains enthousiastes de la première heure ont abandonné Moi qui ai pourtant tant aimé One Piece, au point d’avoir plusieurs fois clamé haut et fort qu’il était « le meilleur shônen de tous les temps », je me suis honnêtement posé la question : Est-ce que ça vaut le coup de continuer ?
Pour les deux du fond qui n’ont pas suivi, je vous la fais, version raccourcie : Monkey D. Luffy, apprenti pirate, réunit autour de lui une bande de bras cassés attendrissants / personnages sévèrement badass aux destins souvent brisés. Au fil de ses aventures, Luffy forme ainsi sa famille de cœur, cet équipage pour qui il est prêt à tout donner. Ensemble, ils cherchent le « One Piece » : le plus grand trésor ayant jamais existé.

Quand on embarque à bord du Vogue Merry, on est vite récompensés. On découvre un univers foisonnant, bien construit, avec ses mythes, ses mystères, ses terribles tragédies.
Au cours du voyage, l’équipage de « Luffy au chapeau de paille » (mugiwara en V.O.) visite les lieux les plus étonnants. Procédé narratif ultra malin, et qui empêche la monotonie : chaque nouvelle île est conçue comme un univers à part entière avec son histoire, ses règles, ses populations. Tout est possible : ile aérienne (Skypiea), île à la Tim Burton (Thriller Bark), île comestible (Tougato), île des samouraïs (Pays des Wa), île de la science-fiction (Egg Head), etc, etc.
Grâce à cet univers ultrariche, One Piece se renouvelle sans peine. C’est loufoque, c’est souvent over-the-top, ça se bastonne en tous sens. Mais bon sang, quel bol d’air frais !
L’architecte en chef de ce titre cultissime se nomme Eiichirô Oda. Il est né en 1975, comme votre serviteur, et comme les X-Men version Wein et Cockrum -le premier qui dit que c’est une sacrée bonne année gagne toute mon estime. Oda, c’est un forcené, qui ne dort que cinq heures par nuit, et qui consacre sa vie à son manga -on plaint sa famille, et on compatit pour sa santé.

Son style, unique de drôlerie, d’affrontements épiques et d’aventures intenses nous a offert des arcs incroyables, des personnages aussi dingues que terriblement attachants. Tous possèdent un grain de folie qui les rend uniques. Comme par exemple…
Franky, ce cyborg-menuisier aux cheveux bleus qui se balade en slip et qui utilise le cola comme carburant.
Chopper, un renne kawaï parlant / médecin surdoué, incapable de se cacher -il se cache « à l’envers », sa partie visible représentant les ¾ de son corps.
Nico Robin, une brune intello qui se pique d’archéologie, et qui fait pousser des morceaux de son corps un peu partout -principalement des mains-fleurs et des bras géants.
Zoro, un épéiste ultra doué qui combat avec trois sabres -dont un bien serré entre les dents- et qui a un si mauvais sens de l’orientation qu’il peut se perdre en suivant une ligne droite.
Ah oui, c’est barré ! Faut rentrer dans le délire. Oda cultive le sens du ridicule. Des antagonistes aux personnages secondaires, tous sont improbables. Ce qui n’empêche pas l’histoire de tourner au drame, d’une cruauté terrible, quand on s’y attend le moins.

Derrière les visages rieurs de l’équipe se cachent énormément de drames secrets, et de revanches à prendre !
Parce que One Piece, c’est surtout très touchant. J’en ai versé, des larmes, en compagnie des « mugiwaras » ! Citons l’adieu à Vivi de tout l’équipage. Le destin du Docteur Hiluluk. Le duo fratricide Luffy/Usopp. Le destin du Vogue Merry. Le « Je veux vivre ! » de Nico Robin. La tragédie de Marineford. One Piece, c’est une comédie aux accents désespérés. C’est le combat éternel des opprimés contre les nantis qui propagent l’injustice.
Les héros de ce monde sont les pirates, les révolutionnaires, les laissés pour compte, ceux que l’on veut faire rentrer dans la norme -même si l’on trouve quelques figures positives au sein de la marine, qui traquent ces hors-la-loi.
J’ai commencé ça, un peu sur le tard. En regardant un épisode au hasard, quand Nami-la-navigatrice affronte une adversaire qui produit… des bulles de savon. C’était le numéro 290 et des brouettes. Je me suis dit : 290 épisodes ? Mais qui peut être aussi taré pour mater un truc aussi long ? J’étais complètement paumé. Je n’ai rien compris du tout. J’ai adoré ça.

