Interview Camille Garoche (MA PETITE LOUVE)

Propos recueillis par BRUCE TRINGALE

VF : Delcourt

Parce qu’il ne sera pas dit que LA ROUTE de Larcenet s’accapare l’attention des lecteurs francobelges, voici le nouveau très bel album de Camille Garoche : MA PETITE LOUVE que nous avions déjà rencontrée il y 4 ans pour son adaptation de 3 contes de Maupassant

MA PETITE LOUVE est l’histoire de deux enfants qui emménagent à la campagne après la mort de leur mère au Bataclan. Anouk est emplie de colère quand son jeune frère Sasha ne parle plus. La découverte d’une tanière avec des louveteaux orphelins eux aussi d’une mère abattue par les chasseurs va changer leurs vies avec leurs tentatives de sauver des animaux interdits par les autorités locales.
Un album magnifique de douceur, d’empathie et de sensibilité pour lequel votre serviteur a voulu hululer avec son autrice.

Quelle douceur dans ce dessin !
©Camille Garoche-Delcourt

Chère Camille, nous nous sommes entretenus la dernière fois il y a 4 ans ! Avant de commencer, comment vas-tu ? Comment as-tu vécu ces années covid ? 

Ça va très bien ! J’ai un peu honte de l’avouer mais j’ai bien aimé le confinement mais ça c’est mon côté ourse introvertie qui parle ! Ça m’a permis de découvrir Procreate et de commencer mon livre sur les cabanes. Depuis je suis retournée dans le sud ouest et je vis sur le bassin d’Arcachon au milieu des pins.

La mère d’Anouk est morte au Bataclan. Pourquoi ce choix ? Est-ce qu’une mort d’adulte autre que par le terrorisme n’était pas possible ? 

En fait non, c’était pas possible. Cette histoire est née à cause de cet attentat. Sans cette tragédie il n’y aurait pas eu de bd. La meilleure amie de mon compagnon est morte au Bataclan. Elle avait un mari et deux enfants. J’ai eu envie de leur écrire une histoire, mais je ne savais pas quoi. Et un jour cette louve s’est imposée, ainsi que cette grande forêt. Au début je ne voulais même pas mentionner l’attentat, je voulais le dire mais de manière hyper subtile, mais au final on passait complètement à côté. C’est en faisant un stage sur l’émotion dans le récit, que j’ai compris que j’allais devoir l’écrire noir sur blanc même si ça a été très dur de faire ça.

Une autre épreuve commence : répondre à l’indiscrétion de l’insuportable Mickaël
©Camille Garoche-Delcourt

J’avoue que parfois tu as trop bien réussi ton coup : le personnage de Mickaël est particulièrement odieux en se moquant de ces enfants qui ont perdu leur mère. J’avoue ne pas avoir réussi à lui pardonner !

Oui il est insupportable! J’ai le souvenir d’enfants au collège qui étaient terribles, surtout avec ma super amie de l’époque. Mais dans le fond ce ne sont pas de méchantes personnes (enfin j’aime penser ça). Et j’aime beaucoup ce personnage même si il m’énerve et que parfois il agit vraiment méchamment. (Mais on me dit souvent que je suis trop indulgente je vais en parler à ma psy) Pour ce personnage je me suis inspirée de mon beau frère et de mon compagnon car c’est un peu comme ça que je les imagine quand ils étaient au collège…

Ton histoire est très profonde : les enfants finissent par trouver leur chemin en trainant dans la forêt quand les adultes sont perdus dans leur psyché, ils errent sans but en restant chez eux… As-tu peur de mal vieillir ou de rater ta vie ? 

Mais qui n’a pas peur de ça? Ma pire crainte c’est de devenir une adulte ennuyeuse et aigrie qui parle immobilier avec d’autres personnes pareilles. Je veux devenir une petite vieille femme merveilleuse et inspirante qui enchante le monde avec ses histoires et ses quinze chats.

C’est drôle car au final le père des enfants ressemble beaucoup à mon propre père qui est souvent loin dans ses cassettes super huit.

Lorsque les enfants mentent à des adultes eux-mêmes dans le déni
©Camille Garoche-Delcourt

Ton dessin est de nouveau fabuleux, d’une douceur immédiatement addictive et j’ai adoré ta gestion des couleurs.  Tu nous en dis plus ? 

Oh merci!  J’ai l’habitude de faire de très grands dessins pour l’édition jeunesse dans lesquels on se plonge, avec mille détails à découvrir. Ici il fallait que mon dessin soit plus spontané et moins figé. J’ai mis un peu de temps à trouver ce nouveau langage, en particulier pour le dessin des mains. Et j’ai essayé de faire moins de traits noirs, plus de couleur. 

Ici sur le bassin d’Arcachon il y a beaucoup de pins et je suis complètement fascinée par ces arbres. J’en ai dessiné beaucoup (aquarelle, pastels, numérique… ) et il m’a paru évident que je devais utiliser ce travail dans la bd. Au début l’histoire devait se passer dans la montagne mais j’ai tout changé pour mettre la végétation que je voulais. J’ai même dessiné mon collège ! (Collège de Soulac sur Mer en Gironde) en ajoutant des montagnes au loin. 

J’adore faire les couleurs. C’est ma partie préférée, un peu la récréation. Quand j’étais petite j’étais souvent déçue lorsque j’ouvrais un livre; la couverture était souvent super colorée et attrayante, mais à l’intérieur, il y avait juste des images en noir et blanc. Ou alors des couleurs mais beaucoup moins travaillées que sur la couv. Là j’ai voulu faire l’inverse. Un livre assez sombre à l’extérieur, mais quand on l’ouvre on en prend plein les yeux!

