Il Etait Une Fois l’Homme (The Goddamned – tome 1)

The Goddamned – tome 1, par Jason Aaron & R.M. Guéra

 Bienvenue dans le Monde d’avant le déluge…

Bienvenue dans le Monde d’avant le déluge…©Image Comics

Par : TORNADO

VO : Image

VF : Urban

Cet article portera sur le premier tome de la série The Godamned publié initialement en 2016.

Il s’agit de la nouvelle série réalisée par les auteurs de Scalped  (le scénariste Jason Aaron, le dessinateur R.M. Guéra et la coloriste Giulia Brusco), l’un des fleurons du monde des comics de ces vingt dernières années, dont nous vous avons déjà parlé chez Bruce Lit…

Etant trèèès occupé à bosser pour l’éditeur Marvel (il écrit plusieurs séries de concert, dont Thor et Star Wars , et ponctuellement quelques crossovers), Jason Aaron n’a actuellement que trèèès peu de temps pour développer ses projets en creator-owned. Et c’est pour cette raison que ses deux séries en cours, The Godamned et Southern Bastard, mettent un temps interminable à se faire…

 Ça commence comme ça…

Ça commence comme ça…©Image Comics

C’est l’histoire de « Caïn », le premier meurtrier de l’histoire de l’humanité, fils d’Adam & Eve, frère d’Abel. Le récit commence au moment où « Noé » et sa famille se lancent dans la construction d’une arche qu’ils prétendent commandée par Dieu lui-même.
Depuis des milliers d’années, Caïn erre sur la terre et ne peut pas mourir. C’est le fléau que lui impose son créateur pour le punir de son meurtre originel. Lassé de cette vie éternelle dans un monde de plus en plus dégénéré, livré à une humanité monstrueuse, à des géants sanguinaires et à des bêtes cruelles, le fils d’Adam & Eve est ainsi en quête de mort. Las, toutes ses tentatives semblent vouées à l’échec, y compris lorsqu’il se jette dans les mâchoires de quelque saurien semblable aux dragons de l’ancien temps ou même sous les terribles haches des anges déchus qui foulent la terre de leurs pieds démesurés.
De son côté, le chef de clan Noé asservit la population des lieux dans le but de mener à bien son projet de commande divine. Pour se faire, il n’hésite pas à trucider tous ceux qui se dressent sur son chemin.

Le fléau de Caïn : Errer éternellement sur une terre pourrie, sans jamais pouvoir mourir…

Le fléau de Caïn : Errer éternellement sur une terre pourrie, sans jamais pouvoir mourir…©Image Comics

C’est ainsi que le monde se rapproche du déluge annoncé. Un monde dominé par une espèce humaine vautrée dans la cruauté sanguinaire où seule la loi du plus fort et du plus sauvage semble prévaloir, et où se tapissent des créatures aujourd’hui oubliées, qui ne semblent avoir été crées que pour semer la peur et la mort la plus abominable.

Au milieu de ce chaos antédiluvien, Caïn, dont l’acte impie commis il y a un millénaire semble être la cause, se dresse néanmoins contre le destin…

Dieu aime ses enfants, surtout Caïn !

Dieu aime ses enfants, surtout Caïn ! ©Image Comics

Ceux qui ont lu la série Scalped auront la sensation étrange de se trouver à la fois en terrain connu, tant le style des auteurs imprime ici encore cette patine si particulière, et à la fois dans un univers (presque) inédit, puisque ces mêmes auteurs imaginent cette partie de la Genèse avec une réelle originalité en déroulant une relecture surprenante, moderne (les personnages s’expriment dans un langage propre au XXI° siècle) et édifiante.