Les mangas d’Eiichirô Oda, sources de l’aventure.
Ensuite, je suis revenu en arrière. Et je me suis tout binge-watché -oui, à l’époque, je n’avais aucune vie. Je connaîtrais maintenant l’existence de cette œuvre, je la laisserais tomber sans aucun remords. Imaginez : on en est arrivé à près de 1200 épisodes. 1200X20 minutes !! Même si on se lance dans la version papier, ça nous fait plus de 100 tomes.
En cette époque où on croule sous les propositions alléchantes (romans, séries, films, BD, jeux vidéo), qui aurait autant de temps à consacrer à un seul univers ? Surtout qu’au début, c’est sympa mais pas inoubliable. Et puis ça décolle. Et puis ça atteint des hauteurs stratosphériques. Et puis on y revient, encore et encore, tellement on est investis dans le passé de ces personnages, leur quête, et tous les sub-plots dignes d’un scénario à tiroirs signé Chris Claremont.
Certains mystères comme « la volonté du D », les « Rio Ponéglyphes », le « Siècle perdu », se développent lentement mais sûrement, depuis le début, et deviennent au fil des indices récoltés de plus en plus fascinants.
Je suis passé de l’animé à la version papier. Puis de la version papier à l’animé. Et ainsi de suite -sur quasi trente ans, il y a de quoi multiplier les expériences ! Je suis tellement fan que je me paye l’équipage complet des « Mugiwaras », version figurines hors de prix… (Petite parenthèse pour la version Live, proposée par Netflix. C’est intéressant. C’est respectueux. Mais c’est tellement, tellement moins bien que le manga ou l’animé !…)

Le point figurines -ou quand je me fais rattraper par la société de consommation.
Et puis, il y a eu un hic.
Le fameux problème évoqué plus haut : passé le fameux Tome 59, qui fait figure de sommet, on ne retrouve plus la même intensité. C’est moins bien.
Pas nul, hein. Toujours intéressant. Toujours fun. Ça progresse gentiment mais ça ronronne. L’univers s’étoffe, s’étoffe… au point qu’on frôle l’indigestion. Clairement, l’âge d’or de la série appartient au passé.
Mas contrairement aux potes qui ont lâché l’affaire, j’ai un sale défaut : je suis complétiste.
Quand quelque chose m’a ému aux larmes, quand ça m’a passionné au point de ne parfois penser qu’à cela, j’ai tendance à vouloir suivre l’intrigue, jusqu’au bout du bout.
Surtout si l’univers est riche en émotions et découvertes. Si l’auteur sait où il va. Ce qui est clairement le cas, dans l’œuvre-fleuve d’Oda.
Alors, je m’accroche. J’arrive péniblement au Tome 94. Et je souffre un peu.
Les défauts qui ne me dérangeaient pas deviennent de plus en plus visibles. Notamment le traitement des femmes de l’histoire, certes nombreuses, diverses et enthousiasmantes, mais moins présentes que les hommes quand sonne l’heure du combat.
Je lâche même l’affaire pendant 5 ans. J’achète encore les tomes, un peu par habitude, et sans grande conviction. Pour la collection. En me disant que, peut-être, je lirai tout ça en diagonale, à l’occasion.

Toujours des dessins superbes, mais un scénario moins surprenant.
Et puis… BOUM.
À partir du Tome 95, ça s’emballe de nouveau.
La fin paraît se dessiner. Ça redevient dingue.
Pas seulement cool. Vraiment addictif.
Avec quelques nouvelles trouvailles, qui changent les règles du jeu.
Dans les shônen à la Dragon Ball, les héros deviennent toujours plus puissants et plus badass. Monkey D. Luffy, lui, passe en mode cartoon. Et modifie au passage la réalité.
C’est à la fois drôle… et terriblement impressionnant.
Alleluia ! Je retrouve enfin les sensations perdues.
Je renoue pleinement avec l’univers que j’ai tant aimé.
Moi qui n’ai (quasi) plus de temps libre à cause de l’écriture de mes bouquins et de mes 4 enfants, je me remets à jour en quelques semaines.
Je découvre l’extraordinaire pari de la « Gear Five », je débarque à Egg Head, j’explore les secrets du Gouvernement mondial, je (re)découvre les personnages de Bonney et Kuma en explorant leur passé.
Et quel passé ! Un versant inoubliable de l’univers, où chaque pièce du puzzle avait son importance, où tout se met en place dans un feu d’artifice qui touche en plein cœur.
Faut-il encore lire One Piece ?
Eiichirô Oda parvient-il encore à nous surprendre, à se surpasser, maintenant qu’on approche les 110 tomes ?
La réponse est oui. Oui. Cent dix fois oui.
Parce que l’immense toile d’araignée scénaristique patiemment tissée révèle toute sa belle complexité. Sans jamais oublier l’essentiel : celle de rester émouvante.
Après les multiples péripéties réussies, et quelques déconvenues, l’aventure a pris une tournure inédite. Une tournure exaltante. Unique.
Eiichirô Oda a posté quelque part que One Piece approchait de la fin.
Avant de préciser -comme d’habitude- que le voyage sera sans doute plus long qu’initialement prévu.
Pour l’anecdote : One Piece devait durer 5 ans. Cinq ans version Oda, ça couvre plusieurs générations.
On dirait Miyazaki, qui prétend toujours tourner son dernier film, et qui nous fait ce coup-là depuis Princesse Mononoke, en 1997.
Alors, on en prend pour combien, encore, de tomes de One Piece ? Cinq ans ? Dix ans ? Quinze ans ?
Est-ce qu’on sera encore vivants, pour voir ça ?
Allez, on y croit. Mais tous aux abris !
Car vue la grande qualité des tomes actuels, ce fou furieux d’Oda semble capable de tout.
Y compris de nous concocter un long bouquet final avec un talent suffisant pour cette fois nous captiver, jusqu’au bout.

Un tome à la fois, minutieusement, Eiichirô Oda écrit sa légende. See you soon, mugiwaras !
