L’AMOUR EST ENFANT DE BOHEME (KARMEN de Guillem March)

KARMEN de Guillem March

1ère publication 16/09/21 – MAJ 29/12/21

Par : PATRICK 6

VO : Image

VF : Dupuis

La mort en marche.
© Guillem March
©Image Comics

Cet article portera sur la mini-série en 5 épisodes KARMEN par Guillem March publiée cette année chez Image Comics en VO et chez Dupuis en VF.

Malgré les soins prodigués il est possible que cet article contienne quelques spoilers (squelettiques cependant).

A titre personnel j’ai arrêté les comics comme on arrête de fumer. Partant d’une grande quantité de lecture hebdomadaire made in US, j’ai réduit ma consommation jusqu’à la faire disparaitre purement et simplement. Cependant, demandez-le à n’importe quel ancien fumeur, une rechute est toujours possible ! Un ami qui vous propose une clope et hop ! Vous replongez aussi sec dans votre ancienne addiction. Il en va de même pour l’ancien lecteur de comics, il est toujours en sursis, prenant le risque de remettre le couvert à tout moment ! Tout particulièrement s’il a toujours une collection abondante de comics à lire chez lui.

C’est un peu ce qui s’est passé dans mon cas lorsqu’un certain David B. (il se reconnaitra) m’informa, il y a quelques mois, qu’une nouvelle aventure de PHOTONIK venait de paraitre ! Guettant depuis une trentaine d’année une suite (régulière) à la série arrêtée à la fin des années 80, je me suis donc rendu illico presto dans mon comics shop le plus proche et là, et paf, c’est reparti comme en quarante, je suis ressorti de la boutique avec plusieurs comics ! Vous en entendrez probablement parler par la suite, mais dans l’immédiat je vais vous parler du premier d’entre eux, j’ai nommé KARMEN.

Bon commençons par l’histoire : Code rouge à Palma de Majorque ! Une jeune femme, appelée Catalina, vient de s’ouvrir les veines dans sa salle de bain ! Karmen (un étrange personnage aux cheveux roses et avec des taches de rousseurs, le tout juché sur un corps transparent laissant apparaitre son squelette) est envoyée sur place. Envoyée par qui et pourquoi, on ne l’apprendra que plus tard dans l’histoire…

Quoi qu’il en soit, arrivée sur place Karmen éveille le corps astral de Catalina, alors que le corps physique de celle-ci reste sans vie dans la baignoire, gisant dans son propre sang. La suicidée ne semble pas réaliser la gravité de la situation et pense pouvoir reprendre le cours de sa vie d’un instant à l’autre… Dans un étrange et surréaliste dialogue, situé entre la vie et la mort, les deux protagonistes évoquent les raisons qui ont mené Catalina à commettre l’irréparable…

Mais non t’inquiète pas, tu es juste un peu morte, rien de grave en somme.
© Guillem March
©Image Comics

En total déni de la réalité, Catalina se voit proposer un voyage dans le présent, comme dans le passé (mais au demeurant totalement nue), qui permettra à Karmen de reconstituer le puzzle de ce décès, et à Catalina de se livrer à une introspection très poussée (se mettre à poil dans tous les sens du terme, donc).

La première chose qui a attiré mon regard (outre la nudité du personnage principal hein) c’est le style du dessinateur ! Le graphisme peut définitivement être qualifié « d’Européen » (rien de bien étonnant vu que le dessinateur est espagnol). Il tranche, en tous cas, très nettement avec le reste de la production US actuelle. Et pour cause ! J’ai appris, à postériori, que ce comics avait déjà été publié au préalable en Belgique en un seul volume chez Dupuis. L’éditeur US s’est donc contenté de le saucissonner en 5 et, bien évidemment, de le traduire en Anglais.

Le graphisme de Guillem March est tout simplement époustouflant ! Les planches ont toutes un découpage dynamique et un cadrage vertigineux. Aérien, tout en restant d’une précision chirurgicale, le dessinateur rend à merveille les impressions de profondeur. Les scènes où l’esprit du protagoniste survole Palma de Majorque sont tout simplement splendides. On voit bien que l’auteur connait très bien cette ville (et pour cause, il en est originaire). Pour le coup le comics se prêterait tout à fait à un reportage Avant/Après tant la représentation de cette ville des Baléares est époustouflante de réalisme, tout en paressant onirique et magique ! Une performance.