Comme si cela était possible, Aaron & Guéra nous dépeignent une humanité plus sombre encore que dans la réserve indienne de « Praire Rose » (Scalped), et décrivent une vision de l’homme dégénérée à l’extrême. Dans ce monde pourri jusqu’à la moelle, qui appelle effectivement au déluge afin que toute cette horreur disparaisse le plus rapidement possible et que tout recommence à zéro, on ne trouve pas un personnage qui vaut que l’on sauve réellement notre espèce. Et, si Noé apparaît tel un chef cruel semblant trôner au dessus des autres car Dieu l’aurait jugé, disons « moins pire » que le reste de l’humanité, Caïn s’impose d’emblée comme l’un des seuls repères possibles pour le lecteur. Un personnage damné (d’où le titre) mais attachant en dépit de son nihilisme et, bien entendu, de ses origines.

L’homme, cette créature dégénérée !

L’homme, cette créature dégénérée ! ©Image Comics

Jason Aaron réussit ici encore la prouesse de nous laisser nous attacher à des êtres qui échappent complètement aux archétypes héroïques classiques et que l’on aurait, probablement, détesté dans n’importe quel autre endroit ou dans n’importe quel autre récit.

Très vite, le fléau de Caïn résonne en nous de manière universelle et l’on perçoit que ce personnage est tapi en nous tous, pour le pire et pour le meilleur, et pour l’éternité. Son meurtre originel nous a tous condamnés, en même temps qu’il nous oblige à regarder nos faiblesses comme si l’on se regardait dans un miroir en prenant parfaitement conscience que ce meurtre, nous aurions tous pu le commettre.

C’est la force de The Godamned qui, tout comme Scalped, parle de l’humanité et nous montre que le pire côtoie le meilleur en chacun de nous, et que le monde où nous évoluons devient finalement ce que nous en faisons. C’était le discours en toile de fond de la série Scalped, et il se répète ici, de manière probablement plus ambitieuse, puisque porté par la force d’un concept plus universel encore.

Un découpage des planches parfois un peu haché…

Un découpage des planches parfois un peu haché… ©Image Comics

Côté narration, on retrouve l’âpreté caractéristique de l’écriture de Jason Aaron (la même que dans ses autres comics en creator owned, tel Men of Wrath  ou encore la série Southern Bastards ), en nettement plus extrême. Côté dessin, on retrouve bien l’expressivité hérissée de R.M. Guéra, bien que l’artiste se montre moins brillant ici dans le découpage et dans la finition de ses planches, qui souffrent d’un manque de précision témoignant d’un probable manque de temps dans la réalisation.

Le résultat n’en demeure pas moins exceptionnel, loin au dessus du tout-venant de la production de comics au niveau de la force du récit et de son propos, ainsi que dans le mordant et la puissance d’évocation d’un univers, le notre, vu à travers le prisme d’une œuvre totalement originale et immédiatement addictive.

Une dernière recommandation s’impose néanmoins : Âmes sensibles s’abstenir !

 Kécecé cette bestiole ?

Kécecé cette bestiole ? ©Image Comics

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Le retour du tandem magique de Scalped : Jason Aaron et RM Guera pour leur nouvelle série Goddamned. Un récit biblique dont Caïn est le héros raconté par Tornado.

BO : Léo Ferré : Abel & Caïn

En 1968, Léo Ferré chantait Baudelaire et, selon le poète maudit, nous ne sommes que deux en ce monde, les deux faces d’une même pièce…

16 comments

  • Bruce lit  

    Un….article….court….à l’ancienne portant sur des comics….par Tornado ? You say you want a revolution, man ? 🙂
    En inconditionnel du duo de Scalped, il est impossible que je fasse l’impasse sur cette série dont je ne connaissais pas l’existence. Ca n’a pas l’air très bavard par contre. Tant mieux. En ce moment que ce soit Remender, Spencer ou Ennis, mes auteurs préférés sont pris en flagrant délit de jactance et c’est souvent très pénible.
    R.M Guéra est sûrement un des seuls dessinateurs qui m’impressionne depuis des années. Il livre des planches assez inoubliables et pleines de caractères parmi des wagons de tacherons. Sur la planche « Homme, créature dégénérée » , il m’est impossible de ne pas y voir l’influence de Rosinski avec le barbu aux dents pointues.
    Je suis très, très curieux de découvrir cette série. Mais comme toi avec Postal, je vais attendre qu’elle se développe voire qu’elle se termine avant d’y aller. L’attente entre deux Southern Bastards m’a lassé de cette série qui ne m’a pas bien passionné à la base et le dessin de LaTour pas très intéressant.
    Merci de me l’avoir fait découvrir. Et merci pour le clin d’oeil à la série d’Albert Barillé dont j’étais un inconditionnel et que Luna découvre à son tour.

