La revanche tardive de Matt Murdock (La chute du Caïd)

Last Rites par DG Chichester et Lee Weeks

1ère publication le 08/12/15- Mise à jour le le 22/04/25

Un article de BRUCE LIT

VO : Marvel

VF : Semic

Un album français collector !

Un album français collector !©Marvel Comics

Last Rites correspond aux numéros 296 à 300 de la série Daredevil. Il s’agit de la conclusion de la saga Born Again de Frank Miller et David Mazzucchelli publiée 6 ans auparavant dans les numéros 226 à 233. 

Le scénario est signé DG Chichester, Lee Weeks est chargé des dessins et des couvertures secondé par Al Williamson à l’encrage.  Cette histoire est à situer chronologiquement juste après la fin du run d’Annie Nocenti où Matt Murdock se réconcilie enfin avec Foggy Nelson.

En France, Last Rites a été publiée par Semic sous le nom : La chute du Caïd.
Non réédité par Panini, il s’agit d’un album difficile à trouver car vendu à l’époque uniquement par correspondance (vous n’y trouverez pas de code barre). L’album reproduit à la fin les couvertures originales mais le plaisir de lecture est quelque peu gâché par un thermocollage supra-fragile (il s’agit de mon deuxième exemplaire en 20 ans) et par la traduction de Geneviève Coulomb (non créditée) qui officiait déjà pour Semic.

Vengeance is mine !

Vengeance is mine ! ©Marvel Comics

Voici une histoire injustement méconnue. D’abord, parce que difficile et chère à se procurer. Ensuite, parce que dans la litanie des meilleurs moments de DD, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent: Miller, Bendis, Nocenti ou Smith. Pourtant, cette histoire est indispensable à la continuité du justicier aveugle puisque le règlement de compte final entre le Caïd et DD s’y déroule.

On se rappelle qu’à la fin de Born Again, Matt Murdock se baladait avec sa donzelle au bras, souriant et détendu après ses épreuves. Certains y virent un signe de maturité du personnage, Matt renonçant à la vengeance voire à son existence de Super Héros. D’autres, plus classiques, attendaient avec impatience la revanche de notre ami envers celui qui avait bousillé sa vie.

Comme un air de Mazzucchelli !

Comme un air de Mazzucchelli ! ©Marvel Comics

Lorsque Chichester entame ces derniers rites, son cahier des charges est effrayant ! Il ne dispose que de 4 épisodes pour un retour au statu quo ! Il s’agit de passer derrière Miller et Mazzucchelli tout de même ! Et de raconter un match retour attendu depuis 6 ans. Et il faut aussi tenir compte du run de Nocenti qui aura mené Matt aux frontières de la mort !
Murdock doit donc: 1/ Fumer Wilson Fisk, 2/ Reconquérir Karen Page qu’il avait cocufiée, 3/ Retrouver sa licence d’avocat 4/Rester un héros malgré sa vengeance. Mazette ! Il s’agit bien d’un récit de reconquête au sens littéral comme symbolique.

De ce côté Chichester ne gruge pas, il se soustrait à toutes ces taches et bien plus ! Il convoque aussi Typhoïde Mary pour un chapitre inoubliable, Nick Fury et l’Hydra ! Peter Parker fait un caméo et il est  par contre dommage que Ben Urich, personnage secondaire indispensable de Born Again ne soit pas de la partie. Tout comme Glorianna O’Breen.

Ce qui est frappant dans cette histoire, c’est que Chichester ne se contente pas d’une baston entre le héros et le vilain. Matt Murdock commence en fait une partie d’échec aussi perverse que celle que Wilson Fisk lui imposa. L’histoire garde en fait le même schéma en commençant par une femme. Le talon d’Achille de Fisk reste en effet Vanessa Fisk qui conservait la bribe d’humanité du vilain. Celle-ci n’apparaît jamais physiquement pendant Last Rites mais hante chaque page où le Kingpin apparaît. Ce sera d’ailleurs le motif de sa chute. Alors que Karen Page précipitait celle de Murdock en révélant son secret, il y avait suffisamment d’amour et de confiance pour que celle-ci se rachète et aide le héros dans sa renaissance.

Une des grandes scènes de l'album qui n'en manque pas

Une des grandes scènes de l’album qui n’en manque pas©Marvel Comics

Pour Wilson Fisk, la chute est aussi symbolique que réelle. Il est cette masse, ce corps imposant qui écrase à la fois tout sur son passage et que personne ne peut rattraper. Lorsqu’abandonné de tous, il sombre à son tour dans la paranoïa, le lecteur a un goût amer dans la bouche. Fisk est un pauvre mec tragique, écrasé de solitude, qui a raté sa vie en voulant la gagner. Jamais Chichester ne le victimise ou n’excuse ses actes. Il le gratifie simplement de flashbacks de son enfance expliquant sa plongée dans la violence.