La palette graphique privilégie le violet, le rouge et l’ocre pour donner une impression crépusculaire, renforçant l’impression d’onirisme.

Vertige graphique
© Guillem March
©Image Comics

Guillem March, le scénariste et dessinateur, a publié plusieurs BD en Europe avant de migrer aux Etats Unis, où il travaille principalement pour DC Comics. Quoi qu’il en soit le voici œuvrant à présent pour Image qui édite sa première creator-owned série. Tous les éléments sont réunis pour faire de ce comics un objet définitivement à part !

Outre sa publication sur l’ancien continent, ce comics se démarque surtout par les influences principales de son auteur : Jean-Pierre Gibrat et Milo Manara ! Surtout ce dernier, du reste, puisque la protagoniste de ce comics, Catalina, passera la plus grande partie de l’histoire totalement nue ! Bon attention, nous sommes quand même au pays de l’oncle Sam, donc la sexualité (contrairement à la violence) est soumise à de nombreuses restrictions. Pour éviter toutes polémiques le sexe (totalement épilé) de la dame sera toujours caché soit par un élément du décor habilement placé à un endroit stratégique, soit par une pose impossible du personnage ^^ Cachez moi ce sexe que je ne saurais voir !

Autre élément particulièrement marquant du comics (sans trop vouloir spoiler) : l’auteur introduit, dans la deuxième partie du récit, une vision toute personnelle de la vie après la mort ! Sorte d’univers administratif, étouffant et surréaliste, l’autre monde évoque furieusement le film de  Terry Gilliam, BRAZIL.

Les féministes risquent de tomber en PLS car si l’after-life est exclusivement régi par des femmes, on se rend compte que ce n’est pas nécessairement pour le meilleur… Les femmes ne font pas mieux que leur homologue masculin. (Bon, vous vouliez l’égalité des sexes oui ou non ?)

Par ailleurs le personnage de Karmen offre une alternative très intéressante à la représentation de l’ange de la mort. On est loin de la vision un brin scolaire de la mort chez Marvel (une femme en suaire qui cache son vrai visage : un squelette) ou de la Goth sexy de Gaiman. Ici la mort est impertinente, excentrique, provocatrice mais au final totalement humaine (contrairement à l’administration aveugle et sourde qui l’envoie).

Au final, cette histoire avait tout pour être un mélodrame (hey on parle de suicide, de déception amoureuse, et de haine de l’humanité… Que des trucs sympas quoi), mais le talent de l’auteur parviendra à transformer cette tragédie potentielle en conte de fée doublé en un puissant hymne à la vie !

Finissions avec une citation de l’auteur : « Karmen est une histoire sur ce qu’il faut faire pour changer réellement sa vie. Après y avoir travaillé pendant six ans, je peux dire que j’ai mis tout mon cœur dans ce projet. J’ai décidé d’écrire le scénario parce que je suis un bien meilleur conteur d’histoires lorsque je m’occupe de tout. Si vous me connaissez par mon travail de super-héros, je suis sûr que Karmen va vous surprendre. Je ne peux exprimer à quel point je suis fier de ce livre, et combien je suis heureux qu’il soit enfin publié en version imprimée pour le public américain. »

Ce n’est que justice, après avoir fait le tour du monde, que ce comics revienne dans nos contrées pour notre plus grand plaisir.

Allez tous vous faire foutre tas de cons !
© Guillem March
©Image Comics

LA BO du jour

37 comments

  • Bruno. :)  

    C’est objectivement très beau : arriver à rendre la « réalité » des architectures sans forcément complètement respecter les règles figuratives du dessin, ça demande autant de technique que de talent d’interprétation graphique. Je suis très impressionné par les quelques planches postées. D’autant plus que le découpage et les attitudes des personnages, que je trouve prodigieusement « Comic Book » dans la maitrise du mouvement, sinon dans la puissance, complimentent la maestria visuelle du tout.
    L’idée ne me parle que peu, par contre : une leçon sur la valeur de la vie à travers « l’ordinaire » du suicide amoureux, ça me laisse un peu dubitatif, au niveau de l’intérêt.

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