  • Présence  

    Ce tome est dans ma pile de lecture, et je fais pour l’instant comme Bruce, en attendant le tome 2 avant de m’y mettre.

    L’artiste se montre moins brillant ici. – C’est ce qui m’avait semblé en feuilletant rapidement le tome. D’un autre côté, cette terre dévastée se prête moins à des décors fouillés.

  • Tornado  

    Ma première impression a été plutôt négative à cause des dessins de Guéra, vraiment moins classes que ceux de Scalped, avec un découpage parfois très hasardeux. Mais au final, ça reste une claque parce que c’est imparable. Puissant.
    C’est vrai qu’il y a du Rosinsky dans le style de Guéra. Je ne m’étais jamais fait la réflexion.
    Apparemment, Aaron doit être débordé par son taf chez Marvel (dont je n’ai cure, en dépit des bonnes critiques). Southern Bastards n’avance pas et The Goddamned encore moins… 🙁

    • Présence  

      Ça n’a rien à voir, mais j’en profite pour te remercier chaleureusement pour les 3 tomes du Baron Rouge qui m’ont beaucoup plu.

  • Patrick  

    Bigre ! Le déluge version comics je dois dire que je ne m’attendais pas à celle la !
    Bon quitte en à faire bondir quelques uns ici même j’ai toujours trainé les pieds pour lire Scalped à cause du dessin que je trouve extrêmement brouillon et difficilement lisible ! Regarder ses planches me demande toujours un effort car mon premier réflexe est de refermer le comics pour ne plus jamais l’ouvrir. Il ne me dessine pas forcément mal mais son trait est assez ardu et limite désagréable.
    Enfin bref je n’aime pas son style quoi.
    Paradoxalement sur les quelques scans de l’article son style a l’air plus dépouillé (moins chargé surtout) et du coup pour moi plus accessible…
    Et puis je trouve l’histoire assez étonnante en elle même donc un mot comme en cent, bien joué, je vais essayer de me pencher sur ce volume !
    (et en effet si les scans sont représentatifs des dialogues du comics, ça ne me prendra pas trop de temps pour le lire ^^)

  • Tornado  

    C’est marrant, j’ai oublié si c’était bavard ou non… Il me semble que c’était comme dans Scalped. C’est-à-dire juste comme il faut…

  • JP Nguyen  

    J’ai une certaine affection pour ce duo d’auteurs car Scalped est l’une des rares séries que je suivais en single issues à l’époque (je dois avoir tous les numéros sauf le 4 ou le 5…) Rien que pour les covers de Jock, ça valait le coup…
    Sur The Goddamned, j’avais lu un article/teaser mais guère plus.
    Visuellement, ça me plait toujours autant… Sur l’histoire, je suis un peu plus circonspect : avec des espèces de dinosaures sur le dernier scan, on est pas très loin des créationnistes… et puis, ça sent pas la franche poilade, tout ça (ok, Scalped non plus, c’était pas rigolo…)
    Comme la suite semble tarder à venir, je vais prudemment attendre plus tard…

  • Fred Le mallrat  

    Par contre, je trouve que c est plus dur au départ à la lecture. J’ai pensé un moment que ca n’allait pas loin, que le duo s’était perdu avant qu’il ne reprenne vite mon adhésion. Mais le début peut paraitre un peu … facile.

    @Nguyen: un dinosaure : oui mais là tu restes quand même avec Cain qui est immortel.
    Tu es quand même dans une forme de detournement des récits bibliques si ceux-ci étaient « réalistes »…
    Pour moi on peut le voir comme un effet watchmen/Dark Knight appliqué à la Bible (je sais pas si je suis clair ou si ca n a aucun sens??)