Quand je mets en couleurs je peux écouter des livres audio et être complétement dans le flow. Jamais je ne pourrais laisser quelqu’un.e le faire à ma place! Pour « ma petite louve », je me suis laissé pas mal de liberté : certaines images sont en noir et blanc, d’autres au trait mais avec un fond uni, ce qui m’a permis de créer des ambiances fortes quand j’en avais besoin et de changer de rythme, de faire des respirations. 

Ton univers ne pourrait pas être plus éloigné de la violence et de l’agressivité des super-héros. Pourtant Lisa avec sa petite mèche blanche évoque fortement la X-Woman Malicia ! Est-ce possible ? 

Ahah c’est drôle ! Ça doit être le seul personnage que j’ai retenu. Mais j’avoue que je ne lis pas de comics (trop d’action !) j’ai adoré inventer le personnage de Lisa qui m’a été inspirée par une copine très très cool.

As-tu vu le film MYSTERE qui raconte l’adoption d’un loup par une fillette mutique depuis la mort de sa mère ? Faut-il y voir les origines de Sasha.

Je ne l’ai pas vu. Zut, il faut que je me rattrape! Sasha est inspiré en partie par mon propre frère qui était très lunaire quand il était petit, toujours l’air d’être sur une autre planète (c’était également un petit blondinet!)

Même en étant bienveillant, s’occuper d’un loup comporte le risque de se faire mordre
©Camille Garoche-Delcourt

J’avoue avoir trouvé la fin très émouvante. Savais-tu déjà comment se terminerait ton histoire en la commençant.

Non; je sais juste que j’avais envie que ça se termine bien. Vu que cette histoire est née du chaos et d’une immense tristesse, je voulais que la fin soit douce et lumineuse. Un ami m’a dit : « tu voudrais pas faire mourir un des louveteaux? Ce serait intéressant » J’ai jamais pu faire ça! Je trouvais que cette famille avait vécu assez de drames. 
Je savais aussi qu’il était important que que chacun retrouve sa place dans cette famille.

As-tu d’autres projets immédiats ? 

Oui je vais faire un livre sur les fées pour la jeunesse et j’ai commencé à écrire le synopsis d’une nouvelle bd plus « jeunes adultes » cette fois, avec des lycéennes sorcières. J’ai aussi très envie de dessiner les arbres tels qu’ils sont chez moi en ce moment: les pieds dans l’eau. C’est très graphique et romantique. 

Un dernier mot pour nos lecteurs ? 

Soyez prêt.es car j’ai pas dit mon dernier mot avec cette bd, je vais en faire plein d’autres!

Camille Garoche par elle même

La BO du jour


7 comments

  • Jyrille  

    Une bien belle interview encore une fois pour une (sans aucun doute) belle personne. Le dessin me parle et le thème est super. Tout donne envie donc.

    Mais pas la BO, c’est horrible, la production des années 80 dans ce qu’elle a de pire. Et la chanson n’est pas bonne, en plus.

    Cependant je note dans un coin, cela pourrait faire un très beau cadeau. Merci à vous deux.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonsoir Bruce.

    Je ne connaissais ni l’autrice, ni la bd. Et bien cette entretien m’a donné beaucoup envie même si j’avoue, j’essaye de m’éloigner des récits catharsis, notamment ceux sur les attentats. Mais là je trouve que cela fonctionne, notamment graphiquement. J’adore.

    Arcachon : j’aurais pu aller faire le job moi même. Belle région, je comprends l’inspiration que Camille Garoche y a trouvée. Je confirme aussi qu’il n’y a pas de montagnes à Soulac Sur Mer. Du coup cela m’a fait fortement penser au film Le REGNE ANIMAL (grande déception au passage, film sur vendu même si intéressant pas son côté film de genre), tourné en Aquitaine, avec des décors qui me sont familiers (notamment le lycée !!!!).

    Merci pour cette découverte.

    La BO : tu as trop forcé ta chance 🙂 je ne vois pas d’autre explication

  • JB  

    Belle interview sur une création qui semble très personnelle pour l’autrice. Les louveteaux semblent faire l’objet d’un transfert des jeunes héros, on peut comprendre que la créatrice tienne à leur survie.
    Enfant, loup et drame personnel, ça m’évoquera toujours le film (et livre) L’ARBRE DE NOEL, au dénouement moins joyeux

    • Bruce lit  

      @Cyrille et Fletch : c’ets le pire titre de la disco d’A-ha. Je le déteste, vous le détestez, ils le détestent aussi. Mais le thème collait bien avec l’album.
      MA PETITE LOUVE est un album jeunesse qui s’apprécie aussi en tant qu’adulte. Je suis très regardant là-dessus et Camille Garoche propose du haut de gamme dans ce domaine.

      • Jyrille  

        Le hasard est incroyable : ce soir, un ami m’a montré des photos de renardeaux (trop mignons) qu’il a vu pas loin de chez lui.

    • Bruce lit  

      Comme je le dis à Camille, je trouve que l’intrigue Bataclan n’est pas indispensable au récit. Mais cela lui semble tenir à coeur comme elle s’en explique.

  • Présence  

    Avec l’âge, l’envie de lire des BD jeunesse m’a passé… ce qui ne m’empêche pas d’avoir gardé d’excellents souvenirs émus de celles qui j’ai pu lire à mes enfants.

    C’est très intéressant de découvrir au travers de ces questions comment la personnelle de l’autrice nourrit son récit, s’y invite, le façonne.

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