Alors que Fisk est humanisé, Chichester joue l’équilibriste avec Murdock. Le lecteur doit garder son empathie envers le héros qui mérite sa vengeance. Il est pourtant inquiétant par moment. En ouverture, il plaisante même avec Fisk. Hilare, il ironise sur ses recherches d’emploi et son appartement détruit. C’en est trop pour Fisk qui n’a plus de prise sur cet homme sans peur qui vient le titiller de manière perverse.
Cette perversion est d’ailleurs totalement assumée par Murdock. Pour renverser le monstre, il n’est d’autre choix que de devenir monstre à son tour. Murdock fabrique de fausses preuves, manipule sexuellement Typhoïde Mary, ment à la justice pour détruire son ennemi. Le talent de Chichester nous permet de goûter à l’ironie de la chose: pour redevenir avocat, Matt Murdock triche avec la justice.

Matt sait qu'il a dépassé les bornes (again) !

Matt sait qu’il a dépassé les bornes (again) ! ©Marvel Comics

Pour autant, le lecteur garde son capital d’empathie pour Murdock. Il s’agit d’une perversion au service du plus grand nombre, de détruire un homme pour que tous puissent vivre. A chaque étape de sa vengeance, Murdock est représenté comme parfaitement conscient des infractions qu’il commet, des barrières morales qu’il franchit et de son dégoût. Il est représenté en train de vomir après sa trahison de Mary et à la fin, alors qu’il a enfin vaincu son ennemi, il reste silencieux, immobile, grave. La fin justifiait les moyens mais Murdock est hanté par l’immoralité de ses actes.

Chichester met donc en scène une partie d’échecs impitoyable sous fond de financement d’une chaîne TV par des terroristes. A l’inverse de Miller-Mazzucchelli, il ne dispose que de 4 épisodes au lieu au lieu des 8 de Born Again. De ce fait, le rythme peut paraître parfois saccadé, l’intrigue politique incomplète et la descente aux enfers de Fisk moins éprouvante que celle du Diable rouge.  Certains artifices de narration sont aussi agaçants comme l’implication du SHIELD qui kidnappe Murdock pour le manipuler alors qu’un coup de téléphone aurait suffi. Ce passage permet néanmoins à Chichester un peu d’action super héroïque. Soit.  Matt n’enfile après tout son collant qu’en de rares occasions.

Par contre l’intrigue finale concernant John Gould, le chauffeur de taxi mort de Born Again est totalement bidon. Ainsi donc, Fisk aurait gardé pendant des années les empreintes de Murdock sur une arme de crime sans vouloir s’en servir ? Fisk ne s’en rappelle qu’au moment où il doit affronter notre héros au plus profond du trou ? C’est embarrassant. Tout comme le procès de Fisk qui ne dure qu’une page.

DD en diable grimaçant

DD en diable grimaçant ©Marvel Comics

Agréablement illustré par Lee Weeks qui synthétise les dessins de Mazzucchelli et ceux de JrJr époque Nocenti (mais qui fait montre d’une paresse surnaturelle dans la représentation du sens-radar), Last Rites reste une histoire de qualité que je lis toujours avec plaisir et qui ne cède pas à la facilité. Comme DD, Wilson Fisk mettra plusieurs années à remonter la pente et retrouver son empire (il apparaîtra ainsi dans les Xmen de Lobdell au Japon dans un épisode loupé avec Shang-Chi).

Cette chute du Caïd ne rivalise jamais avec Born Again (mais qui peut se permettre de tutoyer un tel chef d’oeuvre ? Même Frank Miller lui-même sera à la traîne pour Man without Fear !). Il n’en demeure pas moins qu’en moins de 110 pages, DG Chichester tient son lecteur en haleine et offre à ses personnages un affrontement aussi bien physique que psychologique à la hauteur de leur réputation. Il s’agit de l’affrontement du Diable représenté par Fisk (déjà dans l’iconographie de Born Again) face à un Machiavel déguisé en Démon (Matt).  Cette vengeance est âpre, froide, amère. Lorsque Fisk sanglote aux pieds du héros qui déclare lui pardonner toutes les interprétations sont possibles : pardon sincère de Matt, héros chrétien ? pulsion sadique visant à humilier Fisk ? introspection de Matt qui se pardonne à lui-même ?

Après s’être acquitté de son contrat, Chichester reviendra sur le personnage pour Fall from grace, autre moment clé de la continuité du personnage, aussi passé dans l’oubli avec le temps. Décidément !

La page controversée de l'album !

La page controversée de l’album ! ©Marvel Comics

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Et alors, quand est-ce qu’il l’a prend sa revanche contre le caïd Matt Murdock ? Parce que mine de rien, entre Born Again et La chute du Caïd, il se sera passé six ans ! L’attente fut-elle à la hauteur de l’espérance suscitée ? Last Rites de DG Chichester et Lee Weeks sous le radar de Bruce Lit.

La BO du jour : A peine moins joyeux que Matt Murdock, le métal dépressif et glacé d’Alice in Chains

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