  • Bruce lit  

    Voilà, j’ai lu ce premier volume et ait été scotché de bout en bout !
    Voilà le Jason Aaron que j’aime, bien loin de la déception de Southern Bastards.
    C’est violent, très violent, parfois proche de Crossed, Tornado ! Comme dans Sin CIty, Cain est le moins pire des ordures à l’image. Et l’histoire suffisamment complète pour faire une One Shot.
    Quelques bémols : le vocabulaire n’est pas très travaillé, et c’est urticant de voir des personnages à l’aube de l’humanité parler comme sur un parking…
    Ensuite, la relative simplicité de l’intrigue. Comme Millar, Aaron tient un bon pitch, mais il y a peu de suspense du fait de la vérité « historique » de l’arche de Noë. The Goddamned a t’elle le potentiel d’une série ? Rien n’est moins sûr tant tout semble avoir été dit dès ce premier tome !
    Merci en tout cas pour m’avoir fait découvrir ce Wolverine biblique !

  • Jyrille  

    Bon, j’en ai marre, c’est décidé, je vais racheter tout SCALPED chez Urban.

    Sinon ça a l’air bien cette bd dont je ne soupçonnais pas du tout l’existence. Tu dis « âmes sensibles s’abstenir », c’est aussi violent que ça ?

    La BO : du Ferré que je ne connais pas, ayant surtout écouté ses productions barrées et jazz et expérimentales des années 70. Il faudrait que je m’y mette sérieusement. Ce poème de Baudelaire se trouve dans Les fleurs du mal ? Je ne sais plus.

    • Bruce lit  

      Très bonne décision.
      Ferré : aucun déclic pour avoir envie d’essayer actuellement.

  • Présence  

    @Tornado – J’espère que tu es assis : le tome 2 est paru en VO, et je viens de le terminer.

    J’ai u le tome 1 et je l’ai trouvé excellent, en particulier la réappropriation de la mythologie de la Bible.

    La Bible est une source incroyable de mythologie, mais rares sont les auteurs qui osent s’y risquer, parce que les retours des groupes religieux peuvent être virulents et néfastes pour une carrière, et parce qu’il faut disposer d’une bonne culture en la matière pour éviter de rester en surface. Du coup, aux États-Unis, les éditeurs de comics ont tendance à se tenir à l’écart de tout ce qui peut s’apparenter à une interprétation personnelle des saintes Écritures, ou même de la mise en scène d’un personnage biblique de premier plan, comme Rick Veitch en fit les frais sur la série Swamp Thing de DC Comics, ou Mark Russell sur sa série Second Coming, créée avec Richard Pace & Leonard Kirk. Il vaut mieux avoir une notoriété déjà assise à l’extérieur des comics pour espérer y parvenir. D’un autre côté, les auteurs américains ont souvent une connaissance plus imagée des Écritures et savent les manier avec une forme de truculence très particulière. Par exemple, la série Testament (2005-2008, 22 épisodes) par Douglas Rushkoff, Liam Sharp, Peter Gross, Dean Ormston, Gary Erskine proposait une mise en perspective de plusieurs épisodes célèbres de la Bible au regard d’une technologie d’anticipation pour un résultat remarquable. Le lecteur constate tout de suite que le scénariste sait mettre à profit les Écritures pour une lecture très personnelle : en exergue de chaque épisode, il place une citation de la Genèse ou du Livre de Job, évoquant la colère de l’Éternel et le jugement qu’il passe sur les hommes. Il fait le lien avec le titre de la série : les damnés. Le lecteur comprend que le point de vue qui sous-tend ce récit est que la race humaine jugée coupable par son propre créateur.

    • Tornado  

      J’en déduis que tu as beaucoup aimé, donc !

      J’imagine que l’histoire se poursuit au delà du tome 2. Si Aaron garde le même rythme, c’est pas gagné !
      J’ai cru comprendre que la série SOUTHERN BASTARDS avait carrément été stoppée. As-tu des renseignements de ce côté là ?

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